11/11/2021

JOHN FEFFER
Corruption et pollution, les deux mamelles de la vache à lait africaine
La Chine investit dans les combustibles fossiles en Afrique

John Feffer, FPIF, 8/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les pays africains ont besoin d'investissements, la Chine a besoin de matières premières et les militant·es africain·es en ont assez de la corruption et des dommages environnementaux qui en résultent.


La relation de la Chine avec l'Afrique présente de multiples facettes. La République populaire de Chine (RPC) partage des liens idéologiques avec de nombreux pays africains en raison de ses liens anciens avec les luttes anticoloniales et par le biais du Mouvement des non-alignés. Tous les pays africains reconnaissent la RPC, à l'exception de l’Eswatini (Swaziland), qui entretient des relations diplomatiques avec Taïwan). De nombreux pays africains ont conservé des relations commerciales avec Pékin après la répression de la place Tiananmen en 1989, et ces liens commerciaux n'ont fait que se renforcer. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Afrique depuis qu'elle a dépassé les USA en 2009.

De nombreux gouvernements africains sollicitent l'aide de la Chine dans le cadre de l'initiative "la Ceinture et la Route" (Belt and Road Initiative, BRI) afin de combler les lacunes du continent en matière d'infrastructures, tandis que la Chine cherche à son tour à accéder à un certain nombre de ressources stratégiques clés, notamment des combustibles fossiles et des minéraux, ainsi qu'à des marchés largement inexploités. En plus d'être riches en ressources naturelles, certains pays africains suscitent l'intérêt des Chinois en raison d'une main-d'œuvre relativement bon marché, d'une mauvaise gouvernance et de normes environnementales laxistes. En 2017, McKinsey a indiqué que plus de 10 000 entreprises chinoises opèrent probablement dans toute l'Afrique. 

Les sommes d'argent en jeu sont stupéfiantes. Selon un rapport publié en 2021 par l'Université de commerce international et d'économie de Shanghai, la Chine a investi depuis 2000 un total de 47 milliards de dollars dans toute l'Afrique (dans 52 des 54 pays), les nouveaux investissements s'élevant à 2,96 milliards de dollars en 2020 (soit une augmentation de plus de 200 millions de dollars par rapport à l'année précédente). La grande majorité des investissements chinois - 87 % - ont été concentrés dans quatre secteurs : l'énergie, les transports, les métaux et l'immobilier.


La Banque africaine de développement, créée en 1964 et comptant 83 pays membres (la Chine y a adhéré en 1985) a tenu sa première réunion annuelle en dehors d’Afrique à Shanghai en mai 2007

L'Export-Import Bank de Chine fournit une grande partie du financement des projets d'infrastructure en Afrique, mais un certain nombre de banques commerciales ont également établi des succursales sur le continent.Pourtant, malgré ces chiffres, l'Afrique n'a attiré que 2 % des investissements étrangers chinois en 2019.  

L'impact des interactions économiques chinoises avec l'Afrique peut également être mesuré au niveau individuel. "Il n'y a pas d'individus au Nigeria qui ne possèdent pas de produits chinois", rapporte Tijani Abdulkareem, le directeur exécutif du Centre de recherche et de développement socio-économique à Abuja. "C'est la nourriture qu'ils mangent, les montres-bracelets qu'ils possèdent, les vêtements qu'ils portent".

Cependant, l'empreinte de la Chine en Afrique a suscité une colère, un ressentiment et une réticence considérables de la part des communautés vivant à l'intérieur et autour des projets que la Chine a financés, construits ou promus, en particulier ceux impliquant des industries extractives. Les critiques se sont concentrées sur les impacts environnementaux négatifs, les violations du droit du travail et des droits humains, et les pratiques de corruption.

Lors d'un webinaire intitulé Voices from Africa : Perspectives militantes sur les investissements chinois, parrainé par l'Africa Climate Justice Group, six représentants d'organisations de la société civile de toute l'Afrique ont présenté leur point de vue sur le terrain concernant les activités chinoises dans le domaine de l'exploitation minière et de l'extraction dans leur communauté, suivi du commentaire d'un expert sur les investissements chinois en Afrique. Le rapport suivant est une synthèse de leurs présentations.

 

Projets d'infrastructure

La Chine a investi dans un certain nombre de projets d'infrastructure très médiatisés sur le continent, notamment un oléoduc de 7 milliards de dollars au Niger, un projet portuaire de 1,3 milliard de dollars au Cameroun et un investissement de 3,6 milliards de dollars dans le secteur de l'aluminium en Guinée. Nombre de ces projets sont destinés à faciliter l'accès aux matières premières et à accélérer leur exportation par la route, le rail ou la mer.

La Chine délocalise également ses capacités de fabrication : en raison de leur impact négatif sur l'environnement, pour réduire sa propre empreinte carbone, et pour profiter de coûts de main-d'œuvre plus faibles et de la proximité des matières premières. L'Afrique doit créer un secteur manufacturier à forte intensité de main-d'œuvre au moment même où la Chine espère réduire ce secteur.

Au Nigeria, souligne Tijani Abdulkareem, 218 entreprises chinoises sont impliquées dans tous les domaines, de la construction au secteur de l'alimentation et des boissons. Les grands projets d'infrastructure comprennent le barrage hydroélectrique de Mambilla, d'une valeur de 5,8 milliards de dollars, un gazoduc de 2,8 milliards de dollars, un complexe portuaire d'une valeur de 1,5 milliard de dollars et un nouveau terminal de l’aéroport desservant Abuja, d'une valeur de 200 millions de dollars.

En Guinée, rapporte Aboubacar Diallo du Centre du Commerce de Conakry, la Chine finance à hauteur de 20 milliards de dollars des infrastructures en échange de concessions minières, un accord qui durera de 2017 à 2036. La Chine a déjà investi dans plusieurs centrales hydroélectriques. Mais son intérêt se concentre désormais sur l'accès à des minerais essentiels comme le fer et la bauxite, avec une raffinerie pour transformer cette bauxite en aluminium et un port pour exporter le métal. En échange, la Chine s'est engagée à reconstruire une route principale pour un montant de 2,1 milliards de dollars, à reconstruire quatre universités pour un montant de 300 millions de dollars, à réhabiliter les routes et les installations sanitaires de la capitale, Conakry, et à mettre en place un réseau électrique pour un montant de 250 millions de dollars. Cependant, seule la route a été entamée, et les trois autres grands projets ont été retardés.

Février 2019 : des militants de l’Alliance Démocratique manifestent contre le projet de Zone économique spéciale de Musina-Makhado. En mars 2021, le gouvernement provincial du Limpopo a freiné le projet, exigeant des mesures plus claires de protection de l’environnement de cette zone frontalière du Zimbabwe.


L'un des plus grands projets proposés par la Chine sur le continent est la zone économique spéciale de Musina-Makhado, dans la région de Limpopo en Afrique du Sud, que le gouvernement a approuvé en 2016. Des contrats ont été attribués à une filiale de la firme chinoise Shenzhen Hoi Mor et à neuf autres entreprises chinoises totalisant plus de 10 milliards de dollars d'investissements. Cette zone de développement industriel sera axée sur le traitement de minéraux tels que le chrome, le manganèse et le fer, ainsi que sur la fabrication de ciment et d'acier. La zone sera alimentée en électricité par une centrale au charbon de 3,3 gigawatts.

Dans certains pays africains, cependant, les infrastructures brillent par leur absence. Au Zimbabwe, ce sont surtout des entreprises chinoises de petite taille qui ont été impliquées dans le secteur minier. Mais comme le souligne Farai Maguwu du Centre for Natural Resource Governance à Harare, les Chinois "ne construisent rien dans la région. Ils se contentent de creuser et de laisser derrière eux des puits à ciel ouvert. Il n'y a aucun investissement dans l'éducation ou dans les infrastructures routières, qu'ils détruisent avec leurs machines."

L'expérience au Sud-Soudan, où la Chine exploite des champs pétrolifères depuis les années 1990, est similaire. "Les communautés sont censées bénéficier du pétrole produit dans leur région", observe Pach Ayuen Pach, de la Fondation "Heart of Mother Earth". "C'est leur droit, mais il n'y a pas de bonnes écoles, pas d'eau potable, pas de routes, pas d'hôpitaux, et rien de bon pour la communauté."

Impact environnemental

L'impact environnemental des investissements chinois dépend de la nature du projet, du comportement des entreprises chinoises, ainsi que des lois et de leur application dans le pays d'accueil.

Les organismes de financement chinois - le ministère du commerce, la Banque d'import-export - disposent de réglementations environnementales. Mais si vous regardez de plus près, il y a très peu de réglementations et elles s'appliquent en grande partie aux processus administratifs. Les agences administratives chinoises doivent se conformer aux réglementations lorsqu'elles examinent les investissements, mais il n'existe aucune loi qui les oblige à passer ces investissements au crible. Il n'existe aucune exigence en matière d'évaluation de l'impact sur l'environnement, aucune exigence de divulgation de la conduite des Chinois à l'étranger.

Les lois nationales de protection de l'environnement et les mécanismes de surveillance varient considérablement sur le continent. L'Afrique du Sud possède peut-être les réglementations environnementales les plus strictes. Par exemple, des militants d'ONG ont gagné un procès pour faire fermer une centrale à charbon proposée dans la province de Mpumalanga en juillet 2020. "En Afrique du Sud, nous disposons d'une législation qui nous aide à arrêter les projets à forte intensité de carbone", déclare David Tshidzumba, de Save Our Limpopo Valley Environment.

« Le charbon tue, tuons le charbon » : manifestation à Louis Trichardt, Limpopo

Mais jusqu'à présent, les militants n'ont pas été en mesure d'empêcher la création de la zone économique spéciale de Musina-Makhado en raison de son impact sur l'environnement, en grande partie parce que ces ZES sont exemptées des réglementations environnementales habituelles. L'Afrique du Sud, explique Tshidzumba, est un pays qui manque d'eau et le site de la ZES "est l'une des régions les plus pauvres en eau du pays". La zone industrielle aura besoin de 80 millions de litres cubes d'eau par an, mais on ne sait toujours pas d'où viendra cette eau. Autre élément troublant : le projet contribuera à hauteur de 15 % au budget carbone de l'Afrique du Sud, alors même que le gouvernement a accepté de réduire ses émissions de carbone. "S'il se réalise, l'Afrique du Sud sera sur la sellette", poursuit Tshidzumba. "Et nous verrons probablement des sanctions contre l'Afrique du Sud à cause de ce projet". L'évaluation de l'impact environnemental de la zone économique est toujours en cours, mais "les Chinois parlent du projet comme s'il avait déjà reçu le feu vert".

Boue toxique provenant de l'exploitation de la bauxite en Guinée (Shutterstock)

En Guinée, où les investissements chinois se sont concentrés sur les industries de la bauxite et du fer, l'exploitation minière a eu un impact énorme sur les terres. "La loi locale exige la restauration des terres", rapporte Aboubacar Diallo, "mais rien n'a été réhabilité." La Guinée a également des lois sur l'exploitation minière qui exigent une compensation pour les terres prises pour de telles opérations, mais les entreprises ont saisi des terres arables et déplacé des personnes sans fournir de compensation. Le riz est la principale culture, occupant près d'un tiers des terres arables, mais le rejet de lubrifiants et d'eaux usées provenant de l'exploitation de la bauxite a compromis cette production alimentaire. La poussière provenant de l'exploitation minière a pollué l'air, et il y a également eu une pollution sonore due aux explosions et à l'utilisation d'équipements lourds.

Parfois, l'impact environnemental découle non seulement de projets ostensiblement légaux mais aussi d'opérations illégales. Au Nigeria, par exemple, des journalistes ont mis en évidence la pollution liée à l'exploitation forestière, à la pêche et à l'extraction minière illégales réalisées soit par des entités chinoises, soit par des acteurs locaux qui vendent ensuite à des entreprises chinoises. Les impacts comprennent "l'augmentation des inondations, l'érosion, l'extinction des animaux et des plantes", explique Tijani Abdulkareem. "L'exploitation forestière illégale prive les communautés de sources de nourriture et de moyens de subsistance".

La pêche et l'exploitation minière illégales sont également un problème à Madagascar, où la Chine est un partenaire commercial important. "Les Chinois utilisent le mercure pour la prospection de l'or, même si c'est interdit", rapporte Volahery Andriamanantenansoa, du Centre de recherche et d'appui aux alternatives au développement-océan Indien. "Le gouvernement malgache n'a pas les moyens de faire quoi que ce soit".

Mais le principal intérêt minier de la Chine à Madagascar concerne les minéraux de terres rares. Réduisant l'extraction de ces minéraux en Chine même, en raison des effets néfastes sur l'environnement et la santé, Pékin est désireux de trouver d'autres sources de ces intrants essentiels aux produits de haute technologie. À Madagascar, la Chine prévoit d'extraire de 300 à 800 tonnes de minéraux de terres rares au cours de la phase pilote de son extraction. Mais l'extraction d'une seule tonne de ces minéraux génère 1 000 tonnes d'eau contaminée et 2 000 tonnes de déchets toxiques. Sur toute la durée de vie du projet, qui pourrait être de 40 à 50 ans, cela représenterait un total étonnant de 500 millions de tonnes d'eau empoisonnée et un milliard de tonnes de déchets toxiques. "C'est tout simplement catastrophique", déclare Volahery. L'exploitation minière aura un impact dévastateur sur la riche biodiversité de la région, affectera négativement le secteur du tourisme et portera atteinte à des produits agricoles essentiels comme la vanille et le café.

La compagnie minière a "promis d'utiliser une technique moins dévastatrice", poursuit-elle, "mais elle n'a pas d'expérience dans l'exploitation des terres rares." Et même si ces entreprises sont bien conscientes de l'impact environnemental de ce type d'exploitation en Chine, elles ferment les yeux sur les conséquences à Madagascar.

Dans le même temps, au Sud-Soudan, "les Chinois ne respectent pas les normes environnementales internationales", rapporte Pach Ayuen Pach, et leurs opérations dans le secteur pétrolier "provoquent une pollution de l'air, de l'eau et du sol", notamment par l'émission de gaz par les générateurs à moteur diesel, l'évaporation des gaz des fosses de terriers et l'émission de gaz non brûlés dans les installations de traitement des champs. "L'industrie pétrolière au Sud-Soudan a laissé un paysage parsemé de centaines de fosses à déchets à ciel ouvert, ainsi que des eaux et des sols contaminés par des produits chimiques toxiques", conclut-il.

Impact sur le travail

Les projets d'infrastructure et les concessions minières sont censés générer non seulement des revenus pour les gouvernements africains, mais aussi des emplois pour les travailleurs locaux. Les pays africains comme l'Afrique du Sud, le Nigeria et la Namibie affichent les taux de chômage les plus élevés au monde, soit 33-34 %.

Dans de nombreux cas, les entreprises chinoises ont résisté à l'embauche locale et ont plutôt fait venir leurs propres travailleurs de Chine. À la fin de 2019, 182 000 Chinois travaillaient en Afrique, dont beaucoup sur des projets de construction. Selon McKinsey, les entreprises chinoises font toutefois appel à des Africains pour près de 90 % des emplois.

Les conditions de travail varient d'un endroit à l'autre. Dans une usine du Zimbabwe, rapporte Farai Maguwu, "les travailleurs affirment qu'ils sont enfermés pendant l'heure du déjeuner. Les Chinois disent : "Si nous vous laissons libres, vous allez voler". Ils ne sont libérés qu'après l'heure du déjeuner. Nous avons également vu des Chinois décharger des armes à feu là où les travailleurs réclamaient un salaire minimum."

Pach Ayuen Pach a été chargé de surveiller les conditions de santé et de sécurité des travailleurs de la compagnie pétrolière UNI Afro au Sud-Soudan. L'entreprise chinoise a largement ignoré le droit du travail sud-soudanais. Ainsi, par exemple, les travailleurs travaillent neuf heures par jour, sept jours par semaine, 30 jours par mois. "Les employés n'ont pas le choix", souligne-t-il. "C'est soit le travail, soit une réduction de salaire, soit le licenciement. Les gens dans cette optique choisissent de travailler même si c’est au détriment de leur santé". La nourriture fournie manque de légumes à part les oignons crus ; les logements des travailleurs soudanais sont de moins bonne qualité que ceux où logent les travailleurs chinois. Les travailleurs ont droit à un mois de congé tous les trois mois, mais à demi-salaire, ce qui les décourage de prendre ces congés. La barrière de la langue complique toutes ces interactions.

En Afrique du Sud, la zone économique spéciale de Musina-Makhado permettrait de créer jusqu'à 53 000 emplois sur le site et bien plus encore dans les industries connexes. Pour obtenir ces emplois, le gouvernement sud-africain a promis d'appliquer un traitement spécial, tel que l'exonération fiscale et la renonciation aux droits d'importation, aux entreprises chinoises qui y opèrent, ce qui implique une baisse considérable des recettes publiques.

"Chaque fois que nous essayons d'entrer dans les détails de la création d'emplois, rapporte David Tshidzumba, on nous fait la sourde oreille. Nous avons besoin de plus de transparence. Nos lois nous donnent la possibilité d'obtenir ces informations".

Absence de responsabilité

L'une des difficultés rencontrées dans les relations avec les entreprises chinoises est le manque de transparence et de lignes claires en matière de reddition de comptes. Cela est dû en partie aux différences linguistiques et culturelles. Mais cela reflète également un certain modèle de comportement des entreprises.

Même lorsque les communautés et les groupes civils font part de leurs préoccupations aux entreprises chinoises en Guinée - par exemple en ce qui concerne la violation des lois ou des droits - "les entreprises continuent avancer en toute impunité", observe Aboubacar Diallo. "Lorsqu'une communauté contacte la Banque mondiale, elle est en mesure d'avoir un recours. Ce n'est le cas avec aucune entreprise chinoise."


"Les entreprises chinoises ne font pas des affaires comme les autres multinationales", convient Tijani Abdulkareem. "Même lorsque nous soulevons des problèmes de dégradation de l'environnement, elles ne se soucient pas de ce que dit la société civile". La Chine s'est engagée, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, à soutenir les énergies propres. Nous devons intensifier notre jeu pour qu'ils respectent leurs engagements."

Dans le cas de l'exploitation des terres rares à Madagascar, la société Reenova a délibérément évité la transparence pour augmenter ses bénéfices. Bien que d'origine chinoise et basée à Singapour, Reenova est enregistrée à l'île Maurice afin de profiter d'un accord de réduction des impôts entre cette île et Madagascar. Un permis de "recherche" lui a été délivré en 2003 et, malgré l'interdiction de vendre les minéraux extraits pendant cette période, les documents de la société déposés à la bourse de Singapour suggèrent qu'elle prévoit effectivement de vendre jusqu'à 800 tonnes de matériaux extraits pendant cette phase pilote. De plus, la société n'a pas consulté les communautés concernées, se contentant de fournir des informations sur les prétendus avantages du projet et recourant à des menaces lorsque la communauté n'est pas convaincue.

Au Zimbabwe, où les opérations minières sont à plus petite échelle, les entreprises n'ont souvent aucune adresse physique, pas même un site web. Pourtant, elles entretiennent des relations étroites avec le gouvernement zimbabwéen. Dans un cas, le gouvernement a envoyé les forces de sécurité de l'État au nom d'une entreprise chinoise pour détruire au bulldozer un site dans une communauté qui était clairement opposée à l'exploitation du charbon. Lorsque la communauté a continué à insister pour que l'entreprise chinoise s'en aille, "les Chinois ont demandé au gouvernement de mettre le chef de la communauté en prison et de lui interdire de se rendre dans la communauté pendant quatre mois", rapporte Farai Maguwu.

Dans un autre cas, Maguwu a demandé au parlement zimbabwéen d'enquêter sur une société chinoise qui exploitait des diamants en partenariat avec l'industrie de la défense zimbabwéenne. Les Chinois faisaient valoir qu'ils n'étaient qu'en phase d'"exploration" alors que la même entreprise "avait exploité des mines dans le pays de 2011 à 2015 avant que l'ancien président ne les mette dehors", a ajouté Maguwu. "Ils sont revenus en 2018. Cela n'a pas de sens qu'ils fassent maintenant de l'"exploration"".

Corruption

Un moyen évident pour les entreprises chinoises de contourner les lois sur l'environnement et le travail et de maintenir un manque de responsabilité et de transparence a été de soudoyer ou de payer des fonctionnaires.

Au Jigawa, l'un des États nigérians les plus pauvres, les entreprises chinoises peuvent en toute impunité s'emparer des terres exploitées par les membres de la communauté car "les politiciens locaux qui ont été soudoyés s'en moquent", note Tijani Abdulkareem. "La plupart des fonctionnaires ont été soudoyés. Dans ces États où le banditisme est très présent, un homme d'affaires chinois peut corrompre pour obtenir ce qu'il veut".

Il en va de même pour les hommes d'affaires nigérians qui agissent pour le compte d'entreprises chinoises. L'un de ces hommes d'affaires, surnommé "Dan China", a présidé à l'exploitation de mines illégales qui ont extrait 278 milliards de dollars de plomb, de zinc, d'étain et d'autres minerais. "Protégé par des agents de sécurité et des fonctionnaires locaux soudoyés, Dan China aurait fait passer le minerai extrait illégalement en Chine via le port de Lagos", raconte Abdulkareem. En 2017, dans un effort inhabituel de lutte contre la corruption, "le gouvernement nigérian a réprimé l'une des plus grandes de ces opérations minières illégales à Kampanin Zurak, une zone rurale située à environ 150 miles de la capitale de l'État, Jos. Au cours du raid, la police a arrêté seize ressortissants chinois travaillant sur le site éloigné" .

Dans leur empressement à approvisionner les acheteurs chinois, les bûcherons et les pêcheurs illégaux déforestent le Nigeria et épuisent les réserves de pêche le long de la côte, toujours protégée par des fonctionnaires locaux qui ont été achetés. On estime que le Nigeria perd 70 millions de dollars par an du seul fait de la pêche illégale. "En juillet 2017, Addax, détenue par Sinopec, a payé 32 millions de dollars pour régler les accusations de la justice suisse selon lesquelles la société avait versé jusqu'à 100 millions de dollars de pots-de-vin à des fonctionnaires du gouvernement nigérian via des intermédiaires", rapporte Abdulkareem.

Des niveaux similaires de corruption accompagnent les opérations minières en Guinée. En 2020, le magnat de l'exploitation minière franco-israélien Beny Steinmetz et deux autres personnes ont été accusés par un tribunal suisse d'avoir versé 10 millions de dollars de pots-de-vin pour obtenir l'accès aux lucratifs gisements de fer en Guinée. Les accusations antérieures de corruption ont été abandonnées lorsque Steinmetz a renoncé aux contrats d'exploitation du fer. Le gouvernement a ensuite confié le contrat à une coentreprise chinoise, singapourienne et guinéenne, qui a promis une liaison ferroviaire et un port en eau profonde pour transporter le minerai vers les marchés mondiaux.

Au Zimbabwe, les propriétaires d'entreprises chinoises "donnent l'impression d'être protégés par quelqu'un de haut placé qui leur a donné l'autorisation de faire ce qui leur plaît", rapporte Farai Maguwu. "Lorsque les communautés s'opposent aux mines, l'État réagit, en arrêtant des Zimbabwéens pour protéger les Chinois".

Impact culturel

Les mines et les projets d'infrastructure n'ont pas seulement un impact économique et environnemental. Ils ont également des conséquences sur la vie sociale et culturelle des communautés où ils sont implantés.

Dans la zone économique spéciale de Musina-Makhado en Afrique du Sud, par exemple, "les animaux et les arbres sacrés du peuple Venda seront détruits pour faire place à ce projet", déclare David Tshidzumba. "Ils vont exhumer des tombes vieilles de plus de 60 ans, déraciner des arbres sacrés pour les populations indigènes. Une fois que vous détruisez la terre, une fois que vous enlevez l'eau, nous n'avons plus de sentiment d'appartenance. Il ne s'agit pas seulement du patrimoine mais aussi des moyens de subsistance, de notre mode de vie".

Les projets miniers au Zimbabwe ont impliqué l'appropriation de terres communales, y compris des forages dans des tombes. "Je ne pense pas qu'il existe un seul endroit au monde où l'on ait assisté à une violation aussi flagrante des droits culturels qu'au Zimbabwe", déclare Farai Maguwu. Sur un site d'extraction de pierres de granit, la société chinoise Heijin a dit aux villageois que l'opération se poursuivrait parce qu'ils ne possédaient pas le terrain. Le gouvernement zimbabwéen, quant à lui, a tenté de minimiser le nombre de villageois affectés par l'opération.

L'avenir

Les militants de la société civile ont organisé des campagnes contre divers projets d'extraction financés par la Chine dans toute l'Afrique. Ils appliquent des stratégies juridiques pour empêcher le feu vert à la zone de Musina-Makhado. Ils travaillent avec les communautés touchées pour diffuser des informations sur l'impact environnemental, dénoncer des exemples de corruption et faire pression sur les gouvernements pour qu'ils respectent les lois locales lorsqu'ils traitent avec des entreprises chinoises. Ils veulent instaurer une plus grande transparence et une plus grande responsabilité autour des projets chinois, ainsi que des mécanismes plus durables capables de traiter de manière responsable les plaintes des travailleurs et des membres des communautés. Et ils mettent l'accent sur les projets non extractifs - agriculture durable, écotourisme, énergie propre - qui peuvent apporter des avantages économiques comparables sans avoir un impact dévastateur sur l'environnement et la communauté.

Avec les entreprises occidentales, les militants africains peuvent engager des poursuites contre les entreprises dans le système judiciaire du pays d'accueil. Mais la Chine ne dispose pas d'un système judiciaire indépendant. La responsabilité sociale des entreprises a été intégrée au droit chinois des contrats en 2006 et est entrée en vigueur en 2014, mais les entreprises ne respectent pas nécessairement ces principes. Bien que Pékin ait créé en 2018 un tribunal sous l'autorité de la Cour populaire suprême pour traiter les réclamations internationales découlant de l'initiative "la Ceinture et la Route", on ignore dans quelle mesure cet organe judiciaire sera indépendant.

La Chine est toutefois de plus en plus soucieuse de sa réputation. Elle a fourni 60 milliards de dollars d'aide étrangère et consacré un milliard de dollars de son initiative "Belt and Road" aux infrastructures africaines. Elle veut être perçue comme aidant l'Afrique et non comme l'exploitant.

Récemment, le gouvernement de la République démocratique du Congo a suspendu un certain nombre de sociétés chinoises pour activités minières illégales. Pékin a réagi en ordonnant aux sociétés de quitter la région et en promettant des sanctions si les sociétés sont reconnues coupables de violations. Cette affaire montre que le gouvernement chinois est sensible aux réactions de l'opinion publique.

La Chine a longtemps affirmé qu'elle n'interviendrait pas dans la souveraineté des pays où elle est économiquement impliquée. C'est donc sur cette question de l'autodétermination que les parties prenantes africaines ont peut-être le plus de poids. S'ils parviennent à faire connaître leurs plaintes, à mobiliser le mécontentement et à persuader les gouvernements de prendre des mesures, comme dans le cas de la RDC, la Chine peut être persuadée de changer de cap, si ce n'est pour respecter les principes de responsabilité des entreprises, du moins pour respecter la volonté souveraine de la population et protéger ce qui reste de sa réputation internationale.

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