Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Six des neuf parcs éoliens construits ou prévus dans l'ancienne colonie espagnole seront gérés par Nareva, une filiale du consortium contrôlé par le monarque.
Une grande partie de l’énergie produite dans le territoire occupé est destinée aux industriels. Ces éoliennes approvisionnent la cimenterie de HeidelbergCement, qui est l’une des entreprises importantes pour la colonisation du territoire par le Maroc. Photos WSRW
Le Maroc a un plan ambitieux pour les projets d'énergie solaire et éolienne, où le Sahara occidental est la clé. Ce territoire contesté, que Rabat considère comme ses "provinces du sud", est classé par les Nations unies comme la dernière colonie d'Afrique. La figure du roi, Mohammed VI, est également un élément clé de ces plans. Non seulement en tant que chef d'État, mais aussi en tant qu'investisseur. La principale entreprise d'énergie renouvelable au Sahara Occidental s'appelle Nareva. La société appartient au méga-groupe d'affaires Al Mada, dont les actionnaires majoritaires sont Mohammed VI et sa famille.
Nareva, la société du monarque, a développé deux des trois projets de production d'énergie éolienne déjà en exploitation au Sahara occidental : Foum el Oued, avec 50 mégawatts (MW) de capacité installée, et Aftissat, avec 200 MW. Seule une petite centrale, de 5 MW selon l'Agence marocaine pour le développement durable (Masen), qui approvisionne le cimentier Cimar, reste en dehors de son portefeuille. Quatre des six autres centrales éoliennes prévues au Sahara Occidental seront également gérées par Nareva, selon le rapport Éco-blanchimentde l'occupation, publié en octobre par l'organisation qui surveille l'exploitation des ressources naturelles du territoire, Western Sahara Resource Watch (WSRW).
Au total, sur les neuf parcs éoliens que comptera le Sahara dans quelques années, six seront exploités par la société de Mohamed VI ou par des consortiums auxquels sa société participe, selon le site web de Nareva. Outre les deux parcs en exploitation (Foum el Oued et Aftissat), il est prévu de construire les parcs éoliens de Tiskrad, Boujdour et Aftissat II, ainsi qu'une usine de dessalement à énergie éolienne à Dakhla. Pour le journaliste marocain Omar Brouksy - l'une des rares voix critiques du pays sur les affaires royales - cette présence importante des entreprises de Mohammed VI dans le secteur des énergies renouvelables constitue un "quasi-monopole", nous a-t-il expliqué par téléphone depuis le Maroc.
L'engagement du Maroc en faveur des énergies renouvelables est logique. Le Maroc importe 90 % de son énergie primaire, principalement du charbon et du pétrole et, dans une moindre mesure, du gaz, selon l'Institut espagnol du commerce extérieur (Icex). Rabat s'est fixé pour objectif de produire 52 % de son électricité à partir d'énergies renouvelables d'ici à 2030. En octobre dernier, le gouvernement marocain a avancé cet objectif à 2025.
Pour WSRW, qui défend l'autodétermination de l'ancienne colonie espagnole comme le Front Polisario, l'investissement marocain au Sahara Occidental est "illégal", car il implique l'exploitation des ressources naturelles d'un territoire qu'il définit comme "occupé" sans l'autorisation explicite du peuple sahraoui. Le non-respect de cette condition a conduit le Tribunal de l'UE à annuler, le 29 septembre, les accords commerciaux et de pêche entre l'UE et Rabat. La Cour a fait valoir, dans des arrêts distincts, que les produits provenant d'un territoire que la communauté internationale ne reconnaît pas comme faisant partie du Maroc ne peuvent être commercialisés. Il a souligné que le commerce au Sahara Occidental nécessite l'approbation de la seule organisation que l'ONU considère comme représentante des Sahraouis : le Front Polisario. Dans son rapport, WSRW estime que l'énergie éolienne du Sahara Occidental pourrait constituer 47,20% de la capacité éolienne totale du Maroc en 2030.
Le ministère marocain de l'énergie, des mines et de l'environnement a déclaré à EL PAÍS que le rapport de Western Sahara Resource Watch montre un "manque de compréhension de la gestion des sources renouvelables". Il ajoute que le potentiel de ces énergies est "infini" et ne peut être comparé à celui des mines ou des hydrocarbures, qui sont limités. Le gouvernement marocain soutient que l'objectif du rapport de WSRW est de "bloquer les projets en cours et d'annuler les projets prévus, de demander aux actionnaires des sociétés impliquées de cesser immédiatement" leur participation, et d'empêcher l'UE d'importer de l'énergie de ces projets dans "les provinces sahariennes".
Concernant le manque de légitimité évoqué par Western Sahara Resources Watch, le ministère marocain de l'énergie indique que dans les "provinces du sud", "comme dans les autres régions du Royaume", tous les projets d'énergie renouvelable ont été adoptés dans une dynamique "participative", impliquant "les élus locaux et la société civile". Il ajoute que lors des dernières élections législatives, qui se sont tenues le 8 septembre, le taux de participation dans plusieurs régions du Sahara, comme El Ayoun, a dépassé les 60%. Pour sa part, le ministère marocain des affaires étrangères a déclaré à l'époque que les deux arrêts de la Cour de justice européenne étaient "très politiques" et avaient peu à voir avec des "arguments juridiques". Il a déclaré qu'il espérait que la Cour de justice des Communautés européennes rectifierait les deux arrêts, une fois que les deux jugements auront fait l'objet d'un appel.
Une autre critique dans le rapport de Western Sahara Resource Watch est le conflit d'intérêt potentiel d'une société appartenant à Mohammed VI, l'homme le plus riche et le plus puissant du Maroc, gagnant des contrats et participant à des appels d'offres publics décidés par les chefs des entreprises publiques qu'il nomme et révoque, comme le directeur de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE). Le document cite le "projet éolien intégré de 850 MW", le plus grand jamais approuvé dans le pays, pour lequel l'ONEE a choisi un consortium comprenant Nareva comme vainqueur de l'appel d'offres en 2016. Ce plan prévoit la construction et l'exploitation de quatre centrales éoliennes. Deux d'entre elles - Tiskrad et Boujdour - se trouvent dans le Sahara et représentent 47% de la capacité installée du projet, avec 400 MW, 100 MW dans la première et 300 MW dans la seconde. Pour Gilles Devers, membre de l'équipe juridique représentant le Polisario devant l'Union européenne, Mohamed VI "profite personnellement de l'occupation du Sahara et, de surcroît, utilise les entreprises de l'État marocain pour le faire".
Le gouvernement marocain a répondu à notre journal sur cette question en assurant que "le choix des entreprises locales ou étrangères qui remportent les différents appels d'offres" est toujours basé "sur des conditions et des critères techniques et financiers" et que "la réglementation en vigueur permet la transparence et la concurrence entre les différents soumissionnaires". Sur les "42 appels d'offres [dans le pays] pour le développement de projets solaires (8), éoliens (6) et hydroélectriques (28)", le rapport indique que "Nareva Holding n'a obtenu que 4,76 % du nombre d'appels d'offres attribués pour les modèles IPP [Independent Power Producer] et EPC [Engineering, Procurement and Construction Management]".
Nareva a été fondée en 2006. Trois ans plus tard, le Maroc a adopté la loi 13-09 - promulguée par dahir (décret royal) - qui mettait fin au monopole détenu jusqu'alors par l'ONEE, une entreprise publique, et ouvrait la porte aux entreprises privées pour produire de l'électricité et la vendre au réseau public. Aujourd'hui, Nareva est la première entreprise privée d'énergie éolienne en Afrique, selon son site web.
En 2009, Mohamed VI a créé, également par décret, l'Agence marocaine pour le développement durable [sigle Masen, pour Moroccan Agency for Sustainable Energy, sans doute un clin d’œil pour évoquer…le Makhzen, NdT], dont le responsable est également nommé par le monarque. Depuis le 26 décembre 2015, cette agence est en charge de la stratégie nationale des énergies renouvelables. En ce jour de décembre, une dépêche de l'agence de presse officielle marocaine, Maghreb Arabe Presse (MAP), rapporte que le roi a transmis "ses instructions aux différents acteurs concernés afin que la gestion des énergies renouvelables, notamment solaire, éolienne et hydroélectrique, soit désormais assurée par Masen".
La même année, Omar Brouksy publie un article dans la revue Orient XXI intitulé « Maroc, les rayons très argentés du "Roi soleil ». Dans ce texte, il raconte que, toujours le 26 décembre 2015, Fouad Ali el Himma, le conseiller le plus influent du monarque, avait rencontré le Premier ministre de l'époque, l'islamiste Abdelillah Benkirane, pour l'informer que l'agence de développement durable serait désormais sous l'autorité exclusive du Palais royal. Dans son entretien avec notre journal, M. Brouksy affirme que "ni la Constitution marocaine ni aucun texte juridique" ne cautionne cet ordre de l'entourage du monarque.
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