Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Un groupe de jeunes a jeté des pierres sur des soldats armés portant des équipements de protection. Les soldats ont répondu par des gaz lacrymogènes, mais lorsqu'une pierre a apparemment touché l'un d'entre eux, sans le blesser, il a tiré une balle sur Mohammed Daadas, 15 ans. L'adolescent tué rêvait de devenir un photographe de presse.
Un coin commémoratif pour Mohammed
Un groupe de jeunes, ou peut-être devrions-nous dire d'enfants, prend un petit drapeau palestinien étalé sur le sol et une branche d'olivier soutenue par des pierres et les déplace silencieusement vers un nouvel emplacement à quelques mètres de là. Puis ils étalent à nouveau le drapeau, ramassent quelques pierres entre les oliviers, les placent en cercle et plantent la branche d'olivier au centre. Ce qui a précédé cette activité, c'est la découverte que le monument qu'ils avaient créé pour leur ami, Mohammed Daadas, tué sous leurs yeux il y a une semaine, n'avait pas été placé au bon endroit - c'est-à-dire exactement là où se tenait le jeune homme de 15 ans lorsqu'il a été abattu - mais à proximité. Ils déplacent maintenant le mémorial de fortune au bon endroit.
Ces jeunes ont grandi prématurément et ont vu la mort de près, à un âge où beaucoup de leurs pairs n'ont probablement jamais vu le corps d’un de leurs amis.
Ce groupe vit dans le camp de New Askar [Askar Al Jadid], près de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. Vendredi dernier 5 novembre, environ 20 ou 30 jeunes se sont rendus dans les oliveraies du village de Deir al-Hatab pour manifester contre la colonie d'Elon Moreh et ses avant-postes, et contre les soldats des Forces de défense israéliennes qui y sont déployés. Les manifestations n'ont pas lieu ici toutes les semaines, mais la grève de la faim prolongée des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes et les attaques violentes et incessantes des colons locaux contre les cueilleur·ses d'olives et les agriculteurs palestiniens ont incité le groupe à se rendre dans le village voisin, qui a été dépossédé de ses terres.
Après une marche de quatre kilomètres depuis le camp de réfugiés, ils ont atteint les oliveraies de Deir al-Hatab. Une vingtaine de soldats sont déjà positionnés en face d'eux, de l'autre côté des murets de pierre qui séparent les parcelles appartenant à différents agriculteurs, à environ 50 mètres des jeunes manifestants. C'est un rituel qui se poursuit : jets de pierres par les jeunes, jets de gaz lacrymogènes et tirs en l'air de la part des soldats des FDI, cris et injures des deux côtés.
Il était environ 15h30. Les bosquets se trouvent derrière l'école, dans le village même, loin de toute colonie israélienne et de toute route. Un seul avant-poste illégal, issu d'Elon Moreh, est visible au loin, sur la colline d'en face. Mais même à une telle distance, les gens n'ont pas le droit de manifester ; ici aussi, les soldats les attendent en embuscade, les provoquent et parfois aussi versent leur sang.
Lundi, nous avons conduit de New Askar à Deir al-Hatab avec trois des jeunes résidents du camp qui ont participé à la manifestation de vendredi dernier : Jihad, 14 ans, Hani, 14 ans et Yusuf, 15 ans. Abdulkarim Sadi, chercheur sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits humains B'Tselem, originaire de la ville de Toulkarem, nous accompagnait. Les trois adolescents semblaient encore choqués par ce qu'ils avaient vu quelques jours auparavant, mais aucun d'entre eux ne pleurait. Ils faisaient partie d'un groupe de quatre ou cinq personnes à cet endroit précis, tandis que leurs amis s'étaient dispersés ailleurs. L'une des pierres qu'ils ont jetées a touché un soldat, qui a immédiatement visé avec son fusil et tiré sur leur ami Mohammed Daadas, expliquent-ils.
Le père endeuillé Amjad Daadas (à gauche) recevant des condoléances.
Mohammed s'est saisi l’estomac, s'est courbé et s'est effondré sur le sol. "J'ai été frappé", a-t-il crié à ses amis, mais ils ne l'ont pas cru. Ce n'est que lorsqu'il a levé sa main tachée de sang qu'ils ont compris ce qui s'était passé, nous disent les jeunes. Ils ont rapidement couru vers lui et l'ont porté jusqu'à la maison la plus proche, où ils ont appelé à l'aide. Mohammed a crié : "Maman ! Je veux ma mère, amenez ma mère". Ce furent ses derniers mots avant qu'il ne perde conscience.
Une voiture privée appartenant à un habitant de Deir al-Hatab a transporté Mohammed à l'hôpital Rafadiya de Naplouse, et pendant ce temps, tous les manifestants ont commencé à s'y rendre. Un taxi collectif est passé et le chauffeur a emmené neuf d'entre eux à l'hôpital. Ils n'avaient pas d'argent, le chauffeur les a pris gratuitement. Une cinquantaine d'autres enfants et adolescents sont également arrivés à l'hôpital depuis la manifestation et le camp de réfugiés. Ils pensaient que leur ami allait survivre, mais peu de temps après, ils ont été informés que Mohammed était mort.
L'unité du porte-parole des FDI a répondu comme suit à une demande du Haaretz : « Le 5 novembre 2021, une perturbation a eu lieu sur une route près de la colonie d'Elon Moreh, dans la zone de la brigade territoriale de Shomron [Samarie], au cours de laquelle les émeutiers ont jeté des pierres sur les combattants des FDI sur site. La force a répondu par des moyens de dispersion de la foule et par des tirs réels. À la suite d'un rapport reçu sur la mort d'un Palestinien, une enquête de la police militaire a été lancée ; à sa conclusion, les conclusions seront transmises pour examen à l'avocat général militaire ».
"Vous êtes venus ici en tant qu'êtres humains et nous l'apprécions beaucoup", nous dit, dans un hébreu fleuri, l'oncle de l'adolescent décédé, qui porte le même nom, Mohammed Daadas. "C'est un grand fardeau sur notre dos de transmettre le message que nous sommes des êtres humains".
Le camp de réfugiés de New Askar, près de Naplouse. Mohammed s'était rendu en ville deux fois par semaine pour suivre un cours de photographie
Dans le diwan de New Askar, des personnes en deuil sont assises et reçoivent des appels de condoléances. Amjad Daadas, un homme de 45 ans, grand et mince, est le père endeuillé. Mohammed était son aîné et son fils unique. Lui et sa femme, Najela, 37 ans, ont deux filles, Asil, 13 ans, et Dalin, 11 ans. Amjad est un ouvrier du bâtiment qui participe actuellement à la construction d'une nouvelle maison au 35, rue Hahayil à Ramat Gan. Son fils décédé était en 10e année à l'école Mohammed Amin al-Saadi du camp, gérée par l'UNRWA. Les origines de cette famille de réfugiés se trouvent dans le village d'Arab Abou Kishk, "au nord de la maison du [général des FDI] Moshe Dayan", selon l'oncle, Mohammed - près du quartier de Morasha dans l'actuel Ramat Hasharon, dans le centre d'Israël.
La voix d'Amjad le trahit lorsqu'il parle de son fils. C'était un élève brillant, raconte le père, il aimait le football et les jeux d'ordinateur, et rêvait surtout de devenir photographe de presse. Pour cela, il a suivi des cours dans une école de photographie à Naplouse. Pendant six mois, il s'est rendu dans cette ville deux fois par semaine ; il a terminé le cours il y a environ un mois et a reçu un certificat d'excellence. Sa photo, sur laquelle il pose avec un appareil prêté par l'école, a été publiée sur les médias sociaux après sa mort. Il ne possédait pas d'appareil photo et prenait des photos avec son téléphone portable, que sa famille ne peut pas déverrouiller puisqu'elle ne connaît pas son mot de passe ; les images qu'il a prises pourraient l'accompagner dans sa tombe sans être vues par d'autres personnes. Son dernier projet pendant son cours était une séance de photos dans le parc Gamal Abdul Nasser, dans le centre de Naplouse.
De temps en temps, il va avec des amis manifester contre l'occupation, nous dit Amjad : "Il fait partie du peuple, et comme tous les autres garçons, il voit ce qui se passe et y participe". Inquiet que son père ne le laisse pas aller aux manifestations, Mohammed lui disait qu'il allait jouer au football - c'est exactement ce qui s'est passé vendredi dernier. La famille s'est levée vers 9h30, père et fils sont allés prier comme d'habitude, mais cette fois dans deux mosquées différentes - Amjad dans une mosquée à l'extérieur du camp de réfugiés, son fils à Askar. Ils sont rentrés à la maison à midi et ont déjeuné. Amjad est allé faire une sieste et Mohammed a dit qu'il allait sortir jouer avec des amis. Vendredi. C'était une belle journée.
Des enfants dans le camp de réfugiés de New Askar, près de Naplouse.
Amjad éclate en sanglots maintenant. Lorsqu'il s'est réveillé, dit-il, il a vu qu'il y avait un certain nombre d'appels sans réponse sur son téléphone. Entre-temps, des voisins sont arrivés et lui ont dit que Mohammed avait été blessé et évacué à Rafadiya. Son père s'est précipité à l'hôpital. Les médecins ont tenté de le calmer, lui expliquant que son fils était en salle d'opération et qu'on s'occupait de lui. Le garçon était dans un état critique ; la balle qui l'a percuté a gravement endommagé les tissus de son estomac. Peu après, les médecins lui annoncent la terrible nouvelle.
L'oncle Mohammed, qui dit souhaiter pouvoir parler aux soldats israéliens et leur dire que les Palestiniens sont des êtres humains comme eux, est convaincu que son neveu et homonyme a été tué à la suite d'une politique délibérée. "Il existe une procédure qui consiste à tuer des enfants pour qu'ils ne grandissent pas ; à mettre fin à leur vie pour qu'ils ne résistent pas à l'injustice et à l'oppression".
Pour sa part, Amjad dit éprouver des sentiments mitigés. Bien qu'inconsolable après la mort de son fils, il trouve apparemment un certain réconfort dans la pensée que son fils "est parti vers Dieu, qui est plus miséricordieux que tous les hommes et plus que nos vies ne le sont ici."
Le jeune Mohammed Daadas a été enterré au cimetière de New Askar samedi à midi, en présence de tous ses camarades de classe.
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