Juan
Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 28/11/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Juan Pablo Cárdenas Squella (Santiago, 1949) est un journaliste et universitaire chilien, qui fut un opposant démocrate-chrétien au régime Pinochet, persécuté pour ces raisons, y compris après le "retour de la démocratie".
Si, avec un si grand nombre de candidats à la
présidence au premier tour de l’élection, les abstentionnistes étaient plus nombreux
que les votants, rien ne permet de penser que la situation pourrait changer
maintenant et que davantage de personnes encore n'hésiteront pas à voter pour
l'une des deux options en lice. C'est-à-dire, pour José Antonio Kast ou Gabriel
Boric. Ce sera sûrement confirmé : celui qui sera élu Président de la
République n’aura pas rallié plus de 20 ou 25 % du nombre total de citoyens.Ainsi, la démocratie sera la plus touchée lors de ces élections. Il est incontestable que le pays se soucie beaucoup plus des questions de sécurité et des exigences socio-économiques que de la stabilité d'un régime qui, en quarante ans, n'a d'ailleurs pas atteint les normes démocratiques qui existent dans les autres pays du monde. Là où il y a une plus grande égalité sociale, une diversité de presse et une institutionnalité plus complète. Dans lequel les branches du gouvernement, par exemple, disposent d'une réelle autonomie, le présidentialisme n'est pas aussi étouffant, et la probité et la transparence règnent au Parlement et dans le système judiciaire. [On peut toujours rêver, NdT]
Un pays ravagé par la peur de la criminalité ordinaire, par le phénomène croissant du trafic de drogue et par les actions désordonnées de la violence politique, peut difficilement consolider la paix sociale, qui est la grande aspiration du peuple. En même temps, bien sûr, que le droit au travail, à des salaires et des pensions décents, et que la discrimination, la xénophobie et le racisme cessent, comme ils s'expriment sans aucun doute dans notre cohabitation sociale tendue. Non seulement en Araucanie [terre mapuche, NdT], mais sur l'ensemble du territoire.
Il sera très difficile pour le candidat Kast de se défaire de son passé pinochetiste, de son fort conservatisme et des nombreuses craintes que sa position d'extrême droite suscite. Il lui sera encore plus difficile de se séparer de certains de ses partisans qui n'hésitent pas à justifier de graves violations des droits humains et, pour couronner le tout, à prôner la libération de génocidaires et de tortionnaires condamnés par les tribunaux chiliens et internationaux.
Il sera également difficile pour le candidat Boric de se distancier de ses propres déclarations, comme celle de favoriser l'amnistie ou le pardon pour ceux qui, au moment de l’explosion sociale, ont commis de graves troubles et ont même mis le feu à des stations de métro et à certaines églises [sic, NdT]. Même s'ils ont été détenus arbitrairement pendant si longtemps dans l'attente d'un acquittement ou d'une condamnation.
Les deux candidats sont fortement influencés par leurs propres partisans et alliés. Si le candidat républicain veut gagner, il est évident qu'il devra céder aux aspirations du centre-droit, un secteur qui a besoin de se redresser électoralement, en plus d'offrir une gouvernabilité, après les piètres performances du gouvernement de Piñera. En plus de capter le vote de ceux qui ont soutenu un candidat aussi puéril que Franco Parisi,
qui est arrivé en troisième position dans les sondages, pratiquement personne ne prévoyait un tel succès pour un candidat qui, pour couronner le tout, vit hors du pays et ne fait campagne que sur les réseaux sociaux
Gabriel Boric aura toujours des problèmes avec le soutien du parti communiste, avec la résistance que ce parti suscite chez de nombreuses personnes, surtout maintenant qu'il a réussi à se positionner électoralement comme la principale force au sein du pacte Apruebo Dignidad ou Frente Amplio, ce qui rendra sa présence à La Moneda [palais présidentiel, NdT] pertinente. Tant dans le cabinet ministériel lui-même que dans les postes de direction de l'administration publique.
On peut également supposer le désagrément que doit causer au candidat le fait de demander le soutien des grands perdants de la dernière journée électorale : les démocrates-chrétiens, le PPD [Parti Pour la Démocratie, social-démocrate, NdT], le parti socialiste et les radicaux. Encore plus s'ils lui posent des conditions et offensent ainsi les secteurs les plus radicalisés et intransigeants de l'alliance de gauche. Un effort qui, d'ailleurs, peut s'avérer vain, quand on sait que les directions de ces partis ne tirent pas grand profit à donner des directives d’en haut, quand même leurs propres dépiutés se rebellent constamment contre elles.
Pour le pays, le pire est ce qui est répété avec insistance qu'il faut voter pour le "moins mauvais" et que l'espace est fermé à l'abstention légitime ou aux votes blancs ou nuls, qui peuvent aussi exprimer les sentiments du peuple chilien. Ce qui semble certain, c'est que quel que soit le vainqueur de la prochaine élection, il gagnera avec une marge étroite, ce qui est certainement désastreux pour l'objectif de parvenir à un consensus ou à une majorité parlementaire pour la mise en œuvre des solutions que le peuple attend. Ce qui est le plus évident dans ces processus récents, c'est le manque de "hauteur de vue", de certaines convictions, ainsi que le manque de leadership des candidats, qui s'exprime par des doutes et des craintes concernant leur solvabilité intellectuelle, leur fermeté, leur expérience et d'autres attributs de bons gouvernants.
C'est difficile à résoudre, mais à la lumière de ce qui s'est passé, il serait souhaitable de rétablir le vote obligatoire et d'obliger les élus du peuple à être clairement représentatifs lors du vote. Et la fin de l'idée d'élire un dirigeant qui se retrouvera rapidement face à une majorité d'opposition, ou même en état de forte protestation, si son gouvernement s'avère incapable de répondre aux revendications sociales. À cet égard, il serait bon que la Convention constitutionnelle, légitimée par le vote populaire, remplisse sa mission et que ses membres, notamment ses dirigeants, ne se prennent pas les pieds dans le tapis des contingences électorales.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire