08/06/2025

Luis E. Sabini Fernández
Panorama... planétaire et focus sur Gaza

  Luis E. Sabini Fernández  5/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il y a une sensation, un malaise comme lorsque l’on est près de la mer et que l’on voit venir une tempête : le ciel s’assombrit, des rafales de vent arrivent de tous côtés, le ciel se couvre...

C’est ainsi qu’on peut voir le panorama politique, non plus (seulement) local mais général.

(Bien sûr, nous n’avons pas la moindre idée de ce qui e passe en Mongolie, au Costa Rica ou en Hongrie, mais c’est une situation qui dépasse de toute façon nos particularités).

Donald Trump a été, à mon avis, défini à juste titre comme le monarque qui est de plus en plus nu (et certains d’entre nous devinent qui lui a tissé son coûteux costume invisible).

Comment est-il possible que face à la jungle qui entoure de toutes parts le jardin (unique) de l’Europe pas si chaste que ça, ce soit précisément l’Europe qui batte les tambours de guerre ? Malaise.

Et que nous ayons un autre monarque, issu d’élections démocratiques, qui consulte son chien, mort ? Malaise.

Et que la théocratie juive (dont se démarquent quelques rares juifs) mène, avec une brutalité et une franchise inattendues, un génocide « en direct » ?

Et que l’Ukraine apparaisse de plus en plus clairement comme la marionnette ventriloque des services secrets israélo-britannico-usaméricains ?

De telles politiques, récurrentes chez les pouvoirs dictatoriaux, étaient généralement dissimulées, « calfeutrées ». Mais il semble que nous soyons entrés dans une zone idéologique, psychique, sans calfeutrages.

Nous pourrions nous réjouir, voire être fiers de ce langage direct, sans détours, mais il s’avère que ces déclarations sincères sont faites avec effronterie pour réclamer encore plus de brutalité, l’élimination des obstacles à la mise en œuvre de sévices, l’audace d’exercer un despotisme sanglant  et cela s’avère « approprié » pour soumettre des populations à une volonté omnipotente.


L’excellent Francisco Claramunt révèle ces agissements dans ses articles sur le génocide palestinien et en particulier à Gaza dans le magazine Brecha.[1] Dans son dernier article, il expose le trafic d’armes de contrôle et de mort d’Israël et ses profits juteux.

Mais ce n’est certainement pas le profit qui en constitue le principal aspect. Car le pouvoir que confèrent ces déploiements est encore plus significatif.

Le traitement que l’Israël inflige aux Palestiniens, en s’appropriant leurs terres  – un processus qui dure depuis un siècle –, éveille l’intérêt de nombreuses constellations de pouvoir, tout aussi désireuses de réaffirmer leurs droits sur des terres mal acquises.

Le « cheval de bataille » des exportations réussies de matériel et de techniques militaro-policiers d’Israël se caractérise par le slogan utilisé par leurs exportateurs : « testé et éprouvé au combat ».

Et c’est là la « contribution » israélienne, l’invention d’Israël : celle d’un ennemi (et du combat qui en découle).

Car lorsque le sionisme entame la spoliation par appropriation du territoire palestinien, il se heurte à une résistance. Sociale. Mais pas militaire ni politique. Israël va alors reconfigurer la résistance en scène de combat, inventer un adversaire, ou plutôt un ennemi idéologique et politique qu’il traite comme un ennemi de guerre.

C’est une tâche militaire assez facile : il traite en ennemies les populations réfractaires pourvu qu’elles aient ne serait-ce qu’un fusil de chasse pour l’affronter. Les résultats en nombre de « pertes » l’illustrent : les grévistes de la grève générale insurrectionnelle de 1936 paieront leur soulèvement contre l’occupation sioniste de milliers de morts ; en 1948, les paysans seront expulsés de leurs terres, de leurs cultures et de leurs habitations (les pelotons sionistes détruiront environ 500 à 600 villages palestiniens) et après avoir tué les réfractaires (des milliers), ils expulseront plusieurs centaines de milliers de Palestiniens de leur habitat millénaire. Lors d’affrontements ultérieurs entre des habitants en colère et l’armée israélienne, comme lors des intifadas, et même lors des guérillas palestiniennes des années 60, des centaines de Palestiniens (hommes, femmes, enfants) mourront pour chaque soldat israélien tombé « au combat ».

Comment expliquer que des Juifs dépouillés de tout, vie comprise, au début des années 40 en Allemagne, en Pologne, dans les pays baltes, etc., quelques années plus tard, pas plus que ceux que l’on peut compter sur les doigts d’une main,  aient dépouillé les Palestiniens de leurs terres, de leurs biens, de leurs maisons avec leurs meubles, leurs vêtements et leur vaisselle (jusqu’aux tasses à thé fumantes, dans des maisons abandonnées à la hâte face à la menace de la réquisition sioniste) ?

Il ne s’agissait pas exactement des mêmes personnes. Beaucoup de ceux qui ont été spoliés par le nazisme se sont réfugiés aux USA. Et beaucoup de sionistes juifs qui occupaient la Palestine et déplaçaient les Palestiniens ne venaient pas des shtetls pillés de Russie et d’Europe orientale ni de la terreur nazie ; ils venaient souvent d’Angleterre et d’autres pays européens occidentaux, ainsi que de pays des Amériques (USA, Argentine).[2]

Une comparaison aussi irritante ne tient donc pas la route, en raison de la diversité des destins particuliers, parfois familiaux.

Réfugiés ou colonisateurs ?

Ce que nous venons d’évoquer se situe au niveau des destins personnels. Mais en outre, parce que le « destin juif »  a été superposé à la question coloniale. La colonisation proprement dite : s’emparer du territoire d’un « autre ».

Une question qui, pour les colonialistes, n’existe pas. Elle est sans importance. Car évoquer la question coloniale ouvrirait la porte aux droits des colonisés. Et pour le colonialisme, le droit est par antonomase le droit des colonisateurs. Il n’y en a pas d’autre.

De quel autre droit peut-on donc parler ? Parce que le droit colonial est élaboré et concrétisé comme le droit des colonisateurs.

Avec le même fondement que celui sur lequel les droits humains ont été élaborés à l’ONU en 1945. Le sénateur usaméricain de l’AIPAC, Lindsey Graham, l’explique, ou plutôt le dévoile, le 21 novembre 2024 : « Le Statut de Rome [de la CPI] ne s’applique pas à Israël, ni aux USA, ni à la France, ni à l’Allemagne, ni à la Grande-Bretagne, car il n’a pas été conçu pour agir sur nous. »

Examinons ce statut : le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, établi par l’ONU en 1998 et complété en 1999 et 2002, tient compte du fait « qu’au cours de ce siècle, des millions d’enfants, de femmes et d’hommes ont été victimes d’atrocités » et « que les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne doivent pas rester impunis », [... et] résolues, aux fins d’atteindre ces objectifs et dans l’intérêt des générations présentes et futures, à établir une Cour pénale internationale à caractère permanent, indépendante [...] ». « La Cour [...] sera compétente pour exercer sa juridiction sur les personnes pour les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ».

Apparaît-il dans un passage quelconque que ces dispositions s’appliquent aux Maghrébins, aux Salvadoriens, aux Portugais ou aux Tunisiens et non aux Anglais, aux Israéliens, aux USAméricains ou aux Français ?

Il est utile de confronter les exceptions que s’octroient les puissants de la planète à l’article 6 du statut de la CPI qui traite du génocide :

“Article 6

CRIME DE GÉNOCIDE

Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

 e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.”

Les cinq éléments constitutifs d’un génocide sont largement remplis par Israël en Palestine, et en particulier dans la bande de Gaza !

Et nous nous demandons d’où pourrait venir une exonération d’Israël telle que celle que prétend obtenir le sénateur soutenu par l’AIPAC pour certains citoyens du monde de première classe.

Nous n’avons pas pu trouver de raisons aussi particulières ; c’est peut-être notre aveuglement...

Il n’y a d’autre choix que de conclure, selon les critères de la CPI, que tous les actes commis par « l’armée la plus morale du monde » constituent définitivement un génocide.

Peut-être qu’à cheval sur une telle exception « grahamienne », Israël se permet de  propager ses produits de guerre, de soumission  et de torture comme « testés et éprouvés au combat ». Nous avons déjà vu que le terme « combat » sonne faux, car il transforme en guerre ce qui est simplement et brutalement une occupation militaire (il n’y a pas deux armées qui s’affrontent).

Israël arme « les scènes de combat ». Il joue à la guerre avec de nombreux « ennemis ». Beaucoup. Toute une population. En réalité, cette population victime, composée de personnes âgées, de femmes, d’enfants et de bébés, n’a été et n’est qu’un punching-ball pour l’armée israélienne.

Claramunt passe en revue l’énorme succès que cette propagande, ces tests d’armes israéliennes, remporte auprès des acheteurs : sans doute parce qu’ils veulent en faire un usage analogue...


Un moment de la « colonisation » : fabriquer des mutilés

Jusqu’en octobre 2023, outre la spoliation, la propagation de la mort, l’expulsion administrative des habitants de la société et leur maintien en détention, isolés, parfois pendant des décennies, Israël a mené une politique délibérée de mutilations, qui leur a donné un rôle important. Montrant une logique coloniale de mutilation, restreignant les possibilités pour le peuple palestinien de guérir de ses blessures, car les Palestiniens et les Palestiniennes perdent un œil, une jambe, se retrouvent avec une cheville brisée à vie […]

En octobre 2023, lorsque les Palestiniens ont pris le contrôle de casernes locales israéliennes à Gaza et fait des prisonniers, Gaza comptait 440 000 personnes handicapées, selon Danila Zizi, directrice de Handicap international pour la Palestine, soit 21 % de la population totale. Vous avez bien lu. Une personne sur cinq... Après le 8 octobre 2023, on comptait en un mois près de 100 000 blessés, dont on peut déduire qu’une grande partie seront désormais handicapés (sans compter les morts, adultes et enfants).

Le handicap n’est pas une conséquence du massacre, mais un objectif de la politique coloniale.[3]

Bien sûr, les massacres entraînent également une augmentation des mutilations et, par par conséquent, le nombre de personnes handicapées.

Test d’ignorance crasse

Quand quelqu’un qui ne sait rien de cette tragédie, ni des droits humains, est amené à parler des Palestiniens, de Gaza, d’Israël, il s’accroche à deux points et se sent en sécurité : 1) c’est une guerre (déclenchée de manière malveillante le 7 octobre 2023 ; peut-être dans un ciel serein, dans le meilleur des mondes), et 2) nous devons faire face au « réseau terroriste du Hamas ».

Ce n’est pas une guerre, et il n’y a jamais eu deux armées. Il s’agit d’une colonisation par la spoliation.

Et le Hamas n’est pas terroriste comme on peut le dire de Daech, de la Mano guatémaltèque ou de l’Irgoun sioniste.

Le Hamas s’est constitué pour venir en aide aux Palestiniens dans le besoin, leur fournir des abris, de la nourriture et préserver leur intégrité culturelle (qui est religieuse pour le Hamas). De nombreuses actions du Hamas ont été non seulement non violentes, mais résolument pacifiques, comme les Marches pour la Terre (2019 et 2020) qui ont été réprimées par Israël avec  acharnement et ont fait des centaines de morts et de blessés [4].

Mais ce ne sont pas des pacifistes. Ce sont des islamistes qui invoquent la « guerre sainte ». Et en tant que fidèles d’un monothéisme absolu (et absolutiste) – à l’instar des monothéismes verticaux juif et chrétien –, ils admettent la violence et peuvent même la glorifier. Mais même l’ONU reconnaît que contre le colonialisme qui sous-tend le projet israélien, la violence est légitime.

On dit que le Hamas a été promu et financé par l’État sioniste. Il ne faut pas l’écarter. Israël a utilisé, comme tout pouvoir établi, des résistances les unes contre les autres pour s’en débarrasser mieux (des deux). À un moment donné, Israël a peut-être facilité la tâche des islamistes pour faire plier les Palestiniens laïques dirigés par Arafat ; à un autre moment, il a pu se servir de l’Autorité nationale palestinienne pour écarter l’opposition moins malléable du Hamas.

Mais ces vicissitudes ne contredisent pas la volonté d’émancipation des Palestiniens spoliés et de plus en plus massacrés. Elles n’effacent pas non plus le moteur de cette situation, que Francesca Albanese présente si succinctement : le génocide en cours est « la conséquence de la situation exceptionnelle et de l’impunité prolongée dont bénéficie Israël ».

 Notes

[1]  Voir par exemple Gaza un genocidio de exportación, 30 mai 2025. 

[2]  Il existe des témoignages de Juifs qui n’ont pas pu banaliser« le changement » de victime à bénéficiaire.  Au moins, cela leur a coûté psychologiquement : tel est le cas de la famille juive Peled, de l’ancien Yichouv. Mais ils étaient une extrême minorité au moment de s’emparer de la Palestine.

 [3]  Voir Iñaki Urdanibia, Gaza un genocidio de exportación”,

 [4]   Expression du mépris absolu pour tout prochain qui guide les pas de la direction israélienne.

 

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