Sergio Rodríguez Gelfenstein,
18/1/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L'expérience
m'a appris que tous les politiciens ne peuvent pas devenir des hommes d'État,
il y a une distance entre les deux. Fondamentalement, la différence vient de la
capacité que certaines personnes développent pour gérer et diriger un pays “contre
vents et marées”. Dans ce cadre, il existe deux domaines qui forgent les
conditions permettant de transformer n'importe quel politicien en homme d'État
: la sécurité et la défense, en général la gestion et la direction des forces
armées, et l'orientation de la politique étrangère.
Dans
le passé, les relations extérieures étaient gérées sans équivoque par les
ministères des affaires étrangères en utilisant l'art de la diplomatie. Cette
fonction a perdu de sa force et de sa validité ces derniers temps, lorsque la
technologie permet aux chefs d'État de communiquer de manière directe et
presque sûre sans que les questions passent par les ministères des affaires
étrangères et les ambassades et sans qu'il soit nécessaire d'organiser des
réunions directes en face à face qui entraînent des dépenses énormes et une
perte de temps utile pendant les voyages. C'est particulièrement vrai lorsqu'il
s'agit de liens entre pays amis.
Mais
lorsque le domaine discuté émane de perspectives différentes en termes de philosophie,
de politique, de culture et, en général, d'intérêts nationaux de chaque pays,
le contact personnel et l’impression directe fournie par les dirigeants jouent
un rôle fondamental dans la prise de décision et la signature d'accords.
La
diplomatie est l'art de la tromperie subtile et de l'hypocrisie naturelle de
ceux qui doivent souvent feindre une amitié absente lorsqu'ils recherchent des
informations et élaborent des plans de coopération qui contribuent à la
défense, au développement et à la durabilité du projet politique du pays qu'ils
représentent. Malgré le fait que les pays médiocres recourent à la banalité des
représentants diplomatiques qui, dans l'exercice de leurs fonctions, ne visent
pas les objectifs fixés, mais plutôt le trivial, le superficiel, le puéril et
l'insignifiant, la diplomatie continue d'être un instrument valable pour
atteindre les objectifs stratégiques de l'État.
Dans
ce domaine, le rôle des dirigeants est fondamental. Jusqu'à présent, des
valeurs universellement reconnues telles que l'honneur, la confiance, la
dignité, le respect et l'honnêteté, entre autres, ont été mises sur la table
pour traiter les accords et les différences. Mais la crise même du système
international émanant de la société capitaliste mondiale - qui a, entre autres,
un caractère éthique profond - a commencé à rendre ces valeurs moins crédibles.
Au contraire, on tente de minimiser le rôle de la diplomatie pour renforcer
l'instrument de la force en tant que mécanisme permettant d'imposer et
d'exacerber les intérêts des pays puissants au détriment de la paix mondiale,
de la gouvernabilité et de la recherche d'accords pour résoudre les grands
problèmes qui affligent l'humanité.
Cela
est devenu évident suite aux déclarations de l'ancienne chancelière allemande Angela
Merkel, qui a fait savoir que les accords de Minsk de 2014 étaient une
tentative de donner du temps à l'Ukraine, afin que le pays puisse être renforcé
pour servir de bélier de l'OTAN contre la Russie. Mme Merkel a déclaré : « Nous
savions tous qu'il s'agissait d'un conflit gelé, que le problème n'était pas
résolu, mais c'est précisément cela qui a donné un temps précieux à l'Ukraine ».
En d'autres termes, l'Occident n'a pas utilisé la diplomatie pour la paix, mais
pour la guerre.
L'ancien
président français François Hollande s'en est fait l'écho : « Oui, Angela
Merkel a raison sur ce point ». Hollande a déclaré que l'armée ukrainienne
d'aujourd'hui est en fait mieux entraînée et mieux protégée sur le plan
matériel, ce qui est « à l'honneur des accords de Minsk, qui ont donné
cette possibilité à l'armée ukrainienne ».
Ces
confessions ont provoqué d'innombrables commentaires... et aussi des silences.
En Europe même, le président serbe Aleksandar Vucic a déclaré que ces
déclarations changeaient radicalement l'image des faits [concernant l'Ukraine]
et soulevaient la question de la confiance. Il a ajouté que pour lui, c'était
un signe qu'il ne devait pas faire confiance.
Vucic
est le dirigeant d'un pays qui a connu une sécession à la suite d'une action
directe de l'OTAN, qui n'a pas trouvé de meilleur moyen que d'inventer un pays
pour gagner le territoire qu'elle voulait contrôler dans les Balkans. Dans ce
contexte, il était inévitable que le ministre serbe des Affaires étrangères
établisse une nette similitude entre les accords de Minsk et les traités de
Bruxelles qui définissent les relations entre la Serbie et la république
autoproclamée du Kosovo et qui, selon lui, « se sont révélés frauduleux ».
L'ancien
vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache a déclaré que les aveux de
Merkel et de Hollande mettaient en doute la parole des politiciens européens. Strache,
un politicien d'extrême droite, a déclaré que la franchise de Mme Merkel sur le
sujet était effrayante, ajoutant que « de cette manière, les dirigeants
européens ne font que détruire toute base de confiance à leur égard ».
Cependant,
malgré toutes ces certitudes, l'ONU, qui sous Guterres est devenue un appendice
des politiques usaméricaines, européennes et de l'OTAN, est restée silencieuse,
comme on pouvait s'y attendre. Le porte-parole du Secrétaire général, Stéphane
Dujarric, avec l'argument éhonté que cela devrait être laissé à « l'analyse
historique des journalistes, des anciens fonctionnaires et des historiens »,
a refusé de commenter les déclarations de Merkel et de Hollande, donnant encore
plus de poids à l'idée que l'ONU a aujourd'hui un Secrétaire général pour la
guerre, pas pour la paix.
L'accord
nucléaire avec l'Iran connu sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action
(JCPOA), que Joe Biden, pendant sa campagne électorale, a promis de réintégrer,
après qu’il eut été signé par Obama et abandonné par Trump, doit être placé
dans un autre domaine de la même question. Biden a nommé Robert Malley envoyé
spécial en Iran pour superviser les négociations menant au renouvellement du
JCPOA. Cependant, Malley a fait le contraire.
Pepe
Escobar, journaliste et analyste géopolitique brésilien spécialisé dans l'Asie
occidentale et centrale, a affirmé que le JCPOA « était essentiellement un
clone de l'accord de Minsk », permettant à Washington de gagner du temps
pour remodeler sa politique à l'égard de l'Iran et de l'Asie occidentale. Dans
ce cas, selon Escobar, « Téhéran n'est jamais tombé dans le piège »
car le leader iranien, l'ayatollah Seyyed Ali Khamenei, qu'il décrit comme « un
habile stratège géopolitique », a toujours été clair sur le fait qu'il ne
fallait jamais faire confiance aux USA car « il savait intuitivement que
celui qui succéderait à Obama - la fauconne Hillary ou, comme cela s'est produit,
Trump - ne respecterait finalement pas ce qui avait été signé et ratifié par
les Nations unies ».
Carlos Latuff
Une
telle pratique, qui, comme on peut le constater, est devenue monnaie courante
dans la politique étrangère usaméricaine, s'installe maintenant au Venezuela et
dans les négociations qui ont eu lieu au Mexique entre le gouvernement et le
secteur terroriste de l'opposition soutenu par Washington. Dans cette mesure,
le Venezuela devrait prendre note de ce qui s'est passé car, en réalité, ces
réunions sont l'expression d'une négociation indirecte entre les gouvernements
de Caracas et de Washington, gérée de cette manière par ce dernier parce qu'il
n'a pas trouvé le moyen de justifier à son opinion publique que sa politique de
renversement du président Maduro a échoué lamentablement et qu'il doit
maintenant négocier avec celui qui tient réellement les rênes du pouvoir dans
le pays.
Pour
ce faire, il utilise le secteur le plus rétrograde, le plus violent et le plus
antidémocratique de l'opposition vénézuélienne, tout en recourant à toutes les
ressources et à tous les instruments de son arsenal, le dernier en date étant
l'élimination du “gouvernement provisoire” et le maintien d'un “parlement
provisoire”, tous deux inconstitutionnels et inexistants dans la pratique. En fait,
ce qui s'est produit, c'est un changement dans la direction de la bande
criminelle, tout en maintenant la pratique de l'infraction sous une autre
apparence. Cette décision a été reprise par la majorité du secteur terroriste,
notamment parce que Guaidó n'a pas procédé à une distribution efficace et
équitable des ressources obtenues grâce au vol.
Néanmoins,
Washington continue à “exiger” que les pourparlers aient lieu au Mexique. Rendus
aveugles, sourds et muets par le fait de ne pas avoir d'ambassade à Caracas,
ils s'accrochent à la seule chose qu'ils ont pour “maintenir” leur présence
politique au Venezuela. Tout cela se produit à un moment où les mesures
coercitives adoptées à l'encontre de la Russie ont été inversées et ont généré
un véritable désastre économique pour eux et leurs alliés. Ils ne peuvent pas
non plus expliquer à leur opinion publique pourquoi ils ont été contraints de
céder et d'accepter qu'une compagnie pétrolière usaméricaine commence à opérer
au Venezuela.
C'est
pourquoi ils insistent pour que leurs pions continuent à jouer la comédie au
Mexique. Ce sont les USA qui peuvent faire appliquer l'accord visant à
débourser les 3,2 milliards de dollars séquestrés, et non l'opposition
terroriste, puisque ce sont eux qui ont négocié. Mais non, comme à Minsk, à
Bruxelles et dans le cas du JCPOA, il a été évident que Washington gagne du
temps pendant qu'il réalise ce qui est maintenant son objectif après l'échec du
recours à la violence et au terrorisme : essayer d'unifier l'opposition, billets
verts aidant, pour qu'elle aille aux élections de 2024 avec un seul candidat.
La
patience des Vénézuéliens est à bout. Ils n'attendront pas six ou trois ans,
lorsque Biden ne sera plus à la tête de l'administration, pour qu'il avoue
(comme Merkel et Hollande à propos de Minsk) qu'il ne faisait que gagner du
temps au Mexique. Il n'est pas nécessaire d'attendre pour savoir que le sénile
Biden, comme tous les présidents usaméricains, est un menteur : nous
savons que la diplomatie américaine ne repose pas sur des valeurs ou des
principes, mais uniquement sur l'imposition et la force. Le Venezuela, son
peuple et son gouvernement les connaissent déjà, ont appris et sauront comment
agir.