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28/05/2023

GIDEON LEVY
Il ne reste que deux options pour Israël : une nouvelle Nakba ou un État pour deux peuples

Gideon Levy, Haaretz, 28/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'une des plus grandes réussites de Benjamin Netanyahou est d'avoir définitivement balayé de la table la solution des deux États. En outre, au cours de ses années au poste de premier ministre, il est parvenu à faire disparaître l'ensemble de la question palestinienne de l'agenda public.

Illustration : Marina Grachanik

En Israël et à l'étranger, plus personne ne s'y intéresse, si ce n'est pour la forme, du moins pour l'instant. Aux yeux de la droite, il s'agit d'une formidable réussite. Aux yeux de toute autre personne, il s'agit d'une évolution désastreuse, l'indifférence à son égard étant encore plus désastreuse.

Netanyahou ne nous laisse que deux solutions à long terme, et pas plus : une seconde Nakba ou un État démocratique entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Toute autre solution est insoutenable et n'est qu'une illusion, comme toutes celles qui l'ont précédée, destinée à gagner du temps pour consolider l'occupation. Non pas qu'il y ait beaucoup plus à consolider : l'occupation est profonde, consolidée, forte et irréversible. Mais si l'on peut la consolider encore plus, pourquoi pas ? Le retrait de la question de l'ordre du jour permettra de déclarer officiellement la mort de la solution à deux États, des décennies après qu'elle est morte de facto.

Netanyahou souhaitait supprimer tout débat sur l'existence de deux États, et il y est parvenu sans difficulté. Il n'est pas étonnant que les deux parties sachent parfaitement qu'aucune solution sérieuse et globale n'a été proposée depuis que les premiers colons ont occupé le Park Hotel à Hébron en 1968. En tout état de cause, il n'y a pas de place entre le Jourdain et la Méditerranée pour deux véritables États-nations, dotés de tous les attributs d'un État indépendant, y compris d'une armée. Il y a tout au plus de la place, dans les bons jours, pour une superpuissance régionale juive et un État palestinien fantoche. Il faut respecter les personnes qui se battent encore pour deux États dans leurs prévisions, leurs plans, leurs tableaux et leurs cartes, mais aucune base de données ne peut changer le fait flagrant qu'aucun véritable État palestinien ne sera établi ici. Sans lui, il n'y a pas de solution à deux États.

En tuant cette solution, Netanyahou ne nous laisse que deux solutions possibles. La grande majorité des Israéliens, y compris Netanyahou lui-même, comptent sur la perpétuation de l'apartheid pour l'éternité. Ostensiblement, cela semble être le scénario le plus raisonnable. Mais la montée en puissance de la droite israélienne et l'esprit de résistance des Palestiniens, qui ne s'est pas complètement dissipé, ne permettront pas que cette situation perdure éternellement. L'apartheid est une solution provisoire, peut-être à long terme - il est en place depuis plus de 50 ans et peut persister pendant encore 50 ans - mais sa fin viendra. Comment cela se passera-t-il ? Il n'y a que deux scénarios possibles. L'un est privilégié par l'extrême droite et, malheureusement, peut-être par la quasi-totalité des Israéliens : une seconde Nakba. Si les choses se précipitent et qu'Israël doit choisir entre un État démocratique pour deux peuples et une expulsion massive de Palestiniens afin de maintenir l'existence d'un État juif, le choix sera clair pour la quasi-totalité des Juifs israéliens. À partir du moment où la solution de deux États a été écartée, ils n'ont plus eu d'autre choix.

C'est une bonne chose que la solution des deux États ait été retirée de l'ordre du jour, étant donné que l'implication stérile actuelle dans ce domaine n'a fait que causer des dégâts. Il s'agissait d'une solution prête à l'emploi, nous l'adopterons donc au moment opportun. Cela a consolé le monde et les camps de gauche et du centre en Israël, tout en ignorant les centaines de milliers de colons violents qui exercent un pouvoir politique important et qui ont donné le coup de grâce à cette solution il y a longtemps. Dans une Cisjordanie dépourvue de Juifs, cette solution avait quelques chances ténues, mais pas dans une région où les colons règnent en maîtres. Le problème, c'est que les cinq millions de Palestiniens qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée ne vont nulle part entre-temps.

Le jour viendra, même si ce n'est que dans un avenir lointain, où l'on nous braquera un pistolet sur la tempe : une deuxième Nakba, avec l'expulsion des Arabes israéliens [Palestiniens de 1948], ou un seul État démocratique, avec un premier ministre ou un ministre de la Défense palestinien, une armée commune, deux drapeaux, deux hymnes et deux langues. Il n'y a pas d'autre solution que celles-ci. Laquelle choisirez-vous ?

 

 

 

GREG GRANDIN
Henry Kissinger, criminal de guerra, sigue libre a los 100 años

Greg Grandin, The Nation, 15/5/2023
Traducido por María Piedad Ossaba, Tlaxcala/La Pluma

Greg Grandin (1962), miembro del consejo editorial de The Nation, es historiador usamericano, profesor de Historia en la Universidad de Yale y autor de numerosos libros. Entre ellos destacan Kissinger's Shadow: The Long Reach of America's Most Controversial Statesman (Metropolitan Books, 2015) y The End of the Myth: From the Frontier to the Border Wall in the Mind of America (Metropolitan Books, 2019), que ganó el Premio Pulitzer 2020 de No Ficción General.

Ahora sabemos mucho sobre los crímenes que cometió mientras estaba en cargo, desde ayudar a Nixon a desbaratar las conversaciones de paz de París y prolongar la guerra de Vietnam, hasta dar luz verde a la invasión de Camboya y al golpe de Pinochet en Chile. Pero sabemos poco de las cuatro décadas que pasó en Kissinger Associates.

Henry Kissinger debería haber caído con los demás: Haldeman, Ehrlichman, Mitchell, Dean [los plomeros del Watergate, NdlT] y Nixon. Sus huellas estaban por todas partes en el Watergate. Sin embargo, sobrevivió, en gran parte jugando con la prensa.


Ilustración de Steve Brodner

Hasta 1968, Kissinger había sido republicano con Nelson Rockefeller, aunque también fue asesor del Departamento de Estado en la administración Johnson. Según los periodistas Marvin y Bernard Kalb, Kissinger quedó estupefacto por la derrota de Richard Nixon ante Rockefeller en las primarias. “Lloró”, escribieron. Kissinger pensaba que Nixon era “el más peligroso de todos los hombres que se presentaban para ser Presidente”.

Kissinger pronto abrió una puerta trasera al entorno de Nixon, ofreciéndose a utilizar sus contactos en la Casa Blanca de Johnson para filtrar información sobre las conversaciones de paz con Vietnam del Norte. Siendo aún profesor en Harvard, trató directamente con el asesor de política exterior de Nixon, Richard V. Allen. Allen, quien, en una entrevista concedida al Miller Center de la Universidad de Virginia, dijo que Kissinger, “por iniciativa propia”, se ofreció a pasar información que había recibido de un ayudante que participaba en las conversaciones de paz. Allen describió a Kissinger como una persona que actuaba con mucha discreción, llamándole desde teléfonos públicos y hablando en alemán para informarle de lo que había ocurrido durante las conversaciones.

A finales de octubre, Kissinger dijo a la campaña de Nixon: “Están descorchando champán en París”. Pocas horas después, el presidente Johnson suspendió los bombardeos. Un acuerdo de paz podría haber dado ventaja a Hubert Humphrey, que se acercaba a Nixon en las encuestas. Los ayudantes de Nixon reaccionaron rápidamente incitando a los survietnamitas a echar por tierra las conversaciones.

A través de escuchas telefónicas e interceptaciones, el presidente Johnson se enteró de que la campaña de Nixon estaba diciendo a los survietnamitas que “aguantaran hasta después de las elecciones”. Si la Casa Blanca hubiera hecho pública esta información, la indignación podría haber inclinado las elecciones a favor de Humphrey. Pero Johnson dudó. “Es traición”, dijo, citado en el excelente libro de Ken Hughes Chasing Shadows: The Nixon Tapes, the Chennault Affair, and the Origins of Watergate. “Eso sacudiría al mundo”.

Johnson guardó silencio. Nixon ganó. La guerra continuó.

Esta sorpresa de octubre desencadenó una serie de acontecimientos que llevarían a la caída de Nixon.

Kissinger, que había sido nombrado Consejero de Seguridad Nacional, aconsejó a Nixon que ordenara el bombardeo de Camboya para presionar a Hanoi a volver a la mesa de negociaciones. Nixon y Kissinger estaban dispuestos a todo para reanudar las conversaciones que habían ayudado a sabotear, y su desesperación se manifestó en ferocidad. Uno de los colaboradores de Kissinger recuerda que la palabra “salvaje” se utilizó repetidamente en las discusiones sobre el quehacer (en el Sudeste Asiático.

El bombardeo de Camboya (un país con el que USA no estaba en guerra), que acabaría desintegrando el país y provocando el ascenso de los Jemeres Rojos, era ilegal. Así que tuvo que hacerse en secreto. La presión para mantenerlo en secreto llevó a la paranoia dentro de la administración, lo que a su vez llevó a Kissinger y Nixon a pedir a J. Edgar Hoover [jefe del FBI] que interviniera los teléfonos de los funcionarios de la administración. La filtración de los Papeles del Pentágono de Daniel Ellsberg sembró el pánico en Kissinger. Temía que Ellsberg, al tener acceso a los documentos, pudiera saber también lo que Kissinger tramaba en Camboya.

El lunes 14 de junio de 1971, al día siguiente de que el New York Times publicara su primer artículo sobre los Papeles del Pentágono, Kissinger explotó gritando: “Esto destruirá totalmente la credibilidad americana para siempre...Destruirá nuestra capacidad de dirigir la política exterior con confianza... Ningún gobierno extranjero volverá a confiar en nosotros”.

“Sin el empuje de Henry”, escribe John Ehrlichman en sus memorias, Witness to Power, “el Presidente y el resto de nosotros podríamos haber llegado a la conclusión de que los documentos eran problema de Lyndon Johnson, no nuestro”. Kissinger “avivó la llama de Richard Nixon”.

¿Por qué? Kissinger acababa de iniciar negociaciones con China para restablecer relaciones y temía que el escándalo saboteara estas conversaciones.

Para avivar los rencores de Nixon, retrató a Ellsberg como un hombre inteligente, subversivo, promiscuo, perverso y privilegiado: “Se casó con una chica muy rica”, le dijo Kissinger a Nixon.

“Empezaron a excitarse mutuamente”, recuerda Bob Haldeman (citado en la biografía de Kissinger escrita por Walter Isaacson), “hasta que ambos entraron en un estado de frenesí”.

Un artista del subterfugio: aunque el Watergate fue tanto obra suya como de Nixon, Kissinger salió indemne gracias a sus admiradores en los medios de comunicación. Aquí, con Lê Đc Th, líder del FNL de Vietnam del Sur, con quien ganó el Premio Nobel de la Paz en 1973. Lê Đc Th rechazó el premio, y Mister K. nunca fue a recibirlo (Foto Michel Lipchitz / AP)

Si Ellsberg salía indemne, Kissinger le dijo a Nixon: “Esto demostrará que es usted débil, señor Presidente”, lo que impulsó a Nixon a crear los Plomeros, la unidad clandestina que llevó a cabo escuchas telefónicas y robos, incluso en la sede del Comité Nacional Demócrata en el complejo Watergate.

Seymour Hersh, Bob Woodward y Carl Bernstein publicaron artículos acusando a Kissinger de estar detrás de la primera serie de escuchas telefónicas ilegales establecidas por la Casa Blanca en la primavera de 1969 para mantener en secreto los bombardeos de Camboya.

Al aterrizar en Austria de camino a Oriente Medio en junio de 1974 y descubrir que la prensa había publicado más artículos y editoriales poco halagadores sobre él, Kissinger celebró una improvisada conferencia de prensa y amenazó con dimitir. Según todos los indicios, se trataba de una maniobra. “Cuando se escriba la histori”, dijo, aparentemente al borde de las lágrimas, “puede que se recuerde que se salvaron algunas vidas y que algunas madres pueden dormir más tranquilas, pero eso se lo dejo a la historia. Lo que no dejaré para la historia es una discusión sobre mi honor público”.

La maniobra funcionó. Parecía “totalmente auténtico”, afirmó la revista New York Magazine. Como si retrocedieran ante su propia denuncia implacable de los crímenes de Nixon, los periodistas y locutores se unieron en torno a Kissinger. Mientras el resto de la Casa Blanca resultaba ser un puñado de matones de pacotilla, Kissinger seguía siendo alguien en quien USA podía creer. “Estábamos medio convencidos de que nada superaba las capacidades de este hombre extraordinario”, declaró Ted Koppel, de ABC News, en un documental de 1974, en el que describía a Kissinger como “el hombre más admirado de Estados Unidos”. Era, añadía Koppel, “el mejor activo que jamás hemos tenido”.

Ahora sabemos mucho más sobre los otros crímenes de Kissinger y el inmenso sufrimiento que causó durante los años en que ocupó cargos públicos. Dio luz verde a golpes de Estado y permitió genocidios. Dijo a los dictadores que mataran y torturaran rápidamente, vendió a los kurdos y dirigió la chapucera operación de secuestro del general chileno René Schneider (con la esperanza de descarrilar la toma de posesión del presidente Salvador Allende), que acabó con el asesinato de Schneider. Después de Vietnam, centró su atención en Oriente Próximo, dejando la región sumida en el caos y allanando el camino a las crisis que siguen afligiendo a la humanidad.

Sin embargo, poco sabemos de lo que ocurrió después, durante sus cuatro décadas de trabajo con Kissinger Associates. La “lista de clientes” de la empresa ha sido uno de los documentos más buscados en Washington al menos desde 1989, cuando el senador Jesse Helms pidió sin éxito verla antes de considerar la confirmación de Lawrence Eagleburger (un protegido de Kissinger y empleado de Kissinger Associates) como vicesecretario de Estado. Kissinger dimitió posteriormente como presidente de la Comisión del 11-S antes que someter la lista al escrutinio público.

Kissinger Associates fue uno de los primeros actores de la ola de privatizaciones que siguió al final de la Guerra Fría en la antigua Unión Soviética, Europa del Este y América Latina, contribuyendo a crear una nueva clase oligárquica internacional. Kissinger había utilizado los contactos que había hecho como funcionario para fundar uno de los negocios más lucrativos del mundo. Después, tras liberarse de la metedura de pata del Watergate, utilizó su reputación de sabio de la política exterior para influir en el debate público, presumiblemente en beneficio de sus clientes. Kissinger fue un firme partidario de las dos guerras del Golfo y colaboró estrechamente con el Presidente Clinton para que el Congreso aprobara el TLCAN.

La empresa también ha aprovechado las políticas establecidas por Kissinger. En 1975, como Secretario de Estado, Kissinger ayudó a Unión Carbide a instalar su planta química en Bhopal, trabajando con el gobierno indio y obteniendo financiación usamericana. Tras la catástrofe causada por la fuga química de la planta en 1984, Kissinger Associates representó a Unión Carbide, negociando un mísero acuerdo amistoso para las víctimas de la fuga, que causó casi 4.000 muertes inmediatas y expuso a medio millón más a gases tóxicos.

Hace unos años, la donación de Kissinger de sus documentos públicos a Yale causó un gran revuelo. Pero nunca conoceremos la mayor parte de las actividades de su empresa en Rusia, China, India, Oriente Medio y otros lugares. Se llevará esos secretos a la tumba. [¿Así que no es inmortal?, NdlT]

27/05/2023

GREG GRANDIN
Henry Kissinger, un criminel de guerre, est toujours en liberté à 100 ans

Greg Grandin, The Nation, 15/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Greg Grandin (1962), membre du comité de rédaction de The Nation, est un historien usaméricain, professeur d’histoire à l’université de Yale et auteur de nombreux ouvrages. Il a notamment écrit Kissinger’s Shadow: The Long Reach of America’s Most Controversial Statesman (Metropolitan Books, 2015) et The End of the Myth : From the Frontier to the Border Wall in the Mind of America (Metropolitan Books, 2019), qui a reçu le prix Pulitzer 2020 pour la non-fiction générale.

Nous savons aujourd’hui beaucoup de choses sur les crimes qu’il a commis quand il était en fonction, qu’il s’agisse d’aider Nixon à faire échouer les négociations de paix de Paris et à prolonger la guerre du Viêt Nam, ou de donner son feu vert à l’invasion du Cambodge et au coup d’État de Pinochet au Chili. Mais nous savons peu de choses sur les quatre décennies qu’il a passées au sein de Kissinger Associates.

Henry Kissinger aurait dû tomber avec les autres : Haldeman, Ehrlichman, Mitchell, Dean [les plombiers du Watergate, NdT] et Nixon. Ses empreintes digitales étaient partout dans le Watergate. Pourtant, il a survécu, en grande partie en jouant sur la presse.


Illustration de Steve Brodner

Jusqu’en 1968, Kissinger avait été un républicain de Nelson Rockefeller, bien qu’il ait également été conseiller au département d’État dans l’administration Johnson. Selon les journalistes Marvin et Bernard Kalb, Kissinger a été stupéfait par la défaite de Richard Nixon face à Rockefeller lors des primaires. « Il a pleuré », écrivent-ils. Kissinger pensait que Nixon était « le plus dangereux de tous les hommes en lice à avoir comme président ».

Kissinger n’a pas tardé à ouvrir une voie détournée vers l’entourage de Nixon, en proposant d’utiliser ses contacts à la Maison Blanche de Johnson pour divulguer des informations sur les pourparlers de paix avec le Nord-Vietnam. Encore professeur à Harvard, il traite directement avec le conseiller en politique étrangère de Nixon, Richard V. Allen, qui, dans une interview accordée au Miller Center de l’université de Virginie, déclare que Kissinger, « de son propre chef », a proposé de transmettre des informations qu’il avait reçues d’un assistant qui participait aux pourparlers de paix. Allen a décrit Kissinger comme agissant de manière très discrète, l’appelant depuis des téléphones publics et parlant en allemand pour rendre compte de ce qui s’était passé pendant les pourparlers.

Fin octobre, Kissinger déclare à la campagne de Nixon : « Ils sabrent le champagne à Paris ». Quelques heures plus tard, le président Johnson suspend les bombardements. Un accord de paix aurait pu permettre à Hubert Humphrey, qui se rapprochait de Nixon dans les sondages, de prendre le dessus. Les collaborateurs de Nixon ont réagi rapidement en incitant les Sud-Vietnamiens à faire échouer les pourparlers.

Grâce aux écoutes téléphoniques et aux interceptions, le président Johnson a appris que la campagne de Nixon disait aux Sud-Vietnamiens de « tenir jusqu’après les élections ». Si la Maison-Blanche avait rendu cette informationpublique, l’indignation aurait pu faire basculer l’élection en faveur de Humphrey. Mais Johnson hésite. « C’est de la trahison  », a-t-il déclaré, cité dans l’excellent ouvrage de Ken Hughes, Chasing Shadows : The Nixon Tapes, the Chennault Affair, and the Origins of Watergate. « Ça ébranlerait le monde ».

Johnson a gardé le silence. Nixon a gagné. La guerre a continué.

Cette surprise d’octobre a donné le coup d’envoi d’une série d’événements qui allaient conduire à la chute de Nixon.

Kissinger, qui a été nommé conseiller à la sécurité nationale, conseille à Nixon d’ordonner le bombardement du Cambodge afin de faire pression sur Hanoi pour qu’il revienne à la table des négociations. Nixon et Kissinger étaient prêts à tout pour reprendre les pourparlers qu’ils avaient contribué à saboter, et leur désespoir s’est manifesté par la férocité. L’un des collaborateurs de Kissinger se souvient que le mot “sauvage” a été utilisé à maintes reprises lors des discussions sur les mesures à prendre en Asie du Sud-Est. Le bombardement du Cambodge (un pays avec lequel les USA n’étaient pas en guerre), qui allait finir par briser le pays et conduire à la montée des Khmers rouges, était illégal. Il fallait donc le faire en secret. La pression exercée pour garder le secret a fait naître la paranoïa au sein de l’administration, ce qui a conduit Kissinger et Nixon à demander à J. Edgar Hoover de mettre sur écoute les téléphones des fonctionnaires de l’administration. La fuite des Pentagon Papers de Daniel Ellsberg a fait paniquer Kissinger. Il craignait qu’Ellsberg, ayant accès aux documents, puisse également savoir ce que Kissinger combinait au Cambodge.

Le lundi 14 juin 1971, le lendemain de la publication par le New York Times de son premier article sur les Pentagon Papers, Kissinger a explosé en s’écriant : « Ça va totalement détruire la crédibilité américaine pour toujours.... Ça détruira notre capacité à mener une politique étrangère en toute confiance.... Aucun gouvernement étranger ne nous fera plus jamais confiance ».

« Sans la stimulation d’Henry », écrit John Ehrlichman dans ses mémoires, Témoin du pouvoir, « le président et le reste d’entre nous auraient pu conclure que les documents étaient le problème de Lyndon Johnson, et non le nôtre ». Kissinger « a attisé la flamme de Richard Nixon ».

Pourquoi ? Kissinger venait d’entamer des négociations avec la Chine pour rétablir les relations et craignait que le scandale ne sabote ces pourparlers.

Pour attiser les rancœurs de Nixon, il a dépeint Ellsberg comme un homme intelligent, subversif, aux mœurs légères, pervers et privilégié : « Il a épousé une fille très riche », a dit Kissinger à Nixon.

« Ils ont commencé à s’exciter l’un l’autre », se souvient Bob Haldeman (cité dans la biographie de Kissinger par Walter Isaacson), « jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux dans un état de frénésie ».

Un artiste du subterfuge : Bien que le Watergate ait été autant son œuvre que celle de Nixon, Kissinger s’en est sorti indemne grâce à ses admirateurs dans les médias. Ici, avec Lê Đức Thọ, le dirigeant du FNL du Sud-Vietnam, avec lequel il a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1973. Lê Đức Thọ a refusé le prix, et Mister K. ne l'a jamais réceptionné. (Photo Michel Lipchitz / AP)

Si Ellsberg s’en sort indemne, dit Kissinger à Nixon, « Cela montrera que vous êtes un faible, Monsieur le Président », ce qui incite Nixon à créer les Plombiers, l’unité clandestine qui a procédé à des écoutes et à des cambriolages, y compris au siège du Comité national démocrate dans le complexe du Watergate.

Seymour Hersh, Bob Woodward et Carl Bernstein ont tous publié des articles accusant Kissinger d’être à l’origine de la première série d’écoutes téléphoniques illégales mises en place par la Maison Blanche au printemps 1969 pour garder le secret sur les bombardements du Cambodge.

Atterrissant en Autriche en route pour le Moyen-Orient en juin 1974 et découvrant que la presse avait publié davantage d’articles et d’éditoriaux peu flatteurs à son sujet, Kissinger a tenu une conférence de presse impromptue et a menacé de démissionner. Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agissait là d’un coup d’éclat. « Lorsque l’histoire sera écrite », a-t-il déclaré, apparemment au bord des larmes, « on se souviendra peut-être que certaines vies ont été sauvées et que certaines mères peuvent dormir plus tranquilles, mais je laisse cela à l’histoire. Ce que je ne laisserai pas à l’histoire, c’est une discussion sur mon honneur public ».

La manœuvre a fonctionné. Il « semblait totalement authentique », s’extasie le New York Magazine. Comme s’ils reculaient devant leur propre acharnement à dénoncer les crimes de Nixon, les journalistes et les présentateurs de journaux télévisés se sont ralliés à Kissinger. Alors que le reste de la Maison Blanche se révèle être une bande de voyous à deux balles, Kissinger reste quelqu’un en qui l’Amérique peut croire. « Nous étions à moitié convaincus que rien ne dépassait les capacités de cet homme remarquable », a déclaré Ted Koppel, d’ABC News, dans un documentaire de 1974, décrivant Kissinger comme « l’homme le plus admiré d’Amérique ». Il était, ajoutait Koppel, « le meilleur atout que nous ayons eu ».

Nous en savons aujourd’hui beaucoup plus sur les autres crimes de Kissinger, sur les immenses souffrances qu’il a causées pendant les années où il a occupé des fonctions publiques. Il a donné son feu vert à des coups d’État et permis des génocides. Il a dit aux dictateurs de tuer et de torturer rapidement, a vendu les Kurdes et a dirigé l’opération bâclée d’enlèvement du général chilien René Schneider (dans l’espoir de faire échouer l’investiture du président Salvador Allende), qui s’est soldée par l’assassinat de Schneider. Après le Vietnam, il s’est tourné vers le Moyen-Orient, laissant cette région dans le chaos, ouvrant la voie à des crises qui continuent d’affliger l’humanité.

En revanche, nous savons peu de choses sur ce qui s’est passé plus tard, au cours de ses quatre décennies de travail avec Kissinger Associates. La « liste des clients » de la société est l’un des documents les plus recherchés à Washington depuis au moins 1989, lorsque le sénateur Jesse Helms a demandé en vain à la voir avant d’envisager de confirmer Lawrence Eagleburger (un protégé de Kissinger et un employé de Kissinger Associates) au poste de secrétaire d’État adjoint. Plus tard, Kissinger a démissionné de son poste de président de la Commission du 11 septembre plutôt que de soumettre la liste à l’examen du public.

Kissinger Associates a été l’un des premiers acteurs de la vague de privatisations qui a suivi la fin de la guerre froide dans l’ex-Union soviétique, en Europe de l’Est et en Amérique latine, contribuant à la création d’une nouvelle classe oligarchique internationale. Kissinger avait utilisé les contacts qu’il avait noués en tant que fonctionnaire pour fonder l’une des entreprises les plus lucratives au monde. Puis, ayant échappé à la bavure du Watergate, il a utilisé sa réputation de sage de la politique étrangère pour influencer le débat public - au profit, on peut le supposer, de ses clients. Kissinger a été un ardent défenseur des deux guerres du Golfe, et il a travaillé en étroite collaboration avec le président Clinton pour faire passer l’ALENA au Congrès.

L’entreprise a également profité des politiques mises en place par Kissinger. En 1975, en tant que secrétaire d’État, Kissinger a aidé Union Carbide à installer son usine chimique à Bhopal, en travaillant avec le gouvernement indien et en obtenant des fonds des USA. Après la catastrophe provoquée par la fuite de produits chimiques de l’usine en 1984, Kissinger Associates a représenté Union Carbide, négociant un règlement à l’amiable dérisoire pour les victimes de la fuite, qui a causé près de 4 000 décès immédiats et exposé un demi-million d’autres personnes à des gaz toxiques.

Il y a quelques années, la donation par Kissinger de ses documents publics à Yale a fait grand bruit. Mais nous ne connaîtrons jamais la plupart des activités de son entreprise en Russie, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient et ailleurs. Il emportera ces secrets dans la tombe. [il n’est donc pas immortel ?, NdT]