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26/01/2023

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Lumières, zones grises et ombres du sommet de la CELAC

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 25/1/2023
Original : Luces, grises y sombras de la Cumbre de la CELAC

English
Lights, grayzones and shadows of the CELAC Summit
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'histoire des relations internationales de l'Amérique latine est l'histoire de la contradiction non résolue entre la pensée de Monroe et la pensée de Bolivar. La première a donné naissance à l'idée panaméricaine fondée sur l'hégémonie des USA sur la région, dans laquelle le reste des pays occupe une position subordonnée et soumise.

La pensée bolivarienne est née de la nécessité de réunir les « républiques américaines, anciennement colonies espagnoles » pour « nous servir de conseil dans les grands conflits, de point de contact dans les dangers communs, d'interprète fidèle des traités publics lorsque des difficultés surgissent, et enfin de conciliateur de nos différends » selon l'idée du Libérateur formulée dans l'appel de convocation au Congrès de Panama en décembre 1824.

Près de 70 ans plus tard, dans l'essai Notre Amérique publié le 10 janvier 1891 dans la Revista Ilustrada de Nueva York et, quelques jours plus tard, dans le journal mexicain El Partido Liberal, José Martí a donné forme à une idée plus complète que celle de Bolívar concernant l'identité qui nous intègre et doit nous rassembler. Martí écrivait : "Du [Rio] Bravo à Magallanes, assis sur le dos du condor, le Grand Semi a arrosé la graine de la nouvelle Amérique à travers les nations romantiques du continent et les îles douloureuses de la mer ! »

Un peu plus d'un an auparavant, le 19 décembre 1889, à l'occasion d'une soirée artistique et littéraire organisée à la Société littéraire hispano-américaine de New York, à laquelle assistaient les délégués de la Conférence internationale américaine convoquée par Washington pour mettre en pratique l'idée monroiste, Martí voulut mettre en garde les représentants fascinés des républiques du Sud que leurs hôtes avaient asomés en leur montrant les merveilles ostentatoires du capitalisme naissant : « […] si grande que soit cette terre, et si bénie pour les hommes libres que soit l'Amérique où naquit Lincoln, pour nous, dans le secret de notre poitrine, sans que personne ose nous l’effacer ou nous en tenir rigueur, celle qui est plus grande, parce qu'elle est à nous et parce qu'elle a été plus malheureuse, c’est l'Amérique où naquit [Benito] Juarez ». Ainsi fut semé pour toujours ce qui devait être l'identité de Notre Amérique qui nous unit.

La pensée monroïste est née du discours prononcé par le président James Monroe devant le Congrès usaméricain le 2 décembre 1823, et a ensuite été transformée en doctrine de politique étrangère usaméricaine pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Bien qu'il y ait eu quelques tentatives d'institutionnalisation tout au long de ce siècle, c'est en 1889 que l'intention de donner une structure à l'idée va se concrétiser. Ainsi, la première conférence panaméricaine a été convoquée. Entre cette date et 1954, deux conférences interaméricaines, quatre réunions consultatives et dix conférences panaméricaines ont été organisées.

Lors de la neuvième, tenue à Bogota en 1948, dans le contexte d'une nouvelle réalité après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Organisation des États américains (OEA) a été créée. L'année précédente, à Rio de Janeiro, avait été signé le traité interaméricain d'assistance réciproque (TIAR), qui donnait naissance à un prétendu système de sécurité collective pour les Amériques. Ainsi, avec les instruments militaires et politiques à leur disposition, les USA ont pu établir une structure de domination qui garantissait leur contrôle sur la région. L'idée monroïste d'une « Amérique pour les Américains » (lire USA) était ainsi mise en œuvre. L'histoire plus récente est bien connue.

La pensée bolivarienne semblait être morte avec la disparition physique du Libérateur en 1830. Depuis lors, plusieurs penseurs et hommes politiques latino-américains ont donné une continuité à l'idéologie de Bolívar dans leurs écrits et leurs travaux. De même, deux événements ont eu lieu au Pérou au milieu du XIXe siècle, en 1847-1848 et en 1864-1865, lorsque des participants de différents pays se sont réunis afin de ne pas laisser mourir l'idée bolivarienne et de reprendre sa proposition d'unité.

Mais il a fallu attendre près de 150 ans pour que Hugo Chávez, le plus éminent continuateur de la pensée bolivarienne, commence à changer cette perspective. Chávez a entrepris de transformer la structure injuste de la domination régionale en initiant la récupération du rêve bolivarien pour en faire le projet qui avait été tronqué en 1830.

Ainsi, en 2010, le Sommet de l'unité de l'Amérique latine et des Caraïbes s'est tenu à la Riviera Maya, au Mexique, suite à la fusion des deux mécanismes qui existaient auparavant. L'année suivante, dans le cadre du bicentenaire de l'indépendance du Venezuela, la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) est née lors d'une réunion au sommet des dirigeants de la région. À cette occasion, le Commandant Chávez a déclaré : « Nous posons ici la pierre angulaire de l'unité, de l'indépendance et du développement de l'Amérique latine et des Caraïbes ».

Quelques années plus tard seulement, l'avancée oligarchique dans la région a généré des forces centrifuges qui, sous une forte influence monroiste, ont agi comme un élément désintégrateur, répondant au besoin des USA d'empêcher l'unité de l'Amérique latine et des Caraïbes de se matérialiser.

L'arrivée au pouvoir d'Andrés Manuel López Obrador et les efforts extraordinaires du gouvernement mexicain en faveur de l'intégration ont permis de reprendre le projet en 2020, sauvant une fois de plus l'idéologie de Bolívar comme instrument de consolidation de l'unité régionale.  Et nous arrivons donc à Buenos Aires en 2023.


 Le sommet qui s'est terminé hier dans la capitale argentine a montré de grandes lumières, mais aussi quelques zones grises et des ombres.  Les ombres sont liées aux informations transmises par les médias transnationaux de désinformation : « Le sommet de la CELAC commence sans Maduro », « Le sommet de la CELAC se déroule avec de nombreuses absences », « Lopez Obrador prend ses distances avec Alberto Fernández  et ne se rend pas à Buenos Aires ». Les titres véhiculent une haine, un négativisme et un pari sur l'échec qui expriment clairement la volonté monroïste de désintégration qui se dégage de la presse vendue qui répond aux intérêts impériaux et oligarchiques.

D'autre part, la crise péruvienne a montré que sur certaines questions, il n'y a pas de consensus et que, finalement, la question des droits humains est politisée en fonction de ce que les USA et les oligarchies - encore au pouvoir - comprennent, en termes d'utilisation politique à faire de cette question. Il n'y a pas eu de déclaration unique, forte et énergique contre l'emprisonnement du président Castillo, la répression du peuple péruvien, la violation de l'autonomie des universités et l'atteinte à la démocratie tant vantée.

De même, l'invitation des USA au sommet est obscure. De la même manière que, dans le dos du Libérateur, le vice-président colombien Francisco Santander avait invité Washington  au Congrès de Panama à en 1826, Alberto Fernández a fait de même et inutilement en invitant Joe Biden, président d'un pays qui nous exclut et nous méprise.

La non-participation du président Maduro doit également être considérée comme un point noir pour le sommet. Un pays dans lequel la vice-présidente se trouve être en vie après une attaque terroriste contre elle n'a pas assuré la sécurité du président du Venezuela. C'est une chose d'être courageux et une autre d'être un connard. N'oublions pas que le gouvernement usaméricain a mis à prix la tête du président Maduro. Pour 15 millions de dollars, n'importe quel fou, et d'autres qui ne sont pas si fous, seront absolument prêts à commettre un assassinat. L'“enquête” sur la tentative d'assassinat de la vice-présidente Cristina Fernández montre la pleine collusion du pouvoir judiciaire, des médias, de l'ultra-droite et du crime organisé en Argentine, afin de générer complicité et impunité.

Le courage du Président Maduro ne se mesure pas à sa présence ou non au Sommet, mais à ses 8 années de résistance à la tête du peuple vénézuélien pour faire face et vaincre toutes les actions des groupes terroristes et déstabilisateurs organisés et financés par les USA, et en sortir victorieux. En particulier, le Venezuela est toujours représenté en Argentine par les immenses manifestations d'amitié de millions de citoyens qui ont donné une continuité pendant 200 ans à l'étreinte fraternelle de Guayaquil entre les libérateurs José de San Martín et Simón Bolívar.


 Pour l'avenir, il faudra aller de l'avant pour faire la lumière sur les zones d'ombre qui subsistent. Il n'y a toujours pas d'idée unique de l'intégration. Je ne fais pas référence à ce que pensent les droites cavernicoles et monroïstes, mais aux interprétations de l'idéologie bolivarienne qui se font dans la région. En ce sens, les appels du président López Obrador à la bonne volonté des USA envers la région sont équivoques.

Au-delà des bons vœux, cela n'a aucune chance de se concrétiser. La condition impérialiste des USA est dans leur ADN ; s'ils devaient y renoncer, ils deviendraient autre chose, et il n'y a aucun signe de cela. Les Cubains le savent depuis plus de 60 ans, le Nicaragua depuis 1979 et le Venezuela depuis l'arrivée au pouvoir du commandant Hugo Chávez. Notre intégration sera latino-américaine et caribéenne ou ne sera pas. Parler d'un grand espace américain incluant les USA est un non-sens et contredit ce que le président Lopez Obrador lui-même a dit à d'autres occasions. Mais la situation du Mexique est compréhensible, « si loin de Dieu et si proche des USA ». En tout cas, il ne faut pas oublier que Cuba est dans la même situation.

Le président colombien Petro, quant à lui, veut presque obsessionnellement généraliser sans fondement une situation personnelle qui s'est résolue positivement en sa faveur lorsqu'il a été irrégulièrement et illégalement démis de ses fonctions de maire de Bogota. Ayant épuisé toutes les voies de recours internes, il avait fait appel devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), qui avait annulé la décision du tribunal colombien et l'avait réintégré dans son poste. Mais supposer que cette institution dépendante de l'OEA, dont ni les USA ni le Canada ne sont membres mais sur laquelle ils ont le pouvoir de décision, puisse être le summum d'une politique commune en matière de droits humains n'est rien moins qu'une chimère.

Si nous croyons en la CELAC, nous devons être en mesure de créer un corps structurel, avec nos propres institutions, y compris celles des droits humains, afin de résoudre nos problèmes sans ingérence des USA.

Je ne doute pas de la volonté intégrationniste des présidents López Obrador et Petro, mais je me sens obligé de signaler ces zones d'ombre qui, j'en suis sûr, seront résolues par le dialogue et le débat fraternel.

La CELAC devrait également rechercher des mécanismes permettant à un plus grand nombre de chefs d'État et de gouvernement de participer aux réunions du sommet. Si ce n'est pas le cas, les réunions doivent se tenir par téléconférence, avec la participation des ministres des affaires étrangères et des experts techniques pour la rédaction et la révision des documents à approuver. Bien que tous les pays aient été présents à Buenos Aires, la non-participation de certains dirigeants montre que les USA continuent de susciter la peur en utilisant les instruments de coercition, de menace et de chantage qui composent leur vaste arsenal.

Quoi qu'il en soit, les lumières sont si brillantes qu'elles couvrent toute l'insignifiance et les vues mesquines du Sommet. Le plus important est que malgré les intimidations, la coercition et la pression des forces réactionnaires et anti-intégration, la réunion a eu lieu. Dans ce domaine, nous devons être reconnaissants pour le grand travail du gouvernement et du ministère des affaires étrangères argentins.

La tenue du Sommet à Buenos Aires après celui de Mexico en 2020 permet de reprendre la continuité de ces événements, permettant ainsi de penser à nouveau que l'intégration de la région est possible. Les impératifs d'unité et la reconnaissance par la majorité de la nécessité de construire en acceptant la diversité, ainsi que la volonté d'avancer vers l'intégration avec un développement basé sur l'inclusion, sont des signes indubitables d'un avenir prometteur.

La réincorporation du Brésil et la possibilité d'ajouter les présidents Lula et Petro au nécessaire leadership collectif de la région, laissant derrière eux l'obscurantisme médiéval de Bolsonaro et Duque, sont également des signes incontestables que la région évolue dans une direction positive. 

Ralph Gonsalves

L'élection de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et de son Premier ministre Ralph Gonsalves comme président pro tempore de la CELAC est une reconnaissance incontestable des pays insulaires des Caraïbes. Il convient de noter que l'OEA, c'est-à-dire les USA, n'a jamais permis à un ressortissant des Caraïbes d'accéder à la plus haute fonction de cette organisation. La démocratie qui est censée exister dans la CELAC doit être égalitaire. En tant qu'attribut de l'intégration bolivarienne, les différences qui ressortent de la dimension géographique, du nombre d'habitants ou de la taille de l'économie des pays membres ne devraient pas importer au moment de la prise de décision. C'est ce qui a permis à Saint-Vincent-et-les-Grenadines d'être élu par consensus pour représenter l'ensemble de la région à partir d'aujourd'hui et pour un an.

La constitution de la CELAC sociale et la tenue de son propre Sommet à Buenos Aires est l'expression du fait que les peuples de Notre Amérique ont appris du passé. Les gouvernements vont et viennent, les peuples persistent dans leurs luttes, parmi lesquelles celles pour rendre effective l'unité de l'Amérique latine et des Caraïbes. L'intégration ne sera irréversible que lorsque les peuples la prendront en charge. Heureusement, les accords du sommet social de la CELAC vont dans ce sens.

La déclaration de Buenos Aires, instrument final du conclave, réitère l'engagement de tous « à faire progresser l'unité et l'intégration politiques, économiques, sociales et culturelles régionales ». Les 111 points du document, ainsi que les 11 déclarations spéciales, constituent une base de travail solide pour avancer correctement vers l'avenir.

De mon point de vue, les points 92 et 93, ainsi que le point 98, sont particulièrement intéressants. Les deux premiers reconnaissent la « pertinence d'intervenir de manière concertée et de présenter des initiatives consensuelles dans les différents forums multilatéraux ». Ils reconnaissent également la nécessité de : « promouvoir [...] un plus grand nombre d'interventions conjointes dans toutes les enceintes multilatérales sur des questions d'intérêt commun, convaincus que cela contribuera directement à renforcer le rôle et le leadership de la région dans les organisations internationales ». L'idée d'aller vers la construction d'un véritable bloc de puissance régional qui nous montrerait ainsi au monde donne un caractère stratégique à cette déclaration.

D'autre part, le point 98 indique : « Nous nous félicitons des progrès réalisés dans l'approfondissement du dialogue politique de l'Amérique latine et des Caraïbes avec les partenaires extrarégionaux, notamment l'Union européenne, la Chine, l'Inde, l'Union africaine et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) ». Je ne sais pas s'il s'agit d'un oubli, d'une décision consensuelle ou d'un dérapage nécessaire, mais les USA ne figurent nulle part, marquant ainsi la volonté manifeste de la région de s'engager auprès de blocs de puissance mondiaux qui nous reconnaissent sur un pied d'égalité. Peut-être s'agit-il simplement de l'acceptation du fait qu'il n'existe pas de « dialogue politique » avec les USA, ou que ceux-ci ne sont pas considérés comme un « partenaire extrarégional ».

Enfin, comme l'a dit le président Petro, nous devons passer de la rhétorique aux actions et aux actes. Si la déclaration de Buenos Aires est respectée, tous les pays de la région devraient régulariser leurs relations avec Caracas, en revenant à la normalité qui existait avant qu'Obama et Trump n'entreprennent de renverser le président Maduro par la force. De mon point de vue, le point 104 concernant le Venezuela, bien qu'il s'agisse d'un pas en avant, reste faible en ce qui concerne la reconnaissance du gouvernement constitutionnel du président Nicolás Maduro.

Au terme de cet événement et en regardant vers l'avenir, avec Martí, nous pourrions nous demander « Où va l'Amérique, et qui la rassemble et la guide ? ». Et avec l'apôtre de l'indépendance de Cuba, répondre : Et à l'apôtre de l'indépendance cubaine de répondre : « Seule, et comme un seul peuple, elle se lève. Seule, elle se bat. Elle gagnera, seule ».

 

 

ZVI BAR’EL
En ajoutant les Gardiens de la révolution islamique à la liste des terroristes, l’Europe pourrait en fait porter préjudice à Israël

Zvi Bar’el, Haaretz, 24/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Tsahal et le Shin Bet pourraient se retrouver confrontés à de graves allégations si l’UE ajoute l’organisation iranienne à sa liste noire du terrorisme. L’atteinte aux droits humains et les ventes d’armes à des ennemis de l’UE sont susceptibles d’être incluses dans la définition élargie du terrorisme.

Le commandant des Gardiens de la révolution, Hossein Salami (au centre), en visite au Parlement de Téhéran, lundi. Photo : AFP

La résolution approuvée par le Parlement européen la semaine dernière, recommandant d’ajouter le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran à la liste des groupes terroristes de l’Union européenne, a provoqué une tempête.

La résolution n’est pas contraignante et devra passer par un long processus juridique pour être mise en œuvre. Comme l’a déclaré le Haut représentant pour les Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, après le vote, « C’est quelque chose qui ne peut être décidé sans un tribunal [de l’UE], une décision de justice d’abord. Vous ne pouvez pas dire : je vous considère comme un terroriste parce que je ne vous aime pas ».

Le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amirabdollahian a rapporté que lors d’un appel téléphonique jeudi dernier avec Borrell, ce dernier lui a dit que la résolution ne serait jamais mise en application.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amirabdollahian, s’adresse aux journalistes lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue libanais, Abdallah Bouhabib, à Beyrouth, au Liban, vendredi. Photo : Bilal Hussein/ AP

Pour les ministres des affaires étrangères de l’UE, il est beaucoup plus facile d’adopter un ensemble de sanctions supplémentaires contre l’Iran - ce qu’ils ont fait lundi - qui visent 37 personnalités gouvernementales connues pour avoir utilisé la force brutale contre des Iraniens participant aux manifestations qui ont suivi le meurtre de Mahsa Amini en septembre dernier. Des sanctions comme celles-ci ne nécessitent pas de grandes délibérations, elles sont faciles à mettre en œuvre et, surtout, elles ne perturbent pas le statu quo dans les relations entre l’Europe et l’Iran.

Ce ne sont pas les premières sanctions occidentales imposées en réponse à la répression des manifestations par Téhéran. Toutefois, la décision de l’Iran de mettre à mort au moins quatre des manifestants - en plus d’Alireza Akbari, qui avait été vice-ministre iranien de la Défense ainsi que citoyen britannique - a incité l’UE à intensifier ses actions contre le régime de Téhéran.

À la suite des actions iraniennes, l’opinion publique européenne est devenue encore plus hostile au régime. Mais les appels à ajouter le Corps des gardiens de la révolution à la liste des organisations terroristes de l’UE ont déjà suscité un débat, car le libellé de la résolution du Parlement européen justifie l’inscription des Gardiens de la révolution sur la liste en raison de leurs activités terroristes, de la répression des manifestants et de la fourniture de drones à la Russie.

La Grande-Bretagne, qui a imposé la semaine dernière ses propres sanctions à l’encontre de personnes et d’organisations iraniennes, a été avertie par un haut responsable des conséquences de la désignation des GRI comme organisation terroriste.

« Proscrire une entité étatique en vertu de la loi sur le terrorisme de 2000 s’écarterait de la politique britannique cohérente en vigueur depuis des décennies et remettrait en question la définition du terrorisme qui, jusqu’à présent, s’est avérée pratique et efficace », a déclaré Jonathan Hall, l’examinateur indépendant de la législation sur le terrorisme du gouvernement, dans un rapport obtenu par The Independent

« Si les forces de l’État sont capables d’être “impliquées dans le terrorisme”, la question de savoir comment la définition du terrorisme s’applique aux autres forces de l’État devra être abordée, au risque de bouleverser la signification établie du terrorisme dans le droit national », indique le rapport.

Israël devrait prêter une oreille attentive à l’avertissement de Hall, car une décision concernant les GRI pourrait avoir des répercussions sur les Forces de défense israéliennes et les services de renseignement israéliens. Ils pourraient eux aussi se retrouver accusés d’activités terroristes si la définition des GRI comme organisation terroriste est approuvée.

Défilé des Gardiens de la révolution à Téhéran. Photo : AP

Les pays de l’UE devront examiner les désignations comme terroristes à deux niveaux. Une première question est de savoir si un organe gouvernemental peut être désigné comme une organisation terroriste sans que cette désignation ne s’applique au gouvernement qui le gère. Une autre question est de savoir si la définition d’une organisation terroriste doit inclure les atteintes aux droits humains, la répression des manifestations et la vente d’armes à des ennemis de l’Europe. C’est ce dilemme qui pourrait créer un problème complexe pour Israël dans l’Union européenne.

Compte tenu des critiques sévères de l’Europe à l’égard de la politique israélienne dans les territoires, des violations des droits humains qui pourraient s’aggraver sous le nouveau gouvernement, des assassinats ciblés et des plans visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême, il s’agit d’un débat important.

Jusqu’à présent, la Haute Cour de justice a servi de barrière défensive contre les interférences juridiques internationales. Comme l’ont suggéré le Parlement européen et de nombreux Britanniques, si la définition du terrorisme  est élargie, les parties intéressées dans l’UE et au Royaume-Uni seront en mesure de poursuivre les FDI, le Shin Bet et même des individus spécifiques.

Il serait bon que le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, qui avait initialement félicité le gouvernement britannique pour « son intention d’inscrire les Gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes » et qui a été contraint de se rétracter après avoir appris qu’aucun changement n’était en vue, examine attentivement l’impact d’une telle décision pour Israël.

Outre le fait qu’ils sont aux prises avec des questions de droit et de principe, les pays européens craignent qu’une telle décision rende encore plus improbable la conclusion d’un accord. C’est particulièrement vrai pour l’Allemagne et la France, qui participent aux négociations sur le nucléaire iranien. Le ministre iranien des Affaires étrangères maintient que l’accord n’a pas encore expiré et que Washington prévoit de le renouveler.

En déplaçant le débat sur le statut des GRI devant les tribunaux, sans fixer de date d’audience ni de délai, l’UE s’offre une échappatoire facile. Maintenant, le groupe de travail de l’UE sur le terrorisme fera ses recommandations au Conseil européen (un forum des chefs d’État de l’Union), et ce n’est qu’alors qu’une décision finale sera prise.

La liste noire européenne du terrorisme a été créée après le 11 septembre. Elle comprend aujourd’hui 13 personnes et 21 organisations, mais la liste n’est pas figée et est mise à jour tous les six mois. Certaines organisations peuvent être retirées de la liste - tant de la version européenne que de la version usaméricaine - pour des raisons politiques, comme lorsque le président Joe Biden a retiré les rebelles yéménites de la liste usaméricaine pour permettre des négociations avec eux en vue d’un cessez-le-feu.

De même, il convient de se demander pourquoi les talibans ne figurent pas sur la liste usaméricaine malgré leur longue histoire d’actes de terreur contre les forces US en Afghanistan et leur répression brutale des droits humains. De plus, les USA ont négocié un accord avec les talibans pour se retirer de l’Afghanistan, qui comprenait une clause selon laquelle les forces usaméricaines ne seraient pas attaquées pendant leur retrait.

Washington entretient des liens étroits avec le gouvernement libanais et aide son armée, même si le Hezbollah, qui figure sur la liste usaméricaine des organisations terroristes, est représenté au sein du cabinet et participe activement aux activités gouvernementales.

L’inscription du Corps des gardiens de la révolution islamique sur la liste noire usaméricaine n’a pas empêché Washington de négocier avec Téhéran un nouvel accord nucléaire. Si un accord est finalement conclu, la désignation n’empêchera pas les USA de le signer.

Téhéran a également fermé les yeux sur la liste noire. Dans un premier temps, il a exigé le retrait des GRI de la liste noire comme condition à la poursuite des négociations sur le nucléaire. Selon les dirigeants iraniens, la levée des sanctions économiques sévères qui lui sont imposées est plus importante que le fait que les GRI figurent ou non sur la liste noire du terrorisme. En définitive, le débat sur le statut des Gardiens de la révolution pourrait contraindre les gouvernements à reconsidérer ces listes.

 

25/01/2023

ULI GELLERMANN
L'Ukraine ordonne, le chancelier Scholz s’exécute et livre des Leopard

Uli Gellermann, RationalGalerie, 24/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Certes, la politique étrangère et de guerre allemande se fait aux USA, mais les relations publiques pour l'extension de la guerre en Ukraine peuvent être assurées par l'ambassadeur ukrainien Oleksii Makeiev aux Tagesthemen*. Avec un sourire joyeux, il confie à la soumise Caren Miosga : « Je crois que la coalition des chars est en train de se former ». Avant tout le monde, le proconsil ukrainien des USA en Allemagne peut annoncer la poursuite de l'intensification de la guerre.

Le meilleur char de combat au monde

Depuis plusieurs jours déjà, les médias allemands débordent d'enthousiasme à propos du char de combat Leopard. Le journal télévisé sait ce qui le « rend si particulier » : il est rapide, maniable et facile à réparer. La rédaction de la Tagesschau a explosé de fierté : « Ces chars, surtout dans leurs versions les plus modernes, sont supérieurs aux engins russes et peuvent détruire l'adversaire au combat. Le 'Leopard' est considéré par les spécialistes comme le meilleur char de combat au monde toutes générations confondues ».

Dans le mauvais film

L'ancien commandant en chef de l'armée usaméricaine en Europe, Ben Hodges, a clairement indiqué sur la chaîne de radio US NPR que l'Ukraine pourrait ainsi porter un coup au corridor conquis par la Russie du Donbass à la péninsule annexée de Crimée. Pour ce faire, l'Ukraine pourrait former une unité lourdement blindée avec des chars de combat occidentaux, « le fer de lance d'une force qui pourrait percer les lignes russes en direction de Marioupol ». On se serait cru dans un mauvais film, dans la Deutsche Wochenschau** hitlérienne. Et quand on sait que le Leopard porte en lui les gènes techniques d'un développement de Porsche, du « Königstiger » [Tigre royal] développé par Porsche [et Henschel], la dernière arme miraculeuse de la Seconde Guerre mondiale, on ne s'étonne plus de rien.

Tunisie, décembre 1942 : un Königstiger, ancêtre du Leopard, en action

Une offensive de printemps sanglante

L'ancien général de l'OTAN Hans-Lothar Domröse s'attend à « une offensive de printemps terriblement sanglante ». Personne n'aime parler officiellement de la possible réponse sanglante de l'armée russe. Mais contrairement aux médias et aux politiques allemands ivres de guerre, la population allemande est sceptique : dans le dernier  sondage d’opinion DeutschlandTrend pour le magazine matinal de la télévision publique ARD, seule une courte majorité s'est prononcée en faveur de la livraison de chars de combat lourds à l'Ukraine. Si l'on tient compte du fait que cette majorité a été obtenue au prix d'un pilonnage continu depuis des mois par tous les canaux, on sait que les médias n'ont pas encore complètement atteint leur objectif.

Un plan de paix à la Kissinger ?

« Le moment Kissinger pour un plan de paix est-il proche ? » demande la chaîne "ntv en étayant la « position Kissinger » par une citation du chef d'état-major usaméricain Mark Milley - tout de même le militaire le plus haut gradé des USA - , qui avait déjà déclaré avant Noël avec une franchise déconcertante : « La probabilité d'une victoire militaire de l'Ukraine, définie comme l'expulsion des Russes de toute l'Ukraine, y compris de la Crimée qu'ils revendiquent, n'est pas élevée dans un avenir prévisible ».

Combat final manifestement sur le sol allemand

Une majorité de médias et de politiques ne veut pas entendre parler de négociations. Mais alors que la lutte contre la Russie devait jusqu'à présent être menée jusqu'au dernier Ukrainien, des existentialistes comme Anton Hofreiter [président vert de la commission Europe du Bundestag] et Marie-Agnes Strack-Zimmermann [présidente libérale (FDP) de la commission Défense] veulent manifestement mener le combat final sur le sol allemand. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, dit sans ambages où nous allons : « La Russie doit savoir qu'une guerre nucléaire ne peut jamais être gagnée ». Le bunker antiatomique usaméricain le plus sûr au monde se trouve à Cheyenne Mountain, dans l'État du Colorado. Stoltenberg y a peut-être réservé une place.

NdT

* Tagesthemen est la deuxième émission d'informations de la première chaîne allemande, après l'édition de 20 heures de la Tagesschau (JT).

**Die Deutsche Wochenschau (« revue hebdomadaire allemande ») était une émission d'actualités cinématographiques diffusée de 1940 à 1945 sous le Troisième Reich pour servir la propagande nazie dans le contexte de la mise au pas de la société allemande.

 

Placide, 23/1/2023

24/01/2023

ROBERTO CICCARELLI
Lagarde à Davos : “La réouverture de la Chine va tuer beaucoup de gens, mais elle va aussi relancer l'économie”
Eloge du thanatocapitalisme

 Roberto Ciccarelli, il manifesto, 21/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Lors du Forum mondial de Davos, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a dévoilé la réalité du capitalisme, celle qui est sous les yeux de tous mais qui est mise sous le tapis : « Il est possible que le changement de politique sur le Covid en Chine tue beaucoup de gens mais ça relancera aussi l'économie ».

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne - AP

Les gens projettent parfois sur Davos des cauchemars et des fantasmes sur le mauvais fonctionnement du monde. Il y a ceux qui voient dans le Forum économique mondial qui se tient chaque année dans la ville suisse la projection d'un Léviathan régnant sur terre et sur mer ou le comité des actionnaires envoyé par l'Empire. Certains l'ont associé à la reproduction du bar de La Guerre des étoiles décrit par Obi-Wan Kenobi comme « un repaire d'ordures et de racailles jamais vues ». Aujourd'hui, il serait fréquenté par des marionnettistes ou des philanthropes discutant de l'inégalité historique des revenus ou de la crise climatique, ignorant le fait qu'ils font partie du problème. Et puis il y a Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), qui a réussi hier à tenir un discours de vérité sur le capitalisme, le Covid, l'inflation. Ce fut un lapsus tragique et révélateur.

« La Chine, a déclaré Lagarde lors d'un débat avec la directrice du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, est en train de se réveiller, à nouveau. On s'attend maintenant à ce qu'elle enregistre une croissance de 5,5 % en 2023 et nous devrions saluer son engagement à supprimer les restrictions sur le Covid. Il est possible que le changement de politique sur le Covid tue beaucoup de gens, mais il relancera aussi l'économie. C'est le choix qui a été fait par les autorités chinoises. L'impact sur nous tous sera positif, pour la Chine et le reste du monde, mais il créera aussi des pressions inflationnistes ».

La Présidente de la BCE a simplement dit ceci : il y a des vies qui sont protégées et d'autres qui peuvent être sacrifiées pour redonner de la valeur à l'économie. Connue pour son manque d'habileté à choisir le bon moment pour des définitions tranchantes, à l’égal d’un Mario Draghi, l'économiste française, ancienne directrice du FMI, devrait pourtant, un jour au moins, recevoir le prix de la meilleure définition du thanatocapitalisme. Il s'agit d'une forme de capitalisme dans laquelle le commerce, l'industrie et la finance sont fondés sur la mort et les profits qui en découlent, y sont liés et en dépendent directement ou indirectement. Lisons-le ainsi : en 2020, il y a eu la pandémie de Covid, produite par les sauts zoonotiques intraspécifiques d'un coronavirus dont la propagation a été facilitée par l'exploitation intensive des forêts et des mines en Chine, puis par les chaînes de valeur interconnectées. Les confinements en accordéon ont paralysé les réseaux mondiaux, brûlé d'immenses ressources publiques pour geler les entreprises, appauvri de larges masses et perturbé la production. Puis est arrivée une autre crise, celle de l'inflation record, venue  s'ajouter au Covid. Aujourd'hui, en Chine, le sacrifice de centaines de milliers de personnes mortes à la suite du Covid devrait servir à remettre l'économie à flot. On pourrait donc aussi lire ainsi les morts sous d'autres latitudes. C'est une vérité invisible, et digérée, sauf par les proches des victimes. Des théories philosophiques ont été créées, des courants politiques “libertariens” ont dénoncé la négation des libertés individuelles causée par les restrictions, mais peu se sont attardés sur la contradiction que Lagarde a résumée dans sa férocité nonchalante.

Lagarde a montré les autres contradictions de la reprise. En supposant qu'une nouvelle vague inflationniste ne vienne pas de Chine, la BCE (comme la Fed aux USA dans un autre contexte) continuera à relever les taux d'intérêt de peut-être un demi-point pour ramener l'inflation à 2 %, un objectif en vue d'ici 2025. « C'est mon mantra », a déclaré Lagarde. Cela augmentera le coût des dettes publiques qui ne seront pas couvertes par les politiques monétaires expansionnistes réduites ; cela renforcera la tentative de contenir les salaires ; cela augmentera le chômage. Créer la crise sociale pour retrouver la croissance : c'est le prix à payer pour la “reprise”, a déclaré le gouverneur de la Réserve fédérale US, Jerome Powell.

Aux gouvernements, comme celui de Meloni en Italie, Lagarde a lancé une invitation à resserrer les comptes publics dans le cadre d'une nouvelle politique d'austérité qui fait suite aux aides exceptionnelles accordées aux gouvernements pendant la phase aiguë de la pandémie. L'appel est de limiter ces aides aux “groupes les plus faibles”, à l'opposé de ce que fait Meloni avec la réduction du revenu de citoyenneté. Mais il reste à savoir si la modération budgétaire ne va pas également porter atteinte à ce paupérisme, comme cela s'est produit lors de la crise de 2007-2015, par exemple. Ou que les fameux investissements “PNRR” [Plan national de relance et de résilience] serviront à soutenir une croissance anémique. En tout état de cause, la BCE pourrait relever ses taux “plus qu'elle ne le souhaiterait” si les gouvernements ne parviennent pas à maîtriser l'inflation. Ce qui aggraverait éventuellement la récession.