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06/08/2023

ROMARIC GODIN
Karl Korsch, scongelare il marxismo

Romaric Godin, Mediapart, 3/8/2023
Tradotto da Fausto Giudice, Tlaxcala

Cento anni fa, “Marxismo e filosofia”, il libro di un professore di diritto tedesco, fece scalpore a sinistra. Segnò l’inizio di un singolare percorso intellettuale in opposizione alle ideologie marxiste di ogni tipo, chiedendo di valorizzare le lotte sul campo, e che rimane più che mai attuale. 

Illustrazione Simon Toupet

Poco meno di cento anni fa, il 16 ottobre 1923, un trentasettenne professore di diritto dell’Università di Jena, Karl Korsch, veniva nominato Ministro della Giustizia del Land (Stato) di Turingia. Si trattò di un evento nella politica tedesca, in quanto egli era membro del Partito Comunista di Germania, il KPD, e si unì, insieme ad altri due compagni, a un governo guidato da un socialdemocratico dell’SPD, August Frölich.

Quest’ultimo aveva deciso di formare un gabinetto unitario di sinistra, seguendo le orme del suo omologo della vicina Sassonia, Ernst Ziegler, che aveva incluso due comunisti nel suo governo. Negli ultimi quattro anni, tuttavia, il KPD, che aveva aderito alla IIIa Internazionale bolscevica, e l’ SPD, che aveva guidato molti governi nella Repubblica di Weimar, sono sembrati inconciliabili.

Ma nel 1923 il Paese sembrava essere nel caos. L’iperinflazione e l’invasione francese e belga della Ruhr avevano distrutto l’economia tedesca. Il governo federale del liberale Gustav Stresemann intraprese una politica di severa austerità, che portò a tentazioni separatiste in Baviera e in Renania e a putsch di estrema destra, come quello tentato dai nazisti a Monaco l’8 novembre.

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ROMARIC GODIN
Karl Korsch, décongeler le marxisme

Romaric Godin , Mediapart, 3/8/2023

Voilà cent ans, « Marxisme et philosophie », le livre d’un professeur de droit allemand, faisait sensation dans la pensée de gauche. Le début d’un parcours intellectuel singulier en opposition aux idéologies marxistes de tout poil, appelant à valoriser les luttes sur le terrain, et qui garde une actualité brûlante.

© Illustration Simon Toupet 

Voilà un peu moins de cent ans, le 16 octobre 1923, un professeur de droit de l’université d’Iéna de 37 ans, Karl Korsch, est nommé ministre de la Justice du Land de Thuringe. C’est un événement dans la politique allemande, car il est membre du Parti communiste allemand, le KPD, et entre, avec deux autres de ses camarades, dans un gouvernement dirigé par un social-démocrate du SPD, August Frölich.

Ce dernier a décidé de constituer un cabinet d’union des gauches, imitant ainsi son homologue de la Saxe voisine, Ernst Ziegler, qui a fait entrer deux communistes dans son gouvernement. Depuis quatre ans pourtant, le KPD, qui a adhéré à la IIIe Internationale bolchevique, et le SPD, qui a dirigé maints gouvernements de la République de Weimar, semblent irréconciliables.

Mais en 1923, le pays semble en plein chaos. L’hyperinflation et l’invasion de la Ruhr par les Français et les Belges ont détruit l’économie allemande. Le gouvernement fédéral du libéral Gustav Stresemann engage une politique d’austérité sévère qui entraîne des tentations séparatistes en Bavière et en Rhénanie et des envies de putsch à l’extrême droite, à l’image de celui que les nazis tenteront le 8 novembre à Munich.

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Bibliographie Karl Korsch


05/08/2023

GIDEON LEVY
Une ambulance palestinienne est bloquée à un poste de contrôle de Jérusalem-Est : le patient, Mundal Jubran, meurt


Gideon Levy, Haaretz, 5/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une ambulance palestinienne transportant une victime inconsciente d'un accident vasculaire cérébral est empêchée de passer par un poste de contrôle de Jérusalem-Est, après quoi le patient subit des tentatives de réanimation infructueuses. Mundal Jubran, 40 ans, est mort

En deuil de Mundal, à Azzariyeh cette semaine : à gauche ses parents Ahmad et Zahur Jubran, avec Nahad et son fils Youssef. Photo Moti Milrod

L'ambulance palestinienne est arrivée au poste de contrôle sans coordination préalable, ce qui explique peut-être le décès du patient. Même une ambulance transportant une personne gravement malade ou mourante doit coordonner ses déplacements à l'avance par les voies habituelles - trois copies de deux documents ou deux copies de trois documents. Dans le cas contraire, l'ambulance ne sera pas autorisée à se rendre à l'hôpital le plus proche pour sauver la vie du patient. Une ambulance sans coordination préalable est une ambulance inexistante, tout comme la personne qui s'y trouve, dont la vie ne tient qu'à un fil, est considérée comme inexistante, morte.

Les agents de la police des frontières ont fait des allers-retours autour du mourant, qui a été placé par terre au poste de contrôle afin que des efforts désespérés puissent être déployés pour le réanimer - là, sur le sol d'une zone de sécurité sans l'équipement adéquat. Tout a continué à se dérouler selon le manuel, le manuel satanique des lois de l'occupation. Selon le règlement de la police des frontières, une ambulance dont les mouvements ne sont pas coordonnés à l'avance ne peut pas passer, et rien ne peut l'aider - ni un tribunal, ni un médecin, ni un auxiliaire médical, ni le frère du patient, qui a supplié les agents de laisser passer le véhicule.

Selon les enregistrements du chauffeur de l'ambulance palestinienne, la plaidoirie a duré 19 minutes, ainsi que les tentatives désespérées de réanimer l'homme sans équipement de sauvetage, au poste de contrôle, au vu et au su de tout le monde. Dix-neuf minutes pendant lesquelles il aurait été possible de sauver la vie de Mundal Jubran, originaire de la ville d'Azzariyeh, âgé de 40 ans et père de cinq enfants âgés de huit mois à 16 ans. Dix-neuf minutes pendant lesquelles chaque seconde a compté, scellant ainsi son destin après l'attaque cérébrale dont il avait été victime. Dix-neuf minutes au cours desquelles pas un seul agent de la police des frontières au poste de contrôle, pas un seul, n'a pensé que les règlements draconiens devraient peut-être être mis de côté momentanément, que, pour une fois, on devrait faire preuve d'un peu d'humanité à l'égard d'un homme mourant et que l'ambulance devrait être autorisée à passer rapidement pour lui sauver la vie.

Le caractère sacré de la vie a totalement disparu mardi dernier au poste de contrôle d'Al-Zaim, à Jérusalem-Est. En fait, elle a disparu dès qu'il est apparu que le mourant était un Palestinien. Le caractère sacré de la vie ? Strictement pour les Juifs, dont le sang est bien plus rouge que le sang palestinien et les vies mille fois plus précieuses. C'est ainsi que Mundal Jubran est mort, face à la dureté du personnel de la police des frontières. Si seulement l'un d'entre eux avait imaginé ce qu'il aurait pu ressentir si c'était son père qui était là, à terre, mourant, à un poste de contrôle, dont les collègues policiers ne permettaient pas que l'homme soit transporté d'urgence à l'hôpital le plus proche, à quelques minutes de là, et contrecarraient ainsi la tentative de lui sauver la vie.

C'est ce qu'a vécu Mundal Jubran, qui travaillait dans l’épicerie de sa famille à Anata, près d'Azzariyeh, en face de la colonie urbaine juive de Ma'aleh Adumim. Ce jour-là, il n'était pas allé travailler, apparemment parce qu'il se sentait malade. Vers 21 heures, il a dit à sa femme, Ibtisam, qu'il se sentait de plus en plus mal. Sa bouche était tordue, ses joues lui faisaient mal, ses lèvres picotaient, sa langue était lourde. Son élocution est devenue difficile. Effrayée, Ibtisam a appelé le frère de Mundal, Madhat, qui travaille à la télévision palestinienne et est chanteur amateur. Madhat étant à Naplouse, il lui a dit d'appeler un autre frère, Nahad, qui travaille dans une autre épicerie de la famille, à Azzariyeh. Nahad, âgé de 45 ans, a laissé tomber ce qu'il faisait et a couru jusqu'à la maison de son frère, située à quelques minutes de là.

Mundal Jubran. Un médecin a demandé à son frère Nahad : « Pourquoi es-tu en colère ? Ton frère est un chahid. L'occupation l'a tué ». Photo avec l'aimable autorisation de la famille Jubran

Lors de notre visite cette semaine, Nahad nous a raconté qu'alors qu'il courait, il a reçu un autre appel téléphonique d'un parent, il ne se souvient plus qui, disant que l'état de Mundal se détériorait rapidement. À la maison, il a rencontré un voisin qui sortait et qui lui a dit d'appeler rapidement une ambulance.

Le corps de Mundal était rigide et plié en deux, et son frère avait du mal à le faire s'allonger. Nahad a essayé de faire parler Mundal – “Tu m'entends ? Fais signe avec ta main si tu m'entends”, mais en vain. À part tendre la main pour toucher le visage de Nahad, Mundal ne réagit pas. Ses yeux étaient grands ouverts et fixes, mais on ne savait pas s'il comprenait quoi que ce soit. Il avait de l'écume à la bouche.

L'ambulance est arrivée au bout de cinq minutes. Rapidement, le chauffeur et l'ambulancier transportent Mundal sur un brancard dans le véhicule et se dirigent vers la clinique externe de l'hôpital Makassed, à Abou Dis. Nahad les accompagne. Le directeur de la clinique, le Dr Abdullah Ayyad, leur a demandé d'emmener immédiatement Mundal à Makassed, situé non loin de là, à Jérusalem-Est. Ayyad a également envoyé le médecin de garde de la clinique dans l'ambulance. Il leur a demandé d'aller le plus vite possible et leur a dit qu'il essaierait de se coordonner avec les personnes se trouvant au poste de contrôle sur le chemin de l'hôpital. L'option d'emmener Mundal à l'hôpital gouvernemental de Ramallah a été écartée en raison de l'importance de la circulation ; le trajet aurait duré au moins 40 minutes.

Mundal a été replacé dans l'ambulance et ils se sont mis en route pour l'hôpital, pensant y arriver en cinq à dix minutes. La sirène du véhicule a continué à retentir alors qu'ils approchaient du poste de contrôle, mais le personnel de la police des frontières leur a fait signe de tourner à droite dans la zone de contrôle de sécurité. Pourquoi se presser ?

Le chauffeur, qui a l'expérience de ce genre de situation, a pris les cartes d'identité des deux frères et a disparu pour ce qu'il pensait être cinq minutes de négociations avec les policiers. L'état de Mundal continuant de s'aggraver, le médecin accompagnateur de la clinique a décidé de le sortir de l'ambulance et de placer la civière au sol afin d'avoir plus de place pour le soigner. Sentant qu'il était en train de perdre Mundal, le médecin s'est lancé dans des efforts de réanimation. À ce moment-là, Nahad, consterné, est sorti de l'ambulance et a couru vers l'un des agents de la police des frontières, demandant, en hébreu, à parler à l'un de ses supérieurs.

Le point de contrôle d'Al-Zaim à Jérusalem-Est. Photo Moti Milrod

« Laissez-nous passer, nous n'avons pas le temps, son état se détériore », dit Nahad à l'officier. Il n'en est pas question. L'homme lui explique que l'ambulance ne peut en aucun cas passer, qu'ils doivent attendre qu'une ambulance israélienne vienne chercher son frère.

Les minutes passent et l'état de Mundal s'aggrave. Entre-temps, le chauffeur est revenu avec les deux cartes d'identité. Ils ne seront pas autorisés à franchir le poste de contrôle dans l'ambulance. L'un des agents parle sur son téléphone portable et, pendant ce temps, de plus en plus de membres de la police des frontières et de curieux se rassemblent autour de la civière posée au sol, observant la scène avec indifférence, se souvient Nahad. Ils jetaient un coup d'œil et passaient à autre chose. Il était impossible de ne pas comprendre que le patient était dans un état très critique.

Quelqu'un a de nouveau suggéré Ramallah, mais l'idée a été rejetée en raison de la distance. Une ambulance peut se rendre à Makassed depuis le poste de contrôle en quelques minutes. Une fois de plus, Nahad, excédé, implore le personnel de sécurité israélien : « Son état est grave, faites quelque chose : laissez-le passer dans l'ambulance ». Rien. Pas question. Ils ont dû attendre l'arrivée d'une ambulance du Croissant-Rouge en provenance de Jérusalem-Est ; ces ambulances portent des plaques d'immatriculation israéliennes.

De son côté, Madhat était venu de Naplouse en voiture et attendait près du poste de contrôle, où il a vu Mundal être transféré dans la deuxième ambulance. Mais la police des frontières ne l'a pas autorisé à s'approcher pour voir son frère dans ses derniers instants. Il avait peur qu'ils lui tirent dessus, nous dit Madhat.

Selon les registres du Croissant-Rouge, l'appel à une ambulance a été lancé à 22h27, le chauffeur est parti à 22h29, est arrivé à 22h34 au poste de contrôle, et à 22h36 est parti pour Makassed, arrivant à l'hôpital à 22h42. Les efforts pour réanimer Mundal se sont poursuivis tout au long de la journée, et l'équipe d'ambulanciers est restée en contact permanent avec l'hôpital. Une équipe médicale attendait à l'entrée des urgences pour accueillir le patient et commencer les soins, alors même qu'il était transporté en soins intensifs. Nahad est resté à l'extérieur, bouleversé. Des parents de Jérusalem-Est sont arrivés.

Le point de contrôle d'Al-Zaim à Jérusalem-Est, théâtre d'efforts infructueux pour réanimer Jubran Mundal, mourant. Photo Moti Milrod

Un document de l'hôpital indique que deux minutes après l'arrivée de l'ambulance, la respiration du patient s'est arrêtée. Nahad a vu l'équipe hospitalière courir dans tous les sens et a compris que la situation était grave. Personne, cependant, n'a osé lui dire que son frère était mort. Il a tenté d'entrer dans l'unité de soins intensifs, mais a été repoussé avec force. Il ne se souvient plus de rien. « Je ne me sentais plus moi-même », dit-il en hébreu. Un médecin s'est approché de lui et lui a dit : « Pourquoi es-tu en colère ? Pourquoi tu pleures ? Ton frère est un chahid. L'occupation l'a tué ».

À l'époque, les parents des frères, Ahmad et Zahur, étaient en visite dans leur ville natale de Sa'ir, près d'Hébron. Apprenant la nouvelle, Ahmad s'est rendu en voiture au poste de contrôle du Mont des Oliviers dans l'espoir d'être autorisé à passer - soit en raison de son âge, 72 ans, soit parce qu'il a dit aux forces de sécurité que son fils venait de mourir et qu'il voulait lui faire ses adieux en bonne et due forme à l'hôpital. Mais il a été repoussé et renvoyé honteusement chez lui.

« Tu n'as pas de cœur ? Vous avez des cœurs de pierre ? » demande Ahmad à un policier. Encore une fois, en vain. « Cela ne l'intéressait pas, tout comme cela n'intéressait pas le policier un peu plus tôt que mon fils se trouve au poste de contrôle ». Jusque-là, personne n'avait eu le courage de dire la vérité sur Mundal à sa mère, Zahur, 60 ans, qui s'est assise avec nous cette semaine, en silence, vêtue de noir. Ce n'est que très tard dans la nuit qu'elle a été informée.

Des sources au sein de la police des frontières ont expliqué cette semaine que la décision de laisser passer une ambulance relevait de l'administration “civile” du gouvernement militaire. Mais un fonctionnaire de l'administration a déclaré qu'en cas d'urgence, la décision est en fait entre les mains du commandant du poste de contrôle.

Interrogé sur l'incident, un porte-parole de la police israélienne (à laquelle est rattachée la police des frontières) a fourni la réponse officielle suivante : « L'ambulance est arrivée sans la coordination requise à [une unité du] Département de coordination et de liaison des FDI, qui est responsable des autorisations de transit. Le commandant sur place a demandé au DLC d'autoriser le passage de la personne blessée. Cependant, l'autorisation requise n'a pas été reçue [avant] l'arrivée d'une ambulance israélienne [pour permettre] son transfert conformément à la procédure. Dès l'arrivée de l'ambulance israélienne, le blessé a été transféré pour poursuivre son traitement en Israël3.

Réponse de l'unité de coordination des activités gouvernementales dans les territoires : « L'événement que vous décrivez est connu de l'Administration civile. Cet événement fait l'objet d'une enquête conformément aux procédures par les personnes habilitées ».

Avant que nous ne quittions cette maison de deuil, le neveu de Mundal, un petit garçon en sous-vêtements, a demandé à son père quelle langue nous parlions. Son père lui a expliqué que nous étions des Israéliens et que nous parlions hébreu. Le petit garçon nous a alors demandé, en arabe : « Pourquoi est-ce que vous tuez les Palestiniens ? »

 

GIANFRANCO LACCONE
Le climat, la guerre et la faim

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 3/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Je ne sais pas si les déclarations d’António Guterres (SG de l’ONU) - « Plus de faim et de migrations du fait de l’urgence climatique. Nous devons agir maintenant » -, au lendemain du sommet “Faim Zéro de la FAO, seront d’une quelconque utilité, alors que même la voix du Pape sur ces questions semble se perdre dans le vide. Le fait est que cette semaine, les inquiétudes concernant l’évolution de la guerre en Ukraine ont pris une place plus importante dans les médias (c’est la seule raison pour laquelle le blocus commercial des céréales a fait la une), dépassant même les préoccupations concernant le changement climatique : dans ce cas, après la semaine caniculaire, en Italie, le dicton populaire semble s’être réalisé : “Passata la festa, gabbato lo santo !” [La fête passée, adieu le saint].

Seul le front négationniste semble pouvoir faire la part des choses, sous l’aile noire de la conspiration : le changement climatique, la faim, la guerre, les migrations et le commerce des céréales sont des thèmes bidons, qui ne servent qu’à détourner l’attention de la réalité. Mais on ne sait pas ce qu’est cette réalité, et même la nostalgie d’une époque mythique meilleure semble se perdre dans le ressentiment à l’égard des générations passées, coupables de ne pas avoir laissé un héritage positif.

 

Malheureusement, les grands problèmes ne sont pas le résultat d’une conspiration qui, si elle existait, pourrait encore être déjouée en sauvant l’humanité comme dans les films de science-fiction, mais une réalité qui a longtemps été sous-estimée par les gouvernements qui ont caché la poussière de la pollution et de la production de CO2 sous le tapis du “progrès”, en espérant que les choses se résoudraient ensuite d’elles-mêmes.  Aujourd’hui, les problèmes arrivent tous en même temps et ne seront pas résolus par des interventions individuelles spécifiques ; il faut s’attaquer à l’ensemble des problèmes, en établissant des priorités quant au lieu et au moment de l’intervention, mais en tenant compte de tous les aspects.  Cela décourage les institutions et pousse les gouvernements à la guerre : quoi de mieux que le “tous contre tous” lorsque la colère monte et que l’on ne sait pas quoi faire ?

 

La situation du commerce des céréales, depuis l’embargo commercial mis en place sur le gaz dans le cadre du conflit en cours jusqu’à la fin de l’accord sur les céréales entre la Russie, la Turquie et l’Ukraine, est un cas exemplaire du mouvement irrationnel des acteurs politiques.

 

Après l’invasion de l’Ukraine, l’OTAN a demandé des représailles commerciales par le biais d’un embargo sur le commerce du gaz, ce à quoi la Russie a répondu en bloquant les ports et en mettant fin au flux commercial de céréales de l’Ukraine vers le reste du monde.

 

L’impact de l’embargo sur le gaz a été moins dévastateur à court terme ; l’embargo sur la vente des céréales ukrainiennes, déclenché par la Russie en réaction - mais en réalité comme sa conséquence logique - à la guerre en cours et de l’occupation des ports, a plutôt semblé être une démarche de recherche de consensus de la part des belligérants : les pays tiers victimes de la crise alimentaire et menacés d’“émeutes du pain”, contrairement à ce que beaucoup imaginent, seront plus reconnaissants envers les pays qui leur viennent en aide (Turquie et Russie) et se montreront tièdes dans leur solidarité avec l’autre camp (même si nombre de leurs gouvernements se maintiennent grâce à l’aide militaire usaméricaine). D’autre part, si l’on analyse les données commerciales, moins de 10 % du blé vendu par l’Ukraine parvient aux pays en “crise alimentaire”, tandis que 57 % est acheté par les pays qui gèrent les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires ; la défense de l’accord profite donc à nos réseaux commerciaux. Les démarches des parties impliquées sont contradictoires, car tout embargo, lorsqu’il concerne la production ou les achats sur la base d’échanges multiples, doit pour réussir envisager une solidarité entre les pays exportateurs (ou importateurs) : sans discipline forte, la contrebande, plus ou moins déguisée, se développe, et l’absence de solidarité est à l’ordre du jour. Il ne suffit pas dans le cas de l’alimentation, mais aussi dans celui du gaz, d’avoir un quasi-monopole de l’achat ou de la vente du produit ; le pouvoir alimentaire ou gazier n’est accordé aux pays leaders qu’à des prix de plus en plus élevés, et il n’est pas sûr qu’au final les comptes s’équilibrent.

 

Damien Glez

Même s’il est paré de hautes valeurs morales, l’embargo est une action similaire au siège et à d’autres qui ont caractérisé les guerres des siècles passés, avec une forte valeur politique et commerciale en plus. Ce n’est que dans certaines situations qu’il a été efficace, sinon il a été très difficile à gérer et s’est avéré être, au mieux, comme n’importe quelle autre action de propagande, ou a très facilement atteint l’effet inverse.

 

La guerre en cours en Ukraine semble avoir pris cette direction et Kissinger lui-même, qui dans sa vie de secrétaire d’État usaméricain a collectionné les victoires et les défaites, semble être arrivé à ces conclusions, disant dans une interview récente espérer un accord entre les parties belligérantes et mettant en garde contre la diabolisation de l’ennemi avec lequel il sera nécessaire de parvenir à un accord.

 

Il est de plus en plus évident que les politiques de développement ont causé des problèmes environnementaux dont le poids augmente de jour en jour, et parmi les premières conséquences, il y a l’impact climatique sur les cultures vivrières réparties sur la planète (je rappelle que l’occidentalisation du monde a entraîné la diffusion planétaire d’exploitations agricoles et de plantations qui n’étaient autrefois répandues que dans quelques zones limitées, au détriment d’espèces plus adaptées et plus résistantes). Mais le problème de fond reste le comportement social de l’homme, le marché aux règles inadaptées au vivant et surtout la superficialité avec laquelle sont utilisés les résultats des études et des recherches.

 

Je cite un passage du résumé des prévisions conjointes de l’OCDE et de la FAO sur la production agricole 2018/2027, dont les gouvernements auraient dû tirer les conclusions qui s’imposent :

« Pour presque tous les produits agricoles, les exportations devraient rester concentrées dans les groupes stables des principaux pays fournisseurs. Un changement notable est la présence émergente de la Fédération de Russie et de l’Ukraine sur les marchés céréaliers mondiaux, qui devrait se poursuivre. La forte concentration des marchés d’exportation pourrait accroître la sensibilité des marchés mondiaux aux chocs de l’offre dus à des facteurs naturels et à des mesures de politique agricole (à lire comme le changement climatique et les guerres commerciales).

 

« Les Perspectives agricoles 2018-2027, en tant que scénario de référence, supposent que les politiques actuellement en place se poursuivront à l’avenir. Outre les risques traditionnels qui pèsent sur les marchés agricoles, les incertitudes concernant les politiques commerciales agricoles et les inquiétudes quant à la possibilité d’un renforcement du protectionnisme au niveau mondial sont de plus en plus grandes. Le commerce agricole joue un rôle important dans la sécurité alimentaire, ce qui souligne la nécessité d’un environnement qui crée des conditions favorables pour les politiques commerciales ».

Pour ceux qui savent lire ce genre de documents, la prédisposition à la confrontation entre deux pays aux marchés émergents est évidente : la Russie et l’Ukraine, ainsi que la nécessité d’un environnement favorable au commerce.

 

Ce qui a été fait au lieu de ça est visible par tout le monde.

 

03/08/2023

RAÚL ROMERO
Mexique : les trois guerres contre Ayotzinapa

Raúl Romero, La Jornada, 3/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis leur origine, il y a plus de 100 ans, les écoles normales rurales et leurs diplômés ont incarné un projet éducatif critique, d’en bas, en accord avec les besoins des peuples appauvris et opprimés. Dans l’esprit révolutionnaire, agrarien et socialiste de l’époque, les écoles normales rurales ont servi à former des enseignants qui boivent de l’atole, mangent des tortillas au chili et vivent avec le peuple, comme une communauté ñuu savi l’aurait demandé au général Lázaro Cárdenas il y a plusieurs décennies, selon Luis Hernández Navarro dans son merveilleux livre La pintura en la pared. Una ventana a las escuelas normales y a los normalistas rurales.

Le caractère critique de la formation des étudiants des écoles normales rurales, leur tradition organisationnelle, ainsi que leur origine populaire - essentiellement des enfants de paysans et d’indigènes - ont donné naissance à des générations d’enseignants qui luttent pour la défense de l’éducation publique, critique et scientifique, pour l’amélioration de leurs conditions de travail, pour des syndicats démocratiques, pour des projets pédagogiques critiques.

La tradition organisationnelle des normaliens, leur formation à la pensée critique et leur défense permanente de l’éducation publique et gratuite leur ont valu une menace constante de la part de l’État mexicain, qui a non seulement tenté de faire disparaître les écoles avec leurs dortoirs et leurs cantines, mais qui a également persécuté, criminalisé et réprimé leurs étudiants et leurs diplômés. En s’attaquant aux écoles normales et à leurs étudiants, l’État ne s’attaque pas seulement à un projet éducatif de grande valeur, il s’attaque aussi à la semence de lutte et de liberté que représentent de nombreux enseignants, maillons essentiels des processus d’organisation de la base et des nombreuses expériences de lutte dans tout le pays. C’est ce qui a motivé Gustavo Díaz Ordaz lorsqu’en 1969, il a porté un coup brutal en fermant 14 écoles normales rurales.

Que ce soit en les étouffant économiquement, en les réprimant directement, en espionnant et en infiltrant leurs organisations, l’État mexicain a mené une guerre contre-insurrectionnelle contre les normales rurales et leurs étudiants. Dans son objectif, l’État a non seulement cherché à éviter ou à effacer de l’histoire un long passé d’expériences révolutionnaires, mais aussi à empêcher cette tradition d’organisation et de réflexion critique de continuer à être présente dans le pays.

Luis García/ Mexico

À l’ère néolibérale, la guerre contre-insurrectionnelle de l’État contre les écoles normales et leurs étudiants a été complétée par la guerre du marché contre le secteur public en général et contre l’enseignement public gratuit en particulier. Pendant des décennies, les écoles normales et leurs étudiants ont non seulement subi la répression et la stigmatisation, mais ils ont également été confrontés à des problèmes économiques plus graves. Alors que les normaliens se sont battus et se battent encore pour obtenir plus de ressources et de places dans leurs écoles, pour des emplois dignes et bien rémunérés, ils ont dû faire face au discours de criminalisation qui a fait passer leurs écoles pour des écoles du diable et des nids de communistes à des groupes violents liés à la criminalité organisée.

Au Guerrero, en particulier pour les étudiants de l’école normale rurale Raúl Isidro Burgos, la guerre contre-insurrectionnelle et néolibérale contre le normalisme a revêtu une caractéristique également observable dans d’autres parties du pays : les conflits pour le contrôle territorial entre les entreprises du crime organisé avec leurs bras politiques et leurs forces armées légales et illégales. Grâce au Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI), nous savons aujourd’hui que les événements tragiques du 26 septembre 2014 ont impliqué la participation coordonnée des forces armées du crime organisé et des forces armées et autorités de l’État mexicain. À Ayotzinapa, nous avons vu et vécu le degré de symbiose entre l’État et le crime organisé, une association qui a fonctionné pendant le crime, qui a fonctionné pour le maintenir dans l’impunité, et qui a touché les présidences et les polices municipales, les gouverneurs et les polices d’État, l’armée, le Cisen [Centre de la Recherche et de la Sécurité Nationale, agence de rensoignements], la marine, l’état-major présidentiel et la présidence de la République. Ce narco-État du passé est toujours d’actualité, dans la mesure où il nous empêche d’accéder à la vérité et à la justice. L’État mexicain, par l’intermédiaire de certaines personnes et institutions, continue de garantir l’impunité de ce réseau criminel complexe et gigantesque.

Nous ne savons pas si l’État et son armée obéissent ou ont obéi au crime organisé, ou si le crime organisé est au service de l’État et de son armée. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui permettra de lever les doutes et d’éclaircir le crime d’Ayotzinapa et bien d’autres qui se sont produits et se produisent encore. Pour l’heure, deux choses sont certaines : c’est dans cette symbiose entre l’État et son armée, d’une part, et le crime organisé, d’autre part, que réside la responsabilité du crime d’Ayotzinapa. Il y a des noms et des prénoms de responsables, certes, mais il y a aussi une responsabilité structurelle, institutionnelle et qui traverse les sexennats présidentiels. La deuxième certitude, plus grave, est que, près de neuf ans après cette nuit tragique, 43 étudiants normaliens sont toujours portés disparus.

 

México Despierta / Mexico Wakes Up
Elmer Sosa
Mexico, 2015

 

GIDEON LEVY
La capitulation est l’acte de courage le plus noblebr>Sortie due film israélien “The Stroinghold”

Gideon Levy, Haaretz, 3/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Dr Nahum Werbin est un héros israélien. À première vue, Werbin est un anti-héros - le moins héroïque aux yeux d’Israël, l’opposé complet des héros qu’Israël aime et vénère.

Lorsqu’il est revenu de la mission de sa vie, la plus audacieuse et la plus étonnante de toutes, il a même été interrogé par l’avocat général des armées. Il était sur le point d’être inculpé pour trahison, incitation à la rébellion ou Dieu sait quoi. Il n’est pas étonnant qu’il n’ait pas reçu la médaille du courage qu’il méritait.

Mais Werbin est un grand héros. Il y a tant à apprendre de son histoire, tant à saluer pour sa bravoure. 


Ce soir, le merveilleux long métrage de Lior Chefetz, “Le Bastion” [The Stronghold], superbement réalisé, qui raconte la chute du poste le plus au sud de la ligne Bar-Lev pendant la guerre du Kippour [octobre 1973], sortira en salles. “The Stronghold” est un film sur la bravoure de Nahum Werbin et, dans une certaine mesure, sur la bravoure de son rival, le commandant de l’avant-poste, Shlomo Erdinast, qui s’est opposé à la reddition jusqu’à ce qu’il soit persuadé et y consente, ce qui est tout à son honneur.

Cette reddition était la mesure la plus courageuse que les commandants de l’avant-poste auraient pu prendre dans leur position, après une semaine de siège suicidaire, des bombardements incessants et avec une grave pénurie de médicaments. Le médecin de l’avant-poste, le docteur Werbin, arrivé seulement un jour plus tôt, a non seulement sauvé ses patients, qu’il a soignés avec un dévouement sans bornes, mais il a également sauvé tous les soldats de la position. S’ils n’avaient pas cédé, ils seraient aujourd’hui tous enterrés dans des cimetières militaires.

Grâce à Werbin, ils ont assisté à la première d’un film festif sur eux-mêmes, avec de merveilleux acteurs jouant leurs personnages. Erdinast a fait une noble déclaration, Werbin est resté sur scène en silence et a laissé sa fille Rana lire les mots qu’il avait écrits sur le rôle d’un médecin. Et le film était déchirant.

Parfois, la reddition est l’acte de courage le plus noble. Imaginez le bastion sans Werbin. Erdinast l’aurait poussé à continuer à se battre, jusqu’à la mort. Cela aurait pu être un Masada moderne, avec tout le kitsch nationaliste répugnant, parce que c’était un combat qui n’avait aucune chance. Les fausses valeurs d’honneur et de bravoure auraient été maintenues, mais dans les cimetières. L’histoire de l’héroïsme et du sacrifice des soldats de “The Stronghold” serait enseignée dans les écoles, afin d’apprendre à une nouvelle génération qu’il est bon de mourir.

Si les 25 soldats du poste avaient été tués, comme on s’y attendait, nous chanterions des chants de deuil en leur mémoire à l’occasion de la Journée du Souvenir. Mais on ne chante pas la bravoure de la reddition, parce que céder est toujours une honte. Israël en a toujours honte. Le neveu de Werbin, l’écrivain Yishai Sarid, a attiré mon attention cette semaine sur le fait que son oncle n’a jamais présenté la capitulation comme un idéal, mais qu’il a insisté sur la réflexion angoissante qu’il a menée avant de choisir la vie. Mais on ne peut pas quitter ce film sans applaudir la reddition, qui demande parfois beaucoup plus de courage que son contraire.

La position “Stronghold” était un microcosme israélien, avec une guerre culturelle implicite entre les soldats qui allaient à la yeshiva [école religieuse] et le médecin semi-hippie de Tel Aviv qui venait pour le week-end. Lorsque j’ai rencontré Werbin, des années plus tard, il se promenait encore avec une queue de cheval dans les couloirs du service de chirurgie d’Ichilov. Werbin me connaît sur le bout des doigts. Il y a environ 25 ans, il m’a opéré au moins trois fois et a tout vu de mon intérieur. Je connaissais déjà l’histoire de sa bravoure pendant la guerre, mais le film a apporté la touche finale.

La capitulation est parfois la solution, et pas seulement en temps de guerre. Combien de fois n’avons-nous pas capitulé, juste pour ne pas céder, dans le domaine personnel et surtout national, et en avons-nous payé le prix fort ? Et qu’y a-t-il de mal à se rendre parfois ? Qu’y a-t-il de mal à sauver les soldats du bastion, même si c’est d’une manière apparemment humiliante, devant les caméras du monde entier ? Le poste du bastion, dirigé par son médecin, a choisi la vie. C’était une reddition glorieuse dont nous devrions nous inspirer.