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10/03/2023

ANTONIO MAZZEO
Netanyahou à Rome : une alliance politico-militaire encore plus étroite entre l'Italie et Israël

Antonio Mazzeo, Pagine Esteri, 9/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'attente a été longue, mais le résultat de la visite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en Italie, la première depuis sa visite il y a huit ans à l'occasion de l'Expo de Milan, semble acquis : Rome et Tel-Aviv renforceront encore plus le partenariat diplomatico-militaire et l'échange de systèmes de guerre. 

 La rencontre du jeudi 9 mars entre Netanyahou et Giorgia Meloni a été préparée dans les moindres détails et les éventuels accords entre les forces armées et les industries de guerre respectives auraient été préparés le 18 janvier lors de la rencontre officielle entre le ministre de la Défense Guido Crosetto et l'ambassadeur de l'État d'Israël en Italie, Alon Bar. « Au cours de la rencontre, la volonté d'intensifier la coopération entre l'Italie et Israël s'est manifestée », a rapporté le service de presse de la Défense. « Les relations bilatérales, la coopération en matière de défense (G2G - Government to Government), l'Ukraine et la Méditerranée élargie ont été les principaux sujets au centre des discussions ».

Benjamin Netanyahou arrive à Rome vingt ans après la signature du mémorandum d'entente Italie-Israël sur la coopération dans le secteur militaire, un accord qui accorde une attention particulière à l'échange de matériel d'armement, à l'organisation des forces armées, à l'éducation et à la formation du personnel, ainsi qu'à la recherche et au développement dans le domaine industrialo-militaire. Le mémorandum prévoit également des « échanges d'expériences entre experts des deux parties » et la « participation d'observateurs à des exercices militaires ». Il a été signé au nom de l’Italie par le ministre de la Défense de l'époque, Antonio Martino (gouvernement Berlusconi II) ; la ratification par le Parlement, à la quasi-unanimité, a eu lieu en mai 2005.

La coopération entre les forces armées israéliennes et italiennes s'est développée ces dernières années, en particulier dans le domaine de la formation et des opérations. « L'armée de l'air israélienne a été déployée à plusieurs reprises en Sardaigne et a effectué des exercices de taille considérable avec l'armée de l'air italienne », rapporte une note du ministère israélien de la Défense datée du 2 novembre 2018. « Les deux forces aériennes ont également procédé à des échanges réguliers d'équipages et leurs personnels respectifs participent à divers cours de formation. ». L'armée de l'air italienne est engagée dans la formation de pilotes israéliens au Centre international de formation (ITC) de Pise pour la qualification sur l'avion C-130J Super Hercules ; en même temps, le personnel italien se rend cycliquement à la base aérienne de Palmachim (près de la ville de Rishon LeZion, sur la côte méditerranéenne) pour mener des cours de qualification dans l'exploitation d'aéronefs télécommandés. A plusieurs reprises, des militaires israéliens ont été les hôtes du Centre de vol expérimental et du Département de médecine aéronautique et spatiale de Pratica di Mare (Rome) : il s'agit de deux organismes chargés des essais en vol d'aéronefs et de systèmes d'armes, ainsi que de la formation et de l'expérimentation dans le domaine de la médecine aéronautique et spatiale.

09/03/2023

AVNER GVARYAHU
À Huwara, nous avons vu notre vrai visage

Avner Gvaryahu, Haaretz, 6/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Avner Gvaryahu est le co-directeur exécutif de Shovrim Shtika/ Breaking the Silence (Briser le silence), une ONG de vétérans de l’armée israélienne ayant servi dans les territoires occupés depuis 1967. Né de parents sionistes religieux à Rehovot, il a un diplôme en travail social de ‘l’Université de Tel-Aviv et une maîtrise en droits humains de l’Université Columbia (USA). Il a fait son service militaire de 2004 à 2007, dans les parachutistes (comme son père), comme sergent d’une unité d’opérations spéciales de snipers, principalement autour de Naplouse et de Jénine, après quoi il a rejoint Breaking the Silence, constatant que « le problème n’était pas le soldat individuel mais l’ensemble du système d’occupation ». Le groupe fasciste étudiant Im Tirtzu l’a qualifié d’“agent étranger”. @AGvaryahu FB

Il y a une semaine, quelque 400 colons sont entrés dans le village de Huwara, en Cisjordanie, ont mis le feu à des maisons avec leurs occupants à l’intérieur, ont tiré sur des journalistes et ont apparemment abattu un Palestinien de 37 ans. David Ben-Gourion a dit un jour que lorsque nous aurons un voleur juif, une prostituée juive et un meurtrier juif, nous saurons que nous avons un pays.

 Soldats et colons à ‘Huwara le lendemain du pogrom, la semaine dernière. Photo : Moti Milrod

Et voilà. Nous avons même des pogromchiks* juifs, et ils bénéficient du soutien total des députés, des ministres, des maires et des journalistes. Personne ne paie le prix - ni les auteurs, ni ceux qui les soutiennent. Avant que vous ne vous en rendiez compte, nous n’en parlerons plus. Nous parlerons d’une déclaration d’un politicien quelconque. Comment le sais-je ? Parce que c’est arrivé tant de fois auparavant.

 

Amog Cohen, désormais député de Force juive, a un passé très lourd : membre de l’unité Yoav de la police "anti-émeutes" qui terrorise les Bédouins du Néguev, il se vante ouvertement de ses méfaits, comme ci-dessous, contre la famille Al Touri, qui a porté plainte (sans suite). Il a aussi créé une milice armée pour « pour sauver le Néguev israélien », financée par une collecte organisée par le même groupe qui a recueilli des fonds pour soutenir les frais de justice de Netanyahou


Vous vous souvenez du député d’Otzma Yehudit, Almog Cohen ? Il venait à peine de déclarer que le député de Yesh Atid, Merav Ben-Ari, avait une voix de femme de ménage et qu’il fallait parler aux Arabes comme on parle à des moutons, et il a été oublié à cause de la loi interdisant les aliments au levain dans les hôpitaux pendant la Pâque. Il s’est cependant excusé. Mais seulement à Ben-Ari, parce qu’avec les Arabes, c’est le « langage qu’ils comprennent parfaitement », a-t-il dit, mais ne chipotons pas.

08/03/2023

PAOLO CACCIARI
Le fusil à l’épaule du marché

 Paolo Cacciari, Comune-Info, 6/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Paolo Cacciari (Venise, 1949), diplômé en architecture, est journaliste et auteur, mais aussi activiste dans les mouvements sociaux, environnementaux et de décroissance. Élu député lors de la 15e législature (2006-2008), il a été, dans les années 2000, administrateur, conseiller et adjoint au maire de la ville de Venise à plusieurs reprises. Il est cofondateur de l’Association nationale pour la décroissance. Entre autres publications, il collabore au site web comune-info.net. Il est l’auteur de nombreux essais sur des sujets liés à l’économie solidaire. Entre autres, Decrescita o barbarie [Décroissance ou barbarie] (Carta e Intra Moenia, 2006), “Viaggio nell’Italia dei beni comuni [Voyage dans l’Italie des biens communs] (Marotta & Cafiero, 2012), “Vie di fuga” [Chemins de fuite] (Marotta & Cafiero, 2014), “101 piccole rivoluzioni” [101 petites révolutions] (Altreconomia, 2017), rivoluzioni” (Altreconomia, 2017), “Ombre verdi. L’imbroglio del capitalismo green. Cambiare paradigma dopo la pandemia” [Ombres vertes. L’arnaque du capitalisme vert] (Altreconomia, 2020) et -avec d’autres auteurs- de “L’Economia trasformativa“ (Altreconomia, 2020).

 Intervention à la conférence “Au-delà de la guerre Décroissance et non-violence“ organisée par l’Université de la Paix des Marches et l’Association pour la Décroissance, qui s’est tenue à l’Université de Macerata le 22/02/2023.



Jouer avec la mort, par Bernard Gillam, Puck Magazine1883

 Il existe une branche de l’économie qui étudie l’économie de la paix. Elle trouve ses racines dans le pacifisme libéral des Lumières, de Montesquieu à Kant, elle rencontre Jeremy Bentham et Herbert Spencer, elle atterrit chez le prix Nobel Norman Angell pour renaître après la Seconde Guerre mondiale avec Keynes, Kenneth Boulding et les Économistes pour la paix et la sécurité, et elle a été récemment ravivée par le travail de Raul Caruso, Économie de la paix (il mulino, 2022). Les économistes de la paix étudient les conditions économiques les plus favorables pour éviter les conflits armés entre et au sein des États-nations. Leur approche est délibérément “a-morale”, ils ne font pas appel à la dimension éthique, ils se limitent délibérément à démontrer que les guerres ne sont pas opportunes d’un point de vue strictement économique, même pour les supposés vainqueurs. En appliquant les critères d’évaluation du “coût d’opportunité” de la macroéconomie classique (en utilisant même les modèles mathématiques les plus sophistiqués), ils montrent que “tout compte fait”, le simple fait de maintenir un état permanent de dissuasion armée, même en “temps de paix”, avec la nécessaire modernisation continue de l’appareil militaire, soustrait de l’argent au développement économique et social. À cela s’ajoute la destruction nette et directe de ressources matérielles dans les inévitables conflagrations armées des conflits (perte de capital fixe, humain et social).

Les économistes de la paix savent bien que les guerres ne sont pas causées uniquement par des raisons économiques, par la volonté de s’approprier violemment les richesses et les ressources d’autrui. Nous savons que les guerres trouvent leur origine dans les profondeurs obscures de l’âme humaine et, plus précisément, de l’âme masculine. Le ventre qui engendre les guerres n’est certainement pas celui d’une femme ; il se trouve dans la volonté de conquérir et de dominer, dans la pulsion de domination qui conduit à la haine de ceux qui ne se soumettent pas et va jusqu’à chercher leur mort ; il se cache dans l’hybris, dans l’avidité, dans le contrôle total qui va jusqu’à supprimer toute vie, Delenda Carthago. Mais il est certain que dans la politique de guerre entre États, un rôle fondamental et déclencheur est joué par les intérêts économiques, le désir de faire prévaloir sa propre position sur les marchés, ses propres “motifs d’échange” dans les relations commerciales.

Les économistes de la paix estiment que la démonstration de la non-rentabilité de la guerre pour le bon fonctionnement de l’économie et le bien-être des peuples est un argument essentiel, réaliste et fort pour convaincre les gouvernements et les parlements de ne pas s’engager dans des politiques coûteuses de réarmement et de militarisation. De bons exemples de cette façon de voir les choses nous ont été donnés ces derniers jours par Jeffrey D. Sachs (conseiller du Secrétaire général des Nations unies António Guterres et président du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies) qui écrit : « Le plus grand ennemi du développement économique est la guerre » (What Ukraine needs to learn from Afghanistan, in Other News 20/02/2023, en français ici) et par un groupe d’économistes keynésiens de gauche, dont Emiliano Brancaccio co-auteur de l’appel The Economic Conditions for Peace (publié par le Financial Times le 17/02/2023, en français ici) qui appelle à « créer les conditions économiques d’une pacification du monde avant que les tensions militaires n’atteignent un point de non-retour ».

Demandons-nous alors ce qui empêche la réception d’un argumentaire aussi rigoureux, voire évident, contre les politiques de guerre. Le “complexe militaro-industriel” (qui effrayait déjà un président usaméricain Dwight Eisenhower au plus fort de la guerre froide), les stratèges des ministères de la guerre et leurs porte-parole dans les grands médias tiennent des discours diamétralement opposés à ceux des économistes de la paix. Selon eux, les dépenses de défense et de sécurité nationale sont le principal moteur de la croissance économique. Pour plusieurs raisons. Parce qu’elles protègent l’expansion de la libre initiative économique contre les ennemis de l’intégration du marché mondial. Autrement dit, les cuirassés d’hier et les missiles supersoniques d’aujourd’hui ont pour mission de protéger les intérêts des entreprises - et des États auxquels elles appartiennent - partout où ils sont menacés. Ensuite, les dépenses militaires sont utiles parce qu’elles financent l’innovation technologique la plus avancée, sur laquelle reposent la productivité et la compétitivité de l’industrie. N’oublions pas non plus la fameuse fonction “anticyclique” de la guerre : détruire pour reconstruire. Le “capitalisme du désastre” (Naomi Klein) est un moteur sûr pour déclencher de nouveaux cycles d’accumulation et de hausse du PIB. Mais il me semble qu’il existe un autre élément qui fait des politiques de guerre un pilier de l’ordre socio-économique actuel et que l’on pourrait appeler warfare state [État guerrier, réf. au welfare state, l’État-providence, NdT]. Les dépenses de l’État en matière de sécurité intérieure et extérieure (armées, police, agents de sécurité, divers corps de mercenaires et appareils technologiques de surveillance à distance) fournissent la main-d’œuvre en “dernier recours” pour le maintien du consensus du système économique dans son ensemble. Aux USA, la main-d’œuvre des gardiens (travailleurs ayant des fonctions de contrôle et de surveillance armée) représentait déjà 26,1 % de l’ensemble de la main-d’œuvre salariée il y a dix ans (dernières données que j’ai pu trouver), ce qui en faisait le premier secteur économique en termes d’emploi. Pour se faire une idée de son poids, il suffit de se rappeler qu’au plus fort de l’effort de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, les personnes employées dans la sécurité aux USA dépassaient légèrement les 40 % de la force active. L’emploi de sécurité enregistre les coûts économiques de la méfiance dans les relations humaines et n’augmente pas (directement du moins) la formation de nouveaux capitaux. En bref, il s’agit - comme le disent nos économistes de la paix - d’une énorme dépense improductive.

Nous sommes plongés dans une économie de guerre. Notre économie est déjà une économie qui fonctionne pour et avec la guerre. Les militaires ont gagné la guerre en temps de paix. Il suffit de regarder les données du SIPRI sur l’évolution des dépenses militaires directes des États. Après une brève période de déclin de 1989 à 1998, qui a permis de faire quelques économies (“dividendes de la paix”), après la dissolution du Pacte de Varsovie et l’avancée de la mondialisation, les dépenses militaires (de 1992 à 2014) ont de nouveau augmenté à des taux impressionnants : 650 % en Chine, 780 % en Algérie, 430 % au Qatar, 230 % en Arabie saoudite, 200 % au Brésil, 190 % en Inde. Il y a actuellement 75 missions de maintien de la paix de l’ONU en cours. La guerre en Ukraine accroît encore la demande d’équipements militaires. Volodymyr Zelensky montre la voie. Dans les pays membres de l’OTAN, nous dépassons les 2 % du PIB nécessaires pour faire face aux “champs de bataille du futur” (espace extra-atmosphérique, biosphère, cyberespace...) avec des armes de plus en plus sophistiquées : armes autonomes telles que les robots tueurs, les drones, les missiles hypersoniques, les lasers, les armes nucléaires mobiles ciblées et de faible puissance...

 Comme déjà écrit, leur but n’est pas de “gagner des guerres” où qu’elles éclatent (on rappelle souvent que l’armée usaméricaine n’a pas gagné de guerre sur le terrain depuis la Seconde Guerre mondiale), mais d’imposer l’ordre le plus commode de leur côté (royaume, État, empire) même en temps de paix : la paix armée. La guerre, avant d’être destruction et mort, est un système socio-économique fondé sur la menace permanente (Si vis pacem para bellum), sur la subordination des États et des peuples ennemis, sur la défiance, la peur et la terreur.

Cependant, les politiques d’expansion économique fondées sur la guerre comportent des coûts évidents et des risques effrayants. Le pas entre les menaces et le “cri de guerre” peut être très court (Richard Cobden, 1817). Les principaux acteurs de l’expansion économique le reconnaissent encore aujourd’hui. Le Word Economic Forum, le think tank de milliardaires qui se réunit chaque année à Davos, produit,comme chaque année, une étude intéressante, le Global Risks Report 2023, dans laquelle il recueille les avis des PDG et directeurs généraux des grands conglomérats industriels et financiers. Ces messieurs se déclarent très préoccupés par la “ragmentation géopolitique” qui se produit suite à l’entrée en crise de la mondialisation et à la résurgence du protectionnisme nationaliste. Ils écrivent : « La guerre économique devient la norme, avec des affrontements croissants entre les puissances mondiales et l’intervention des États sur les marchés au cours des deux prochaines années. Les politiques économiques seront utilisées de manière défensive, pour renforcer l’autonomie et la souveraineté des puissances rivales, mais elles seront aussi de plus en plus utilisées de manière offensive pour limiter la montée en puissance des autre ». Il poursuit: « L’augmentation récente des dépenses militaires et la prolifération des nouvelles technologies accessibles à un plus grand nombre d’acteurs conduiront à une course mondiale aux armements. Le paysage mondial des risques à long terme pourrait impliquer des conflits multi-domaines et des guerres asymétriques avec le déploiement ciblé d’armes de nouvelle technologie à une échelle potentiellement plus destructrice que celle observée au cours des dernières décennies. Les mécanismes transnationaux de contrôle des armements doivent donc s’adapter rapidement à ce nouvel environnement de sécurité afin de renforcer les coûts moraux, politiques et de réputation pouvant dissuader d’une escalade accidentelle ou intentionnelle ».

S’il est vrai que la fragmentation et la renationalisation des économies augmentent les risques de conflit entre des États déterminés à conserver leurs zones d’influence, il est également vrai que même la mondialisation néolibérale des marchés n’a pas fait ses preuves en matière de pacification du monde. L’optimisme des économistes libéraux pacifistes repose sur une foi inébranlable dans le libre marché. Leur thèse de longue date est que “l’esprit du commerce” et le désir des masses populaires d’accroître leur bien-être matériel sont le meilleur antidote à la dissipation des ressources économiques pour soutenir les dépenses militaires et les guerres. D’où l’idée qu’une augmentation des échanges économiques internationaux et une plus grande interdépendance dans la production de biens de consommation entraîneraient moins de conflits armés et forcerait les États à mettre de côté leurs objectifs hégémoniques pour privilégier la création d’accords et d’institutions visant à réglementer les marchés et le commerce. L’idée de Keynes d’un système de gouvernance mondiale impartiale de l’économie qui, par le biais d’instruments financiers, serait en mesure de “compenser” et de “niveler” équitablement les déséquilibres entre les différentes zones géographiques de la planète a lamentablement échoué en raison des politiques économiques mises en œuvre par les institutions transnationales qui auraient dû prévenir et résoudre les différends entre les États et les différentes régions du monde. Pensons à la Banque mondiale, au FMI, au GATT, à l’OMC et aux résultats de leurs actions : concentration maximale du commandement économique autour de quelques conglomérats industriels et financiers transnationaux, d’une part, et inégalités croissantes entre les populations, les classes sociales, les hommes et les femmes, d’autre part.

En conclusion, les relations pacifiques stables nécessitent des conditions économiques équilibrées. Des relations pacifiques stables nécessitent des conditions économiques équilibrées, favorables à tous. Jusqu’à présent, ni les modèles de libéralisation des marchés à l’échelle de la planète, ni les modèles protectionnistes mis en place par les États n’ont réussi à réduire les conflits armés. Il y a probablement un “bug” dans le système économique, un défaut d’origine qui rend cette économie structurellement inadaptée à la paix. Je ne voudrais pas répéter pour la énième fois le cri de douleur du pape Bergoglio : « Cette économie tue ». Mais il est le seul chef d’État (bien que fondé sur un ordre monarchique et patriarcal) à avoir clairement mis le doigt sur le problème. Le conflit d’intérêts est la caractéristique structurelle de l’économie de marché capitaliste. Celle-ci repose sur la rivalité entre les entreprises pour s’approprier les moyens de production au prix le plus bas possible (énergie, matières premières, main-d’œuvre, technologie) et se disputer les débouchés de leurs produits. La compétition économique façonne et conditionne également les comportements humains individuels et interpersonnels. Le moteur de cette économie est la cupidité (profit, accumulation, rentes) et le résultat ne peut être que l’hostilité et l’antagonisme entre les personnes, entre les communautés, entre les États. La racine de la guerre - si l’on voulait vraiment la déraciner - se trouve dans la violence structurelle sur laquelle reposent les modes de production, de distribution et de reproduction qui triomphent aujourd’hui sous toutes les latitudes. Un système mortifère et biocide. Parce qu’il génère des guerres, colonise et militarise les esprits, coupe toute relation avec l’autre différent de soi, détruit la biosphère, réduit les espaces de vie de toutes les espèces vivantes.

Pour “répudier” la guerre, il faut inventer et pratiquer une économie de paix. Une économie désarmée, “sans guerre”, tout d’abord. Jusqu’à présent, l’économie de guerre a été le bras armé de l’économie de marché. Les économistes de la paix, dans leur optimisme, nous disent au contraire qu’il serait possible de repenser l’économie en enlevant le fusil de l’épaule du marché. Nous aimerions espérer que cela soit vrai, mais nous ne voyons pas le bout du tunnel.

Désarmons le monde !

 

07/03/2023

March 8: International Women's Day Journée internationale des droits des Femmes Internationaler Frauentag Día Internacional de Lucha de las Mujeres

Pourquoi le 8 mars n’est pas « la journée de la femme »

Journée internationale des droits des femmes 2023 Paris

Internationaler Frauentag Veranstaltungen in Berlin

REINALDO SPITALETTA
Sang et sueur de femme

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, 7/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme la Journée internationale des femmes s’est banalisée ! Elle n’est plus qu’une caricature, vidée de son histoire et de sa mémoire. Il a été dit que le capitalisme est habile à transformer en marchandise ce qui était autrefois une menace pour sa stabilité et ses contraintes. Ce qui a émergé comme une demande sociale, avec des protestations populaires, avec des soulèvements, avec des morts et de nombreuses blessures, avec du sang, doit être transformé en une frivolité, car il peut être vendu et dépouillé de son contexte.

La lutte des femmes pour la conquête de leurs droits est longue, avec une présence peu visible mais historique dans la Révolution française, et un vaste catalogue de manifestations de protestation aux XIXe et XXe siècles. Le capitalisme, qui, selon les mots de Marx, est né « ruisselant de sang par tous les pores », a introduit des horaires de travail inhumains, ce qui a donné lieu à des mouvements de protestation colossaux en Europe et aux USA, comme La lutte pour les “Trois Huit”.

Aux luttes des travailleuses pour des revendications économiques s’ajoutent des luttes pour des droits politiques, comme le suffrage et l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes. Au milieu des luttes aux USA, il y a eu des grèves et des mouvements héroïques, comme ceux des célèbres Martyrs de Chicago, qui ont conduit à la création mondiale du 1er  Mai. Les immigrés, en masse, deviennent une main-d’œuvre bon marché dans les usines, comme les usines textiles, avec une majorité de travailleuses.

Dans Une histoire populaire des États-Unis, Howard Zinn dépeint des paysages austères de travailleurs exploités jusqu’à la moelle et raconte les nombreuses luttes des femmes et des hommes pour la dignité et une vie meilleure. Un poète populaire, Edwin Markham, a écrit dans le magazine Cosmopolitan sur les conditions de travail misérables : « Dans des pièces non ventilées, les mères et les pères cousent jour et nuit... et les enfants qui jouent sont appelés par les patrons à travailler aux côtés de leurs parents ».

Dans diverses usines textiles, notamment aux USA, de graves accidents ont eu lieu, avec de nombreux décès, en raison des conditions infrahumaines d’exploitation et d’insécurité industrielle. Les femmes, entassées dans les usines, travaillent seize heures par jour. À New York, au début du XXe siècle, il y avait cinq cents ateliers de confection. « Dans ces trous insalubres, tous, hommes, femmes et jeunes, travaillaient soixante-dix à quatre-vingts heures par semaine, y compris les samedis et les dimanches ! Le samedi après-midi, ils accrochaient un panneau disant : “Si vous ne venez pas le dimanche, inutile de venir le lundi” », témoigne une femme, citée par Zinn.

REINALDO SPITALETTA
Sangre y sudor de mujer

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, 7-3-2023

¡Cómo se ha banalizado el Día Internacional de la Mujer! Es apenas una caricatura, vaciado de historia y de memoria. Se ha dicho que el capitalismo es experto en erigir en mercancía lo que en otro tiempo fue una amenaza a su estabilidad y a sus imposiciones. Aquello que emergió como reivindicación social, con protestas populares, con alzamientos, con muertes y muchas heridas, con sangre, hay que volverlo frivolidad, porque así se puede vender y despojar de contextos.

Es larga la gesta de las mujeres por la conquista de sus derechos, con presencias no muy visibles, pero sí históricas, en la Revolución Francesa, y un extenso catálogo de demostraciones de protesta en los siglos XIX y XX. El capitalismo que, al decir de Marx, nació “chorreando sangre por todos sus poros”, implantó jornadas de trabajo inhumanas, que originaron en Europa y Estados Unidos colosales movimientos de reclamo, como el de los “Tres Ochos”.

A las luchas por reivindicaciones económicas de las obreras se sumaron las de derechos políticos, como el del sufragio y por la eliminación de todas las formas de discriminación contra las mujeres. Al fragor de las contiendas en Estados Unidos hubo muestras heroicas de huelgas y movimientos, como los muy célebres de los Mártires de Chicago, que originaron la creación mundial del Primero de Mayo. Los inmigrantes, a montones, se convierten en mano de obra barata de fábricas, como las textileras, con mayoría de trabajadoras.

En La otra historia de los Estados Unidos, Howard Zinn muestra descarnados paisajes de obreros explotados hasta la médula y da cuenta de las numerosas luchas de mujeres y hombres por la dignidad y una vida mejor. Un poeta popular, Edwin Markham, escribió en la revista Cosmopolitan sobre las miserables condiciones laborales: “en habitaciones sin ventilación, las madres y los padres cosen día y noche… y a los niños que están jugando, los patronos los llaman para trabajar junto a sus padres”.

06/03/2023

JORGE MAJFUD
Ils ne sont pas communistes, mais ils sont noirs
Haïti, une tragédie sans fin

Jorge Majfud, Escritos críticos, 3/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Extrait du livre La frontera salvaje. 200 años de fanatismo anglosajón en América Latina (2021) [La frontière sauvage : 200 ans de fanatisme anglo-saxon en Amérique Latine]

Port-au-Prince, Haïti. 30 janvier 1986 - Le président Ronald Reagan refuse l'asile à l'un de ses amis dictateurs, Jean-Claude Duvalier, mais propose de lui trouver un passage sûr vers un autre pays. S'appuyant sur un rapport de la CIA affirmant avoir vu la famille Duvalier se rendre à l'aéroport, Washington annonce la destitution du dirigeant haïtien comme si elle n'avait rien à voir avec cette affaire. Mais Baby Doc, pris entre les rébellions de son peuple et les caprices de sa belle épouse, change d'avis, revient au palais présidentiel et y reste une semaine de plus, jusqu'au 7 février où il doit s'envoler pour Paris avec les restes du butin familial.

Pour Duvalier junior, tout a commencé avec la crise du cochon noir, sept ans plus tôt. Pour le peuple haïtien, cela a commencé des siècles plus tôt. La crise du cochon noir a de multiples antécédents rien que dans ce siècle. Sans compter les massacres perpétrés par les marines qui tentaient de faire régner l'ordre dans un pays de voyous et de Noirs indisciplinés, les recettes de la réussite économique des grandes entreprises et des experts du Nord ont laissé une autre traînée de morts sur l'île pendant de longues décennies.

En 1929, par exemple, un rapport du responsable de l'American Technical Service avait reconnu que les paysans haïtiens cultivaient le coton plus efficacement que les grandes plantations usaméricaines. Les paysans n'appliquaient aucune méthode scientifique, mais plutôt l'expérience accumulée par leurs ancêtres, expérience et méthodes que les hommes blancs supérieurs refusaient même de prendre en considération. Cependant, pour répondre à la demande du monde développé, des dizaines de milliers d'Haïtiens ont été envoyés à Cuba et en République dominicaine pour y travailler comme ouvriers salariés, abandonnant leurs terres et leurs traditions pour devenir des employés dépendants de grandes entreprises internationales. Après une brève période de prospérité économique, tout s'est effondré comme un château de cartes lorsque les vents du marché international ont tourné du jour au lendemain. Comme c'est souvent le cas dans chaque crise économique, les gens trouvent toujours des coupables parmi ceux qu'ils peuvent voir de leurs propres yeux, et surtout lorsque l'ennemi semble venir d'en bas, qu'il est laid, qu'il s'habille mal et qu'il a l'air dangereux. Si ceux d'en bas ressemblent à des étrangers, c'est encore pire. En 1937, un autre dictateur nommé et soutenu par Washington en République dominicaine, Rafael Trujillo, a ordonné le massacre de 30 000 Haïtiens qui avaient été accusés de voler du travail aux Dominicains. Ce massacre a fait passer inaperçu les meurtres d'Haïtiens mécontents par les Marines usaméricains, si bien que quelques voix de protestation se sont élevées au Congrès de Washington, jusqu'à ce que Trujillo les fasse taire par des dons de centaines de milliers de dollars et des publicités payées dans le New York Times.

Un Yankee pose entouré de corps d’Haïtiens tués lors des combats contre les Marines en 1915. L’occupation militaire US a duré de 1915 à 1934 Photo Getty Images

En 1944, par décision de la Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole (SHADA), les meilleures terres d'Haïti furent forcées de produire du sisal et du caoutchouc pour la guerre en Europe, ce qui non seulement déplaça 40 000 paysans supplémentaires mais, une fois la guerre terminée, les terres étaient inutilisables pour ceux qui revenaient sans même pouvoir reconnaître le paysage laissé par les sociétés prospères. Un mémorandum du 30 juin 1952, signé par William B. Connett, conclura : « Ce programme a été un échec ». Une erreur de plus.

Des histoires similaires, tapissées de morts sans importance, avaient complété la saga de la famille Duvalier. Aujourd'hui, un nouvel acte de surréalisme frappe le peuple haïtien. En 1978, pour prévenir toute épidémie de peste porcine détectée en République dominicaine, des experts du Nord avaient recommandé l'abattage d'un million de cochons noirs en Haïti, abattage intensifié en 1982 alors que la menace avait déjà été déclarée maîtrisée. Pour les 100 000 premiers porcs, les agriculteurs les plus pauvres ne recevaient aucune compensation. Si ce plan a coûté 23 millions de dollars à l'OEA et à Washington (dont seulement sept millions iront à certaines des victimes sous forme de compensation), pour les Haïtiens, la disparition des cochons noirs a signifié la perte de 600 millions de dollars et d'un mode de vie qui leur était propre. Grâce à ce plan merveilleux, les entreprises usaméricaines et canadiennes, à l'abri de toute hystérie anticonsommateurs, ont pu continuer à répondre à la demande de porc. Selon l'Université du Minnesota, si la maladie avait atteint le marché usaméricain, le pays aurait perdu jusqu'à cinq milliards de dollars - le pays ou les entreprises.

Mais la maladie des cochons noirs haïtiens n'a pas été transmise aux humains ni aux autres animaux. Il était même possible de le manger sans danger lorsqu'il était correctement préparé, selon les experts. Pendant des siècles, les cochons noirs s'étaient adaptés aux conditions de l'île, alors que le plan de remplacement des experts de Washington exigeait que les nouveaux porcs de l'Iowa soient mieux soignés que les mêmes agriculteurs ne pourraient le faire pour leurs propres enfants. Les cochons de l'Iowa, plus blancs et plus gros que les cochons noirs traditionnels, ne pouvaient boire que de l'eau filtrée. Les mauvaises langues de ce pays prétendaient qu'ils avaient également besoin de l'air conditionné pour survivre à la chaleur de l'île.

Le kochon kreyòl, objet d'un véritable génocide par substitution au profit du kochon grimèl (rose), a une grande place dans la culture haïtienne. Selon la légende, un cochon noir fut sacrifié par la prêtresse manbo, Cécile Fatiman et son sang donné à boire aux esclaves marrons durant la cérémonie vaudou du Bois Caïman, organisée dans la nuit du août 1791 par Dutty Boukman pour préparer le soulèvement. Ce sang devait rendre invulnérable. Peinture d’Ernst Prophète, 1996

En Haïti, la valeur d'un seul cochon noir équivalait à deux années d'éducation d'un enfant. Pour les paysans et les Haïtiens pauvres, ce massacre était pire qu'un tremblement de terre. La logique du monde rationnel et développé a échoué avec des résultats tragiques. Tragiques pour les autres, pas pour leurs grandes entreprises. Le chômage a grimpé à 30 %, l'économie est entrée en récession et la dette extérieure est passée de 53 à 366 millions de dollars. La pauvreté a augmenté en même temps que la richesse des 100 familles les plus riches de Port-au-Prince. La dépendance du pays à l'égard des USA a également augmenté par le biais de ses intermédiaires, les familles les plus riches de la demi-île, les habituels vendus qui n'ont jamais cessé de faire la fête avec du champagne.

Les cochons noirs ayant été éliminés du pays, le riz devint le produit alimentaire et commercial le plus important du pays. En 1990, les deux tiers de l'économie haïtienne dépendaient, d'une manière ou d'une autre, du riz. En 1994, formule mythologique d'un marché libre inexistant, les riziculteurs haïtiens feront faillite en masse lorsque le FMI et le président Bill Clinton les obligeront à éliminer les droits de douane sur les importations de riz. L'accord profitera aux riziculteurs de l'Arkansas, l'État natal du président Clinton, mais il ruinera les modestes riziculteurs de l'île, si bien que beaucoup, en désespoir de cause, prendront la mer pour trouver du travail ailleurs. Beaucoup vont sombrer dans les eaux des Caraïbes et dans l'oubli du monde développé.

Les explications des habitants du monde climatisé à cette réalité seront les mêmes que celles d'il y a un siècle sans climatisation. En 1918, le secrétaire d'État du président Woodrow Wilson, Robert Lansing, dans une lettre à l'amiral et gouverneur des îles Vierges, James Harrison Oliver, avait expliqué le problème : « Les expériences du Liberia et d'Haïti montrent que la race africaine n'a pas la capacité d'organisation politique et n'a pas l'intelligence pour organiser un gouvernement. Il y a sans doute dans leur nature une tendance à retourner au monde sauvage et à rejeter les chaînes de la civilisation qui gênent tant leur nature physique...... Le problème des Noirs est pratiquement insoluble ».

Après des siècles d'exploitation et de brutalité impériale, de l'empire français à l'empire usaméricain, après l'extermination des révolutions et des rébellions indépendantistes, et après des générations de dictatures fantoches, quelques Haïtiens parviennent au pays du succès. Aux USA, les moins performants diront que les perdants du monde viennent leur voler leur emploi et profiter de leurs luxueux hôpitaux. Personne ne dira que ce désespoir de fuir un pays brisé est une conséquence du communisme sur l'île. Ils ne diront pas non plus que c'est une conséquence du capitalisme dépendant. Comme avant la guerre froide, on dira que ce sont les défauts de la race noire.

Après avoir perdu le dictateur ami Jean-Claude Duvalier au profit des cochons de l'Iowa, Washington investira 2,8 millions de dollars pour soutenir le Conseil National de Gouvernement (CNG). Comme les escadrons de la mort soutenus par Washington dans les années 1960, les Tontons Macoutes, les forces paramilitaires vont maintenant terroriser le pays au nom de l'ordre. Les militaires et les paramilitaires vont tuer plus de pauvres Haïtiens que la dictature de Baby Doc Duvalier elle-même au cours des quinze dernières années. Lorsque Leslie Manigat (le candidat de la junte militaire pour le parti du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes) se présentera aux élections de 1988, seuls quatre pour cent de la population participera à la fête de la démocratie. Le président élu ne durera que quelques mois, mais la terreur du CNG durera encore quelques années.

Jusqu'à ce que le peuple haïtien insiste, et insiste, et insiste, et réussisse à élire le prêtre de la théologie de la libération Jean-Bertrand Aristide. Aristide a aboli l'armée en 1995 et Washington l'a destitué, pour la deuxième fois, en 2004. En 2017, Jovenel Moise, homme d'affaires prospère et candidat de Washington, rétablit les Forces armées d'Haïti et, après la fermeture du parlement en janvier 2020, gouverne par décret. Comme si l'armée ne suffisait pas dans son rôle traditionnel, des groupes paramilitaires harcèleront le reste des pauvres pour les maintenir au calme.

Rien de mieux qu'une bonne armée spécialisée dans la répression de son propre peuple pour corriger les erreurs du succès étranger.

 NdT

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Au début du 20e siècle, les États-Unis occupent Haïti. Derrière cette invasion, des banquiers américains avides de mettre la main sur les finances du pays.
Une enquête de
Selam GebrekidanMatt ApuzzoCatherine Porter et Constant Méheut dans le New York Times du 20/5/2022

05/03/2023

LUIS HERNANDEZ NAVARRO
Hugo Chávez, l’enfant pauvre de Sabaneta

 Un article publié au lendemain de la mort du président Chávez le 5 mars 2013

Hugo Chávez fut un personnage en chair et en os sorti du roman le plus fantaisiste de Gabriel García Márquez. Enfant pauvre de Sabaneta (capitale de l’État de Barinas) qui a juré de ne pas trahir son enfance de privations et de précarité, il a appris très jeune à confectionner et à vendre des friandises. Fils d’instituteurs qui avait grandi avec sa grand-mère Rosa Inés et deux autres de ses frères, il a vécu dans une maison au toit de palme, aux murs et au sol en terre, qui, avec la pluie, était inondée. Enfant, il rêvait d’être peintre et rêvait de jouer au base-ball dans les Grandes Ligues, Toute sa vie, ses origines humbles l’ont nourri.

Sa grand-mère, qu’il appelait Mamá Rosa, lui  a appris à lire et à écrire avant d’entrer à l’ école primaire. À ses côtés, il a appris les injustices de ce monde et a connu le dénuement et la douleur, mais aussi la solidarité. De ses lèvres -elle était une narratrice extraordinaire -, il a reçu ses premières leçons d’histoire nationale, mélangée à des légendes familiales.


L’enfant Hugo Chávez a voyagé par le monde à travers les illustrations et les histoires qu’il a lues dans les quatre grands et gros tomes de l’Encyclopédie Autodidacte Quillet, cadeau de son père. En dernière année de l’école primaire, il fut choisi pour faire un discours à l’évêque González Ramírez, le premier à arriver jusqu’à son village. Dès lors il prit goût à parler en public et les autres l’écoutaient avec intérêt.

Son idole fut Isaías Látigo [Fouet] Chávez, lanceur dans les Grandes Ligues. Il ne l’a jamais vu, mais il l’imaginait en suivant les matches à la radio. Le jour où son héros est mort dans un accident d’avion, le monde est tombé sur le jeune Hugo, âgé de 14ans.

Pour être comme le Látigo, le garçon de la brousse est entré dans l’armée. Ses qualités de base-balleur lui ont ouvert les portes de l’Académie Militaire en 1971. Quatre ans plus tard, il fut diplômé comme sous-lieutenant avec une licence en sciences et arts militaires, un diplôme en contre-insurrection, avec une boussole qui indiquait comme nord la direction du chemin révolutionnaire.

Sa prise de conscience fut un processus long et complexe, dans lequel se sont combinés lectures, une connaissance de personnages-clé, et événements politiques de l’Amérique Latine. Dans un des épisodes de réalisme magique qui ont marqué sa vie, en 1975, lors d’une opération le sous-lieutenant Chávez a trouvé à La Marqueseña, Barinas, une Mercedes Benz noire cachée dans la forêt. Après avoir ouvert le coffre avec un tournevis, il est tombé sur un arsenal subversif composé de livres de Karl Marx et de Vladimir Illich Lénine, qu’il a commencé à lire.

Quant à ce qui a contribué à forger ses attitudes politiques, Son frère ainé Adam, militant du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) a eu une influence décisive. Sa participation à une expérience éducative des forces armées appelée Plan Andrés Bello, destinée à offrir aux militaires une formation humaniste, joua aussi un rôle. De même, , la découverte de Simon Bolívar contribua à son éducation politique et la voracité intellectuelle de Chavez l’a conduit à lire tout document trouvé sur la biographie et la pensée du Libertador. Plus tard, l’influence de Fidel Castro, qu’il a traité comme s’il était son père, allait être définitive.

Le renversement de Salvador Allende en 1973 a provoqué chez lui un grand mépris envers les militaires de l’acabit d’Augusto Pinochet, si répandus en Amérique Latine. Au contraire, la connaissance de l’œuvre du panaméen Omar Torrijos et du Péruvien Juan Velasco Alvarado lui a montré l’existence d’un autre type de forces armées à vocation nationaliste et populaire, si différentes des gorilles formés à l’École des Amériques.

Rebelle aux outrages, il a découvert sous l’uniforme les abus et la corruption de ses dirigeants, et, il les a combattus comme il a pu « Je suis allé au Palais [présidentiel de Miraflores, NdT] pour la première fois – racontait Chavez – chercher une caisse de whisky pour la fête d’un officier ». Pour les dégager, lors l’anniversaire de la mort de Simon Bolívar en 1982, un petit groupe d’officiers, parmi lesquels se trouvait Chavez, a fait le serment de Samán de Güere, par lequel ils ont fondé le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire 200 (MBR200).

Presque sept ans plus tard s’est produit un soulèvement spontané des quartiers pauvres du Caracas contre les mesures d’austérité du gouvernement de Carlos Andrés Pérez. Le Caracazo a été écrasé dans le feu et le sang. La rébellion populaire a donné une grande impulsion au mouvement des militaires bolivariens.

En 1992, Chávez et ses compagnons se sont soulevés en armes. La révolte a échoué et Chavez est allé en prison. Il a assumé la responsabilité face aux médias. Sa popularité et son ascendant politique furent à partir de ce moment-là en hausse. Après avoir retrouvé la liberté, sa présence politique a vite progressé face à la déroute du système politique traditionnel. Il a gagné l’élection présidentielle de 1998 avec 56 % des voix. À partir de ce moment, personne n’a pu l’arrêter. À plusieurs reprises, il a gagné presque tous les élections et les referendums auxquels il a participé, et il a aussi miraculeusement survécu à un coup d’État et à une grève pétrolière.

Tout au long des presque 20 ans pendant lesquels il a dirigé l’État vénézuélien, le lieutenant-colonel a refondé son pays, il l’a décolonisé, il a rendu visibles les invisibles, il a redistribué la rente pétrolière, il a éradiqué l’analphabétisme et la pauvreté, il a élevé d’une manière incroyable les indices de santé, il a augmenté le salaire minimum et il a fait progresser l’économie. En même temps, sur la scène internationale, il a renforcé le pôle des pays pétroliers face aux grandes compagnies privées, il a fait dérailler le projet de zone de libre-échange pour les Amériques, l’ALCA, impulsé par Washington, il a créé un projet alternatif d’intégration continentale et il a établi les bases pour un socialisme en accord avec le nouveau siècle.

Hugo Chávez fut un communicateur formidable, un infatigable conteur d’histoires, un éducateur populaire. Ses récits, hérités des contes que Mamá Rosa lui offrait dans son enfance, qui mélangeaient histoire nationale, lectures théoriques, anecdotes personnelles, souvent en temps réel. Le sens de l’humour était toujours  présent. « Si ta femme te demande de te jeter par la fenêtre – blaguait-il – il est temps que tu déménages au rez-de-chaussée... »

Ses narrations suivaient le modèle classique des sonates musicales, où deux thèmes en contraste se développent dans des tonalités voisines. Dans ses discours il recourait de la même façon à la poésie et au chant. « Je chante très mal – se justifiait il – mais, comme l’a dit cet habitant des Llanos, Chávez chante mal, mais il chante joli », pour, ensuite, interpréter une chanson ranchera ou une ballade.

Antiimpérialiste, antinéolibéral, il a commencé à réaliser le miracle de construire les fondations de l’utopie dans un pays qui de manière imaginaire était plus près de Miami que de La Havane. Llanero pur jus, fabuliste infatigable, Chavez a rêvé de revivre l’idéal socialiste quand très peu de personnes souhaitaient en parler. Et il l’a fait, pour ne jamais trahir son enfance d’enfant pauvre de Sabaneta.