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16/08/2022

ROMAIN GARY
Dear Elephant, Sir:
A love letter to an old companion from the author of ‘Roots of Heaven’

Romain Gary, LIFE Magazine, 22 Dec. 1967

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You will probably wonder, reading this letter, what could have prompted a zoological specimen so deeply preoccupied with the future of his own species, to write it. The reason of course, is self-preservation. For a long time now I have had the feeling that our destinies are linked. In these perilous days of “the balance of terror,” of overkill and estimates telling how many of us could hope to survive a nuclear holocaust, it is only natural that my thoughts should turn to you. In my eyes, dear Elephant, sir, you represent to perfection everything that is threatened today with extinction in the name of progress, efficiency, ideology, materialism, or even reason, for a certain abstract, inhuman use of reason and logic are becoming more and more allies of our murderous folly. It seems clear today that we have been merely doing to other species, and to yours in the first place, what we are on the verge of doing to ourselves.


 We met for the first time almost a century ago in my nursery. We shared the same bed for many years, and I never went to sleep without kissing your trunk and then holding you tightly in my arms, until the day came when my mother took you away, telling me, with a certain absence of logic, that I was a big boy now and therefore could no longer have an elephant for a pet. Psychologists will no doubt say that my “fixation” on elephants goes back to that painful moment of separation, and that my longing for your company is actually a nostalgia for my long gone innocence and childhood. And, indeed, you are precisely that in my eyes: a symbol of purity, a dream of paradise lost, a yearning for the impossible, of man and beast living peacefully together.

Years later, somewhere in Sudan, we met again. I was returning from a bombing mission over Ethiopia, and brought down my damaged plane south of Khartoum, on the western bank of the Nile. I walked for three days to reach water and to have the most satisfying drink of my life, thus, as it turned out later, contracting typhoid and almost dying. You appeared before me among some meager acacia trees, and at first I thought I was a victim of hallucination. For you were red, dark red, from trunk to tail, and the sight of a red elephant sitting on his rear end and purring made my hair stand on end. Yes, you were purring. I have learned since then that this deep rumbling is a sign of satisfaction, and I suppose the bark of the tree you were eating was particularly delicious. It took me some time to realize that you were red from wallowing in the mud and that meant the proximity of water. I edged forward, and you became aware of my presence. You perked up your ears, and your head seemed to triple in size, while your whole mountain of a body disappeared behind those suddenly hoisted sails. You were no more than 60 or 70 yards from me and I could not only see your eyes but feel them, as if my stomach had eyes of its own. I was too weak to run. Besides, my exhaustion, fever and thirst were greater than my fear. I therefore did the only thing that I could do under the circumstances: I gave up. I have given up quite a few times, during the war, closing my eyes and waiting for death, and each time I have been given a medal for bravery.

When I opened my eyes again, you were asleep. I suppose you had not seen me or had taken one look at me and became overcome with boredom. Anyway, you were standing there, your trunk limp, yours ears collapsed, your eyes closed, and I remember that tears came to my eyes. I was seized by an almost irresistible urge to come close to you, to press your trunk against me, to huddle against your hide, and there, fully protected, to sleep peacefully forever. The strangest feeling came over me: I knew it was my mother who had sent you. She had relented at last and had given you back to me.

15/08/2022

DEIAA HAJ YAHIA
Comment des jeunes femmes palestiniennes tombent entre les pattes du crime organisé en Israël

Deiaa Haj Yahia, Haaretz, 15/8/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Deiaa Haj Yahia, journaliste de Nas Radio (Nazareth), participe à l'initiative Haaretz 21 visant à promouvoir les voix et les histoires de la communauté palestinienne d'Israël. @DeiaaHaj

Séduites par des promesses d'amour ou d'une vie meilleure, ces femmes sont ensuite utilisées de diverses manières : transfert d'argent, blanchiment d'argent et exploitation sexuelle. Certaines de ces jeunes femmes enfreignent volontairement la loi pour survivre.

Munah vient d'un foyer non normatif, voire brisé. Ses parents sont divorcés. Son père, un Palestinien qui a été impliqué dans des affaires de drogue et de harcèlement sexuel, a été emprisonné pendant 12 ans, après quoi il est retourné en Cisjordanie. Sa mère n'est pas présente dans sa vie.

Diana, du nord d'Israël. "J'achetais des vêtements pour mes amis et je les invitais, mais après que je me suis fait prendre, ils ont tous disparu. Photo de Rami Shllush  photoshopée par Masha Tzur Gluzman

Munah et ses deux sœurs ont été définies comme des jeunes à risque. Toutes trois se sont retrouvées à un moment donné dans des institutions fermées pour jeunes sous l'égide du ministère israélien du Travail, des Affaires sociales et des Services sociaux. À partir de ce point de départ, le chemin vers le monde du crime, la participation à des gangs de rue et les démêlés avec la justice a été court. Il semble que le fait le plus marquant de son CV soit qu'elle n'est pas en prison - du moins pour l'instant.

Aujourd'hui, Munah (un pseudonyme, comme tous les autres noms des jeunes femmes interrogées ici) a 20 ans et vit chez elle, grâce au programme de réhabilitation qu'elle a suivi. Elle avait été arrêtée pour trafic de drogue, mais a été condamnée en dernier ressort pour possession de drogue dans le cadre d'un accord de plaidoyer, ce qui lui a également donné l'espoir d'un avenir différent.

Diana, 19 ans. « J'étais comme un outil dans leurs mains - celles de mon petit ami et de son gang » . Photo de Rami Shllush et Moran Mayan-Jini, phptpshopée par MashaTzur Gluzman

Aujourd'hui, elle vit avec ses deux sœurs dans un pauvre appartement de l'un des pires quartiers de Haïfa. Il y a une télévision, deux canapés et entre eux un cendrier débordant de mégots. À côté de la cuisine encombrée et sale se trouvent quelques cartons et plusieurs bouteilles d'alcool vides. Munah s'assied dans un coin et commence à raconter son histoire.

Son “idylle” avec le monde du crime a commencé dans la rue, ce qui est également le cas d'un nombre croissant de jeunes femmes de la communauté palestinienne de 1948 (près de 400 affaires pénales ont été ouvertes contre des mineures arabes rien que l'année dernière).

Elle a 16 ans lorsqu'elle quitte l'internat géré par le département de la jeunesse du ministère des affaires sociales et découvre que sa vie n'a ni cadre ni encadrement. Un criminel local l'a abordée et lui a proposé de la prendre sous son aile - tout ce qu'elle devait faire était d'accomplir quelques tâches pour lui.

« Si quelqu'un m'avait entraînée là-dedans de force par la main, je n'aurais pas pris ce chemin », dit-elle maintenant. « Mais en tant que jeune femme qui ne connaissait rien du monde, cette amitié m'a fourni tout ce que je voulais, autrement dit tout ce qui me manquait depuis l'enfance ».

Qu'est-ce qui lui avait manqué ? De beaux vêtements, la possibilité de sortir pour s'amuser et d'autres petits plaisirs qui coûtent de l'argent. Soudain, ils étaient tous à portée de main, et gratuitement.

Cette histoire semble familière, voire très familière pour une conseillère principale d'une institution fermée pour jeunes qui s'est entretenue avec Haaretz. « Les filles sont impliquées dans tout cela en toute innocence », dit-elle. « Elles veulent l'attention qu'elles n'ont pas eue depuis l'enfance, et quand quelqu'un vient et la fournit, elles sont capables de faire n'importe quoi pour lui ».

Mais l'universitaire Nasreen Haddad Haj-Yahya, directrice du programme des relations arabo-juives à l'Institut israélien pour la démocratie, affirme que le tableau est plus vaste et beaucoup plus complexe que cela, puisque les motivations des jeunes femmes en question ne sont pas seulement liées au désir d'un style de vie plus luxueux, mais bien au désir de simplement survivre.

Une annpnce nécrologique dans la ville arabe israélienne de Taibeh. « Les criminels n'ont pas de ligne rouge quand il s'agit de ces filles », dit un criminel arabe . Photo de Tomer Appelbaum  photoshopée par  Aharon Erlich

DARIO MANNI/MARCO MAURIZI
L'animal et le boucher
Antispécisme, antimilitarisme et non-violence

 Dario Manni et Marco Maurizi, Spazi di Filosofia, n°7/2021, avril 2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala


Les animaux et la guerre

Les images de réfugiés ukrainiens portant dans leurs bras des animaux domestiques nous parlent d'une amitié profonde avec les autres espèces, de la possibilité d'une solidarité prête à risquer sa propre sécurité[ 1] . Certes, il s'agit aussi de propagande de guerre - utile pour présenter les Ukrainiens comme un peuple “bon” et “semblable à nous” par opposition aux Russes “violents” et “étrangers” - et il ne serait pas déplacé pour une personne antispéciste de rappeler qu'il s'agit tout de même d'animaux “familiaux”, une affection qui se construit dans la relation ambiguë entre le chien et son “maître” ; mais il est quand même difficile de ne pas être ému par cette solidarité et cette affection si exposées à la puissance des bombes.


La guerre est aujourd'hui médiatisée, dans sa quasi-totalité, et nous ne pouvons pas savoir ce qui se passe sur le terrain effectivement. Cependant, nous pouvons être sûrs que, peu importe qui gagne et qui finira par gagner, elle produit des ravages dans lesquels les animaux, pas moins que les humains, souffrent de manière indicible et meurent sans pitié. La guerre détruit notre “humanité”, dit-on. Ou bien exprime-t-elle ses contradictions au plus haut degré ? “Poutine est pire qu'un animal”, s'écrie Luigi Di Maio. Joe Biden lui fait écho : “Poutine est un boucher”. Tout est normal ? Lorsque le ministre des Affaires étrangères a prononcé cette phrase honteuse, nombreux sont ceux qui ont été indignés par cette violation du protocole. Mais il n'est venu à l'idée de personne de défendre les animaux pour l'horrible juxtaposition avec un autocrate impérialiste sans scrupules. Nous oublions un phénomène important qui doit être repensé : seuls les animaux humains font la guerre. Pourquoi ?

Indépendamment des réponses que l'on peut donner à cette question, il faut reconnaître que tout discours sur la guerre et la paix est incomplet et probablement infondé s'il l'élude. Mais avant de tenter d'en parler, nous pouvons provisoirement clarifier un point. La guerre est la destruction d'un ordre hiérarchique et oppressif et son remplacement par un autre qui n'est pas moins violent, pas moins injuste. Ceux qui s'opposent aux guerres aujourd'hui savent donc qu'il est nécessaire de construire un nouveau mouvement pacifiste, un nouvel internationalisme, de recommencer à parler de socialisme et de justice sociale au niveau mondial, car les véritables causes de la guerre résident dans la nature intrinsèquement conflictuelle de l'ordre social existant : le capitalisme multipolaire et ses idéologies  (le  néolibéralisme  occidental,  les  souverainismes  et nationalismes des différentes formes de capitalisme autoritaire, le système mixte chinois). Mais, et cela nous concerne en tant qu'antispécistes, nous avons le devoir de ne pas oublier cette question. Comment la question des animaux s'inscrit-elle dans cette perspective ? Pourquoi l'animal humain fait-il la guerre ? Que deviennent les animaux non humains dans un ordre social qui parvient à mettre fin au militarisme et à l'injustice mondiale ? Comment une société peut-elle considérer le mot “boucher” comme une épithète à accoler à juste titre à un criminel de guerre et, en même temps, comme l'une de ses activités quotidiennes les plus fondamentales ?

14/08/2022

GIDEON LEVY
La condescendance de la gauche israélienne

 

Gideon Levy, Haaretz, 13/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Quiconque a une alternative idéologique à offrir doit combattre la droite jusqu'au bout. Quiconque a un meilleur leadership à offrir doit faire tout son possible pour se retrouver au pouvoir. Le centre-gauche israélien, malheureusement, n'a ni l'une ni l'autre. Et pourtant, il mène une guerre contre la droite dirigée par le Likoud. Cette guerre est légitime, mais elle est en grande partie fondée sur la condescendance. C'est la seule munition qui reste lorsque le carquois est vide. C'est comme ça quand il n'y a pas d'alternative idéologique ou de leadership. La condescendance est l'arme des bidonneur·ses.

Les députés du parti travailliste entourent la cheffe du parti, Merav Michaeli, après les élections primaires du parti, mardi 9 août. Photo : Moti Milrod

 Le bloc de centre-gauche n'a aucune raison, et aucune justification, pour faire preuve de condescendance envers le Likoud, de se moquer de ses représentants et de ridiculiser ses électeurs. La qualité de la liste du Likoud à la Knesset, en moyenne, n'est pas inférieure à la qualité moyenne des listes de la plupart des autres partis. Le mécanisme qui sélectionne la composition de la liste est certainement le plus impressionnant de tous les partis par son ampleur et son caractère démocratique.

La condescendance envers le Likoud est non seulement infondée, mais elle contribue également à unir et à renforcer la droite. Il n'y a rien de tel que des sentiments d'infériorité et un sentiment d'humiliation pour remplir tout un camp politique d'une juste colère contre ceux qui suscitent ces émotions.

Les insultes ouvertes et cachées qu'une grande partie des médias continue de proférer à l'encontre des Bibi-istes, des babouins ou des Likoudniks de jardin sont un combustible dont le feu ne s'éteindra pas facilement. Ils n'oublieront pas ces humiliations, tout comme ils n'ont pas oublié les humiliations du Mapai dans les années 50 et 60. La droite est au pouvoir depuis une génération, mais la lutte contre elle est toujours celle de ceux qui se considèrent supérieurs à leurs propres yeux et des gens qu'ils considèrent inférieurs à eux.

Le Likoud a organisé une primaire. Elle a été aussi correcte, populaire et démocratique qu'il est possible de le faire dans un État d'apartheid et compte tenu des marchandages politiques qui ont cours en Israël. Avant même que les votes ne soient comptés, le refrain a commencé : le parti d'un seul homme, une mauvaise liste remplie de béni-oui-oui. Il est inutile de mentionner comment les candidats sont choisis à Yesh Atid, Nouvel Espoir, Blanc-Bleu ou Yisrael Beiteinu. On peut d’ailleurs se demander comment il se fait que la règle du règne d'une seule personne de ces partis, qui a également des éléments d'un culte de la personnalité, ne suscite guère de critiques de la part des fervents de la démocratie vantée d'Israël.

Il y a autant de béni-oui-oui dans ces partis que dans le Likoud, et toute personne qui sort du rang est renvoyée sommairement. Le régime du Mapai, avec ses infâmes comités d'arrangements, était un modèle de démocratie comparé à la méthode soi-disant démocratique de sélection des candidats de Yair Lapid, Avigdor Liberman, Benny Gantz ou Gideon Sa'ar, ces guerriers déterminés contre Benjamin Netanyahou au nom du souci de la démocratie.

Le centre-gauche n'a pas non plus matière à condescendance envers le Likoud en termes d'élus. La qualité des politiciens israéliens est faible, et souvent honteuse, mais le Likoud n'a pas à rougir de la comparaison avec les autres listes. Amir Ohana est-il une figure moins impressionnante que Nitzan Horowitz ? Galit Distal Atbaryan est-elle vraiment une députée aussi ridicule qu'elle est souvent dépeinte ? En quoi est-elle pire qu'Efrat Rayten ? Et David Amsalem, en quoi est-il pire que Mickey Levy ? Et Danny Danon que Meir Cohen ? Merav Ben Ari est-elle meilleure, à tous points de vue, que Gila Gamliel ?

Si seulement nous avions des candidats plus impressionnants, sérieux et courageux sur les listes - tel est le visage de la politique israélienne - mais penser que nous avons une liste de Bibi-istes face à une liste de réformateurs, de babouins contre des démocrates, d'invertébrés contre des vertébrés est ridicule et exaspérant.

Les prochaines élections ne sont porteuses d'aucune promesse, quels que soient leurs résultats. Israël continuera sur sa lancée. Il n'y a pas lieu de prêter beaucoup d'attention aux campagnes d'épouvante anti-Likoud. Le ciel ne tombera pas. Il n'y a pas non plus de raison d'aspirer à un régime centriste. Aucune nouvelle aube ne se lèvera. Mais lorsqu'un camp est condescendant envers un autre, sans raison apparente, il dit en fait : je n'ai rien à t'offrir, à part de la condescendance. 

 

 

13/08/2022

FRANCO "BIFO" BERARDI
Abandonne les illusions et prépare-toi au combat
Rien à attendre des élections italiennes de septembre

 Franco “Bifo” Berardi, Opera Viva, 13/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des élections générales anticipées auront lieu le 25 septembre 2022 en Italie afin d'élire 200 sénateurs et 400 députés, suite à la crise qui a conduit à la démission du gouvernement “ramasse-tout” de Draghi. On assiste à la montée en puissance du parti (post-, néo- ?) fasciste Fratelli d'Italia (Frères d'Italie) dirigé par Giorgia Meloni, qui a bénéficié de sa situation de seul parti parlementaire à ne pas participer à la "draghionnade covidienne "et donc a joué le rôle d'unique parti d'opposition au "système" géré par le "centre-gauche", autrement dit les anciens communistes et satellites. Avec la Ligue (ex-lombarde, ex-du Nord), Forza Italia (Berlusconiens) et Noi moderati (Nous les modérés, résidus de chrétiens-démocrates), les Frères d'Italie ont conclu un accord pour un “gouvernement des Patriotes” qui fait froid dans le dos. Face à eux, le centre-gauche”, qui en appelle rituellement à l’antifascisme, ne vaut gère mieux, écrit Bifo-FG

Istubalz, What Appears Is Good (2021)

L'argument avec lequel le centre-gauche nous appelle à voter est l'antifascisme. Et ça te paraît rien ? répond ma voix intérieure. Non, non, réponds-je moi-même à ma voix intérieure. C'est très important. Tant que cet appel ne vient pas de ceux qui ont les mêmes programmes que les fascistes, sinon cet appel sonne creux, surtout pour les moins de soixante- dix ans. Donc, si vous le permettez, j'aimerais mieux comprendre. Quelles sont les autres questions sur lesquelles le centre-gauche nous appelle à voter ? Que peuvent dire ces démocrates, qui nous demandent de voter, sur le travail, l'école, les droits humains, la paix, après avoir perdu en route deux favoris de la Confindustria [Confédération patronale, NdT] qui ont été, l'un secrétaire du PD et l'autre ministre du PD et qui s'agitent maintenant au centre pour se faire remarquer ?

Dans un premier temps, je me demanderai donc qui a détruit le pouvoir de négociation du travail en précarisant chaque moment du temps social ? Le nom qui vient à l'esprit est celui du Tony Blair italien, secrétaire du Parti démocrate et Premier ministre Matteo Renzi. Il s'agit du Jobs Act qui systématise la déréglementation du travail. Lui et son parti, qui est aujourd'hui dirigé par Enrico Letta. Je ne sais pas si Letta a l'intention de suivre les traces de Yolanda Diaz [ministre du Travail et de l’Économie sociale,  PCE, NdT] qui, en Espagne, a rétabli pour les travailleurs les garanties que les démocrates italiens ont annulées. De ce point de vue, je ne vois pas pourquoi je devrais voter pour le centre-gauche. Et comme moi, la majorité des travailleurs italiens qui votent pour Giorgia Meloni, et il doit y avoir une raison.

Je me demande alors qui a lancé le processus de privatisation du système scolaire qui a appauvri l'école publique ? Le nom qui me vient à l'esprit est celui d'Antonio Laforgia, gouverneur de la région Emilia Romagna, qui, avec la loi Rivola, a été le premier à reconnaître la soi-disant parité des écoles publiques, ce qui a en fait ouvert la voie au démantèlement du système public auquel la ministre Gelmini a contribué avec les maxi- coupes de 2008. La privatisation de tout est l'idéal de tous les démocrates, à commencer par Pier Luigi Bersani lui-même, droit dans ses bottes [ancien président de la Région Émilie-Romagne et plusieurs fois ministre, Parti démocrate, NdT].

En ce qui concerne les droits humains, je réfléchis à la question de la migration, au droit de refuge pour ceux qui fuient des pays détruits par des guerres lancées par l'Occident (et régulièrement soutenues par des gouvernements de centre-gauche). Bien sûr, je pense immédiatement à l’énergumène  Matteo Salvini, qui représente le centre-droit et qui a hâte de noyer de ses propres mains quelques dizaines de milliers de personnes. Mais je me souviens alors que celui qui a construit le dispositif juridique et politique pour noyer les gens et les livrer aux mains des tortionnaires libyens n'était pas l’énergumène  Salvini, mais le camarade Marco Minniti, qui dirige aujourd'hui Med-Or, la fondation de Leonardo, un fabricant d'armes de premier plan dans le secteur de l'aéronautique et de la sécurité.

C'est Minniti qui est le principal responsable de la mort de dizaines de milliers de migrants cherchant le salut de l’autre côté de la mer. Bien sûr, Salvini le remercie car il lui a fourni les instruments juridiques pour le refoulement systématique et la détention dans les camps de concentration, pour la clandestinité obligatoire et l'esclavage dans les champs de tomates du sud. En outre, je n'oublie pas que le parti démocrate a reporté, oublié, omis à plusieurs reprises de porter au vote la délibération sur la question du droit du sol, qui permettrait à huit cent mille Italiens à la peau pas parfaitement blanche d'avoir les mêmes droits que les autres Italiens, ceux qui sont immaculés.

Enfin, je me demande : qu'en est-il de la paix ? Le centre-gauche sera-t- il au moins un peu moins horrible sur ce point que les amis de Poutine convertis à la cause de la nation européenne dès que la guerre a sonné ses trompettes ? Malheureusement, je dois l'admettre : le plus belliciste de tous est certainement le doucereux Enrico Letta. C'est le centre-gauche qui appelle à la guerre, veut la guerre, et proclame à tue-tête sa loyauté indéfectible envers l'OTAN, que le président Macron déclarait en état de mort cérébrale il y a seulement un an, mais qui s'est maintenant levée comme un seul zombie pour armer le bataillon Azov, afin de poursuivre ad vitam aeternam une guerre meurtrière.

Je me demande donc pourquoi je devrais voter pour le centre gauche. Je suis déconcerté. Mais au moins, me dis-je, ils ne seront pas aussi ignorants, ils ne seront pas aussi hautains. Si le centre-gauche de Letta gagnait, me dis-je, nous aurions au moins des dirigeants qui savent de quoi ils parlent, qui connaissent l'histoire et qui choisissent le progrès plutôt que la guerre et la violence. Puis j'écoute la déclaration d'Enrico Borghi, membre du secrétariat du PD. Borghi a déclaré aujourd'hui que « la droite se dit atlantiste, mais avec cette droite, nous n'allons pas vers Washington, mais plutôt vers Bogotá ». J'aimerais mieux comprendre si ce Borghi préfère les escadrons paramilitaires d'Alvaro Uribe ou la répression armée de Duque à un président progressiste élu par la grande majorité des électeurs colombiens.

Mais la phrase de Borghi signifie avant tout que son idéal est Washington, comme le montre le soutien que les démocrates italiens ont apporté à la guerre en Afghanistan, à la guerre en Irak, et au massacre de centaines de milliers de civils, et comme le montre le soutien que les démocrates italiens ont apporté et apportent au régime raciste et colonialiste d'Israël qui tue quelques Palestiniens chaque jour. Mais peut-être que la phrase qui s'est échappée de la poitrine de Borghi signifie seulement que la classe politique démocrate est composée d'ignorants comme le ministre des Affaires étrangères Di Maio d’après lequel il y a, au Venezuela, un dictateur appelé Pinochet.

Chers démocrates de mes deux, à Bogotá, il y a un président qui s'appelle Gustavo Petro, élu par la grande majorité des électeurs, un président qui, pour la première fois, propose d'apporter la paix là où il y a eu une guerre civile pendant cent cinquante ans. Je ne sais pas si Petro réussira son programme, ce que je sais c'est qu'il essaie de défendre le genre humain contre les bêtes sauvages, les exploiteurs au service desquels sont Enrico Borghi et Enrico Letta. J'ai décidé de ne pas voter pour eux, même si je sais très bien qu'un régime para-fasciste meurtrier est en préparation. Mais les tortionnaires sont des deux côtés. Alors je me suis dit : ne vote ni pour l'un ni pour l'autre. Abandonne les illusions et prépare-toi au combat.

“Armons l’Ukraine !” : un cri du cœur unanime de Letta et Meloni -Dessin de Paride

 

MARCO MAURIZI
Travail enseignant et émancipation sociale : ce n’est pas une “mission”
L'école de la crise

 Marco Maurizi, KulturJam, 17/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La crise scolaire ne fait qu'un avec la crise générale dans laquelle nous avons sombré. Mais les écoles doivent recommencer à penser la crise comme un moment constitutif de la société dans son ensemble.

Reconnaissance, par Mauro Biani

L'école de la crise

Tout enseignant reconnaît tôt ou tard le danger de comprendre son travail comme une “mission”, c'est-à-dire l'idée que tout sacrifice personnel peut être justifié par un objectif plus élevé et plus noble.

Face à cela, l'idée que le travail enseignant est avant tout un "travail" est un point qui doit être rappelé avec force. Et pourtant, de quel genre de travail s'agit-il ? Quelle est sa forme, son but, son essence ?

Ce sont des questions auxquelles il n'est pas facile de répondre mais qui ne peuvent manquer d'être posées. Curieusement, ce sont aussi celles qui sont régulièrement éludées par la réflexion sur l'école, en premier lieu par la réflexion psychopédagogique qui s'est toujours efforcée de trouver des “solutions”, régulièrement infructueuses, aux problèmes posés par la crise permanente de l'institution scolaire.

Bien sûr, l'enseignant, en tant que travailleur, sait qu'il y a des aspects de son travail qui ne diffèrent pas essentiellement de ceux des autres travailleurs et qui sont régulièrement abordés par les syndicats : ils concernent le pouvoir d'achat des salaires, les conditions de sécurité, les horaires de travail, etc.

Cependant, face à cette “protection” qui, malgré tous les revers évidents dus à l'évolution des rapports de force de ces dernières décennies, parvient encore à endiguer des changements substantiels et aggravants dans le travail enseignant au niveau juridique, il est impossible d'échapper au sentiment que ces changements ont néanmoins eu lieu et sont venus d'une autre direction.

Si, par exemple, les enseignants peuvent dire que le temps qui correspond au salaire versé n'a pas substantiellement changé, l'aggravation décisive qu'ils ressentent à fleur de peau tient avant tout à la qualité de ce temps. Les enseignants ont le sentiment de travailler plus et moins bien alors que leur contrat ne s'est pas détérioré juridiquement. Pourquoi ? Et comment cela a-t-il été possible ?

-L'école doit développer l'esprit critique
-Pourquoi ? L'esprit critique, ça ne se mange pas
Mauro Biani

 

Travail improductif-critique

Tout d'abord, il est nécessaire de réfléchir au fait que le métier d'enseignant n'est certes pas une “mission” mais ce n'est pas non plus un métier comme les autres. Il a une spécificité propre qui tient à sa nature d'emploi essentiellement intellectuel, ainsi qu'au fait qu'il constitue une part importante en termes quantitatifs et qualitatifs de la fonction publique.

L'enseignant n'est pas un travailleur subordonné quelconque, il n'est pas un indépendant, mais il n'est pas non plus un simple fonctionnaire exécutant des tâches fixées d'en haut : dans une ligne idéale qui le relie à la figure du chercheur universitaire et de l'intellectuel, l'enseignant représente une figure insaisissable dans laquelle convergent des tendances contradictoires de la société contemporaine. Elle représente, précisément pour cette raison, le site exemplaire d'un affrontement politique persistant.

La réponse à la question “Qu'est-ce que le travail enseignant ?” est donc avant tout d'une réponse politique puisqu'elle met inévitablement en jeu non seulement le sens et la fonction de l'école dans la société mais l'idée même de société dans laquelle l'école doit fonctionner. C'est précisément sur cette nature très particulière du travail enseignant que se greffent à la fois son potentiel critique et la nécessité d'une attaque, poursuivie depuis des décennies, contre son autonomie.

D'une part, il convient en effet de rappeler de manière marxienne que le travail enseignant est une des formes de travail improductif puisqu'il ne produit ni valeur ni profit ; au contraire, il est une des manières dont la valeur produite dans la sphère matérielle est réinvestie au niveau social global. Les formes et les retombées de cet investissement de la richesse dépendent précisément des relations de pouvoir politique dans la société.

Dans les années 60 et 70, dans une période de conflit et de promotion sociale des classes subalternes, il a été possible de stimuler, à travers l'expansion de l'éducation publique et un rôle fort de l'école et du corps enseignant en général, le protagonisme de ces classes : l'école de masse “démocratique” signifiait en même temps la diffusion de la connaissance et de la culture, l'augmentation de la mobilité sociale et le potentiel critico-conflictuel de ces mêmes masses.

D'autre part, et par voie de conséquence, le caractère improductif du travail intellectuel en général signifie non seulement qu'il n'est pas chargé de tâches pratiques immédiates relevant de la sphère de la production matérielle, mais qu'il a aussi inévitablement pour objet la réflexion critique sur son propre rôle et ses relations avec cette même sphère de production.

En d'autres termes, l'enseignant, tout comme le chercheur universitaire et l'intellectuel, non seulement ne peut pas être invité à “faire” - la genèse et la transmission de la connaissance ne peuvent jamais s'inscrire dans un simple schéma productif, mais nécessitent quelque chose qui se situe dans l'ordre de la liberté et de la créativité - mais il doit surtout être conscient du sens et de la finalité du “faire” en général.