Franco “Bifo” Berardi, Opera Viva, 13/8/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Des élections générales
anticipées auront lieu le 25 septembre 2022 en Italie afin d'élire 200
sénateurs et 400 députés, suite à la crise qui a conduit à la démission du
gouvernement “ramasse-tout” de Draghi. On assiste à la montée en puissance du
parti (post-, néo- ?) fasciste Fratelli d'Italia (Frères d'Italie) dirigé
par Giorgia Meloni, qui a bénéficié de sa situation de seul parti parlementaire à
ne pas participer à la "draghionnade covidienne "et donc a joué le
rôle d'unique parti d'opposition au "système" géré par le
"centre-gauche", autrement dit les anciens communistes et satellites. Avec la Ligue
(ex-lombarde, ex-du Nord), Forza Italia (Berlusconiens) et Noi moderati (Nous
les modérés, résidus de chrétiens-démocrates), les Frères d'Italie ont conclu
un accord pour un “gouvernement des Patriotes” qui fait froid dans le dos. Face
à eux, le “centre-gauche”, qui en appelle rituellement à l’antifascisme, ne
vaut gère mieux, écrit Bifo-FG
Istubalz,
What Appears Is Good (2021)
L'argument
avec lequel le centre-gauche nous appelle à voter est l'antifascisme. Et ça te
paraît rien ? répond ma voix intérieure. Non, non, réponds-je moi-même à ma
voix intérieure. C'est très important. Tant que cet appel ne vient pas de ceux
qui ont les mêmes programmes que les fascistes, sinon cet appel sonne creux,
surtout pour les moins de soixante- dix ans. Donc, si vous le permettez,
j'aimerais mieux comprendre. Quelles sont les autres questions sur lesquelles
le centre-gauche nous appelle à voter ? Que peuvent dire ces démocrates, qui
nous demandent de voter, sur le travail, l'école, les droits humains, la paix,
après avoir perdu en route deux favoris de la Confindustria [Confédération
patronale, NdT] qui ont été, l'un secrétaire du PD et l'autre ministre du PD et
qui s'agitent maintenant au centre pour se faire remarquer ?
Dans un
premier temps, je me demanderai donc qui a détruit le pouvoir de négociation du
travail en précarisant chaque moment du temps social ? Le nom qui vient à
l'esprit est celui du Tony Blair italien, secrétaire du Parti démocrate et
Premier ministre Matteo Renzi. Il s'agit du Jobs Act qui systématise la
déréglementation du travail. Lui et son parti, qui est aujourd'hui dirigé par
Enrico Letta. Je ne sais pas si Letta a l'intention de suivre les traces de
Yolanda Diaz [ministre du Travail et de l’Économie sociale, PCE, NdT] qui, en Espagne, a rétabli pour les
travailleurs les garanties que les démocrates italiens ont annulées. De ce
point de vue, je ne vois pas pourquoi je devrais voter pour le centre-gauche.
Et comme moi, la majorité des travailleurs italiens qui votent pour Giorgia
Meloni, et il doit y avoir une raison.
Je me
demande alors qui a lancé le processus de privatisation du système scolaire qui
a appauvri l'école publique ? Le nom qui me vient à l'esprit est celui
d'Antonio Laforgia, gouverneur de la région Emilia Romagna, qui, avec la loi
Rivola, a été le premier à reconnaître la soi-disant parité des écoles
publiques, ce qui a en fait ouvert la voie au démantèlement du système public
auquel la ministre Gelmini a contribué avec les maxi- coupes de 2008. La
privatisation de tout est l'idéal de tous les démocrates, à commencer par Pier
Luigi Bersani lui-même, droit dans ses bottes [ancien président de la Région
Émilie-Romagne et plusieurs fois ministre, Parti démocrate, NdT].
En ce qui
concerne les droits humains, je réfléchis à la question de la migration, au
droit de refuge pour ceux qui fuient des pays détruits par des guerres lancées
par l'Occident (et régulièrement soutenues par des gouvernements de
centre-gauche). Bien sûr, je pense immédiatement à l’énergumène Matteo Salvini, qui représente le centre-droit
et qui a hâte de noyer de ses propres mains quelques dizaines de milliers de
personnes. Mais je me souviens alors que celui qui a construit le dispositif
juridique et politique pour noyer les gens et les livrer aux mains des
tortionnaires libyens n'était pas l’énergumène Salvini, mais le camarade Marco Minniti, qui
dirige aujourd'hui Med-Or, la fondation de Leonardo, un fabricant d'armes de
premier plan dans le secteur de l'aéronautique et de la sécurité.
C'est Minniti
qui est le principal responsable de la mort de dizaines de milliers de migrants
cherchant le salut de l’autre côté de la mer. Bien sûr, Salvini le remercie car
il lui a fourni les instruments juridiques pour le refoulement systématique et
la détention dans les camps de concentration, pour la clandestinité obligatoire
et l'esclavage dans les champs de tomates du sud. En outre, je n'oublie pas que
le parti démocrate a reporté, oublié, omis à plusieurs reprises de porter au
vote la délibération sur la question du droit du sol, qui permettrait à huit
cent mille Italiens à la peau pas parfaitement blanche d'avoir les mêmes droits
que les autres Italiens, ceux qui sont immaculés.
Enfin,
je me demande : qu'en est-il de la paix ? Le centre-gauche sera-t- il au moins
un peu moins horrible sur ce point que les amis de Poutine convertis à la cause
de la nation européenne dès que la guerre a sonné ses trompettes ?
Malheureusement, je dois l'admettre : le plus belliciste de tous est
certainement le doucereux Enrico Letta. C'est le centre-gauche qui appelle à la
guerre, veut la guerre, et proclame à tue-tête sa loyauté indéfectible envers
l'OTAN, que le président Macron déclarait en état de mort cérébrale il y a
seulement un an, mais qui s'est maintenant levée comme un seul zombie pour armer le
bataillon Azov, afin de poursuivre ad vitam aeternam une guerre meurtrière.
Je me
demande donc pourquoi je devrais voter pour le centre gauche. Je suis
déconcerté. Mais au moins, me dis-je, ils ne seront pas aussi ignorants, ils ne
seront pas aussi hautains. Si le centre-gauche de Letta gagnait, me dis-je,
nous aurions au moins des dirigeants qui savent de quoi ils parlent, qui
connaissent l'histoire et qui choisissent le progrès plutôt que la guerre et la
violence. Puis j'écoute la déclaration d'Enrico Borghi, membre du secrétariat
du PD. Borghi a déclaré aujourd'hui que « la droite se dit atlantiste,
mais avec cette droite, nous n'allons pas vers Washington, mais plutôt vers Bogotá ». J'aimerais mieux comprendre si ce Borghi préfère les escadrons
paramilitaires d'Alvaro Uribe ou la répression armée de Duque à un président
progressiste élu par la grande majorité des électeurs colombiens.
Mais la
phrase de Borghi signifie avant tout que son idéal est Washington, comme le
montre le soutien que les démocrates italiens ont apporté à la guerre en
Afghanistan, à la guerre en Irak, et au massacre de centaines de milliers de
civils, et comme le montre le soutien que les démocrates italiens ont apporté
et apportent au régime raciste et colonialiste d'Israël qui tue quelques
Palestiniens chaque jour. Mais peut-être que la phrase qui s'est échappée de la
poitrine de Borghi signifie seulement que la classe politique démocrate est
composée d'ignorants comme le ministre des Affaires étrangères Di Maio d’après
lequel il y a, au Venezuela, un dictateur appelé Pinochet.
Chers
démocrates de mes deux, à Bogotá, il y a un président qui s'appelle Gustavo
Petro, élu par la grande majorité des électeurs, un président qui, pour la
première fois, propose d'apporter la paix là où il y a eu une guerre civile
pendant cent cinquante ans. Je ne sais pas si Petro réussira son programme, ce
que je sais c'est qu'il essaie de défendre le genre humain contre les bêtes
sauvages, les exploiteurs au service desquels sont Enrico Borghi et Enrico
Letta. J'ai décidé de ne pas voter pour eux, même si je sais très bien qu'un
régime para-fasciste meurtrier est en préparation. Mais les tortionnaires sont
des deux côtés. Alors je me suis dit : ne vote ni pour l'un ni pour l'autre.
Abandonne les illusions et prépare-toi au combat.
“Armons l’Ukraine !” : un cri du cœur unanime de
Letta et Meloni -Dessin de Paride