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16/02/2023

GIDEON LEVY
La mort ignoble de Haroun Abou Aram

Gideon Levy, Haaretz, 16/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

C’était l’une des images les plus horribles que j’aie rencontrées sous l’occupation israélienne. Sur le sol d’une grotte sombre gisait un beau jeune homme, ses jambes très maigres soulevées sur une chaise en plastique, un tuyau de drainage de flegme planté dans son cou, sa tête enveloppée dans une serviette, ses yeux fermés, une couche sur ses reins. Son père se tenait au-dessus de lui, essuyant la sueur de son visage, sa mère était assise dans un coin de la grotte, son visage en disait long. Il est resté allongé comme ça, sans bouger, sans lit, sans électricité et sans eau courante, pendant deux ans. Deux ans et 43 jours, pour être précis.

 

Haroun Abou Aram avec son père, Rasmi. Photo : Alex Levac

Mardi matin 14 février, à 10 heures, Haroun Abou Aram est mort. Depuis que je l’avais vu l’été dernier, une de ses jambes avait été amputée. Maintenant, les médecins étaient sur le point d’amputer la seconde. Il est mort à l’hôpital d’Hébron d’une infection qui s’était propagée dans son corps à cause des escarres causées par le fait d’être resté couché sur le sol de la grotte pendant deux ans, et d’autres complications. Au cours des deux dernières semaines de sa vie misérable, il a été hospitalisé à Hébron, jusqu’à sa mort cette semaine.

Lorsque nous lui avons rendu visite dans la grotte l’ été dernier, Alex Levac et moi, il faisait semblant de dormir. Quand il a finalement ouvert les yeux, il nous a seulement demandé de sortir. Un an et demi plus tôt, le 1er  janvier 2021, il a eu son 23e  anniversaire. Ce jour-là, sa vie s’est arrêtée. Un soldat israélien lui a tiré dans le cou à bout portant et l’a rendu paralysé à partir du cou pour le reste de sa courte vie. Haroun avait tenté de sauver le générateur des voisins, que le soldat était sur le point de confisquer par la force.

Sans le générateur, il n’y a pas de vie dans la communauté de bergers  de Khirbet Al Rakiz, au sud du Jebel Al Khalil (mont Hébron). Haroun a essayé d’arracher le générateur des mains du soldat, qui l’a abattu. Les FDI affirmeront plus tard que le soldat a senti que sa vie était en danger. Un soldat armé a senti que sa vie était menacée par un berger non armé, qui ne voulait rien d’autre que sauver le générateur de ses voisins - c’est ce que prévoit le code de conduite des soldats des FDI.

Selon le code éthique de cette même armée, le soldat n’a jamais été jugé pour quoi que ce soit. L’enquête a été close, le soldat a continué sa vie comme si rien de grave ne s’était produit.

La punition minimale qu’il aurait dû recevoir aurait été d’être obligé de rendre visite à sa victime. De regarder sa victime en face et de voir ce qu’il lui a fait. Mais Harun a été jeté et abandonné sur le sol de la grotte où vivent ses parents. Environ un an avant qu’il ne soit blessé, la maison de la famille avait été démolie par l’administration “civile”.

Au cours des deux années qui ont suivi, l’administration “civile” n’a pas permis à la famille de construire une route d’accès pour permettre à Haroun d’être déplacé, ni de construire une pièce où il pourrait vivre dans des conditions un peu plus humaines. C’était avant que le croquemitaine de la gauche sioniste, Bezalel Smotrich, ne soit nommé ministre en charge de l’administration “civile”.

Après que Haroun a été blessé, les autorités ont également retiré le permis de travail de son père - pour la construction de routes en Israël - par crainte qu’il ne cherche à se venger, et la famille s’est retrouvée sans soutien de famille. Mais ce n’était pas la fin de leurs galères. Israël a refusé de reconnaître la blessure d’Haroun et de financer ses soins médicaux et infirmiers, affirmant que l’État n’était pas “responsable des dommages”. Aucune responsabilité pour les dommages, aucune responsabilité pour quoi que ce soit, aucune culpabilité et aucune réparation. Vous cherchez le visage du mal israélien ? Sa victime a été jetée dans une grotte à Khirbet A Rakiz pendant deux ans.

L’histoire d’Haroun n’a suscité aucun intérêt en Israël - à l’exception de Médecins pour les droits humains, qui a collecté des dons pour l’hospitaliser en Israël pendant quelques mois, et d’un merveilleux groupe de volontaires israéliens qui se sont engagés à aider la famille. Ils ont continué à le faire avec un dévouement sans fin jusqu’à ses derniers instants.

Hier, Arela, du kibboutz Shoval a écrit sur Facebook qu’elle était sur le point de lui rendre visite à l’hôpital mardi, mais lorsqu’elle a appelé son père pour coordonner la visite, on lui a annoncé son décès.

« La mère Farsi et le père Rasmi, ses frères et sœurs, tous ont consacré leur vie à lui et l’ont perdu aujourd’hui. Je l’ai perdu aussi, nous l’avons perdu. Il était comme un fils pour nous ».  Haroun est mort dans une terrible agonie, il avait l’habitude de pleurer la nuit et pendant la journée, il fermait les yeux et faisait semblant de dormir. Israël aussi a fermé les yeux. Quelle ignominie.        

 

 

14/02/2023

GIDEON LEVY
L’armée israélienne fait du sauvetage en Turquie mais passe la Cisjordanie au bulldozer

Gideon Levy, Haaretz, 12/2/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les yeux se mouillent d'émotion, le cœur se gonfle de fierté : Les soldats des Forces de défense israéliennes ont récupéré les corps de deux Juifs qui ont été tués à Antakya. Les yeux se mouillent, le cœur se gonfle : L'opération Rameau d'olivier a sorti un garçon de 9 ans des décombres vendredi soir. Une équipe des FDI a sauvé 19 personnes.

Des soldats des Forces de défense israéliennes cherchent des survivants à la suite d'un tremblement de terre meurtrier, à Kahramanmaras, en Turquie, vendredi. Photo : RONEN ZVULUN/ REUTERS

 

Comme tout ce qui se passe dans les FDI, l'opération porte un nom enfantin et bénéficie des relations publiques de la plus grande agence de relations publiques du pays, l'unité du porte-parole des FDI. Israël n'est devancé que par l'Azerbaïdjan pour l'ampleur de la mission de sauvetage qu'il a envoyée en Turquie. Il est peu probable que le principal titre du journal le plus diffusé d'Azerbaïdjan ait été vendredi « Une mission morale », comme l'a été celui du journal Israel Hayom [tabloïd gratuit]. Le cœur se gonfle de fierté.

 

Ce que les FDI font en Turquie ne peut qu'inspirer l'admiration. Creuser des décombres en terre étrangère jour et nuit, puis fournir des soins médicaux aux survivants, avec un dévouement sans fin, et dans un pays pourtant semi-hostile. Félicitations aux FDI.

 

Mais n'est-ce pas les FDI que nous connaissons ? Les mêmes FDI qui nous choquent ? Elles sauvent des enfants en Turquie et tuent des enfants en Cisjordanie ; elles creusent dans des décombres pour retrouver des cadavres turcs, et enlèvent des dizaines de cadavres palestiniens pour les stocker dans des réfrigérateurs ; elles déblaient les ruines de maisons détruites par un tremblement de terre et démolissent des centaines de maisons par an avec leurs propres bulldozers. Il ne serait pas surprenant que certains des soldats israéliens qui ont été envoyés en Turquie soient les mêmes que ceux qui rasent les bâtiments dans les villages de Masafer Yatta. Peut-être l'officier qui a scellé la maison d'A-Tor devant les caméras de télévision est-il en train de déblayer soigneusement les décombres en Turquie ?

 

Voilà ce qu'émet l'armée israélienne : une émotion singulière, morale, inspirant la fierté. Bien sûr, elle le fait par sens de la mission, mais il est impossible de cacher l'effort transpirant pour tirer également des bénéfices d'une opération humanitaire. Comme il est émouvant de ramener les corps de Fortuna et Saul Cenudioglu d'Antakya pour les enterrer en Israël - et que dire du corps de Wadi' Abu Ramuz, 17 ans, de Silwan, qu'Israël a arraché ? Il n'y a pas besoin de creuser pour l'enterrer, il suffit de le sortir du réfrigérateur où il était placé. Et que dire des centaines de corps enlevés par les FDI à des familles condamnées à pleurer leurs proches sans sépulture ?

 

Il est difficile de comprendre comment une armée aussi brutale et parfois barbare peut soudainement changer de visage pour devenir l'armée du salut. Les mêmes commandants, les mêmes soldats, les mêmes uniformes : sauver et tuer, réhabiliter et raser, sauver des ruines et, du même coup, détruire les autres. Il n'y a pas de différence entre la victime d'un tremblement de terre et la victime d'une démolition en ce qui concerne le désastre qui les a frappées : Toutes deux se retrouvent sans abri, sans rien.

 

Le jour où l'équipe des FDI a été photographiée en route pour la Turquie, la démolition d'un immeuble d'habitation à Silwan était planifiée : 12 appartements, 77 nouveaux sans-abris, dont 12 enfants. Les FDI leur fourniront-elles aussi une aide humanitaire, après leur séisme personnel ?

 

C'est ainsi que nous aimons apparaître, les plus humains, les plus secourables. Nous nous rendons dans une zone sinistrée pendant quelques jours, nous déblayons, nous secourons et, bien sûr, nous nous faisons photographier, puis nous retournons à la routine. Il est normal d'être fier des sauveteurs, mais il ne faut pas oublier qu'Israël est l'un des pays les plus cruels et les plus insensibles au monde dans son traitement des demandeurs d'asile, des réfugiés de guerre et des survivants de catastrophes.

 

Il est facile d'effectuer des missions de sauvetage. C'est beaucoup plus difficile d'accueillir des réfugiés. La Jordanie, la Turquie, la Suède et l'Allemagne sont une lumière pour les nations bien plus qu'Israël le sauveteur. Ces dernières années, ils ont accueilli des millions de réfugiés de Syrie, d'Irak et des Balkans. Ils paient un prix insupportablement lourd pour leurs actions de sauvetage, et personne ne les applaudit pour cela. Israël n'envisage même pas d'accueillir quelques-unes des victimes des tremblements de terre en Turquie.

 

Un message anonyme sur Twitter a raconté toute l'histoire : « Pendant que des soldats israéliens sauvent des musulmans en Turquie, d'autres musulmans tuent des Israéliens », peut-on lire. Et vraiment, comment se fait-il que nous n'ayons pas reçu, et immédiatement, tout le crédit que nous méritons pour l'opération Rameau d'olivier ? Et comment se fait-il que les Palestiniens ne nous pardonnent pas tout ce que nous leur faisons ? Hé, nous avons sauvé 19 Turcs des décombres. 

 


13/02/2023

55 personnalités du monde entier saluent la suspension par Barcelone de ses liens avec Israël

Nous saluons la mairesse de Barcelone, Ada Colau, pour sa décision courageuse de suspendre les liens institutionnels avec Israël, y compris l'accord de jumelage avec Tel Aviv, jusqu'à ce que les Palestiniens puissent vivre en liberté, sans occupation militaire et sans apartheid.

Cela nous rappelle les conseils municipaux courageux qui ont été les premiers à couper les liens avec l'Afrique du Sud de l'apartheid dans le passé.


 À la suite des rapports des principales organisations palestiniennes, sud-africaines, israéliennes et internationales de défense des droits humains qui désignent Israël comme un État d'apartheid et appellent à des mesures efficaces pour mettre fin à la complicité avec cet État, la décision de Barcelone devrait inspirer les institutions du monde entier à mettre fin à leur propre implication dans le maintien de régimes d'oppression. L'apartheid, après tout, est un crime contre l'humanité.

Nous, les soussigné·es, nous opposons au racisme sous toutes ses formes et défendons les principes de justice et de droits humains d'une manière holistique qui inclut les Palestiniens. Nous sommes moralement scandalisés par le fait que des gouvernements puissants réagissent aux graves violations par Israël des droits des Palestiniens en vertu du droit international par des gestes vides et des expressions de “préoccupation”, tout en armant, finançant et protégeant de toute responsabilité le système d'injustice israélien vieux de plusieurs décennies et en poursuivant les affaires comme si de rien n'était.

Avec le gouvernement israélien actuel, le plus à droite, raciste, sexiste et homophobe de tous les temps, la pression est plus nécessaire que jamais pour mettre fin à son impunité et l'obliger à respecter les droits des Palestiniens en vertu du droit international.

Nous félicitons toutes celles et tous ceux qui ont rendu cette décision possible, en particulier les militant·es des droits humains qui ont travaillé sans relâche et de manière désintéressée pour la faire aboutir. Vous nous donnez tous·tes l'espoir que la justice, la liberté, l'égalité et la dignité pour tous·tes peuvent prévaloir.

Signataires

1.                 Aki Kaurismäki Réalisateur, scénariste

2.                Alexei Sayle Écrivain, comédien, animateur radio

3.                Alia Shawkat Actrice

4.                Angela Davis Philosophe, chercheuse

5.                Annie Ernaux Auteure, lauréate du prix Nobel

6.                Arundhati Roy Auteure

7.                 Bella Freud Créatrice de mode

8.                Brian Eno Musicien, producteur

9.                Cherien Dabis Réalisateur, scénariste, acteur

10.           Christy Moore Auteur-compositeur-interprète

11.             Fernando Meirelles Réalisateur, scénariste, producteur

12.            George P. Smith Biochimiste, lauréat du prix Nobel

13.            Gillian Slovo Auteur, dramaturge

14.            Gloria Wekker Auteure, universitaire

15.            Hanan Ashrawi députée, femme politique

16.            Jody Williams Militante des droits humains, prix Nobel

17.             Judith Butler Philosophe, écrivaine

18.            Julie Christie Actrice

19.            Kamila Shamsie Auteure

20.          Ken Loach Réalisateur

21.            Lakhdar Brahimi Diplomate algérien de l'ONU

22.           Liam Cunningham Acteur

23.           Mairead Maguire Militante pour la paix, prix Nobel

24.           Marianne Faithful Musicienne

25.           Mark Ruffalo Acteur

26.           Maxine Peake Actrice

27.           Michael Malarkey Acteur

28.          Michael Mansfield KC Avocat

29.           Mike Leigh Réalisateur, scénariste

30.          Mira Nair Réalisatrice

31.            Miriam Margolyes Actrice

32.           Mustafa Barghouti député, homme politique

33.           Naomi Klein Auteure

34.           Nkosi Zwelivelile "Mandla" Mandela Député, Afrique du Sud

35.           Nora Cortiñas Cofondatrice, Mères de la Place de Mai, Argentine

36.           Paul Laverty Scénariste

37.           Peter Gabriel Musicien

38.          Raja Shehadeh Écrivain et avocat

39.                Raji Sourani Directeur, Centre palestinien pour les droits de l'homme

40.          Ramin Bahrani Réalisateur, scénariste

41.            Ramy Youssef Comédien, acteur, écrivain, réalisateur

42.           Robyn Slovo Productrice de cinéma et de télévision

43.           Ronan Bennett Scénariste, auteur

44.           Ronnie Kasrils ancien ministre dans le gouvernement de Nelson Mandela

45.           Ruchama Marton Fondatrice, Médecins pour les droits de l'homme-Israël

46.           Sara Driver Réalisatrice de films

47.           Sepideh Moafi Acteur

48.          Seun Kuti Musicien

49.           Stephen Rea Acteur

50.           Suad Amiry Auteure et architecte

51.            Susan Sarandon Actrice

52.           Tunde Adebimpe Musicien et acteur

53.           V (anciennement Eve Ensler) Dramaturge

54.           Viggo Mortensen Acteur, scénariste, réalisateur, producteur

55.           Yanis Varoufakis député et économiste

Source

RAUL ROMERO
Mexique : Ruido, le Bruit de la Colère

Raúl Romero, La Jornada, 12-2-2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Raúl Romero est un sociologue mexicain, chercheur à l’Institut de recherches sociales de l’UNAM, membre du secrétariat académique du site Concepts et phénomènes fondamentaux de notre temps, un projet coordonné par le Dr Pablo González Casanova. Il est membre du groupe de travail “Droits de l’homme, luttes et territorialités” du Conseil latino-américain des sciences sociales (CLACSO). Il a été professeur à la faculté des sciences politiques et sociales de l’UNAM. Il écrit fréquemment pour des médias nationaux et internationaux tels que La Jornada, Rebelión et Agencia Latinoamericana de Información. Il a publié plusieurs textes dans des revues universitaires et des chapitres de livres, dont certains ont été traduits en plusieurs langues. Il est le co-coordinateur du livre Resistencias locales, utopías globales (2015). Ses intérêts de recherche sont les mouvements sociaux, les processus d’émancipation et les économies criminelles. @RaulRomero_mx

 

La lumière du jour décline et l’obscurité annonce que le spectacle est sur le point de commencer. La nuit est froide et les témoignages partagés au micro la rendent encore plus froid.e Une à une, des mères dont les filles ont été victimes de féminicides ou ont disparu prennent la parole. Elles partagent leurs expériences douloureuses, parlent de l’impunité et de la revictimisation. Les cœurs sont serrés. La plupart des femmes présentes écoutent attentivement. Certains pleurent, beaucoup s’embrassent. L’événement lui-même est une étreinte collective. De temps en temps, plusieurs personnes font du bruit avec des casseroles, des tambours et des sifflets pour faire du bruit, pour se faire entendre.

Nous sommes le vendredi 27 janvier et les collectifs qui appuient et entretiennent la Glorieta de las mujeres que luchan [Rond-point des femmes qui luttent, un antimonument installé en 2021, NdT] se sont organisés pour projeter le dernier film de Natalia Beristáin,. Ruido [Le Bruit de la Colère en français, visible sur Netflix] Le film compile également un ensemble de témoignages douloureux, similaires à ceux partagés au micro. Mais il est aussi porteur d’espoir, tout comme l’événement au cours duquel le film est projeté. La réalisatrice a porté à l’écran une histoire malheureuse dans laquelle beaucoup se reconnaissent. Il ne s’agit pas d’un documentaire, mais d’un film dans lequel il est impossible de distinguer la fiction de la réalité. Grâce à l’interprétation magistrale de Julieta Egurrola, le film rend visibles de nombreux problèmes de notre société à partir d’une histoire particulière : féminicides, disparitions de personnes, meurtres de journalistes, crime organisé, traite des femmes, corruption. Il porte également à l’écran une partie de la résistance qui émerge sur ce territoire, celle des mères chercheuses et des femmes qui luttent, deux des mouvements sociaux les plus représentatifs de notre époque.

Parmi les personnes présentes se trouvait Doña María Herrera, mère de quatre enfants disparus. Doña Mary, comme on l’appelle affectueusement, a frappé à toutes les portes à la recherche de ses enfants. Elle a parcouru tout le pays. Elle a exigé de Felipe Calderón, d’Enrique Peña Nieto et du président actuel des politiques efficaces pour rechercher ses enfants et toutes les personnes disparues, ainsi que des moyens de pacifier le pays et de mettre un terme à la violence. Doña Mary s’est rendue aux USA pour demander la fin de la guerre contre la drogue. Elle a également rencontré le pape François pour lui parler de la situation des victimes au Mexique. Doña Mary a depuis longtemps appris à marcher en collectivité et accompagne désormais d’autres mères qui se trouvent dans une situation similaire à la sienne. Après avoir vu Ruido, Doña Mary, au mciro, remercie la réalisatrice pour le film et envoie ses salutations à Julieta Egurrola. Doña Mary connaît Julieta, l’actrice a accompagné les déplacements des victimes à différents moments.

Le 8 mars 2019, devant le Palais des Beaux-Arts, l’Antimonumenta a été mise en place par différents collectifs, une forme de protestation contre un pays féminicide. Le 25 septembre 2021, un grand nombre de ces mêmes femmes ont investi l’ancien rond-point Christophe Colomb, qu’elles ont rebaptisé Glorieta de las mujeres que luchan et, là où il y avait auparavant une statue du conquistador, elles ont placé une statue de femme.

Outre la Glorieta de las mujeres que luchan, on trouve dans d’autres quartiers de Mexico au moins 13 autres anti-monuments : à Samir Flores, aux victimes du 2 octobre 1968, aux mineurs piégés à Pasta de Conchos, aux 49 enfants de la crèche ABC, aux 43 étudiants d’Ayotzinapa, aux 72 migrants de San Fernando … Ce sont des espaces publics récupérés pour nous rappeler qu’il y a des crimes qui restent sans justice et sans vérité. Des crimes, tels que les féminicides et les disparitions forcées de personnes, qui continuent de se produire quotidiennement. [100 000 personnes disparues à ce jour, dont 31 000 ces trois dernières années, NdT]

Depuis sa naissance, la Glorieta de las mujeres que luchan est devenue un mémorial d’en bas, soutenu par des collectifs de femmes et de victimes, ainsi que par des personnes de la communauté artistique. Des femmes issues de luttes très diverses sont venues enrichir le mémorial et participer à son entretien. Magdalena García, femme mazahua et victime de la répression à San Salvador Atenco en 2006, est l’une d’entre elles. Les mères des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa étaient également présentes, ainsi que les femmes mazatèques d’Eloxochitlán de Flores Magón qui luttent pour la liberté de leurs prisonniers politiques. Ce n’est donc pas un hasard si la projection de Ruido est également suivie par des dizaines de militants, d’artistes, de mères chercheuses et de journalistes solidaires.

Dans Ruido, Natalia Beristáin a réussi à communiquer une partie de la douleur de ce pays. Elle l’a fait à partir du pouvoir de l’art avec la force de la résistance. Les organisations de victimes et de femmes ont commencé à s’approprier le film. Une partie de ce qui est nouveau et aussi de ce qui est urgent converge dans ce dialogue. Continuons à faire du bruit.

12/02/2023

GIANFRANCO LACCONE
Mais le changement climatique est aussi une question sanitaire

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 9/2/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

La relation très étroite entre le changement climatique et la situation sanitaire préoccupe les institutions internationales depuis des décennies, produisant des rapports de plus en plus alarmants sur l’influence sur la santé des populations de la planète. Aujourd’hui, elles le font de manière plus consciente et articulée, renforcés par l’expérience amère de la période la plus dramatique de la pandémie. Le tremblement de terre catastrophique entre la Turquie et la Syrie (bien que non imputable au climat, mais apportant des changements collatéraux dans ce domaine également), montre que tout cela ne suffit pas pour changer les comportements afin de vivre, même en présence du changement climatique. Aujourd’hui, plus personne ne doute de l’évolution climatique, après avoir constaté la hausse des températures, les "événements" extrêmes dans les régions les plus riches de la planète (dont les gouvernements se croyaient, à tort, indemnes de ces phénomènes et présumaient de toute façon les contrôler) et la montée des océans qui érodera les côtes peuplées des continents.

Mais cette reconnaissance tardive et partielle a empêché une réaction adéquate et la situation actuelle condamne d’emblée les plus faibles de la planète : les femmes, les pauvres et les minorités.

Osama Hajjaj, Jordanie

Ce qui est en vigueur actuellement est ce qui a été produit par les règles économiques qui ont été établies depuis les années 1980 : on théorise qu’il faut laisser la solution des problèmes, y compris les problèmes environnementaux, à l’action des « forces du libre marché» sans intervention publique et, en fait, la philosophie de l’homo homini lupus [l’homme, un loup pour l’homme] est sanctionnée, de plus en plus soutenue par l’utilisation des armes, des groupes criminels et de la corruption qui dominent le commerce. La santé de l’espèce humaine n’échappe pas à cette fatalité, bien que l’assemblée des Nations unies, en lançant les 17 objectifs de développement durable, ait inclus la « santé et le bien-être » comme troisième point, après ceux de la lutte contre la pauvreté et la faim. Si l’espèce humaine fait cavalier seul en essayant de ne pas atteindre les objectifs prévus, alors qu’elle les a planifiés avec des cibles à atteindre et des indicateurs pour les évaluer, le changement climatique complique leur réalisation, en exacerbant bon nombre des problèmes évalués lors de la promulgation de l’Agenda 2030.  Le récent rapport sur la relation entre le climat et la santé publié par Lancet, le “Lancet Countdown on health and climate change”, souligne la fréquence croissante des vagues de chaleur et des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les incendies, les inondations et les sécheresses, qui constituent la base de la propagation des maladies infectieuses. Si l’on ajoute à ces “bases” la diffusion du CO2 dans l’atmosphère, élément essentiel à la formation des macromolécules, donc des virus, qui sont une forme de ces agrégats, on obtient un tableau que l’on peut résumer schématiquement comme suit :

 

Réchauffement climatique et stress thermique, avec des conséquences directes (coups de chaleur) et indirectes (aggravation de pathologies préexistantes).

Pollution de l’air, incendies et troubles respiratoires, entraînant des maladies respiratoires et de l’asthme.

Augmentation de la propagation des maladies infectieuses à transmission vectorielle, c’est-à-dire la propagation d’infections telles que la dengue, le Zika, le chikungunya et le paludisme, avec l’élargissement de leur zone de présence et la prolongation des conditions de transmission.

Les inondations, la qualité de l’eau et le risque de contamination bactérienne augmentent, mais il y a aussi des effets indirects, car la malnutrition qui en résulte provoque des diarrhées et donc une réduction de la capacité de l’individu à se nourrir.

 

Il est clair que le changement climatique est aussi une question de santé, qui ne peut être abordée avec quelques médicaments, mais en développant des systèmes de prévention des vagues de chaleur et des événements extrêmes et en préparant les systèmes de santé à leur impact. Cela soulève des questions délicates et lourdes de conséquences, comme, par exemple, les co-bénéfices qui peuvent être obtenus avec une meilleure nutrition et une amélioration des transports, mais aussi avec une meilleure organisation du système de santé et une formation professionnelle adéquate des opérateurs. Et c’est là que les problèmes se posent, car pour parvenir à des soins de santé préventifs, aussi capables d’atténuer les effets du changement que de s’y adapter, il est nécessaire de renforcer la médecine d’urgence et de catastrophe. Il semble toutefois que dans la majorité des pays (y compris l’Italie), nous suivons obstinément la direction opposée, en fermant les hôpitaux de zone et les “salles d’urgence”  De la même manière, la direction opposée est également parcourue en ce qui concerne la formation professionnelle : il y a peu de médecins par rapport aux besoins, les universités réduisent le nombre d’inscriptions en médecine et se tournent vers une médecine capable de produire des profits, les pratiques médicales traditionnelles sont abandonnées et oubliées, alors que, surtout dans la phase de soins primaires, elles pourraient être utilement combinées avec les pratiques médicales, élargissant ainsi la cible et la zone d’intervention.