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20/04/2023

Israël : le Grand Magic Circus de la dissonance mémorielle

La fièvre monte en Israël à l’approche de la Journée du Souvenir et de celle dite de l’Indépendance : les partisans d’un sionisme à visage humain menacent de perturber les cérémonies officielles, ce qui donne des sueurs froides aux membres de la coalition au pouvoir, tandis que les organisateur·trices de la Journée conjointe israélo-palestinenne du Souvenir font valoir leur droit à la célébrer. Ce qu’il faut savoir : La Journée du souvenir (Yom HaZikaron LeHalalei Ma’arakhot Yisrael ul’Nifge’ei Pe’ulot HaEivah, Journée de commémoration des soldats tombés pendant les guerres d’Israël et des victimes d’actes de terrorisme) qui tombe le 4 du mois luni-solaire de lyar, aura lieu en cette année 5783 du calendrier hébraïque du lundi 24 avril au coucher du soleil au mardi 25 la nuit venue. Yom Haʿatzmaout, Jour de lIndépendance, célébrant la proclamation de l‘État dIsraël le 14 mai 1948, tombe le 5 lyar. Ci-dessous 3 articles sur les derniers événements du psychodrame collectif qui fracture le camp sioniste. [Fausto Giudice, Tlaxcala]

  Le reality show de la fête de l’indépendance d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 19/4/2023

Depuis que la membre de la Knesset Tally Gotliv* a fait irruption dans nos vies, la ministre Miri Regev** est devenue une sorte d’aristocrate britannique par rapport à son héritière - en termes de manières royales, de retenue, de style, de langue anglaise et de litotes. Mais avec la cérémonie d’allumage des flambeaux, la duchesse de Rosh Ha’ayin s’est réveillée et a recommencé à être Miri Regev. Elle a une idée : Si une protestation éclate pendant la cérémonie, les chaînes de télé diffuseront un enregistrement de la répétition générale.

La ministre des Transports Miri Regev déguisée en statue de la liberté pour la fête de Pourim au début du mois. Photo: David Bachar

C’est certainement une bonne idée. Cela épargnerait au saint public des spectacles désagréables, et ce à la veille du 75e anniversaire de l’indépendance. Qu’ils manifestent sur le mont Herzl, qu’ils crient, qu’ils protestent, qu’ils se déchaînent, nous ne vous en parlerons pas. Et si nous n’en parlons pas, c’est que cela n’a pas eu lieu. Bonne fête de l’indépendance, Israël. Sans le vouloir, Regev a simplement suggéré d’élargir ce qui est déjà le comportement habituel des médias israéliens.

Médiatiser la réalité en omettant la vérité et en la déformant est, après tout, le pain quotidien des chaînes de télévision. Lorsqu’un jeune se bat pour sa maison et sa dignité et qu’il est abattu pour cela, la télévision ne diffuse que la répétition générale, c’est-à-dire les mensonges dont le porte-parole des FDI l’abreuve. Ils ne nous montrent pas la vie sous l’occupation, seulement la répétition. Ainsi, on nous épargne le désagrément de regarder les scènes dures, les protestations ou les souffrances que nous provoquons.

De même, lorsqu’Israël attaque en Syrie ou à Gaza, les chaînes de télévision ne nous montrent que la narration officielle, afin que personne n’ait la moindre idée de ce que nous attaquons, de qui nous tuons et de ce que nous détruisons - et surtout, pourquoi.

Le crime de Mme Regev, porte-parole de Tsahal à la retraite, est d’avoir voulu étendre au Mont Herzl la propagande mensongère dont elle était responsable à l’époque de sa splendeur. Qu’y a-t-il de mal à cela ? En quoi est-ce pire que les autres fausses narrations que l’on nous sert ad nauseam ? Quand exactement nous a-t-on montré la réalité à la télévision, en ce qui concerne l’occupation en particulier, mais aussi en général ? Quand ont-ils organisé une véritable discussion sur quoi que ce soit ?

L’inconcevable ignorance de l’Israélien moyen sur ce qui se passe non loin de chez lui, et peut-être aussi son obtusité, proviennent avant tout des narrations qui lui sont retransmises à la télévision, au lieu des scènes réelles.

Que savez-vous du camp de réfugiés de Jénine ? Et que voulez-vous savoir ? Seulement la narration éculée du “nid de terroristes”. Et que savez-vous de la vie (et parfois de la mort) de centaines de milliers de jeunes Palestiniens, de leurs rêves et de leurs chances ? Seulement ce qu’on vous a dit dans la narration. La télévision israélienne est en grande partie devenue le studio d’enregistrement de Regev : de pures absurdités au lieu d’une réalité douloureuse ; du pain (programmes de cuisine) et des cirques (émissions de téléréalité) au lieu de la vie elle-même. Et surtout, de la propagande au lieu de la vérité. Chaque chaîne a sa propre propagande, et toutes ensemble cachent le problème le plus crucial : l’occupation.

Mais la proposition de la ministre, qui sera probablement mise au rebut par les chevaliers de la vérité des chaînes, a aussi ouvert une fenêtre fascinante sur l’incroyable sainteté des cérémonies nationales israéliennes. On n’avait pas vu depuis longtemps une telle vigilance en prévision de cérémonies creuses. Qui allumera le flambeau ? C’est devenu une question existentielle. Seule la question de savoir qui viendra sur les concessions des cimetières militaires la surpasse en fatalité. Les propositions rivalisent d’absurdité : dicter des discours uniformes à tous les hommes politiques ou interdire l’accès aux cimetières à ceux qui n’ont pas servi dans l’armée. Comme toujours, entre l’important et l’insignifiant, Israël choisit le second.

Il faut le dire : les cérémonies stériles, tout comme les émissions stériles, sont de fausses cérémonies. On peut manifester n’importe où, même dans les cimetières ; tout doit être rapporté, cela aussi. Les âmes sensibles des Israéliens, y compris celles des familles endeuillées, le supporteront, sans médiation ni dissimulation. Le deuil est de toute façon une affaire extrêmement privée. En attendant, une protestation se prépare déjà contre la répétition principale, par sécurité. C’est comme ça que ça se passe dans l’état d’absurdité le plus total.

NdT

*Tally (ou Tali) Gotliv  (Revital Gottlieb), née en 1975 est une avocate sulfureuse et députée du Likoud. Elle a critiqué avec véhémence la décision du gouvernement de geler provisoirement le projet de refonte judiciaire, provoqué par la vague de protestations en cours.

** Miriam “Miri” Siboni, épouse Regev, née en 1965, est ministre des Transports, des infrastructures nationales et de la sécurité routière dans le gouvernement de coalition actuel. Membre du Likoud, elle a été générale de division et porte-parole de l’armée.

“Pour quoi les puissants sont-ils tombés ?”
La semaine prochaine, Israël célèbrera son jour le plus douloureux. Cette année, ce sera très différent

Judy Maltz, Haaretz, 19/4/2023

Des familles endeuillées ont demandé aux ministres du gouvernement de ne pas s’approcher des cimetières militaires lorsqu’Israël célébrera la Journée du souvenir mardi, un appel qui risque de tomber dans l’oreille d’un sourd. Je pense que nous devons nous préparer à des scènes sans précédent", prévient un expert.

Photos : Oded Balilty/ AP / Moti Milrod / ingimage, photoshoppées par Anastasia Shub

Lors de la grande manifestation de samedi dernier à Tel Aviv contre le projet de coup d’État judiciaire du gouvernement, plusieurs dizaines de manifestants s’étaient organisés en une ligne horizontale sur la route principale menant à la scène centrale. Avec une rangée de bougies allumées sur le sol, il était difficile de les manquer.

Une femme tenait une pancarte écrite à la main qui demandait : « Pour quoi les puissants sont-ils tombés ? »

Un autre portait une affiche avec cette douloureuse question : « Mon frère est mort pour un Israël démocratique. Est-il mort en vain ? »

Une vieille photo en noir et blanc d’un jeune soldat était collée sur un morceau de carton brandi par un autre manifestant. Le texte sous la photo disait : « Le sang de mon frère crie sur la terre ».

Les T-shirts noirs portés par les membres du groupe de familles endeuillées réunis
lors des manifestations hebdomadaires comportaient une légère déformation des célèbres mots du grand poète hébreu Haïm Nahman Bialik qui figurent sur de nombreux monuments commémoratifs en Israël. À la place du mot “vie” à la fin du texte, on peut lire : « Dans leur mort, ils nous ont légué la démocratie ».

Jamais auparavant les jours précédant la journée de commémoration des soldats israéliens tombés au combat n’ont été aussi tendus. Les veillées très médiatisées organisées ces dernières semaines par des membres de familles endeuillées, dans le cadre des principales manifestations du samedi soir, ne sont probablement qu’un avant-goût de ce à quoi les Israéliens peuvent s’attendre en ce jour le plus sacré qui soit.

Omri Shabtay, au centre, avec Avivit Gera à sa gauche, tenant une photo de son frère décédé, lors de la manifestation en faveur de la démocratie à Tel Aviv samedi dernier. Photo : Judy Maltz

Perturber les discours

Les cimetières militaires israéliens sont généralement bondés le jour du souvenir (qui tombe cette année le 25 avril). À 11 heures, les sirènes retentissent dans tout le pays, tandis que les Israéliens observent deux minutes de silence. Des représentants du gouvernement s’adressent ensuite aux civils et aux soldats rassemblés autour des pierres tombales.

Des milliers de membres de familles endeuillées ont déjà signé des lettres suppliant les ministres du gouvernement de rompre avec la tradition cette année, par respect pour eux, et de rester à l’écart des cimetières. Ils représentent sans doute la majorité des Israéliens qui s’opposent à la réforme judiciaire du gouvernement et craignent qu’elle ne sonne le glas de la démocratie dans le pays.

Nombreux sont ceux qui ont menacé de perturber les discours, voire pire, si leur demande était rejetée.

Omri Shabtay, dont le père a été tué lors de la guerre du Kippour en 1973, affirme qu’il aurait préféré ne pas se présenter. « Ce sera la première fois que je ne me tiendrai pas sur la tombe de mon père le jour du souvenir », déclare ce professeur d’histoire et d’éducation civique de 53 ans.

Le Jour du Souvenir a toujours été un symbole de consensus dans un Israël de plus en plus divisé. C’est le seul jour de l’année où la plupart des Israéliens sont prêts à mettre leurs différences de côté par respect pour les jeunes hommes et femmes qui ont donné leur vie pour le pays. Alors qu’aux USA, le Memorial Day est connu pour les soldes dans les centres commerciaux et les barbecues dans les jardins, en Israël, c’est un moment de réflexion et de deuil, avec des chansons tristes et des témoignages déchirants entendus tout au long de la journée à la radio.

Ce n’est pas un hasard si ceux qui ont décidé des dates des fêtes nationales israéliennes ont placé le Jour du Souvenir un jour avant le Jour de l’Indépendance. C’était une façon de rappeler aux Israéliens le coût très élevé de leur indépendance.

Le frère cadet d’Orly Eshkar, un pilote, a été tué dans la catastrophe d’hélicoptère de 1997 au cours de laquelle 73 soldats israéliens ont perdu la vie. Elle a l’intention de se rendre sur sa tombe au cimetière militaire et d’assister à la cérémonie, comme elle le fait chaque année. Elle n’a cependant pas encore décidé si elle répondra aux appels à la retenue.

« Personne n’a envie de voir des cris ou des manifestations dans les cimetières, et c’est pourquoi nous supplions les politiciens de ne pas venir », explique cette grand-mère de 65 ans qui travaille dans le secteur de la haute technologie. « Ils nous ont traités d’anarchistes, de terroristes et de traîtres, et nous ont dit d’aller au diable. Mais tant qu’aucun membre du gouvernement n’aura présenté d’excuses pour ces paroles horribles, je pense qu’ils ont perdu le droit de participer à ces cérémonies ».

Avner Ben-Amos, un historien de l’université de Tel-Aviv qui étudie les rituels de commémoration, cite un autre facteur expliquant l’indignation de tant de familles endeuillées cette année. « C’est le premier gouvernement que nous avons avec autant de membres qui n’ont jamais servi dans l’armée », note-t-il, en faisant référence aux membres des partis ultra-orthodoxes et même orthodoxes.

Le ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, par exemple, a été exclu de l’armée en raison de son implication dans des activités terroristes lorsqu’il était adolescent. Ben-Gvir, qui dirige le parti Otzma Yehudit, doit s’adresser aux familles rassemblées mardi matin au cimetière militaire de Be’er Sheva, où une confrontation semble presque inévitable.

« Je pense que nous devons nous préparer à des scènes sans précédent dans les cimetières militaires cette année », déclare Ben-Amos.

Le ministre extrémiste Itamar Ben-Gvir s’exprimant lors d’une marche de droite dans l’avant-poste d’Itamar, en Cisjordanie, au début du mois. Photo : Moti Milrod

Mourir en vain

Avivit Gera, qui a perdu son frère aîné lors de la guerre de Kippour, animera mardi matin une cérémonie commémorative alternative organisée par un groupe de familles actives dans le mouvement de protestation. La cérémonie devrait se dérouler, symboliquement, à l’extérieur du bâtiment de Tel Aviv où la déclaration d’indépendance d’Israël a été signée il y a 75 ans.

Samedi soir, aux côtés d’autres membres du groupe de familles endeuillées, Gera a brandi un morceau de carton sur lequel était collée la photo de son frère. Sous la photo, elle avait écrit ces mots : « Ophir Beit-Arie, de mémoire bénie, 20 octobre 1973. Il a donné sa vie pour un Israël démocratique ».

« La perte d’un frère fait mal, mais c’est encore pire à cause de cet horrible gouvernement », déclare cette conservatrice de sites archéologiques et naturels âgée de 64 ans. « J’avais l’habitude de dire que mon frère avait été tué au combat. Aujourd’hui, j’ai presque l’impression qu’il a été assassiné ».

Des membres de la coalition au pouvoir et de l’opposition ont exhorté les manifestants à marquer un temps d’arrêt à l’occasion du Jour du Souvenir, par respect pour les morts. Chili Tropper, un député de l’opposition, a signé avec plus de 100 autres députés une pétition appelant les Israéliens à laisser les controverses politiques qui les divisent en dehors des cimetières militaires.

Miriam Peretz, une conférencière populaire qui a perdu deux fils dans l’armée, a récemment lancé un appel similaire sur sa page Facebook. « Le Jour du Souvenoir est un jour de tristesse, mais aussi un jour de fraternité », a écrit l’ancienne candidate à la présidence. « C’est un jour où je me sens accueillie par la grande famille que j’appelle la nation d’Israël. C’est un jour d’empathie et de partage de notre douleur, un jour où la nation étreint les familles endeuillées et où les amis rendent hommage, même 30 ans plus tard. C’est l’amitié, la fraternité, le ciment de l’unité ».

Cependant, Gera ne voit aucune raison de faire une pause dans les manifestations à l’occasion du Jour du Souvenir.

« Au contraire », dit-elle. « En ce jour sacré, la dernière chose que nous devrions faire, c’est de jouer le jeu des politiciens ».

Boaz Zirkel et sa sœur Maya sont les organisateurs du groupe des familles endeuillées lors des manifestations de Tel Aviv. Leur frère aîné, Yonatan, a été tué lors de la première guerre du Liban.

Boaz, 46 ans, explique que ce qui les a poussés à agir, c’est le sentiment grandissant que leur frère est mort en vain. « Ce gouvernement bafoue les valeurs pour lesquelles mon frère s’est battu » [quelles valeurs exactement ?, NdT], déclare ce père de trois enfants, originaire de Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv.

Boaz Zirkel, avec la pancarte suspendue autour du cou, à côté d’Omri Shabtay à Tel Aviv samedi soir dernier. La pancarte de Shabtay porte des photographies de son père Arye, tué près du canal de Suez en octobre 1973, et de son oncle Simcha, décédé deux ans plus tôt dans un accident lors d’un entraînement militaire. Photo : Judy Maltz

« Je n’ai plus de frères pour une guerre entre frères », peut-on lire sur la pancarte faite à la main qu’il porte autour du cou.

Sur l’affiche de Shabtay sont collées des photos de son père Arye, tué près du canal de Suez en octobre 1973, et de son oncle Simcha, mort dans un accident d’entraînement militaire deux ans plus tôt. »

« Le Jour du Souvenir est la chose la plus constante de ma vie », déclare Shabtay, qui est le porte-parole du groupe des familles endeuillées. « Chaque année, je me rendais sur la tombe de mon père et lui parlais de tout ce qui m’était arrivé cette année-là. Je lui parlais de mon service militaire, de mes études, de mon mariage et de mes enfants. Ce sera donc étrange de ne pas être là cette année ».

Orit Yaal, historienne du kibboutz Afikim, près de la mer de Galilée, a perdu son frère aîné, Ziv Levin, lors d’une opération militaire au Liban il y a 45 ans. « J’ai toujours pensé que pour construire un pays comme le nôtre, il fallait être prêt à perdre quelque chose », explique cette mère de quatre enfants, âgée de 61 ans. « Mais récemment, j’ai commencé à me demander pour la première fois si cela en valait la peine ».

Son frère est enterré au cimetière du kibboutz, où elle assiste chaque année à la cérémonie du jour du souvenir. Elle prévoit de s’y rendre cette année encore, mais ne sait pas encore si et comment elle exprimera sa forte opposition au gouvernement actuel.

« C’est un exercice d’équilibre très délicat », dit-elle. « D’un côté, je ne veux pas profaner la mémoire de mon frère ou de tout autre soldat tombé au combat. Mais d’un autre côté, je ressens un énorme besoin de crier ».


Quelques-unes des familles endeuillées lors de la manifestation en faveur de la démocratie la semaine dernière. Les tee-shirts portent l’inscription suivante : « Dans leur mort, ils nous ont légué la démocratie ». Photo : Judy Maltz

Les organisateurs de la Journée alternative du Souvenir déposent une requête devant la Haute Cour contre l’exclusion des familles palestiniennes par Israël

Chen Maanit, Haretz, 19/4/2023

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a fondé sa décision sur le fait que l’armée israélienne devrait fermer la Cisjordanie avant le Jour du Souvenir et le Jour de l’Indépendance, le lendemain.

La journée alternative du souvenir : « La cérémonie commémorative conjointe, organisée par Combatants for Peace (CfP) et The Parents Circle Families Forum, est le plus grand événement israélo-palestinien organisé conjointement pour la paix. La Cérémonie commémorative conjointe est une occasion unique pour les Israéliens et les Palestiniens de faire leur deuil ensemble et d’exiger avec force la fin de la violence actuelle. La cérémonie a lieu chaque année depuis 2006, à la veille de Yom Hazikaron (journée commémorative israélienne). Dans la culture israélienne dominante, les cérémonies qui sont le plus souvent organisées en l’honneur de cette journée servent à renforcer les récits culturels de la douleur, de la victimisation et du désespoir. Notre mémorial commun transforme ce récit en amenant les Palestiniens au mémorial aux côtés des Israéliens. En nous unissant pour pleurer la douleur de l’autre, nous voulons remettre en question le statu quo et jeter les bases d’une nouvelle réalité fondée sur le respect mutuel, la dignité et l’égalité pour tous. En pleurant ensemble, nous ne cherchons pas à mettre les récits sur un pied d’égalité, mais plutôt à transformer le désespoir en espoir et à construire des ponts de compassion. Nous nous rappelons à nous-mêmes et à la société que l’occupation, l’oppression et la violence ne sont pas inévitables ». En 2022, 300 000 personnes ont participé à l’événement retransmis en direct et plus d’un million de personnes l’ont regardé en streaming.

Les organisateurs d’une cérémonie commune entre Israéliens et Palestiniens à l’occasion du Jour du souvenir ont saisi la Haute Cour de justice mercredi, contestant la décision du ministre de la Défense d’interdire aux familles palestiniennes d’entrer en Cisjordanie pour assister à la cérémonie.

La pétition, déposée par les familles israélo-palestiniennes endeuillées pour la paix et par les combattants pour la paix, vise à obtenir une ordonnance de justification de la décision, afin que les Palestiniens puissent entrer en Israël sous réserve d’une inspection de sécurité.

C’est la 18e année que la cérémonie commune, prévue la veille du Jour du Souvenir au parc Yarkon de Tel-Aviv, devrait avoir lieu. Des membres de quatre familles endeuillées - israéliennes et palestiniennes - devraient prendre la parole. Ces trois dernières années, l’événement s’est déroulé en ligne, en partie à cause de la pandémie de coronavirus.

Le ministre de la défense, Gallant, a fondé sa décision sur le fait que l’armée israélienne devrait fermer la Cisjordanie avant le Jour du Souvenir et le Jour de l’Indépendance, le lendemain. Le bureau de Gallant a déclaré que dans la situation sécuritaire complexe actuelle en Cisjordanie, il n’est pas possible d’autoriser les Palestiniens à franchir la frontière.

Les années précédentes, les ministres de la défense avaient émis des ordres similaires sans faire d’exception pour les familles palestiniennes désireuses d’assister à la cérémonie.

La pétition, déposée par les avocats Tamir Blank et Adi Lustigman, affirme que la décision de Gallant « ne tient pas compte de l’État de droit et de l’autorité de la Cour suprême » et la qualifie d’ « atteinte flagrante à la liberté d’expression et au tissu fragile de la démocratie dans l’État d’Israël ». Elle qualifie la cérémonie commémorative de « nouvelle expression du deuil des familles qui ont perdu ce qu’elles avaient de plus cher ». Du point de vue des familles, la cérémonie est “une ouverture à l’espoir” qui “remplacerait la haine qui a conduit à la perte”.

La pétition cite la décision de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, dans l’affaire de 2019, qui a annulé l’ordre du ministre de la Défense et autorisé l’entrée de la plupart des personnes pour lesquelles les organisateurs avaient demandé une autorisation. Esther Hayut a noté que la cérémonie « a un objectif déclaré et un message clair de réconciliation et de paix. Du point de vue [des familles], il apparaît que des personnes se sont rassemblées ici et cherchent, par leur activité, à changer activement la réalité de l’inimitié et à insuffler de l’espoir ».

Combatants for Peace a répondu : « Bien que certains aient présenté Gallant comme un chevalier de la démocratie, nous constatons qu’il poursuit la ligne du gouvernement extrémiste [actuel] et méprise la Cour suprême et la liberté d’expression. Il est regrettable que cette décision intervienne à la veille Jour du Souvenir, une année où tant d’entre nous cherchent à se rassembler autour de la mémoire de tous ceux qui ont subi des pertes, sans l’intervention de politiciens... »

 

19/04/2023

GIANFRANCO LACCONE
De la “bonification intégrale” à l’économie circulaire intégrale
Réflexions après la 3e Conférence nationale sur l’agroécologie en Italie

 Gianfranco Laccone, climateaid.it, 13/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« Pousser l’accélérateur de la transition agroécologique en Italie » : tel était l’objectif de la troisième conférence nationale sur l’agroécologie, organisée par l’Association italienne d’agroécologie et la coalition Cambiamo Agricoltura.

La conférence s’est conclue par un appel aux décideurs politiques, aux associations agricoles et aux autres acteurs sociaux et économiques des systèmes agroalimentaires italiens à ne pas ralentir le processus initié par la Commission européenne pour relever les défis d’une véritable transition agroécologique et maintenir les objectifs des stratégies européennes "De la ferme à la table" et "Biodiversité 2030".

Paolo Calleri

Alors qu’à Vinitaly (la foire italienne du vin à Vérone), la présidente du Conseil, soutenue par plusieurs associations sectorielles, a lancé la proposition d’un lycée futuriste (et improbable), appelé “du made in Italy” (traduction : lycée du produit en Italie), à Rome, soixante expert·es des secteurs les plus divers se sont succédé pour parler de l’agroécologie, un sujet proposé comme un outil clé pour permettre la transition écologique de l’agriculture, elle-même un élément clé dans la lutte contre le changement climatique. Il s’agit d’un changement de paradigme tant au niveau des outils à appliquer pour réaliser la “proposition agroécologique” qu’au niveau de la place de l’agriculture dans les activités humaines, puisque l’un des nœuds clés de ce sujet est la valorisation des processus sociaux dans la conception et la gestion de systèmes agroalimentaires durables et la recherche de modèles qui mettent en œuvre les capacités collectives des agriculteurs et les approches communautaires. Fini le dualisme ville/campagne, fini le rôle auxiliaire de l’agriculture, parent pauvre qu’il faut soutenir avec des fonds et des soins forcés pour qu’il ne soit pas à la traîne des autres secteurs dans les processus de “développement”. Au contraire, l’agriculture est le pivot qui permet d’initier des processus de réhabilitation agro-environnementale et de permettre la transition vers une société écologiquement démocratique.

Ce n’est pas la première fois que les sociétés humaines changent de paradigme pour s’organiser ; le changement le plus récent, admirablement décrit par Karl Polanyi dans son livre “La grande transformation”, concerne le passage à la société industrielle, dans laquelle la production de biens et l’économie, en tant que science de la gestion de cette production, prennent un rôle stratégique et entraînent la transformation des cycles de production, de systèmes circulaires en systèmes linéaires. Les effets sont aujourd’hui visibles pour tout le monde : exploitation accélérée des ressources de la planète, accroissement des inégalités sociales, modification des conditions environnementales et propagation de la pollution au point que les variations climatiques peuvent remettre en cause le système biologique actuel de la planète.  

L’agriculture a été au cœur de ce changement, perdant le rôle central qu’elle avait joué pendant des siècles dans la construction sociale pour devenir le réservoir matériel et social dans lequel on puise les ressources nécessaires à la croissance du système urbain-industriel, dont la production est basée sur l’extraction des ressources de la planète. Ce changement s’est produit, comme pour la Renaissance, sur plusieurs siècles et de manière spécifique dans différents pays.  En Italie, le changement a commencé en même temps que la formation du Royaume, dans la seconde moitié du 19e siècle, par le biais de ce que l’on appelle les “chaires ambulantes”. Ces “cattedre ambulanti”  étaient un instrument de vulgarisation et de formation professionnelle en agriculture et se sont avérées fondamentales pour la transformation du système primaire et l’organisation de l’administration du secteur. L’enquête agraire de Jacini décrit en même temps les conditions de l’agriculture, de loin le secteur le plus important pour les citoyens du nouveau Royaume d’Italie, un secteur qui, dans la logique libérale des gouvernements de l’époque, est regroupé avec toutes les autres activités productives dans un seul département : le ministère de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie. Ces chaires furent appelées à combler un vide technique que l’enquête Jacini mettrait en évidence dans le cours de sa réalisation et, en substance, à jouer un rôle institutionnel dans la transformation du système économique du pays.

Elles étaient dirigées par un directeur (avec le titre de professeur) et un ou deux assistants, tous titulaires d’un diplôme en sciences agricoles et assistés de diverses manières par des aides ayant des qualifications différentes. Les activités étaient menées selon un concept moderne de vulgarisation : conférences données dans des lieux publics, visites de fermes, consultations données les jours de marché à ceux qui en faisaient la demande et, dans de nombreux cas, publication de brochures et de journaux. Parmi les nombreux noms de professionnels qui se sont engagés dans cette activité (avec des résultats et une qualité d’enseignement plus ou moins efficaces), il convient de mentionner Nazareno Strampelli, agronome et généticien, défini comme un précurseur de la “révolution verte” en raison de l’activité de recherche menée, visant à la transformation productive des plantes, à qui l’on doit le nom encore utilisé aujourd’hui de semences sélectionnées, utilisé pour définir les variétés sélectionnées et certifiées, ainsi qu’une importante variété de blé qui porte son nom, sélectionnée par lui parmi les nombreuses variétés identifiées au cours de son activité. Les chaires ambulantes ont joué un rôle fondamental dans la diffusion de nouvelles techniques et de nouvelles semences pendant la “bataille du blé” de la période fasciste et ce n’est pas un hasard si Strampelli a été nommé sénateur par le régime. Leur rôle est si important qu’elles sont réglementées en 1928, puis transformées en 1935 en “inspections agricoles provinciales”, fonctionnant comme des bureaux exécutifs de l’administration centrale.


“La guerre que nous préférons”, carte postale fasciste de la Bataille du blé, 1933). Musée Piana delle Orme, Latina, Photo EDOARDO DELILLE/Le Monde

Cette transformation institutionnelle a été possible parce qu’elle s’est accompagnée d’une transformation socioculturelle qui a conduit l’agriculture à devenir le bras opérationnel du système industriel, en lui prenant les moyens techniques (moyens mécaniques, engrais et ensuite pesticides) comme matière première indispensable à l’augmentation de la production.  Cette conception s’est manifestée pleinement dans la bataille du blé, lorsque la monoculture céréalière s’est imposée aux autres cultures (et a provoqué la réduction du secteur de l’élevage), comme conséquence des politiques gouvernementales, formulées dans le but de réduire le déficit de la balance import/export et de stabiliser les prix dans le secteur.  Si, d’une part, la campagne d’augmentation de la production, qui s’est déroulée avec le développement de la monoculture et d’un nombre toujours plus réduit de variétés, a permis de résoudre certains aspects du budget de l’État, d’autre part, le processus de modernisation industrielle déclenché a produit des effets d’entraînement, tels que les premières migrations de salariés entre les secteurs de production (le passage de l’agriculture à l’industrie, un phénomène qui caractérisera les années postérieures à 1945).  Les campagnes ont stabilisé le régime et ont aussi eu, bien sûr, des effets secondaires négatifs qui ont manifesté leur importance au fil du temps, comme la poursuite de la déforestation au détriment de la stabilité des sols et l’appauvrissement de l’alimentation des populations, plus exposées aux maladies et aux épidémies.  

Le triomphe de cette conception technique, qui a transformé le secteur agricole en un secteur agro-industriel, a été rendu possible par la théorisation économique de type productiviste, dont Arrigo Serpieri a été le plus grand représentant. Sa théorisation du système de valorisation des terres, conçu comme une “bonification intégrale”, a permis d’offrir un rôle au système agricole en l’ancrant dans la conception productiviste de l’ensemble du système économique, une conception qui marquera le20e siècle. Alors qu’à une certaine époque la mise en valeur des terres signifiait la transformation des terres marécageuses, la discipline de la bonification intégrale avait pour objet non seulement celle-ci, mais aussi les opérations effectuées en vue de l’amélioration des terres cultivables ou d’une transformation radicale de l’usage productif. Ces transformations présupposaient une compréhension sociale qui permettait le transfert des rôles, le déplacement de la population, la création de “voies de modernisation”. Le fascisme a réalisé tout cela en agissant de manière préventive avec les moyens que tout le monde connaît malheureusement : la destruction (par des actions criminelles et meurtrières) des organisations paysannes et ouvrières autonomes et de la structure sociale préexistante, ce qui était la condition préalable pour entamer ensuite le processus de modernisation italien avec quelques interventions modèles : par exemple, le transfert des paysans de Vénétie vers les marais Pontins pour leur mise en valeur. En particulier, dans des conditions modifiées et avec des objectifs radicalement différents des conditions actuelles des systèmes agricoles et de la société dans son ensemble, l’agroécologie se rattache à la voie qui, dans la seconde moitié du19e  siècle, a caractérisé la transformation industrielle de l’agriculture italienne par la création des chaires ambulantes d’agriculture et pousse les nouvelles idées de gestion agricole à se répandre dans la société et à permettre aux communautés locales de trouver des moyens de sortir de la crise socio-économique en préservant les ressources locales et en réduisant la pollution et la dissipation de l’énergie.

Il est essentiel d’expliquer les aspects qui ont façonné le visage de l’agriculture italienne pour clarifier le chemin ardu que l’agroécologie doit parcourir et les difficultés à éliminer les hypothèses idéologiques qui ancrent aujourd’hui l’agriculture dans le système industriel de type fordiste. Couper le cordon qui ligote l’agriculture dans une position subordonnée à l’industrie et à la finance est une entreprise complexe qui prend du temps. Comme l’indique le communiqué de la conférence sur l’agroécologie, « il est nécessaire d’établir un pacte éthique et social entre tous les acteurs du secteur agroalimentaire pour accompagner les agriculteurs sur les chemins de la transition écologique au niveau de l’assistance technique et au niveau de la durabilité économique ». C’est pourquoi il est nécessaire de se souvenir des parcours passés, en comprenant comment s’est créée la subalternité qui oblige l’agriculture à avoir un bilan énergétique négatif, ce qui incite les autres secteurs productifs à toujours injecter de l’énergie nouvelle et en plus grande quantité, en l’extrayant des réserves de la planète.

La création de l’agriculture moderne, aujourd’hui appelée “agriculture conventionnelle”, a fait perdre le rôle d’“accumulateur d’énergie” qu’elle avait conservé grâce aux plantes et à leur capacité à capter l’énergie solaire. L’agroécologie promet de le restaurer, agissant ainsi comme un pivot pour le développement d’une économie circulaire basée sur des sources d’énergie renouvelables et des activités de production “respectueuses de la planète” qui minimisent la dissipation d’énergie. Si l’on regarde les groupes de discussion initiés lors de la conférence, on retrouve tous les thèmes qui lient l’agriculture non seulement aux activités humaines, mais aussi aux cycles planétaires dans leur ensemble.   

La préservation de la biodiversité à toutes les échelles, la réduction de tous les intrants chimiques de synthèse, sont les fondements sur lesquels s’appuient la formation, l’information et l’assistance technique adéquates aux exploitations agricoles.

 Les modèles agroécologiques permettent d’atténuer le changement climatique et de s’y adapter grâce à des pratiques respectueuses de l’écologie des sols, ainsi qu’à un changement de modèle, passant d’un élevage intensif à un élevage spécialisé, à un système d’agro-élevage qui maintient une autosuffisance alimentaire maximale et un retour approprié des nutriments dans le sol.

Enfin, le problème au cœur du changement : comment répondre aux aspects critiques et aux vulnérabilités du système agroalimentaire mondial par la reconstruction de systèmes agroalimentaires à l’échelle locale, des systèmes qui combinent le changement nécessaire des pratiques de production, de distribution et de consommation, avec la construction et le partage de nouveaux systèmes de connaissances. Si toutes les conditions sont réunies, il manque encore, pour que le projet de changement devienne central, une théorie générale, capable de transformer l’agroécologie d’une mosaïque de compétences en un système intégré, capable de s’appliquer localement et de construire un système en réseau dans lequel tous les autres secteurs "productifs" peuvent s’insérer. Pour ce faire, nous avons également besoin d’un nouveau langage, car nous ne pouvons pas parler de “matières premières” lorsque nous devons réutiliser ce que nous avons déjà, nous ne pouvons pas parler de déchets lorsque nous devons les envoyer au recyclage, nous ne pouvons pas parler de filières alors que nous devrions développer des circuits auto-renouvelables.

Nous devons systématiser et diffuser le langage de l’agroécologie, créer et diffuser des procédures d’intervention dans les nouvelles normes de production, créer des méthodes de transformation qui tiennent compte non seulement du produit, mais aussi du producteur et du consommateur, afin de permettre à chacun de savoir ce qu’il mange, qui le produit et comment. Jusqu’à présent, ceux qui se sont préoccupés de ces questions étaient divisés en de nombreuses organisations, de nombreuses réalités, parfois sans langage commun. Il s’agit de recréer localement la toile d’araignée qui peut nous soutenir et nous relier au monde.

Ils ont eu beau jeu, ceux qui, jusqu’à présent, ont proposé à la manière du Guépard que “tout change pour que rien ne change”, par le biais de nouvelles “inventions” qui résoudraient nos problèmes, et nous nous en sommes toujours rendu compte très tard. Le développement a toujours été ainsi, proposant de nouveaux objectifs plus lointains dès qu’un objectif était atteint et que l’on découvrait que ce n’était pas le paradis promis, comme ce fut le cas avec la soi-disant révolution verte en Inde ou les 100 quintaux/ha de production de blé tendre en France.

Plantu

L’agroécologie nous invite à accepter la réalité, à vivre avec le changement climatique en essayant d’en réduire les effets négatifs mais surtout en découvrant qu’il est possible d’améliorer notre vie en repartant de l’énergie qui nous entoure et que nous dissipons généralement sans même nous en rendre compte, à partir de la production agricole et du développement d’une économie circulaire intégrale qui remplace le concept obsolète de “bonification intégrale”.