12/10/2024

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
12 octobre : “Génocidaires et esclavagistes” ou “héros et saints”

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 12/10/2024

Original español
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

L’émotion nationale médiatisée en Espagne suite à l’annonce que la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, n’a pas invité le roi bourbonien à son investiture amène à se poser la question de savoir si - comme le dit une affiche largement diffusée ces jours-ci dans les rues d’Espagne - les conquistadors étaient des « génocidaires et esclavagistes » ou « des héros et saints ». Cette question nous oblige à étudier et à apprendre les causes et les conséquences du colonialisme et à tirer des conclusions sur un pays qui célèbre comme fête nationale la date du début d’un génocide.


Campagne d’affiches de l'Association catholique des propagandistes (sic) pour ce qu’elle continue d’appeler le « Jour de l’Hispanité » (12 octobre)

Il faut savoir que rien qu’au cours du premier siècle de la colonisation, les Espagnols ont provoqué la mort de 56 millions d’habitants de l’Abya Yala, nom utilisé par les peuples originels pour désigner le territoire de Notre Amérique. Il est également important de savoir qu’au cours de la même période, la monarchie bourbonique a volé jusqu’à 9 550 tonnes d’or et d’argent dans la région, avec lesquelles elle a financé sa propre opulence et celle des autres maisons royales d’Europe.

Lorsque le 25 mars 2019, le président Andrés Manuel López Obrador a écrit au roi Felipe VI d’Espagne et au pape François pour leur demander de présenter des excuses aux peuples originels du Mexique pour les abus commis lors de la conquête du pays il y a 500 ans, c’est à cela qu’il faisait référence. Le président mexicain de l’époque leur a demandé « d’examiner les doléances et de demander pardon aux peuples originels pour les violations de ce que l’on appelle aujourd’hui les droits humains ». Il ajoutait : « Il y eut des tueries, des assujettissements. La soi-disant conquête s’est faite par l’épée et par la croix ».

Au vu de ces chiffres, il n’y a pas lieu d’être choqué par cette demande, ni de la considérer comme un affront national (bien que l’Espagne ne soit pas une nation, mais une somme de nations, sous domination castillane). La famille des Bourbons n’est pas originaire de l’Espagne actuelle, mais vient de France et a été imposée dans la péninsule par des mariages arrangés pour conquérir et conserver le pouvoir.

La Pinta, la Niña et la Santa María, les 3 caravelles de Christophe Colomb, par le dessinateur Eneko

Dans une lettre au président mexicain publiée le 26 septembre 2021 à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance du Mexique, le pape François a présenté ses excuses pour les « péchés » de l’Église catholique dans ce pays. La plus haute autorité de l’Église catholique a déclaré : « Mes prédécesseurs et moi-même avons demandé pardon pour les péchés personnels et sociaux, pour toutes les actions ou omissions qui n’ont pas contribué à l’évangélisation ».

López Obrador a déclaré que tout le monde devait demander pardon à l’occasion du 500e anniversaire de la chute de Tenochtitlán, la capitale aztèque, après deux mois et demi de siège qui ont conduit à sa prise par le cruel conquistador et aventurier Hernán Cortés, originaire d’Estrémadure, ce qui a signifié l’effondrement définitif de l’empire mexicain. Ce faisant, il a voulu faire de 2021 une année de réconciliation nationale et internationale. Avec une conviction totale, il a déclaré qu’il était « temps de dire que nous allons nous réconcilier, mais demandons d’abord pardon ». Il a donné l’exemple en disant qu’il le ferait aussi « parce qu’après la colonie, il y a eu beaucoup de répression des peuples originels », faisant référence au châtiment subi par les peuples maya et yaqui pendant le gouvernement du président Porfirio Díaz (1872-1910).

Il est intéressant de noter que dans cette demande de pardon et cette recherche de réconciliation, López Obrador a inclus la communauté chinoise qui a également été réprimée pendant la révolution mexicaine, en particulier dans les États du nord du pays.

Mais le gouvernement espagnol et sa monarchie corrompue ont refusé de prendre des mesures positives en vue d’une réconciliation totale. Au contraire, ils s’étonnent aujourd’hui qu’enfin, des dirigeants dignes n’invitent pas le représentant royal à accompagner un acte démocratique émanant de la souveraineté du peuple, chose qu’ils ne connaissent pas en Espagne puisqu’ils n’ont jamais élu leur chef d’État [sauf pendant la brève Première République de 1873-1874 et la Seconde de 1931-1939, NdT].

Au contraire, le gouvernement espagnol, essayant de cacher la honte émanant des malheurs et des infortunes du processus de conquête et de colonisation, a regretté que la lettre de López Obrador ait été rendue publique. On peut donc supposer que Lopez Obrador avait raison, mais qu’il n’aurait pas dû le faire savoir ouvertement « pour ne pas salir l’honneur de la monarchie ». Se sentant offensé, le gouvernement de Madrid a couronné sa déclaration ridicule en affirmant qu’il rejetait « avec la plus grande fermeté » le contenu de la lettre de López Obrador.

Trois ans plus tard, devant l’étonnement et la lamentation de l’élite espagnole face à la non-invitation du roi bourbonique au changement de gouvernement au Mexique, en toute transparence, la présidente Claudia Sheinbaum a déclaré que l’Espagne avait bien été invitée à la cérémonie du 1er  octobre, mais pas le roi Felipe car le monarque, avec un mépris total, a refusé de répondre à la demande de López Obrador d’une réconciliation définitive entre les deux peuples, ce qui, selon un communiqué publié par Sheinbaum, « aurait correspondu à la meilleure pratique diplomatique des relations bilatérales ». Fin de l’affaire

Sur un autre plan, il convient de se demander si, comme le prétend l’ultra-droite espagnole, les conquistadors, compte tenu des 56 millions de personnes tuées et des 9 550 tonnes d’or et d’argent volées, sont bien des « héros et des saints ». En ce sens, il convient de dire que les voyages de cette époque n’ont pas toujours été considérés comme des « découvertes » et qu’ils n’ont pas toujours nécessité la « croix et l’épée » pour imposer par la force des cultures et des religions étrangères.


Carte du monde attribuée à Zheng He

En 1403, près de 90 ans avant que Christophe Colomb ne « persuade » la reine de Castille Isabelle II de financer son entreprise d’exploration vers l’ouest, l’amiral chinois Zheng He a entamé le premier de ses sept voyages à travers la mer connue sous le nom d’« océan occidental ». Jusqu’en 1433, les voyages de Zheng He étaient essentiellement limités à l’océan Indien, couvrant jusqu’à 30 pays d’Asie et d’Afrique, atteignant la côte ouest de l’Inde et s’étendant plus tard au golfe Arabo-Persique et à la côte est de l’Afrique.

Comparée aux trois caravelles de Christophe Colomb, d’une longueur de 25 à 30 mètres et d’une largeur de 6,5 à 9 mètres, qui transportaient environ 25 marins chacune en 1492, la flotte de l’amiral Zheng comptait en 1405 « plus de 240 navires et plus de 27 000 soldats et membres d’équipage [et] était équipée d’une variété de professionnels, dont des bateliers, des marins, des soldats, des médecins, des cuisiniers, des interprètes, des diseurs de bonne aventure et même des coiffeurs », selon une étude du professeur Wan Ming, chercheur à l’Institut d’histoire ancienne de l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) et président de la Société chinoise pour l’histoire des relations sino-étrangères, qui estime que les voyages de Zheng He doivent être considérés comme les plus grands de son époque « en termes d’échelle, de nombre de navires et de marins, et de durée ».

Zheng He a organisé la flotte sur la base d’une conception nautique qui établissait l’existence de navires différenciés par leur mission. Ainsi, il existait des navires de commandement, des navires de guerre et des navires logistiques. Parmi ces derniers, il y avait ce que l’on appelait les « navires au trésor », qui servaient à transporter les marchandises destinées au commerce. Les navires au trésor étaient situés au centre de la flotte, et les navires de guerre autour d’eux. En fait, les voyages réussis de la flotte de Zheng He ont également démontré l’excellence de sa technologie nautique et de ses compétences en matière de navigation.

 

Les navires au trésor étaient les plus gros navires de la flotte de Zheng He. Ils sont notamment décrits dans le roman d'aventure de Luo Maodeng, Les voyages de l'eunuque aux trois trésors vers l'océan occidental (1597). L'auteur écrit que les navires avaient neuf mâts et mesuraient 140 mètres de long et 55 mètres de large, ce qui semble difficile à croire. Les chercheurs pensent que les navires avaient probablement cinq ou six mâts et mesuraient entre 75 et 90 mètres de long.

Bien que la flotte de Zheng He ait été équipée de moyens de combat, ceux-ci avaient un caractère défensif. L’arrivée de la flotte dans d’autres ports signifiait tout d’abord la recherche de relations amicales avec les habitants, puis l’ouverture de négociations commerciales par le biais d’échanges et de tributs. Ces derniers n’avaient pas la même signification qu’en Occident, mais constituaient une sorte de rituel au cours duquel les produits naturels du pays étaient présentés et une offrande emblématique était faite des objets à offrir à l’autre partie. Mais leur valeur était équilibrée Les Chinois considéraient cette pratique comme une expression de respect et de reconnaissance envers l’empereur et une manière d’exprimer leur gratitude pour sa protection. Un édit de l’empereur stipulait que l’échange devait être mutuellement bénéfique.

La mission confiée par l’empereur à Zheng He indiquait implicitement qu’en plus du commerce, il devait maintenir la paix sur les mers, assurer la sécurité maritime et arbitrer les conflits susceptibles d’être rencontrés au cours du voyage. Les dirigeants chinois de l’époque avaient tout intérêt à accroître leur prestige dans les régions qu’ils visitaient, mais il ne s’agissait pas d’occuper un territoire ou d’y exercer un contrôle politique. De même, il devait promouvoir la prospérité dans les lieux où il arrivait et l’interaction multiculturelle avec les peuples qu’il visitait. Il était courant pour Zheng He de ne pas visiter les centres de pouvoir, mais de se limiter aux villes portuaires où il pouvait commercer sans avoir à interagir avec l’establishment politique de ces pays.

Selon le professeur Wan, « les flottes de Zheng He étaient en fait une équipe officielle de commerce international à grande échelle qui menait des activités commerciales fréquentes dans les endroits qu’elle atteignait ». On peut ainsi expliquer pourquoi aucun des pays visités n’a fait l’objet de pillage ou d’occupation.

Le professeur Wan explique cela par le fait que la diplomatie de la dynastie Ming au pouvoir stipulait clairement qu’il ne fallait pas conquérir d’autres peuples mais partager avec eux afin d’établir un système international pacifique sans recourir à la force. En pratique, le commerce a permis d’établir un nouveau système émanant de l’ordre chinois et visant à « partager les bénéfices de la paix » sans menacer aucun pays. Savoir cela pourrait expliquer en partie le comportement international de la Chine aujourd’hui.

Si la plupart des chercheurs s’accordent à dire que les voyages de Zheng He l’ont mené à travers l’Asie orientale, centrale et occidentale et l’Afrique, l’écrivain britannique Gavin Menzies a écrit en 1421 un livre intitulé « 1421 The Year China Discovered the World » (fr. 1421, L’année où la Chine a découvert l'Amérique), dans lequel il affirme que les Chinois ont atteint l’Amérique au cours de cette année-là. Cet ouvrage a été rejeté par l’historiographie occidentale, mais cette opinion a été réfutée par l’éminent sinologue mexicain Enrique Dussel Peters, qui a déclaré : « ... d’après mes études historiques (dans lesquelles j’ai utilisé la carte de la quatrième péninsule d’Asie de 1487 de Henricus Martellus), ses arguments [ceux de Gavin Menzies] concernant sa thèse fondamentale sont irréfutables (il y a peut-être des détails à corriger, mais ils n’enlèvent rien à sa force). Cet ouvrage est incontournable ! »

Ce n’est pas le sujet de cet article, mais il est impératif d’établir qu’il existe une hypothèse selon laquelle les Chinois seraient arrivés en Amérique 71 ans avant Colomb. C’est un point qui devra être approfondi, mais dans d’autres parties du monde, les preuves sont claires : les Chinois sont arrivés au début du XVe siècle et aucun des territoires africains ou asiatiques visités par Zheng He ou d’autres navigateurs de ce pays ne parle chinois. De même, bien que Zheng He ait été musulman, ni sa religion ni la religion bouddhiste introduite en Chine 1 600 ans plus tôt n’ont été imposées aux pays qu’il a visités.

Il apparaît donc clairement qu’il était possible d’établir des liens commerciaux et des échanges culturels entre les peuples dans l’Antiquité. La Chine l’a fait, mais la civilisation européenne, intrinsèquement sauvage et violente, n’a pas pu le faire. Son ADN cruel a conduit l’humanité aux pires calamités de l’histoire : le racisme, le colonialisme, l’esclavage, le fascisme, le nazisme, le capitalisme, l’impérialisme, le sionisme et les deux guerres les plus brutales que la planète ait jamais connues. Il suffit de se rendre dans leurs musées pour voir avec quelle fierté ils exposent le produit de leurs méfaits.

Tous ces malheurs sont venus du sol européen La seule chose que le président López Obrador a demandée, c’est le pardon pour aller vers la nécessaire réconciliation. Mais pour l’Espagne ce n’est pas possible, comme je l’ai déjà dit, la violence et l’assujetissement sont dans son ADN. C’est ce qui explique son soutien actuel au gouvernement pro-nazi de l’Ukraine et les énormes ventes d’armes à Israël, alors qu’ils se torchent avec les droits humains des Palestiniens.

La guerre et les conflits sont le moteur de leur organisme. C’est pourquoi ils ne comprennent pas et ne comprendront pas qu’une majorité croissante de la planète les rejette et les répudie jusqu’à ce que, dans un avenir pas trop lointain, ils soient définitivement déposés sur le tas de fumier de l’histoire, un endroit où ils ont toujours été et d’où ils ne pourront jamais sortir.

Aujourd'hui c'est la FêtNat ! On doit cogner sur qui ?

 

 

11/10/2024

SAMAN MUDUNKOTUWAGE
Por qué era inevitable una victoria de la izquierda en Sri Lanka

Saman Mudunkotuwage, 10/11/202
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala

El autor es un exiliado de Sri Lanka que vive en Francia. Participó en la campaña para la elección presidencial del 22 de septiembre en Sri Lanka, que dio la victoria al candidato del JVP, Anura Kumara Dissanayake.

La victoria electoral de la izquierda en Sri Lanka es el resultado de varios años de lucha inquebrantable de los oprimidos de todos los orígenes sociales, étnicos y religiosos del país. Es importante señalar que esta victoria no habría sido posible sin la unificación de todos los revolucionarios supervivientes y víctimas de todas las represiones llevadas a cabo por los poderes corruptos desde la independencia en 1948. El principio británico de divide y vencerás fue finalmente derrotado por el pueblo de Sri Lanka el 21 de septiembre de 2024.

Anura Kumara Dissanayake, candidato del JVP de 55 años, fue elegido Presidente de la República Socialista Democrática de Sri Lanka el 21 de septiembre de 2024

Sin embargo, el Poder Nacional Popular (NPP), dirigidO por el partido marxista JVP (Frente de Liberación Popular de Sri Lanka), desea continuar con el programa del FMI. Al mismo tiempo, el partido se compromete a establecer un sistema económico más justo y razonable sin abolir completamente la propiedad privada de los medios de producción ni la economía de mercado que el país ha adoptado desde 1977. El gobierno del JVP se encuentra en una situación alarmante, enfrentado por un lado a conflictos regionales e internacionales organizados por USA, China e India, y por otro a una deuda de 55.000 millones de dólares que debe reembolsar a instituciones financieras de todo el mundo, sin olvidar a la parte de su electorado que exige un freno a las privatizaciones y la venta de recursos públicos. En definitiva, el JVP mantiene la llama encendida para preservar su poder y satisfacer a su electorado de izquierdas.

Para entender este nuevo giro político en Sri Lanka, es importante tener en cuenta que, durante 70 años, el pueblo ha estado dividido en varias tendencias político-étnicas y religiosas, impuestas abiertamente por la élite del país. Es más, durante todo el periodo colonial, las autoridades británicas también utilizaron criterios étnicos para elegir a los representantes de su asamblea consultiva nacional, con el fin de dividir a esta pequeña nación insular. A pesar de ello, el pueblo de Sri Lanka obtuvo el sufragio universal en 1934. Tras la independencia en 1948, el UNP (Partido Nacional Unido), un partido conservador de derechas apoyado por el Partido Comunista estalinista que actuaba siguiendo directrices de Moscú, obtuvo una mayoría relativa en el parlamento. Una vez en el poder, retiró inmediatamente el derecho al voto a los trabajadores de las plantaciones de té, cuyo único delito sindical fue negarse a apoyar la formación de un gobierno de derechas dirigido por el UNP. Estas buenas gentes llamaron a las fuerzas de izquierda del país a manifestarse junto a los trotskistas del LSSP para formar un gobierno socialista. Sin embargo, el Partido Comunista apoyó discretamente al UNP con la ayuda del SLFP, dirigido por el clan Bandaranaike, contra este proyecto. El Partido Nacionalista Tamil del Norte también apoyó al UNP en su plan de retirar la ciudadanía a los tamiles de las plantaciones de té, que habían sido traídos a pie por los británicos en pésimas condiciones desde la India para trabajar en el centro del país.

Desde 1960, el LSSP y el PC participaron juntos en la constitución de gobiernos capitalistas con el SLFP, obteniendo algunos ministerios, pero pronto olvidaron a los trabajadores que habían perdido su ciudadanía y su derecho al voto y que habían hecho campaña en gran medida junto a estos dos partidos de izquierda. Tuvieron que esperar hasta 1988 para recuperar su ciudadanía. Por otra parte, estos trotskistas y estalinistas respaldaron la redacción de constituciones con rasgos discriminatorios: la lengua cingalesa se convirtió en la lengua oficial, el budismo pasó a ser la religión del Estado, etc. Se estableció un sistema de cuotas para los estudiantes tamiles del Norte ante la existencia de escuelas católicas dirigidas por misioneros usamericanos para formar funcionarios, científicos, abogados y médicos al servicio de las autoridades británicas. En lugar de crear escuelas similares en el sur, el gobierno de izquierdas, apoyado por el PCSL y el LSSP, al igual que el gobierno de derechas, aprobó una ley que restringía el acceso de los estudiantes tamiles a la enseñanza superior en el país. Esta discriminación en la educación se convirtió en una de las causas preliminares que animaron a los jóvenes tamiles a convertirse en guerrilleros de los Tigres Tamiles ( LTTE) para la creación de un Estado independiente.

Desde la independencia, el pueblo tamil ha exigido, mediante manifestaciones pacíficas, el derecho a utilizar su lengua materna en sus relaciones con las autoridades. Estas luchas democráticas han sido violentamente reprimidas por todos los gobiernos, de izquierda y de derecha, desde 1948. A pesar de que el cingalés se ha convertido en la lengua oficial del país, todos los asuntos gubernamentales se llevan a cabo en inglés. Al final, el pueblo cingalés también fue víctima de esta maquinación lingüística anglosajona. Cuando los británicos abandonaron el país en 1948, sólo el 10% de la población -la élite de las comunidades cingalesa, tamil, musulmana y europea- hablaba inglés. Dentro de esta élite no había conflictos ni guerras, pero manipulaban sistemáticamente a las comunidades no anglófonas para acceder al poder exacerbando el racismo.

La participación del LSSP y el PC en los sucesivos gobiernos provocó la decepción y la ira de los trabajadores de Colombo y los campesinos. En los años 60 y 70, la revolución cubana y la guerra de Vietnam despertaron el odio contra el imperialismo en todos los países del mundo. En Sri Lanka, un joven marxista, víctima de la política del Kremlin, fundó un partido maoísta llamado Frente de Liberación Popular de Sri Lanka (JVP). Se convirtió en un icono entre los jóvenes no anglófonos, y fue visto como un enemigo a destruir por las dos formaciones burguesas, el UNP y el SLFP, apoyadas por el PCSL y el LSSP. Rohana Wijeweera, fundador del JVP, consideraba que en aquel momento la posición china era más progresista e internacionalista que la de Moscú. Por ello, las autoridades soviéticas se negaron a conceder un visado al joven marxista, que estudiaba medicina en la Universidad Patrice-Lumumba de Moscú.

Rohana Wijeweera, por Darsha Kapuge



Una de las escasas fotos de las semanas sangrientas de 1971: la mayoría de los jóvenes detenidos desaparecieron sin dejar rastro.

Frente a la represión dirigida por la Alianza Popular, formada por el PCSL y el LSSP, estalló una insurrección en abril de 1971 bajo la dirección del JVP. El gobierno, apoyado por una «Santa Alianza» (URSS, Yugoslavia, India, Pakistán, USA, China, Egipto), eliminó a más de 20.000 revolucionarios en una semana sangrienta, y 10.000 supervivientes fueron encarcelados. Este acontecimiento fue bautizado como «la Comuna de Ceilán» por el agrónomo René Dumont, futuro candidato ecologista a las elecciones presidenciales fraancesas de 1974, que se encontraba en la isla en el momento de la insurrección y publicó una columna sobre el tema en el número de julio-agosto de 1971 de la le revista Esprit, en la que recordaba que esas «semanas sangrientas» en Sri Lanka habían tenido lugar en el centenario del aplastamiento de la Comuna de París [lea la columna en francés aquí]. Sin embargo, «los ministros trotskistas del gobierno no dimitieron», se lamentaba Dumont en su libro de 1972, « Paysannerie aux abois (Ceylan, Tunisie, Sénégal)[Campesinados en apuros]».

Sacando lecciones de la insurrección, el gobierno emprendió una vasta reforma agraria, distribuyendo tierras a los más desposeídos. Hoy, el 80% de las tierras de Sri Lanka pertenecen directa o indirectamente al Estado. En estas tierras abundan el agua, las materias primas, el hierro, las piedras preciosas, el silicio, etc.


En la cárcel, el fundador y sus partidarios del JVP se reorganizaron y se convirtieron en un partido marxista-leninista, renunciando al maoísmo, al estalinismo, al trotskismo y al guevarismo, pero sin negar su compromiso con el socialismo. El partido ha creado un sistema de formación de revolucionarios profesionales que se comprometen sin recibir ningún salario, privilegio o compensación. Al día de hoy, los salarios de los representantes electos del partido se ingresan en un fondo para ayudar a la población en dificultades. En 1977, cuando llegó al poder, el UNP decidió liberar a los presos políticos del JVP. El nuevo gobierno también quería liberar a unos cuantos multimillonarios corruptos que habían sido encarcelados de por vida en virtud de la misma ley que había condenado a los militantes del JVP tras la insurrección de 1971.

Una vez excarcelados, los militantes del JVP abandonaron la lucha armada e iniciaron actividades políticas para participar en las elecciones. El partido obtuvo 13 escaños en las elecciones de distrito de 1981, que el UNP presentó como una solución a la cuestión nacional tamil. Durante la campaña electoral, la prestigiosa biblioteca en lengua tamil de Jaffna (con 100.000 obras] fue incendiada por un equipo dirigido por el antiguo jefe de Estado, Ranil Wicremesinghe, derrocado tras las elecciones del 21, según los medios europeos, un «liberal prooccidental» que aún no ha sido castigado por este crimen contra la humanidad. También estuvo implicado en la dirección de un cuartel de tortura donde fueron eliminados más de 5.000 jóvenes durante la guerra civil de 1987-1990.

El nuevo gobierno del UNP, instalado en 1977, introdujo un sistema liberal cada vez más salvaje, basado en los principios neoclásicos de Milton Friedman, asesor económico de Pinochet en Chile. Se recortó más del 60% de la producción agrícola del país animando a los sectores privados nacionales y extranjeros a importar más de lo que exportaban. Los cultivadores de cebollas rojas, pimientos, frutas y verduras (en su mayoría tamiles) se vieron obligados a abandonar la agricultura y emigrar al Mashreq y a Europa. Al mismo tiempo, el UNP creó una estructura neoliberal a escala nacional para promover la privatización de los servicios públicos y del sector industrial, incitando a las clases trabajadoras a rebelarse y desafiándolas en varias ocasiones. Se han privatizado los transportes, los servicios, la sanidad, etc. Los funcionarios convocaron una huelga general en 1980; más de 40.000 huelguistas fueron despedidos sin indemnización ni readmisión. Más de 50 funcionarios en huelga se suicidaron. La mayoría de los despedidos se unieron a la lucha armada contra el régimen.

Aprovechando la inestabilidad social y la división de los partidos de la oposición, el presidente del UNP, JR Jayawardene, apodado « Yankee Dickie », convocó una elección presidencial anticipada en 1982. Utilizando métodos de terror y fraude masivo, el UNP se toma el poder con el 52% de los votos. Rohana Wijeweera obtuvo el 4% de los votos y el JVP se convirtió en la tercera fuerza política del país. Sin celebrar elecciones generales en 1982, el gobierno en el poder convocó un referéndum para salvaguardar a sus diputados, que tenían mayoría absoluta en la Asamblea Nacional. El jefe del Estado diría más tarde que el objetivo del referéndum era utilizar todos los medios posibles para impedir que los diputados del JVP entraran en el Parlamento. El JVP emprende acciones legales contra el referéndum y el fraude electoral. Se convierte así en un enemigo para el UNP.

SAMAN MUDUNKOTUWAGE
Pourquoi la victoire de gauche au Sri Lanka était-elle inévitable ?

Saman Mudunkotuwage, 11/10/2024

L’auteur est un exilé srilankais vivant en France. Il a participé à la campagne pour l’élection présidentielle du 22 septembre au Sri Lanka, qui a vu la victoire du candidat du JVP Anura Kumara Dissanayake.

La victoire électorale de la gauche au Sri Lanka est le résultat de plusieurs années de lutte inflexible du peuple opprimé, issu de tous les milieux sociaux, ethniques et religieux du pays. Il est important de noter que cette victoire n’aurait pas été possible sans l’unification de tous les révolutionnaires survivants et des victimes de toutes les répressions menées par les pouvoirs corrompus depuis l’indépendance en 1948. Le principe britannique du « diviser pour mieux régner » a finalement été vaincu par le peuple sri-lankais le 21 septembre 2024.


Anura Kumara Dissanayake, candidat du JVP, 55 ans, a été élu président de la République socialiste démocratique du Sri Lanka le 21 septembre 2024

Néanmoins, le Pouvoir national populaire (NPP), dirigé par les marxistes du JVP (Front de libération populaire du Sri Lanka), souhaite continuer le programme du FMI. En même temps, le parti est engagé à mettre en place un système économique plus juste et raisonnable sans abolir totalement la propriété privée des moyens de production ni l’économie de marché que le pays a adoptée depuis 1977. Le gouvernement du JVP se trouve dans une situation alarmante face aux conflits régionaux et internationaux agencés par les USA, la Chine, et l’Inde, d’une part, et, d’autre part, face à une dette de 55 milliards de $ à rembourser auprès d’institutions financières du monde entier sans oublier la partie de ses électeurs qui exige un arrêt des privatisations et de la vente de ressources de l’État. En fin de compte, le JVP maintient une flamme entourée de feux afin de préserver son pouvoir et de satisfaire son électorat de gauche.

Pour comprendre ce nouveau virage politique au Sri Lanka, il faut prendre en considération que, durant 70 ans, le peuple a été divisé en plusieurs tendances politico-ethniques ou religieuses, imposées ouvertement par l’élite du pays. De plus, durant toute la période coloniale, les autorités britanniques ont également utilisé le critère ethnique pour choisir les représentants au sein de leur assemblée nationale consultative afin de diviser cette petite nation insulaire. Malgré tout, le peuple sri-lankais a obtenu le suffrage universel en 1934. Après l’indépendance en 1948, l'UNP (Parti National Uni), un parti conservateur de droite, soutenu par le parti communiste stalinien agissant sur les directives de Moscou, a obtenu la majorité relative au parlement. Une fois au pouvoir, il a immédiatement retiré le droit de vote aux ouvriers des plantations de thé, le seul crime de leur syndicat étant de refuser de soutenir la formation d’un gouvernement de droite dirigé par l’UNP. Ces braves gens ont appelé les forces de gauche du pays à manifester aux côtés des trotskystes du LSSP pour former un gouvernement socialiste. Cependant, le parti communiste a discrètement soutenu l'UNP avec l’aide du SLFP, dirigé par le clan Bandaranaike contre ce projet. Ainsi, le parti des nationalistes tamouls du Nord a également soutenu l'UNP dans le projet de retrait de la citoyenneté aux Tamouls de plantation de thé, amenés à pied par les Britanniques dans des conditions épouvantables depuis l’Inde pour travailler dans le centre du pays.

Depuis 1960, le LSSP et le PCSL ont participé ensemble à la constitution de gouvernements capitalistes avec le SLFP, obtenant quelques ministères, mais ils ont vite oublié le travailleurs ayant perdu leur citoyenneté et leur droit de vote qui avaient milité largement aux côtés de ces deux partis de gauche. Ils ont dû attendre 1988 pour retrouver leur citoyenneté. En revanche, ces trotskistes et staliniens ont entériné l’élaboration de constitutions aux caractéristiques discriminatoires : la langue cinghalaise est devenue la langue officielle, le bouddhisme est devenu la religion d'État etc.  Un système de quota pour les étudiants tamouls du Nord a été mis en place face à l’existence des écoles catholiques dirigées par des missionnaires usaméricains pour former des fonctionnaires, des scientifiques, des avocats et des médecins au service de l’autorité britannique. Au lieu de créer des écoles similaires dans le sud, le gouvernement de gauche, soutenu par le PCSL et le LSSP, tout comme la droite, a adopté de loi limitant l'accès des étudiants tamouls à l'enseignement supérieur du pays. Cette discrimination en matière d'éducation est devenue l'une des causes préliminaires incitant les jeunes Tamouls à devenir guérilleros au sein des Tigres tamouls LTTE, pour la création d’un État indépendant.

Depuis l’indépendance, le peuple tamoul a, par des manifestations pacifiques, revendiqué le droit d'utiliser sa langue maternelle dans ses relations avec les autorités. Ces luttes démocratiques ont été violemment réprimées par tous les pouvoirs de droite comme de gauche depuis 1948. Même si la langue cinghalaise est devenue la langue officielle du pays, toutes les affaires de l'État se sont faites en anglais. En fin de compte, le peuple cinghalais est également devenu victime de cette machination linguistique anglo-saxonne. Lorsque les Britanniques ont quitté le pays en 1948, seulement 10 % de la population – l’élite appartenant aux communautés cinghalaise, tamoule, musulmane et européenne - parlait anglais. Au sein de cette élite, il n’y a pas eu de conflit ou de guerre ; mais ils ont systématiquement manipulé les communautés non-anglophones pour accéder au pouvoir en exacerbant le racisme.

La participation du LSSP et du PCS aux gouvernements successifs a provoqué des déceptions et des colères parmi les travailleurs de Colombo et les paysans. Dans les années 60-70, la Révolution cubaine et la guerre du Vietnam ont suscité la haine contre l’impérialisme dans tous les pays du monde. Au Sri Lanka, un jeune marxiste, victime de la politique du Kremlin, a fondé un parti maoïste, dénommé le Front de libération populaire du Sri Lanka (JVP). Devenu une icône chez les jeunes non-anglophones, il était perçu comme un ennemi à abattre par les deux formations bourgeoises, l’UNP et le SLFP, soutenus par le PCSL et le LSSP. Rohana Wijeweera, lefondateur du JVP, considérait qu’à cette époque, la position chinoise était plus progressiste et internationaliste que celle de Moscou. En conséquence, les autorités soviétiques refusèrent d’accorder un visa au jeune marxiste, qui était étudiant en médecine à l’université Patrice-Lumumba de Moscou.


Rohana Wijeweera, par Darsha Kapuge

Une des rares photos des semaines sanglantes de 1971 : la plupart des jeunes raflés ont sans doute disparu sans laisser de traces

Face à la répression menée par l’Alliance populaire, composée du PCSL et du LSSP, une insurrection a éclaté en avril 1971 sous la direction du JVP. Le gouvernement, soutenu par une « Sainte Alliance » (URSS, Chine, Yougoslavie, Inde, Pakistan, USA, Égypte), a éliminé plus de 20 000 révolutionnaires en une semaine sanglante, et 10 000 survivants ont été emprisonnés. Cet évènement a été dénommé « la Commune de Ceylan » par l’agronome René Dumont, futur candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1974, qui se trouvait dans l’île au moment de l’insurrection et publia une chronique à ce sujet dans revue Esprit de juillet-août 1971, où il rappelait que ces « semaines sanglantes » srilankaises avaient eu lieu pour le centenaire de l’écraement de la Commune de Paris [lire la chronique ici]. Cependant, « les ministres trotskistes du gouvernement n’ont pas démissionné », regrettera Dumont dans son ouvrage paru en 1972, « Paysannerie aux abois (Ceylan, Tunisie, Sénégal) ». 


Tirant les leçons de l’insurrection, le gouvernement a entrepris une vaste réforme foncière en distribuant des terres aux plus démunis. Aujourd’hui, 80 % des terres sri-lankaises appartiennent directement ou indirectement à l'État. Ces terres regorgent d'eau, de matières premières, de fer, de pierres précieuses, de silicium, etc.


Dans les prisons, le fondateur et ses partisans du JVP se réorganisent et deviennent un parti marxiste-léniniste, renonçant au maoïsme, au stalinisme, au trotskisme et au guévarisme, sans pour autant refuser leur engagement envers le socialisme. Le parti a créé un système pour former des révolutionnaires professionnels qui s'engagent sans percevoir de salaire, de privilèges ou de compensations. Les salaires des élus du parti sont versés dans un fonds d’aide à la population en difficulté jusqu'à aujourd'hui. En 1977, arrivé au pouvoir, l'UNP a décidé de libérer les prisonniers politiques du JVP. Le nouveau pouvoir voulait également faire sortir quelques milliardaires corrompus emprisonnés par la même loi qui avait condamné les militants du JVP à la suite de l’insurrection de 1971, qui se trouvaient en détention à perpétuité.

Une fois sortis de prison, les militants du JVP ont renoncé à la lutte armée et ont commencé des activités politiques pour participer aux élections. Le parti a obtenu 13 élus lors de l’élection de districts en 1981, présentée par l’UNP comme une solution à la question nationale tamoule. Durant la campagne électorale, la prestigieuse bibliothèque de 100 000 ouvrages de langue tamoule située à Jaffna a été brûlée par une équipe dirigée par l’ancien chef d’État renversé à la suite de l’élection du 21 septembre 2024, Ranil Wicremesinghe, un « un libéral pro-occidental », selon les médias européens, qui n’a pas été puni jà ce jour pour ce crime contre humanité. Il était également impliqué dans la direction d'une caserne de torture où plus de 5 000 jeunes ont été éliminés durant la guerre civile de 1987-1990.

Le nouveau pouvoir de l’UNP, installé en 1977, a instauré un système libéral de plus en plus sauvage en introduisant les principes néoclassiques de Milton Friedman, le conseiller économique de Pinochet au Chili. L’agriculture du pays a été réduite de plus de 60 % de sa production en encourageant les secteurs privés nationaux et étrangers à importer davantage qu’à exporter. Les cultivateurs d’oignons rouges, de piments, de fruits et de légumes (majoritairement des Tamouls) ont été poussés à cesser de cultiver et contraints à l’émigration vers le Machrek et l’Europe. Dans le même temps, l'UNP a mis en place une structure néolibérale à l'échelle nationale pour favoriser la privatisation des services publics et du secteur industriel, incitant ainsi les classes populaires à se révolter et à les défier à plusieurs reprises. Les transports, les services, la santé, etc., ont été privatisés. Les fonctionnaires ont appelé à une grève générale en 1980 ; plus de 40 000 grévistes ont été licenciés sans indemnisation, compensation ou réintégration. Plus de 50 fonctionnaires grévistes se sont suicidés. La plupart de ces personnes licenciées sont entrées dans la lutte armée contre le régime.

Profitant de l’instabilité sociale et de la division des partis d’opposition, le président de l’UNP, JR Jayawardene, surnommé « Yankee Dickie », appelle à une élection présidentielle anticipée en 1982. Par des méthodes de terreur et de fraudes massives, l’UNP s’empare du pouvoir avec 52 % des voix. Rohana Wijeweera obtient 4 % des voix et le JVP devient la troisième force politique du pays. Sans organiser d’élections législatives en 1982, le pouvoir en place convoque un référendum pour sauvegarder ses députés qui assurent la majorité absolue de l’Assemblée nationale. Le chef d’État dira plus tard que l’objectif de ce référendum était d’éviter par tous les moyens l’entrée de députés du JVP au parlement. Le JVP saisit la justice contre le référendum et les fraudes électorales. Il devient alors un ennemi à abattre pour l’UNP.

10/10/2024

AZIZ KRICHEN
Un mundo se muere, otro se levanta
Libro libre del Taller Glocal


Este libro del tunecino Aziz Krichen muestra, por fin, un político que sabe escribir, que sabe de economía y de historia, y te deja las cosas claras! El texto que sigue debiese formar parte del cursus de las Facultades de Economía y/o de Historia. Nos ayuda a comprender la génesis de nuestro propio drama. Accesible a cualquier lector interesado en saber cómo deciden de nuestra suerte en los areópagos de Washington. ¡Que aproveche!

Aziz Krichen
Un mundo se muere, otro se levanta
El trastorno del imperio yanqui (1970-2010)

Traducción colectiva revisada por Luis Casado y editada por Fausto Giudice

Ediciones The Glocal Workshop/El Taller Glocal, octubre de 2024
Colección Tezcatlipoca N°6
148 páginas, Formato A5
Clasificación Dewey: 320 – 330 -900

Descargar LIBRO LIBRE

 

 

09/10/2024

DOHA CHAMS
Un monde qui finit et un autre qui ne commence même pas : Beyrouth, octobre 2024

Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 4/10/2024

Original : عالم ينتهي وآخر لا يبدأ

Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

 Rouler dans la rue, c’est ce que je ressentais, comme si mes pieds étaient devant moi et que mon corps les rattrapait. Parfois, je restais comme ça un moment, je faisais une pause pour retrouver un équilibre que je me sentais sur le point de perdre, puis je me remettais à marcher de plus en plus lentement, malgré moi, comme une vieille femme seule et désemparée qui porte un poids trop lourd pour elle.


Beyrouth ces derniers jours. Photo Diego Barra Sanchez/The New York Times/Redux/Laif

Il fallait que je sorte. Je suis allée à la banque, j’ai récupéré l’« argent de poche» mensuel de mon dépôt qui avait été bloqué pendant six ans. Puis j’ai marché comme une vagabonde, comme une machine en ruine, comme le van numéro 4 qui, malgré toutes les destructions, circule encore de la banlieue dévastée qui m’a amenée ici, jusqu’à la rue Hamra.

Je marche en me persuadant que je suis en train de visiter l’endroit et non pas d’errer, sans savoir quoi faire. C’est comme si mes intestins flottaient dans mon ventre, aussi erratiquement que le font les astronautes sur la lune à cause de l’apesanteur.

Près du journal As-Safir, qui était à son apogée quand Israël est entré dans Beyrouth en 1982, et dont les employés se tenaient devant sa porte pour empêcher les soldats d’entrer, divers réfugiés de nos patries arabes sinistrées et des déplacés des lieux bombardés, que ce soit les banlieues, le sud, la Bekaa ou même Beyrouth, après qu’Israël a bombardé avant-hier un de ses immeubles résidentiels et assassiné trois dirigeants palestiniens, dont l’un était une de mes connaissances.

Irakiens, Syriens, Soudanais, et Égyptiens, ainsi que les pauvres d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh.

Près d’un rassemblement de personnes déplacées, un petit magasin express s’active pour répondre à leurs besoins, et au coin de la rue, je m’attarde devant une petite librairie qui a ouvert ses portes pour je ne sais quelle raison. Je lis les titres des livres proposés, essayant de trouver quelque chose pour me distraire de la tristesse indescriptible qui m’étreint. Comment échapper à la tristesse qui vous habite ?

Une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue de noir, comme si elle était en deuil, sort de l’intérieur, une cigarette allumée à la main, pour me demander si j’ai besoin d’aide. Son visage est fatigué, comme si elle n’avait pas dormi depuis des jours. Elle me demande, mais elle me regarde un instant, et puis c’est comme si elle me reconnaissait de quelque part. Elle pose sa cigarette allumée sur le bord du cendrier, puis tend la main avec empressement pour me serrer la main en se présentant par son nom complet, comme si j’étais une vieille amie qu’elle avait enfin rencontrée. Je maudis ma mémoire défaillante tout en essayant de sourire pour camoufler mon ignorance de la personne à qui je parlais. Mais une chaleur émanait de ces yeux, et de ses paumes qui se resserraient autour de ma main.

J’ai regardé ses yeux rougis d’avoir tant pleuré, et elle a regardé à son tour mes yeux gonflés, et nous n’avons pas pu nous empêcher de pleurer ensemble, silencieusement et sans bruit.

Nous étions des étrangères, mais ce que nous pleurions était la même chose. Me voilà enfin en train de pleurer. J’ai laissé mes larmes, retenues par la colère et une douleur unique, couler tranquillement comme si elles avaient enfin trouvé un endroit sûr pour se déverser sans provoquer la jubilation de qui que ce soit.

Elle a pleuré, j’ai pleuré. Sans un mot. Nous nous sommes assises sur un divan coincé entre les nombreux livres poussiéreux de cette librairie étroite, à l’angle de deux rues, rendue encore plus exiguë par le nombre de livres et d’objets qui s’y trouvaient. Une pièce sans lumière, aussi sombre que le ciel à l’extérieur, comme si elle venait d’ouvrir ses portes après une longue période de fermeture. L’odeur était mélangée, entre l’atmosphère d’un pub, remplie d’odeurs de cigarettes éventées, de boissons et de vie nocturne, et l’odeur des livres que personne n’a achetés depuis longtemps. Nous pleurons en silence, puis chacune de notre côté, nous sortons un mouchoir de la boîte, nous essuyons nos larmes et nous ne disons rien. Au bout de quelques minutes, elle soupire et dit avec un sourire triste : « Tu bois du café ? »

J’étais soulagée de pleurer ensemble. Je suis allée jusqu’au quartier Bristol. Devant un petit magasin de téléphonie, deux jeunes hommes étaient assis en train de fumer. J’ai entendu l’un d’eux dire à l’autre qu’il n’osait pas aller voir son magasin dans la banlieue, non pas par crainte des bombardements israéliens « auxquels on est habitués », mais par crainte de constater la destruction de son gagne-pain.

Siham dort également dans la zone portuaire où elle travaille comme infirmière bénévole. La nuit de l’assassinat, vers l’aube, ses jambes l’ont trahie lorsqu’elle a constaté que sa maison, située à quelques rues de l’endroit où les Israéliens ont bombardé la zone, semblait s’effondrer dans la lumière des premiers rayons de l’aube. Elle est restée quelques minutes dans la lumière de l’aube naissante, puis a quitté l’endroit dévasté et a repris la route vers son lieu de travail.

Dans l’immeuble Concorde de la rue de Verdun, près de la rue Hamra, je me rends dans un centre de visas pour me renseigner sur certaines conditions en vue d’une invitation professionnelle dans un pays étranger. Le centre se trouve au cinquième étage du bâtiment, et le journal Al-Akhbar pour lequel je travaillais se trouve au sixième étage. D’habitude, je passe saluer mes collègues. Mais aujourd’hui, je n’ai pas pu.

Je pars en me disant que mon passage devant les deux journaux pour lesquels j’ai travaillé pendant vingt et un ans n’était peut-être pas une coïncidence. Peut-être que mon travail de reporter sur le terrain en temps de guerre me manquait. Lorsque je l’ai fait, j’ai eu l’impression de contribuer à la défense de ma patrie. Quelque chose qui donnerait un sens à ma vie dans ce pays qui a été « conçu » par les colonisateurs lorsqu’ils ont « dessiné la carte de l’Orient » pour qu’il soit une arène de conflits et de compromissions pour ceux qui détiennent le pouvoir, et non un pays sûr pour son peuple. Aujourd’hui, ils veulent le redessiner. Dans quel but, n’est-ce pas évident ?

Le surplus de pouvoir dont jouit le brutal Israël et la galaxie de puissants intimidateurs qui le soutiennent les fait jouir. Ce n’est pas grave. Allez, on y va. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Voyons comment ça se termine.

Sur le chemin du retour, au détour d’un virage, je croise un ancien collègue. Nous sommes à deux mètres l’un de l’autre et il sourit de surprise, heureux de me voir, mais les yeux aussi gonflés que les miens. J’ai envie de pleurer encore pour savoir comment il va, mais il ne dit pas un mot, il me serre dans ses bras sans rien dire, et il pleure aussi.