04/06/2025

AMIR GOLDSTEIN
L’“Alliance des voyous”, L’aile fasciste du sionisme qui a adopté le salut nazi

Alors même que les Juifs cherchaient à fuir l’Allemagne, une faction extrémiste de la droite sioniste louait la montée des nazis et voyait en Ze’ev Jabotinsky le “Duce hébreu”

Amir Goldstein, Haaretz 23/52025

Amir Goldstein (1969) est historien au Tel Hai Academic College. L’article se fonde en partie sur les recherches de ceux qui ont jeté les bases de l’étude du sionisme révisionniste : Joseph Heller, Yechiam Weitz, Arye Naor, Eran Kaplan, Colin Shindler et Yaacov Shavit.

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Abba Ahiméir, fondateur et chef du groupe de jeunes juifs rebelles antibritanniques connu sous le nom de “Brit Ha’birionim” [Alliance des voyous]. Photo Ze’ev Aleksandrowicz / Institut Jabotinsky

La plate-forme la plus importante sur laquelle repose l’aile politique de la droite sioniste a été mise en place il y a 100 ans. Le 25 avril 1925, Ze’ev Jabotinsky et un groupe de Juifs d’origine russe qui épousaient des vues proches des siennes se sont réunis à Paris et ont déclaré la fondation d’un nouveau parti sioniste, connu sous le nom d’Alliance sioniste révisionniste.

Comme beaucoup d’autres mouvements politiques, Tzohar (son acronyme hébreu) était plus diversifié qu’on ne le pense généralement, tant sur le plan idéologique que sociologique. Dès la fin des années 1920 et le début des années 1930, alors que sa force ne cessait de croître, le parti a été déchiré par une lutte sur son caractère.

Un groupe, relativement modéré, considérait le révisionnisme comme un parti politique qui devait opérer au sein de l’Organisation sioniste (comme l’Organisation sioniste mondiale s’appelait alors) et s’efforcer d’unir autour de lui des groupes issus du centre politique sioniste au sens large. Selon cette approche, une activité organisationnelle systématique et l’appui sur la position éminente de Ze’ev Jabotinsky pouvaient faire du révisionnisme un élément dominant dans les rangs sionistes.

Jabotinsky lui-même adopte une approche différente. Comme les modérés, il cherche à diriger une forme de sionisme politiquement activiste, s’appuyant sur le soutien de l’Empire britannique et cherchant à fusionner un élan national résolu avec le libéralisme. Toutefois, à la différence des modérés, il s’oppose au maintien de l’Alliance au sein de l’organisation sioniste. Pour Jabotinsky, le révisionnisme est une espèce sioniste singulière et, en tant que telle, sa vocation est d’agir comme un mouvement indépendant.

Tzohar réalise une performance impressionnante au Congrès sioniste de 1931, en triplant son soutien et en obtenant plus de 20 % des délégués. Jabotinsky, cependant, n’est pas satisfait de ce résultat et est déterminé à précipiter une crise qui l’aiderait à rompre avec l’Organisation sioniste.


Ze’ev Jabotinsky. Il cherche à diriger une forme de sionisme qui s’appuie sur le soutien de l’Empire britannique. Photo : Roger-Viollet / Léopold Mercier / AFP

Il formule un projet de résolution déclarant que l’objectif du sionisme est l’établissement d’un État juif, et lorsque ce projet est rejeté, il déchire sa carte de délégué et se prépare à déclarer l’établissement d’une fédération sioniste séparée. À son grand dam, même après cet acte démonstratif, la majorité des délégués révisionnistes continue de rejeter l’idée de quitter l’Organisation sioniste.

Un troisième groupe de Tzohar, une faction maximaliste totalement opposée à la ligne modérée, a vu le jour dans les rangs de la droite en Palestine mandataire à la fin des années 1920. Ses fondateurs et dirigeants, qui étaient passés à droite du mouvement travailliste, ne voyaient pas l’intérêt pour le révisionnisme de fonctionner comme un parti d’opposition et soutenaient l’aspiration de Jabotinsky à diriger l’Organisation sioniste.

Dans le même temps, les membres les plus virulents s’opposent à Jabotinsky dans deux contextes liés : ils insistent pour que la Grande-Bretagne soit considérée comme un occupant étranger dans le pays et demandent qu’une révolte soit lancée contre les autorités du Mandat.

Ils s’opposent également à l’engagement manifeste du leader du Tzohar de contrebalancer son propre caractère national agressif par une approche libérale et humaniste. Le fascisme a envoûté ces cercles. Il leur a montré comment une force politique pouvait prendre de l’ampleur, entraîner les masses dans son sillage, prendre le contrôle des institutions d’un État, développer un régime autoritaire et vaincre les partis ouvriers.

Abba Ahiméir est l’une des personnalités du Yichouv - la communauté juive d’avant 1948 en Palestine mandataire - qui a franchi la ligne de démarcation entre la gauche et la droite. Sa répulsion à l’égard de la démocratie était déjà apparente au moment où il est passé des travaillistes au révisionnisme. Pour lui, le parlement jacassant est obsolète, tout comme le libéralisme et les droits humains, qu’il qualifie d’“indulgences”.

Ahiméir exprime explicitement son désir d’un régime tyrannique - une « dictature nationale » - et entreprend de manière démonstrative et avec détermination d’instiller le principe d’une direction fasciste dans le mouvement. Qualifiant Jabotinsky de “Duce” et de “notre Duce”, il tente dans l’un de ses articles de l’encourager, bien que son parti ne constitue qu’une minorité au sein du mouvement sioniste.

La rupture entre Jabotinsky et les maximalistes de son mouvement se produit un mois avant l’assassinat de Haim Arlosoroff.

« L’esprit du Duce ne doit pas faiblir » , écrit Ahiméir, même si « seule une poignée s’est rassemblée sous sa bannière . C’est ainsi que va le monde, la minorité doit gouverner la majorité. Elle régnera vraiment, par la force des armes ou par la force de sa foi » Il exhorte le “Duce hébraïque” à « organiser ici les quelques personnes capables de se conformer à sa discipline » et appelle à la formation d’une force efficace, baptisée « Garde nationale ».

Le groupe maximaliste est une force montante qui attire un nombre croissant de membres de la jeune génération de droite. En 1930, il bénéficie du soutien de la majorité des révisionnistes de la Palestine mandataire. Un an plus tard, ses dirigeants fondent Brit Ha’birionim (Association des Voyous), une organisation indépendante qui n’est pas subordonnée au Parti révisionniste, plus modéré. Par la suite, ils publient un journal qui exprime leurs opinions anti-establishment, nommé Ha’am, qui évolue en Hazit Ha’am (Front national).

À ce stade, d’une part, une alliance existe entre Jabotinsky et les radicaux de son mouvement, basée sur leur désir commun de provoquer le départ des révisionnistes de l’Organisation sioniste, tandis que d’autre part, les différences conceptuelles entre eux remontent à la surface. La question de l’attitude à l’égard de la Grande-Bretagne n’est pas encore au cœur de l’affrontement. La principale controverse portait en fait sur l’influence du fascisme : la droite sioniste serait-elle nationale-libérale ou nationale-intégriste, c’est-à-dire fasciste ?

En avril 1932, lors de la conférence de Tzohar à Tel Aviv, Ahiméir déclare que c’est un désastre que le sionisme « ait été éduqué et développé en accord avec le point de vue libéral ». La demande d’extraire le révisionnisme du « marécage libéral » - aujourd’hui, le terme serait « progressiste » - s’intensifie à l’approche du congrès mondial du mouvement, à l’été de cette année-là. Un certain nombre de délégués souhaitaient que l’accent soit mis sur les aspects fascistes de la droite sioniste. L’un d’entre eux, Leone Carpi, a fait un salut fasciste en entrant dans la salle, ce qui a suscité une réaction similaire de la part de certains délégués. Au cours de son discours, qui portait sur les « affinités entre le fascisme et le révisionnisme », il s’est écrié : « Messieurs, nous avons un leader qui a tout ce qu’il faut pour devenir un dictateur ».

Au congrès, Jabotinsky tente de se frayer un chemin entre les modérés et les maximalistes. Cependant, l’ambiance radicale qui règne ne lui laisse pas d’autre choix que d’émettre un message ferme : « Dans le monde d’aujourd’hui, en particulier parmi la jeune génération, le rêve d’un dictateur est devenu une épidémie. Je saisis cette occasion pour réaffirmer que je suis un ennemi implacable de ce rêve ». Il ajoute : « Je ne travaillerai jamais avec des gens qui sont prêts à subordonner leur opinion à la mienne... Je tiens absolument à la structure démocratique de notre mouvement. »

Le leader de Tzohar a pris note de la force croissante des cercles radicaux en Europe et de leur succès à attirer une partie de la jeune génération. Il souligne qu’il « méprise l’hitlérisme sous toutes ses formes ». Cependant, une demi-année plus tard, lorsque les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne, le conflit interne au sein de son mouvement s’est aggravé : les idées explicitement anti-démocratiques du maximalisme révisionniste ont désormais une nouvelle source d’inspiration.

Adolf Hitler, qui avait réussi à transformer un parti d’opposition marginal en une force montante, constituait un nouvel exemple de leadership dynamique et déterminé qui n’hésitait pas à recourir à tous les moyens et qui, par conséquent, réussissait, selon les termes de Yehoshua Heschel Yeivin, membre influent de Tzohar, à construire la « formidable nouvelle Allemagne ».

À ce stade, en 1932, l’antisémitisme nazi n’était pas perçu par Ahiméir et ses associés comme une raison suffisante pour déplorer le nazisme en tant que phénomène général. Le journal du mouvement, Hazit Ha’am, cite l’avocat Zvi Eliahu Cohen, un maximaliste : « S’il n’y avait pas l’antisémitisme d’Hitler, nous n’aurions pas d’objection à sa doctrine. Hitler a sauvé l’Allemagne ». Dans un autre article, publié quelques semaines après l’accession d’Hitler au pouvoir, le journal écrit : « Les sociaux-démocrates de tous bords pensent que le mouvement hitlérien est une coquille vide. Et nous pensons qu’il y a une coquille mais qu’il y a aussi quelque chose à l’intérieur. Il faut se débarrasser de la coquille antisémite, mais pas de l’intérieur antimarxiste ».

À l’arrière-plan, on trouve une lutte mondiale - en tout cas européenne - entre la gauche et la droite, et une confrontation parallèle, de plus en plus dure, dans les rangs sionistes et dans le Yichouv. La violence et une lutte agressive contre le Tzohar se manifestaient également au sein du mouvement travailliste. Le zèle de chaque camp alimente celui de ses rivaux. Les dirigeants de Brit Ha’birionim, observant comment la gauche avait été vaincue en Italie et en Allemagne, espéraient que le tour du révisionnisme révolutionnaire dans le sionisme était maintenant venu pour balayer dans son sillage la rue juive des notions cosmopolites et socialistes.

Jabotinsky lui-même a donné un coup de pouce à la tendance radicale. En mars 1933, frustré par son échec prolongé à persuader les modérés de son mouvement de se retirer de l’Organisation sioniste, il décide de dissoudre les institutions du parti et de s’en faire le chef suprême. Il le fait la veille de l’adoption en Allemagne de la loi d’habilitation, par laquelle Hitler subordonne le Reichstag à son gouvernement.

Les maximalistes se réjouissent de la dissolution des institutions du mouvement révisionniste, dont les positions sont modérées. Ils espèrent que Jabotinsky a enfin décidé d’adopter le principe de direction autoritaire qui était leur idéal depuis quelques années. Ahiméir déclare qu’il s’agit d’une nouvelle étape révolutionnaire dans les annales du sionisme, une étape qui caractérise les mouvements d’orientation nationale dans lesquels les cercles radicaux triomphent après avoir choisi de rompre leurs liens avec la « congrégation du mal », c’est-à-dire les cadres démocratiques défaillants. Parmi les noms prestigieux cités par Ahiméir dans l’article où il loue la démarche radicale de Jabotinsky, on trouve Mussolini et Hitler.

Le 1er mars 1933, Ahiméir est explicite dans les remarques qu’il fait lors d’une réunion à Rosh Pina du mouvement de jeunesse révisionniste, les Escadrons de mobilisation du Betar. « Nous nous trouvons dans une vaste mer de mapaïsme [en référence au parti dominant du Yichouv, dirigé par Ben-Gourion] et nous sommes influencés par lui. La tâche primordiale de notre mouvement devrait être ja, brechen ! [ce qui signifie en yiddish « oui, rompre » et fait référence à un article bien connu de Jabotinsky datant de l’année précédente] avec la gauche et l’Organisation sioniste. Les escouades du Betar ne doivent pas être un faux-semblant, mais de véritables escouades Betari qui ressembleront à celles d’Hitler, de Mussolini ou de Lénine en termes d’empressement à accomplir leur tâche ».

À cette époque, Jabotinsky encourageait un boycott résolu d’Hitler. Il s’oppose à l’accord de transfert que l’Agence juive a signé avec les représentants du gouvernement nazi, qui permet aux Juifs fuyant l’Allemagne de transférer une partie de leurs biens en Palestine. Selon lui, le raisonnement qui sous-tend cet accord constitue une grave entorse à l’idéologie démocratique révisionniste et une position intolérable à l’égard de l’intérêt juif.

Craignant que l’approche d’Ahiméir et de son camp n’inflige des dommages irréversibles à l’image de son parti, il lance un appel « pour arrêter cette folie ». Il n’hésite pas non plus à utiliser des invectives féroces pour fustiger la tendance à adopter des éléments du nazisme, les qualifiant d’“abomination”, d’“ignorance” et d’“hystérie répugnante”. Si le langage utilisé dans Hazit Ha’am par les auteurs de Brit Ha’birionim ne change pas, il avertit qu’il exigerait leur expulsion du parti et qu’il romprait ses liens personnels avec eux.


Abba Ahiméir, menotté, amené au tribunal de Jérusalem, 1933. Il est accusé d’avoir participé à l’assassinat de Haim Arlosoroff. Photo Institut Jabotinsky

La rupture entre Jabotinsky et les maximalistes de son mouvement se produit un mois avant l’assassinat de Haim Arlosoroff, un leader sioniste socialiste du Yichouv. Apparemment, les messages tranchants ont incité Ahiméir et ses associés à affirmer leur opposition au régime nazi, qui avait également commencé à prendre des mesures initiales contre les Juifs d’Allemagne. Brit Ha’birionim a organisé un certain nombre d’actions symboliques contre le consulat allemand dans le pays et a lancé une campagne, qui a parfois glissé vers l’incitation, contre l’accord de transfert et son architecte, Haim Arlosoroff. Les invectives contre Arlosoroff se poursuivent dans les jours qui précèdent son assassinat, en juin 1933, sur le bord de mer de Tel Aviv.

Ahiméir est arrêté et accusé d’être impliqué dans le meurtre. Il est jugé, ainsi que deux membres du mouvement révisionniste, Avraham Stavsky et Zvi Rosenblatt, mais tous trois sont finalement acquittés par le tribunal britannique. Néanmoins, ce meurtre a entaché le mouvement révisionniste d’une réputation permanente de fascisme et de violence politique.

L’inquiétude de Jabotinsky, exprimée quelques semaines plus tôt, concernant les dommages éventuels causés au mouvement par les louanges de Brit Ha’birionim envers le nazisme, s’était maintenant concrétisée, mais elle venait d’une autre direction. Les messages publiés dans Hazit Ha’am ont suscité la méfiance de la gauche à l’égard des militants du groupe d’Ahiméir. La conviction des dirigeants du mouvement travailliste et de nombre de ses membres que le motif du meurtre était politique était sincère, mais on ne peut ignorer que ce point de vue résultait en partie d’un désir de régler leurs propres comptes politiques.

Le printemps et l’été 1933 sont marqués par une intense lutte publique dans le Yichouv, avant les élections des délégués au 18e  congrès sioniste, prévues pour le mois de juillet. Contrairement à l’opinion dominante, les recherches actuelles ne permettent pas d’affirmer que l’assassinat d’Arlosoroff a eu un impact considérable sur les élections. Les partis ouvriers ont récolté le fruit d’un travail intensif entrepris par le biais d’un système organisé qui était déjà en place et qui a été activé de manière opportune et intelligente au moment opportun.



Haim Arlosoroff, leader sioniste socialiste du Yichouv, est assassiné en juin 1933 sur le bord de mer de Tel Aviv.

Le mouvement révisionniste, en revanche, récolte les fruits pourris de la lutte interne qui le déchire. Sa structure organisationnelle se désagrège à la veille même de cette épreuve cruciale, du fait de la rupture que lui impose Jabotinsky en dissolvant ses institutions et en éloignant les dirigeants du courant modéré. Quant aux relations entre la droite et la gauche dans le sionisme, leur exacerbation à la suite de l’assassinat d’Arlosoroff a donné le coup de grâce au départ des révisionnistes de l’Organisation sioniste.

Comment s’est déroulée la lutte sur le caractère du mouvement révisionniste ? L’élan de l’activité d’Ahiméir est ralenti par l’hostilité qui suit son arrestation, ainsi que par sa prétention à devenir une figure politique dominante. Les accusations d’activités illégales portées contre les membres du Tzohar et le procès qui s’ensuit réduisent la tension interne dans les rangs du révisionnisme.

Jabotinsky travaille vigoureusement à la défense des accusés. Le journal de prison d’Ahiméir est rempli de gratitude et d’admiration pour le leader qu’il venait à peine de défier.

Vers la fin de l’année 1934, cependant, la lutte interne semble sur le point d’éclater à nouveau. A ce stade, au milieu de la confrontation amère et violente entre la droite et la gauche dans le Yichouv et dans le mouvement sioniste, Ben-Gourion et Jabotinsky tiennent des discussions intensives à Londres et, pendant plus d’un an, formulent une série d’accords qui visent à apporter une réconciliation interne au sein du mouvement sioniste.

Ahiméir est amèrement déçu d’apprendre que Jabotinsky tente de parvenir à un modus vivendi avec Ben-Gourion. Dans son journal, il décrit les accords entre les deux hommes comme une tentative de ce dernier de se débarrasser de la droite en lui donnant le baiser de la mort. Il critique Jabotinsky pour être tombé dans ce piège, l’attribuant à la noblesse du leader révisionniste, à sa tendance à la paix et peut-être aussi à « son désir de s’attirer des faveurs ».

En fin de compte, l’accord entre Ben-Gourion et Jabotinsky n’est pas appliqué. Des éléments éminents de la gauche, dont la conscience du danger inhérent au fascisme juif avait été renforcée par l’assassinat d’Arlosoroff, rejetèrent l’accord et en provoquèrent l’abandon. Une fois de plus, les relations entre Jabotinsky et Ahiméir s’enveniment. L’ouverture même de Jabotinsky à un rapprochement avec la gauche incite Ahiméir à envisager pour la première fois la possibilité de quitter le mouvement révisionniste et de le déborder en créant un nouveau mouvement.

Un parti semi-fasciste est-il réellement sur le point d’être créé au sein du mouvement sioniste en Terre d’Israël ? Cette possibilité peut être considérée comme une rêvasserie de l’auteur du journal, bien qu’Ahiméir soit entré dans les détails. Il propose un nom pour le nouveau mouvement qu’il va créer avec ses associés maximalistes - « Hazit Ha’am », le « Front du Peuple » - faisant écho au nom du journal qu’il avait été contraint de fermer sur l’ordre des cercles libéraux de Tzohar ; et il expose également ce qu’il propose comme programme de base du nouveau parti : il s’appuiera sur un sionisme politique qui s’efforcera d’établir un État juif dans les frontières de la « Terre d’Israël du roi David ».

Le dénouement de cette étape de la lutte entre le libéralisme et le fascisme dans la droite sioniste se produit quelques mois après la sortie de prison d’Ahiméir en août 1935. Lors d’une visite en Pologne, il reçoit un accueil ému et admiratif de la part des sections du mouvement dans ce pays. S’adressant au quatrième congrès du Betar-Pologne, qui se tient à Varsovie en juin 1936, il reproche au Tzohar d’avoir manqué une occasion historique de renouveler son élan, dans le sillage de ce qu’il appelle l’“accusation de meurtre rituel” qui a suivi l’assassinat d’Arlosoroff.

« À notre époque cruelle », déclara aux Betaris celui qui venait de passer deux années difficiles en prison, « le plus important est d’apprendre à haïr - au milieu de la pitié pour le peuple - ceux qui s’inclinent devant le Moloch rouge et les traîtres ». Jabotinsky ne tarde pas à s’opposer à cette approche. « La haine », souligne-t-il, est « le mot le plus laid que la langue humaine sache prononcer », ajoutant : "Le Betar ne sait pas haïr. Betar ne sait qu’aimer".

Si la visite d’Ahiméir en Pologne avait pour but d’examiner les perspectives de renouvellement du programme de Brit Ha’birionim, elle n’y a pas réussi. Elle peut être considérée comme la dernière corde à son arc en tant que leader politique dans la pratique. Abattu par les épreuves de son emprisonnement, Ahiméir retourna dans la Palestine mandataire et se tourna vers l’intérieur pour reconstruire sa vie, sa famille, son ego usé, et mourut en 1962, à l’âge de 65 ans. Le défi antidémocratique lancé à Jabotinsky s’est largement estompé dans les années qui ont suivi. Pendant quelques années, les opinions semi-fascistes resteront l’apanage de franges étroites de la droite. [avant de prospérer au siècle suivant, NdT]


NATALIE NAIMARK-GOLDBERG
Le groupe de femmes juives qui ont osé exprimer des idées pacifistes dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres

Il y a un siècle, alors que l’Allemagne était confrontée à la montée du militarisme, la Ligue des femmes juives [Jüdischer Frauenbund] n’a pas hésité à prendre position contre le danger qui se profilait.

Natalie Naimark-Goldberg, Haaretz 29/5/2025

Natalie Naimark-Goldberg (1964) est une chercheuse sur l’histoire des femmes juives en Allemagne à l’époque moderne. Elle est l’auteure de « Jewish Women in Enlightenment Berlin » (Littman Library of Jewish Civilization).

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Une organisation de jeunes démocrates organise une manifestation “Plus jamais de guerre” à Berlin en 1922. Photo  Hulton Archive / Getty Images

Au milieu d’une guerre sans fin, alors que tout discours sur la paix est timide et hésitant, il était fascinant de trouver dans la recherche historique des mots insistants qui ont été écrits il y a un siècle par des membres d’organisations de femmes juives en Allemagne. Ces écrits, diffusés parmi les membres de la communauté juive dans les années 1920, témoignaient d’un profond rejet de la guerre, dans le sillage des horreurs de la “Grande Guerre” - la Première Guerre mondiale - qui avait fait des millions de victimes et laissé derrière elle des millions de blessés.

Profondément inquiets et craignant que cette guerre ne soit pas celle qui mettra fin à toutes les guerres, ils ont osé exprimer des idées pacifistes dans un pays où l’éthique militariste “sang et fer” d’Otto von Bismarck prévalait encore et où les personnes qui croyaient en la paix et en la conciliation entre les nations étaient considérées comme des imbéciles, voire des ennemis du peuple.

Malgré l’atmosphère dominante de suspicion à l’égard du pacifisme en Allemagne, des représentantes d’organisations de femmes juives se sont regroupées au sein d’un mouvement prônant la paix, qui comprenait un groupe restreint mais déterminé d’adeptes, et ont participé avec enthousiasme à ses activités.

Leur décision de s’adresser au grand public découle d’un sentiment d’obligation morale face à l’urgence de persuader les autres du bien-fondé de l’idée de paix, en raison des dangers qui guettaient le monde dans son ensemble et les juifs et les femmes en particulier si un nouveau conflit militaire devait éclater en Europe. Promouvoir cette idée tant décriée était à leurs yeux une tâche à laquelle ni les femmes ni les juifs ne pouvaient se soustraire.

Les femmes, qui accordent, favorisent et préservent la vie, ne pouvaient souhaiter son anéantissement par la violence, comme le soulignait Clare Marck, active au sein de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté. En avril 1926, Marck a déclaré aux participants d’une conférence de la Ligue des femmes juives - une organisation nationale comptant quelque 50 000 membres - que, bien que l’association entre les femmes et le pacifisme fût perçue comme naturelle, les développements récents avaient montré que cette affinité était fragile.

Comme l’a fait remarquer Mme Marck, le fait est que les femmes allemandes, y compris celles qui, avant 1914, avaient été des partisanes de la paix, se sont jointes en masse à l’effort national lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté. Elles pensaient que toute autre attitude serait une trahison, sans comprendre que le contraire était vrai : le soutien à la paix est la forme la plus élevée d’amour de la nation.

Le soutien des femmes à la guerre a eu des conséquences graves et profondes. « Peut-on imaginer quelles souffrances, quels soucis, quelles pertes auraient été épargnés à la patrie allemande si non seulement un petit nombre, mais toutes les femmes d’Allemagne avaient adhéré à la Ligue des femmes pour la paix et la liberté ? », écrivit Herta Michel dans un article intitulé « Les femmes et la paix », publié en juin 1926 dans le journal de la Ligue des femmes juives.

Michel n’écrivait pas seulement par tristesse pour le passé, mais aussi par inquiétude pour l’avenir, à la lumière de la situation qui se déroulait alors sous ses yeux. Dans les années 1920, les organisations de femmes allemandes, comme leurs homologues masculins, étaient de plus en plus attirées par le nationalisme et rejetaient le pacifisme. Même après la terrible guerre, écrit-elle, « le monde des femmes allemandes n’a pas le courage de s’engager ouvertement dans l’idée d’une conciliation entre les nations, d’adhérer à toute association qui cherche à mettre en œuvre les principes de moralité, d’humanité et de justice au sein de leur propre nation et dans les liens avec d’autres nations ».

C’est à cette situation que Michel et ses collaboratrices souhaitaient remédier.

* * *

Outre l’étroite affinité entre le pacifisme et les femmes, les femmes juives qui ont écrit dans l’Allemagne des années 1920 ont noté un autre lien : entre le pacifisme et le judaïsme. L’idée de paix, soulignent-elles, est « l’un des fondements du judaïsme » - la paix est un principe qui caractérise les Juifs et les distingue de leurs voisins.

En 1926, Bertha Fraenkel-Ehrentreu, une femme sioniste orthodoxe qui a vécu à Munich avant de s’installer en Palestine mandataire en 1937, a publié un article dans une revue féminine juive allemande sur « L’idée de paix dans les écrits juifs ». Son thème principal était le contraste qui existait, selon elle, entre les approches juives et non juives de la guerre et de la paix.


Bertha Fraenkel-Ehrentreu

Fille de rabbin et femme d’action à part entière, Fraenkel-Ehrentreu cite le Talmud - « Grande est la paix, car la paix est au monde ce que le levain est à la pâte » - un verset qui ouvre la section sur la paix dans le traité mineur Derekh Eretz Zuta - afin de prouver son argument sur la centralité du sujet dans la pensée juive. Elle a opposé au concept talmudique les paroles du philosophe Héraclite, qui a dit que « la guerre est le père de toute chose », incarnant ainsi l’approche grecque et l’état d’esprit qui prévalait dans la culture occidentale.

Ces citations, a-t-elle suggéré, démontrent la différence fondamentale entre le judaïsme et le monde classique, dont la vision, selon Fraenkel-Ehrentreu, a prévalu même pendant l’ère humaniste de la fin du XVIIIe siècle, et a continué à prévaloir à son époque également. Le contraste est flagrant entre les principes inculqués par les enseignants juifs - la paix, selon eux, est le fondement du développement dans le monde - et le point de vue implanté par les enseignants non juifs : les éducateurs allemands de l’époque enseignaient encore l’approche grecque, selon laquelle la force motrice était la guerre.

Pour étayer sa thèse selon laquelle le judaïsme embrassait une philosophie de la paix, Fraenkel-Ehrentreu a donné d’autres exemples tirés des sources. Elle a cité, par exemple, l’« accord de paix » qu’Abraham a proposé à Lot lorsque leurs chemins se sont séparés, selon le livre de la Genèse (13:9) : « Si tu vas au nord, j’irai au sud ; et si tu vas au sud, j’irai au nord ». Le roi David, notait-elle, n’a pas eu le privilège de construire le Temple parce que ses mains étaient couvertes de sang - c’est son fils Salomon, un homme de paix, qui a accompli cette tâche.

Fraenkel-Ehrentreu n’a pas présenté les Juifs comme des parangons de paix - les écrits sacrés sont remplis de descriptions de la violence et de la guerre - ni le judaïsme comme un exemple de pacifisme absolu, qui signifie un refus total de participer à la guerre. Au contraire, elle a souligné qu’« il n’y a pas d’interdiction de la guerre dans la Bible, même si la guerre est considérée comme une malédiction et un malheur, et que l’effusion de sang est l’un des crimes les plus graves ».

En matière de guerre, explique-t-elle, la loi religieuse juive adopte une position similaire à celle qu’elle adopte à l’égard de l’esclavage. Dans l’Antiquité, l’esclavage était une institution considérée comme allant de soi et donc tolérée, bien que de nombreuses règles aient été édictées pour la rendre plus humaine et pour en éliminer les effets pernicieux. Un rejet global de la guerre impliquerait le sacrifice de soi. C’est pourquoi, écrit-elle, une guerre de défense est permise et même obligatoire. Il n’en va pas de même pour une guerre offensive, qui est interdite même si elle est préventive.

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Elfriede Bergel-Gronemann, dirigeante sioniste et membre active de la Ligue des femmes juives d’Allemagne, a également fait référence aux différentes conceptions du militarisme chez les Juifs et les non-Juifs et, par conséquent, à l’allégation selon laquelle les Juifs seraient lâches et faibles, ou en un mot : féminins. Dans un article de 1929, elle écrit : « Peut-être qu’une moindre disposition à la guerre n’est pas un défaut, n’est pas de la “lâcheté”, mais qu’au contraire, ses racines se trouvent dans une culture spirituelle plus profonde... ».

Il est clair que Bergel-Gronemann a bien saisi l’énigme dans laquelle se trouvaient les Juifs pacifistes, en particulier les hommes juifs, qui craignaient que leur plaidoyer en faveur de la conciliation entre les nations ne mette en doute leur loyauté envers la patrie. Comme pour les encourager à ne pas renoncer à leur approche pacifiste, elle ajoute : « C’est précisément ici que l’on voit à quel point l’enthousiasme pour la guerre est éloigné de notre approche. Nous, les Juifs, estimons l’esprit plus que la force. Nous avons une autre conception de l’honneur ». Et elle conclut : « Oui, nous sommes pacifistes ». Le message qu’elle souhaite faire passer est donc la nécessité de ne pas abandonner le pacifisme inhérent au judaïsme, car il n’a pas de défaut, il n’a que des vertus.

 
“Plus jamais de guerre”, affiche de l’artiste allemande Käthe Kollwitz, 1924

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Si une femme, de par sa nature, ne pouvait qu’être pacifiste, tandis qu’un juif, ne pouvait que l’être que du fait des principes de sa religion, il était inconcevable qu’une femme juive se soustraie à ces principes.

En 1928, Hanny Loew-Tachauer pose une question rhétorique : « Peut-il y avoir des femmes dans la Ligue des femmes juives qui ne veulent pas la paix et la conciliation ? Une femme juive qui agit consciemment dans le cadre de son judaïsme peut-elle accepter l’idée même de la guerre, la souhaiter et rejeter la paix ? » Sa réponse fut, bien sûr, négative. « Je peux imaginer qu’une femme ait des doutes sur la possibilité d’atteindre cet objectif ; je peux aussi imaginer qu’il y ait des femmes juives qui ne considèrent pas comme correcte la voie suivie par le mouvement officiel pour la paix et qui, par conséquent, s’en tiennent éloignées.

« Mais, a-t-elle poursuivi, la femme juive, selon son approche fondamentale, son origine, son cœur et ses souhaits, a toujours été la première à rejeter la violence, et c’est elle qui se souviendra toujours de l’éthique juive et de l’impératif “Tu ne tueras point”. La sainteté de la vie est une loi suprême chez les Juifs ».

La conclusion qui s’imposait est donc la suivante : « Aucune femme de la Ligue ne peut accepter la guerre en tant que phénomène et la violence en tant que moyen politique, et rejeter le point de vue développé ci-dessus. » En d’autres termes, une femme juive ne pouvait qu’être pacifiste.

En effet, des femmes juives se sont illustrées dans les rangs des pacifistes - par exemple Frida Perlen, Gertrude Baer et Constanze Hallgarten, figures centrales de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté - ainsi que des hommes, comme le journaliste Kurt Tucholsky, qui a abondamment écrit sur le sujet, ou encore Albert Einstein et Leo Baeck, membres d’une ligue juive pour la paix, fondée à Berlin en 1929.

Malgré tout, ni les femmes ni le grand public ne se sont ralliés au mouvement pacifiste dans les décennies qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale. Même de nombreux partisans du pacifisme se sont tenus à l’écart des mouvements pacifistes, « par excès de considération pour leur entourage et pour les courants antisémites ».

Même si les partisans de la paix au sein de la Ligue des femmes juives n’ont manifestement pas réussi à provoquer des changements et à recruter des partisans, leur activité publique a certainement été impressionnante. Outre la rédaction d’articles d’opinion et les conférences, elles s’impliquent dans l’éducation, qui est l’un des principaux vecteurs de l’activité pacifiste dans les années 1920 ; elles tentent de promouvoir la représentation des femmes en politique, convaincues que leur présence contribuera à prévenir les guerres à l’avenir ; elles rejoignent des groupes pacifistes, participent à des conférences et organisent des assemblées et des séminaires internationaux.

Au début des années 1930, l’activité pacifiste de la Ligue des femmes juives s’oriente vers la lutte pour le désarmement. Ses membres ont participé activement à un effort international qui a abouti à une pétition signée par des millions de femmes dans le monde entier, qui a été soumise en 1932 à la Conférence mondiale du désarmement qui s’est tenue à Genève sous les auspices de la Société des Nations.

L’aspiration à la paix, qui n’a jamais été très forte en Allemagne, s’est encore affaiblie dans la seconde moitié des années 1920, alors que l’esprit militariste reprenait le dessus et que les appels à la guerre se multipliaient. Avec l’arrivée au pouvoir des nazis, qui considéraient les partisans de la paix comme des ennemis politiques à persécuter, la voix des femmes pacifistes est devenue muette.

Quoi qu’il en soit, les efforts de la minorité pacifiste en Allemagne n’ont pas suffi à empêcher la guerre suivante. Ce n’est qu’à la suite de ce conflit et des horreurs qu’il a engendrées que l’éthique militariste profondément enracinée de l’Allemagne s’est finalement estompée.

L’histoire des femmes juives qui ont milité pour la paix à l’époque de la République de Weimar est celle d’une persévérance extraordinaire et d’une foi inébranlable - que beaucoup qualifieraient de naïve - dans le caractère pratique de l’idéal pacifiste. Le cours de l’histoire, demandaient-elles, ne montre-t-il pas qu’il est possible de surmonter des pratiques que l’on disait inhérentes à la nature humaine, telles que l’esclavage, la torture et les conflits sanglants ?

Les cris de mépris et de dédain que les femmes rapportent dans leurs écrits ne les découragent pas. À ceux qui les dépréciaient en disant que l’idée de paix était une utopie, elles répondaient par des mots qui n’ont pas perdu leur validité : « Tout progrès humain a été un jour un rêve. Nous pouvons tou·tes contribuer à en faire une réalité ».


MALAININ LAKHAL
Néo-colonialisme 2.0 : le changement de cap de la Grande-Bretagne sur le Sahara occidental

Malainin Lakhal, The Panafrikanist, 3/6/2025


L’auteur est représentant
  permanent
adjoint de la RASD auprès de l’Union africaine
Traduit par Solidarité Maroc

 

Dans un virage controversé qui contrevient aux principes les plus fondamentaux du droit international et de la Charte des Nations Unies, le ministre britannique des Affaires étrangères, dans une déclaration conjointe avec son homologue marocain, a exprimé le soutien du Royaume-Uni à ce qui a été appelé « l’autonomie marocaine au Sahara occidental », la décrivant comme la solution « la plus crédible, la plus viable et la plus pragmatique » au conflit.

Cette déclaration n’est pas passée inaperçue ; elle a été largement rejetée et condamnée, non seulement par la République sahraouie et le Front Polisario, mais aussi par un certain nombre de politiciens et d’experts britanniques et non britanniques sur la question du Sahara occidental. Ils l’ont considéré comme une rupture dangereuse avec la position traditionnelle du Royaume-Uni et comme un soutien injustifié à une puissance occupante dans un différend international classé par les Nations Unies comme un cas de décolonisation.

David Lammy et Nasser Bourita

Ce changement de position de la Grande-Bretagne, malgré l’hypothèse que Londres ne reconnaît pas la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, reflète une contradiction flagrante entre les paroles et les actes. Il soulève de sérieuses questions quant à l’engagement du Royaume-Uni, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, envers le droit international et ses responsabilités morales envers les peuples qui luttent encore pour leur droit à l’autodétermination.

Bien que la Grande-Bretagne ait affirmé à plusieurs reprises l’importance d’un « ordre international fondé sur des règles » et exprimé son soutien de principe au droit à l’autodétermination, son approbation explicite de la soi-disant « proposition d’autonomie » du Maroc révèle un deux poids deux mesures troublant. Comment le Royaume-Uni, prétendument défenseur du droit international, peut-il considérer une initiative unilatérale d’une puissance occupante qui exploite illégalement des terres et des ressources comme une solution « réaliste » à une question de décolonisation que les Nations unies supervisent depuis 1963 ?

La proposition marocaine n’est rien d’autre qu’une manœuvre politique destinée à contourner la légalité internationale et à consolider l’occupation par le biais d’un langage trompeur tel que le « réalisme » et la « viabilité ». En réalité, le Maroc continue, par la force militaire, les violations systématiques des droits humains et le soutien de puissances néocoloniales et d’acteurs fonctionnels profondément complices dans l’alimentation des crises mondiales, à imposer un fait accompli à un peuple sans défense, privé de ses droits civils et politiques les plus élémentaires.

Toutes les juridictions internationales et régionales, y compris la Haute Cour du Royaume-Uni (2019), ainsi que tous les organes de l’ONU, ne reconnaissent aucune souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En effet, la Cour internationale de justice, dans son avis consultatif de 1975, a conclu qu’il n’y avait pas de liens souverains entre le Maroc et le Sahara occidental. De même, les arrêts de la Cour européenne de justice, dont le plus récent date de 2024, affirment que tout accord économique impliquant le Sahara occidental sans le consentement du peuple sahraoui, représenté par le Front Polisario, est juridiquement nul. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est parvenue à une conclusion encore plus forte dans son arrêt de 2022.

Dans ce contexte juridique et politique clair, comment le Royaume-Uni, nation historiquement connue pour ses positions prudentes sur les différends internationaux, peut-il ignorer ces faits et apporter un soutien implicite à un État qui occupe un territoire sur lequel il ne détient aucune souveraineté légitime ?

Pour toutes ces raisons, le Front Polisario et l’ensemble de la communauté sahraouie rejettent la proposition marocaine d’autonomie comme un stratagème colonial destiné uniquement à conférer une fausse légitimité à une occupation militaire illégale. La proposition n’accorde pas au peuple sahraoui son droit inaliénable à l’autodétermination ; au contraire, elle présume à l’avance de la souveraineté marocaine sur le territoire et refuse aux Sahraouis la possibilité même de choisir l’indépendance.

De plus, le fait que la déclaration conjointe Royaume-Uni-Maroc se concentre exclusivement sur la proposition marocaine, sans faire référence à la proposition du Front Polisario soumise en 2007 et incluse dans le même paragraphe dans toutes les résolutions du Conseil de sécurité depuis lors, sape le principe de neutralité et expose un parti pris politiquement motivé. Une telle position ne sert pas la cause de la paix ; au contraire, elle aggrave l’impasse et encourage le Maroc à persister dans son intransigeance et ses tactiques dilatoires.

La vérité est que le Royaume-Uni, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, a une responsabilité encore plus grande de faire respecter le droit international et les résolutions de l’ONU - qu’il s’agisse du Sahara occidental ou d’autres questions globales. En approuvant implicitement la proposition du Maroc, la Grande-Bretagne abdique cette responsabilité, fournit une couverture diplomatique à l’occupation illégale, et porte gravement atteinte à sa crédibilité, du moins aux yeux du peuple sahraoui et de ceux qui comprennent les complexités du conflit. Plus dangereux encore, ce soutien encourage le Maroc à continuer à faire obstruction au référendum convenu de longue date et accepté par toutes les parties en 1991.

Une paix véritable en Afrique du Nord ne peut être fondée sur la récompense de l’expansionnisme militaire et de l’occupation illégale et brutale. Elle doit être fondée sur le respect du droit des peuples à déterminer librement et honorablement leur propre destin. Donner la priorité à des intérêts économiques perçus ou à des alliances régionales plutôt qu’à des principes juridiques ne sert qu’à saper l’ensemble de l’ordre international et à affaiblir la crédibilité des institutions mondiales.

À la lumière de ces développements, la Grande-Bretagne doit être invitée à réévaluer sa position et à se réaligner sur la légitimité internationale, et non sur une occupation brutale et arrogante. Soutenir le peuple sahraoui dans sa lutte pour la liberté n’est pas simplement une position politique, c’est un véritable test des valeurs dont la Grande-Bretagne s’enorgueillit depuis longtemps : la justice, les droits humains et le respect des peuples.

En conclusion, il faut reconnaître que l’occupation marocaine a perdu le peu d’autonomie politique qu’elle prétendait avoir. Elle est désormais de plus en plus dirigée de l’extérieur de Rabat, parfois de Tel Aviv, parfois de certains États du Golfe bien connus ou de la France, qui sèment tous activement la discorde et alimentent l’hostilité régionale pour servir l’agenda d’un nouvel ordre colonial. Cet agenda se manifeste aujourd’hui par les préparatifs d’Abou Dhabi pour accueillir une nouvelle conférence réunissant les États que l’alliance coloniale émergente a réussi à influencer, dans le but de réimposer les réalités coloniales dans la région et en Afrique, en commençant par le Sahara occidental.

Cela ne fait-il pas écho à la tristement célèbre conférence de Berlin de 1884, qui a divisé le continent africain et ses peuples ?

Il est temps pour les nations occidentales, en particulier la Grande-Bretagne, d’abandonner les doubles standards et de prendre une position claire en faveur de la justice et de la légalité internationale dans le dernier cas de décolonisation en Afrique. Il est également temps pour les peuples qui résistent de reconnaître leurs adversaires et de se préparer à une confrontation décisive entre le pouvoir du droit et des principes et la force de l’agression et de la dépossession. 

03/06/2025

SERGIO FERRARI
Les risques sociaux de la nouvelle ère créative
L’intelligence artificielle générative et ses inconvénients

Sergio Ferrari, lapluma, 2/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala, en utilisant l’INH (Intelligence naturelle humaine)

Un emploi sur quatre dans le monde est exposé à l’intelligence artificielle générative (IAg). C’est ce que révèle une récente étude menée conjointement par des experts de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de l’Institut national de recherche de Pologne (NASK). Publiée fin mai sous le titre Generative AI and Jobs : An Updated Global Occupational Exposure Index (IA générative et emplois : un indice mondial actualisé d’exposition professionnelle), cette étude intègre un nouvel indice mondial de l’impact négatif que cette forme révolutionnaire d’“intelligence” peut avoir sur les emplois. Elle offre aux dirigeants des pays un outil important pour anticiper et gérer cet impact, qui affecte déjà de manière spectaculaire de vastes secteurs dans le monde entier.


Qu’est-ce que l’IA générative ?

Contrairement à l’intelligence artificielle (IA) traditionnelle, qui se concentre sur l’analyse et la classification des informations, ce nouveau phénomène tire parti de tous les outils de l’IA traditionnelle, mais pour créer un contenu entièrement nouveau.

Ces contenus peuvent être des textes, des images, des vidéos, des codes, de la musique ou des dessins qui, jusqu’à présent, ne pouvaient être produits que par l’esprit humain. Comme le souligne l’École Supérieure d’Audiovisuel The Core, à Madrid, “sa présence se fait sentir partout : du divertissement à la mode, en passant par le marketing et le développement de logiciels”. D’autre part, et fondamentalement, “elle révolutionne le monde d’une manière qui, jusqu’à récemment, semblait sortir de la science-fiction. Les machines ne se contentent plus d’analyser des données : elles peuvent désormais créer du contenu, comme si elles étaient dotées d’une créativité propre”.

Ce qui est important dans tout cela, souligne The Core, c’est la façon dont l’IA générative change “notre façon de travailler, de créer et d’innover”, en favorisant “des entreprises plus agiles, des concepteurs avec de nouveaux outils entre les mains, et des programmeurs qui ont maintenant un copilote intelligent qui les aide à construire plus vite et mieux”. C’est pourquoi, conclut-elle, “l’IA générative ne se contente pas de transformer les industries ; elle façonne une nouvelle ère créative”. Elle traite des modèles et de grands volumes de données qui, lorsqu’ils sont manipulés de manière créative, lui permettent de générer des résultats qui semblent avoir été créés par des humains, même s’ils sont entièrement artificiels. Il s’agit d’une technologie qui évolue rapidement et qui est de plus en plus intégrée dans les outils de la vie quotidienne.


Cependant, des processus plus rapides et une plus grande agilité productive ne correspondent pas toujours à des améliorations des conditions sociales et de travail, comme l’observe The Core. C’est ce que montre, par exemple, l’impact des distributeurs automatiques de billets dans les supermarchés, des machines qui entraînent des pertes d’emploi croissantes pour les personnes qui, jusqu’à récemment, étaient chargées de cette tâche. Il en va de même pour les systèmes de traduction intelligents, qui portent un coup fatal aux interprètes et aux traducteurs. Dans l’industrie graphique, les progrès des logiciels de conception sophistiqués sont en train de liquider presque complètement les versions les plus avancées de la typographie et de l’impression. Pratiquement aucune activité humaine n’est à l’abri de cette nouvelle dynamique.

L’emploi : risques et défis

L’étude de l’OIT intègre un nouvel indice, ce qui constitue une évolution importante. Cet indice représente l’évaluation mondiale la plus détaillée à ce jour de la manière dont l’IA générative peut remodeler le monde du travail. Elle offre une vision unique - et nuancée - de la manière dont elle pourrait transformer l’emploi dans les différents pays. Pour ce faire, elle combine les données de près de 30 000 tâches professionnelles avec la validation d’experts, la notation assistée par l’IA et les microdonnées harmonisées de l’OIT.

Présentant l’étude, Paweł Gmyrek, auteur principal de l’étude, a déclaré qu’elle allait au-delà de la simple théorie pour construire un outil basé sur des emplois réels. Gmyrek, qui a rejoint l’OIT en 2008, est titulaire d’un doctorat en sciences politiques et relations internationales de l’Université de Genève (Suisse) et d’une maîtrise de l’Ecole d’économie de Varsovie (Pologne). En combinant la perspective humaine, l’examen par des experts et la modélisation générative de l’intelligence artificielle, une méthode reproductible a été créée pour aider les pays à évaluer les risques et à y répondre avec plus de précision.

L’École Supérieure d’Audiovisuel espagnole, qui reconnaît les contributions de l’intelligence artificielle, alerte également contre les risques et les dangers possibles. Elle met en garde contre les défis éthiques, sécuritaires et sociaux liés à l’IA générative.

Parmi ces risques, elle cite les “deepfakes” : des vidéos hyperréalistes générées par l’IA qui donnent l’impression que quelqu’un a dit ou fait quelque chose qui n’est jamais arrivé. Elles sont utilisées dans le cadre de campagnes de désinformation, de fraude ou même de chantage, et constituent une menace pour la confiance du public et la sécurité des personnes.

L’IAg peut également faciliter l’hameçonnage avancé, une technique qui permet de créer de faux courriels très convaincants qu’un cybercriminel envoie à un utilisateur en se faisant passer pour une entité légitime (réseau social, banque, institution publique, etc.) dans le but de voler des informations privées, de facturer des frais financiers ou d’infecter l’appareil. En outre, elle peut être utilisé pour diffuser des fausses nouvelles ou manipuler du contenu à des fins malveillantes.

Autant de méthodes de plus en plus utilisées ces dernières années dans les campagnes électorales et dans la vie politique en général pour discréditer un candidat en lice ou une force rivale. Ces formes de manipulation numérique sont si répandues qu’elles peuvent menacer le sens même de la démocratie.

En complément de l’étude de l’OIT, l’École Supérieure d’Audiovisuel souligne l’impact de l’IA sur l’évolution rapide du paysage de l’emploi. Si elle crée de nouveaux emplois et augmente la productivité, elle remplace aussi des tâches humaines dans des domaines très divers tels que la rédaction, la conception et la programmation.

Sur le plan environnemental, de plus en plus d’études démontrent l’impact néfaste de l’utilisation de l’intelligence artificielle sur la santé de la planète. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) affirme que “l’explosion des technologies de l’IA et des infrastructures qui y sont associées présente des inconvénients”, comme le démontrent les résultats des recherches. Le PNUE souligne également que “la prolifération des centres de données hébergeant des serveurs d’IA produit des déchets d’équipements électriques et électroniques. Ils consomment également de grandes quantités d’eau, qui est de plus en plus rare dans de nombreux endroits. Ils dépendent de minéraux essentiels et d’éléments rares, qui sont souvent extraits de manière non durable. Et ils utilisent des quantités massives d’électricité, ce qui émet davantage de gaz à effet de serre qui réchauffent la planète” (lire ici).


Le rôle de l’État

L’impact de l’IA générative variera considérablement d’une région géographique à l’autre et d’un secteur à l’autre, en fonction de trois facteurs principaux : les limites technologiques de chaque pays, son manque d’infrastructures de production et ses déficits de compétences, c’est-à-dire ses difficultés à former des ressources humaines. Les politiques néolibérales extrêmes menées dans de nombreuses régions du monde accentuent l’impact négatif de ces facteurs.

L’étude OIT-NASK prévoit également que les emplois administratifs seront les plus exposés car, du moins en théorie, nombre de leurs tâches spécifiques peuvent être automatisées. Il pourrait en être de même pour les emplois dans les secteurs des médias, des logiciels et de la finance.

Dans ce nouveau paysage qui se dessine de manière irréversible, les politiques guidant les transitions numériques seront déterminantes lorsqu’il s’agira de savoir dans quelle mesure les travailleurs pourront rester dans les professions transformées par l’IA générative, et comment cette transformation affectera la qualité de l’emploi. L’OIT exhorte les gouvernements, les organisations d’employeurs et les syndicats à engager un dialogue social pour concevoir des stratégies proactives et inclusives afin d’améliorer la productivité et la qualité de l’emploi, en particulier dans les secteurs les plus exposés à l’IAg.

En fin de compte, l’impact négatif plus ou moins important de cette nouvelle dynamique scientifique et sociale sur le bien-être de la communauté humaine dépendra de la volonté politique de ses dirigeants et de ses États de légiférer de manière appropriée, de fixer des limites et de clarifier ce qui peut être autorisé et ce qui ne peut pas l’être. Le problème est exacerbé lorsque l’État est faible, absent ou détruit par des dirigeants qui le nient ou le considèrent comme un ennemi à combattre.

Le Turc mécanique, une grande attraction à la fin du XVIII siècle : un – prétendu – automate qui battait les meilleurs joueurs d’échecs. Gravure sur cuivre de Joseph von Racknitz (1789)

 

 

02/06/2025

TIGRILLO L. ANUDO
Colombia: ¿Qué hacer para lograr la Consulta Popular?

Tigrillo L. Anudo, 2-06-2025


Autor amazonense sin fronteras, bolivarista, martista, mariateguista, gaitanista y un poquito zapatista.

Las marchas, movilizaciones y paro nacional para defender las reformas están perdiendo el pulso frente al aparataje de la democracia burguesa. El pueblo se toma las calles, pero la oligarquía nos derrota en el Congreso y las altas cortes, al hundir las reformas el primero y tumbarlas mediante sentencias las segundas.

¿Vamos a seguir marchando indefinidamente sin obtener logros sustanciales en la lucha por los derechos sociales, políticos y económicos?

¡Qué falta hace un fortalecido Partido Unitario en este momento de definición de estrategias para radicalizar la lucha política!

Y no sólo el Partido sino la conformación de una Coordinadora Nacional y Frente Unido en defensa de las reformas sociales estructurales.

La resurrección de la reforma laboral podría considerarse un triunfo del movimiento popular en las calles, pero la están posicionando como una conquista de la derecha que se abanderó de ella, amputando el texto original presentado por el gobierno.

La negación de la consulta popular en el Congreso es un caso único en el mundo que supera aún el horripilante triunfo del NO a la paz en el plebiscito por la terminación del conflicto armado y social en el 2016. 

Colombia es una tragedia y comedia con sus instituciones burguesas burlándose y aplastando al constituyente primario. La democracia burguesa está diseñada para conservar los privilegios de la clase burguesa oligárquica a costa de la opresión y el mal vivir de las clases trabajadoras.

¿Por qué no se radicaliza la exigencia de la consulta popular que le otorga el derecho legítimo al pueblo de decidir directamente su suerte en el campo laboral y la salud?

Es que nos están tratando como esclavos, como parias, es decir como sujetos carentes de derechos. Es muy grave ese contragolpe y humillación que hizo el Congreso casado con el “bienestar exclusivo de las clases opresoras”, al negar la consulta popular, inalienable derecho constitucional. Ese derecho al igual que los otros derechos constitucionales son derechos fundamentales irrenunciables que no pueden ser negados por gobierno o autoridad alguna a las personas porque son constitutivos de la esencia de los sujetos de derechos, que somos todos los ciudadanos.


Cuarenta y nueve (49) senadores negaron el derecho a decidir en las urnas a 25 millones de colombianos. Cuarenta y nueve sujetos que se ganan más de $50 millones mensuales destruyen la posibilidad de mejorar las condiciones laborales y de salud a las mayorías.

Nadie puede negar el derecho del pueblo a la consulta popular. El presidente Petro puede convocarla por decreto, pero el Consejo de Estado podría atravesarse en el camino y tumbarla al emitir sentencia frente a las múltiples demandas que la oposición política burguesa interpondrá.


¿Qué hacer para lograr la consulta popular?

La conformación de una Coordinadora Nacional por las reformas sociales y las consultas populares es de urgente necesidad para convocar a jornadas de marchas y paros escalonados en el territorio nacional. Las próximas convocatorias podrían tener como única consigna: ¡Aprobación de la consulta popular ya!

Es indispensable transformar las dinámicas políticas en Colombia. Estamos en un momento álgido de las contradicciones entre el capital y el trabajo, y esta lucha no se zanja favorablemente a los trabajadores siguiendo las reglas hechas por los explotadores esclavistas. Para avanzar es necesario parar y empezar a construir Poder Popular.

¡Hacia el Poder Popular!

Se construye Poder Popular al arrebatar al Congreso burgués las decisiones que afectan la vida de millones de colombianos. ¿Hasta cuándo nos va a esclavizar esa casta política pagada por el establecimiento oligárquico? El pueblo se debe apropiar de la herramienta constitucional consulta popular para seguir legislando (en lugar del Congreso corrupto anti pueblo) sobre todos los temas. Legislar a través de las consultas populares, desposeer al Congreso esa potestad. El pueblo debe ser el legislador en el próximo futuro. El Congreso burgués siempre estará contra los intereses del pueblo. 

Las movilizaciones y paros pueden radicalizarse para presionar la aprobación de la consulta popular. ¿Cómo? Paralizando las ciudades a través de la toma de avenidas con los manifestantes sentados en las calzadas. Nada de violencia. Toma cultural de calles y arterias con el pueblo sentado pacíficamente, entonando canciones de amor y lucha social, con los teatreros haciendo performances y sketches, con los acróbatas pintando el aire de magia, con los cuenteros palabreando el paisaje, con las batucadas electrizando la atmósfera. Las carpas desplegadas en parques y calles acogiendo al pueblo movilizado por su legítimo e inalienable derecho a la consulta popular, los comedores populares atendidos por las mujeres valientes madres de las primeras líneas, por voluntarios y juventud activada; los micrófonos abiertos para continuar los cabildos populares; las despensas para recoger alimentos. 

Es el momento de crear las bases del Poder Popular que podría profundizar el próximo gobierno progresista.

Si no se radicaliza la lucha popular y el accionar del gobierno de Gustavo Petro, nos van a seguir derrotando y burlando. Perderá potencia la movilización y la lucha callejera.


PATRICIA CHAINA
“Il n’y a pas de capitalisme possible sans racisme” : Mireille Fanon avec les Mapuches en Patagonie

La présidente de la Fondation Frantz-Fanon explique la relation de la discrimination raciale et de l’expulsion territoriale avec le développement du système capitaliste. Les cas des Mapuches et du peuple palestinien.

Patricia Chaina, Página/12, 2/6/2025


Journaliste argentine du journal Página/12 et professeure de communication sociale à l’Université de Buenos Aires. Meta

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Nous devons comprendre que, dans le monde, le système colonial a installé la question raciale et qu’il n’y a pas de possibilité de réaliser le système capitaliste sans racisme. Inversement, il ne peut y avoir de racisme sans capitalisme », a déclaré Mireille Fanon Mendès-France, célèbre militante des droits humains et présidente de la Fondation internationale Frantz- Fanon, devant un public enthousiaste dans la ville d’El Bolsón, dans le Rio Negro. Elle a ainsi expliqué la discrimination raciale, l’expulsion territoriale et la criminalisation du peuple mapuche. Et elle établit le paradigme de la colonisation comme origine des conflits territoriaux, que ce soit ici, au Moyen-Orient ou en Afrique. Une définition qu’elle a répétée dans chacune des récentes conférences qu’elle a données en Patagonie. Une définition qu’elle reprendra en détail dans une interview accordée à Página/12 à la fin de sa visite.

« Les colonisateurs ont commis un génocide, si l’on regarde l’histoire du système colonial dans les Caraïbes, en Amérique du Nord et du Sud, ou en Afrique, on peut le dire. Cela ne fait aucun doute », définit la fille de l’emblématique philosophe antillais Frantz Fanon lors de son passage dans la Comté des Andes. « Et le génocide se poursuit », affirme-t-elle, « non seulement en Palestine, mais aussi en République démocratique du Congo, au Yémen et dans d’autres pays d’Afrique, en utilisant d’autres méthodes pour éliminer les personnes qui dérangent. Ici, il s’agit du peuple mapuche ».

« Un peuple millénaire en lutte constante pour ses terres, même si elles sont protégées par la convention 169 de l’OIT », a-t-elle déclaré avant de se rendre en Patagonie, à Neuquén, Río Negro et Chubut. « Il est incompréhensible que non seulement on les empêche de vivre sur leurs terres, mais que s’ils résistent, ils soient criminalisés », dit-elle.

Maintenant qu’elle était là, avec eux, et avec son approche humaniste, Fanon a parlé aux communautés. Elle raconte des histoires de lutte et de résistance pour montrer que l’état actuel des conflits découle du génocide perpétré depuis « la soi-disant découverte ». Elle situe l’origine de l’asservissement des damnés de la terre « dans le génocide qui a commencé après 1492 ici, en Amérique du Nord, dans les Caraïbes ou en Afrique ».


Le droit d’être souverain

En cette froide après-midi d’automne qui l’accueillait à El Bolsón, Fanon, la prestigieuse juriste internationale, a déclaré qu’elle voyait « une situation parallèle entre le premier moment de la colonisation des peuples indigènes et africains, et entre les pays encore colonisés et le peuple mapuche qui est encore sous mandat colonial ». En même temps, elle a relevé des différences : « Le peuple mapuche a droit à sa souveraineté et reconnaît la nécessité de s’organiser en communautés, de préserver son patrimoine culturel et de s’opposer au racisme de l’État argentin ».

Fanon a également fait une distinction avec ce qui se passe « sur mon île », la colonie française de la Martinique. Là, « les Afrodescendants aliénés par la suprématie blanche ne peuvent s’unir en tant que peuple à travers un héritage culturel partagé. Et comme ici, en l’absence de titres fonciers, la revendication territoriale est complexe ».

En utilisant d’autres méthodes, le modèle se perpétue dans des endroits comme la Palestine. « Même si les Palestiniens ont des titres de propriété », explique-t-elle, « Israël ne les reconnaît pas et l’expulsion des Palestiniens aboutit à la situation de massacre dans laquelle nous nous trouvons actuellement ».

Le génocide peut être une tuerie massive, disproportionnée et intentionnelle, mais c’est aussi le fait de forcer violemment des personnes à quitter leur territoire. Ce qui arrive au peuple mapuche a été appliqué en Palestine pendant la première et la deuxième Intifada et aujourd’hui c’est devenu un massacre, devant le monde entier.

La suprématie colonialiste

Fanon explique l’ambition capitaliste pour les territoires et les ressources naturelles : « En Palestine, il y a de l’eau et du gaz, c’est pourquoi nous sommes arrivés à la situation actuelle, comme ici avec le peuple mapuche, où les droits élémentaires sont violés, parce que leur refuser l’eau est une façon de les expulser de leur terre et de leur vie ».

Lors de son intervention à El Bolsón, Fanon a été catégorique : »La volonté de l’Occident d’étendre sa modernité n’a pas de limites, bien qu’il existe une ONU qui prévient les guerres, préserve la paix et garantit le respect entre tous les États, petits et grands, il y a quelque chose de commun depuis le début du processus, c’est pourquoi nous devons revenir à l’histoire de la colonisation ».

Elle a rappelé que quelques décennies avant « ce qu’ils appellent la découverte », un pape avait émis un décret - la bulle de 1452 - autorisant le roi du Portugal « à conquérir et à coloniser tous les païens et les croyants non chrétiens ». Et une autre bulle, 20 ans plus tard, destine ces territoires aux colonisateurs ». La modernité européenne blanche, souligne-t-elle, l’a très bien compris et a appris qu’elle avait « le devoir de christianiser le monde ».

« Il n’y a pas de loi ou de droit international pour cela », dit-elle, « le droit international humanitaire est totalement délégitimé, c’est pourquoi ils peuvent tuer des gens dans nos pays ». Elle souligne : « Aujourd’hui, on a le droit de tuer des Mapuches. Et quand ça arrive, il n’y a pas de justice. En France, des Noirs ou des Arabes sont tués par la police, il y a de plus en plus de cas. Nous ne sommes pas comme les USA, mais quand des jeunes sont tués par la police, on déclare que la police a fait un usage excessif de la force pour se protéger ».

Quand tout a commencé

Interrogée par Página/12 sur l’état d’exception auquel est soumis le peuple mapuche, Fanon estime qu’il ne s’agit pas d’une conséquence du génocide perpétré lors de la Conquête du Désert : « Les peuples indigènes, comme les Africains et les Afrodescendants, sont en tout cas victimes des conséquences de la colonisation qui a commencé en 1492. Celle-ci a été systématisée. Et elle s’est radicalisée au 19ème siècle. Mais la doctrine de la découverte a introduit l’esclavage, c’est ainsi que tout a commencé ».

Dans le contexte de l’actuel gouvernement national argentin aligné sur la droite internationale, comment évaluez-vous le processus de revendication identitaire et territoriale du peuple mapuche en Argentine ?

Le gouvernement de Milei poursuit la politique mise en place depuis le XVe siècle, avec des pics tragiques dans les différents génocides, l’accaparement des terres et le pillage des ressources naturelles. Ces événements jalonnent l’histoire des peuples indigènes, notamment celle des Mapuches en Argentine et au Chili. Mais cela s’est produit et se produit encore en Afrique. Ce moment inaugure cette politique basée sur le racisme et soutient la guerre institutionnalisée et permanente contre les personnes qui dérangent. Nous le voyons aujourd’hui contre les personnes qui résistent ou dénoncent les politiques d’exploitation, de criminalisation ou de répression, partout dans le monde.

Sur le processus de récupération de l’identité du peuple mapuche, Fanon met en garde : « Si nous voulons parvenir à la récupération de l’identité et du territoire, nous nous épuisons si nous le faisons chacun de notre côté. Nous nous fatiguons les uns les autres, à demander, à exiger réparation pour que les crimes contre l’humanité soient condamnés pour ce qu’ils sont, nous nous épuisons à le faire ainsi, de manire isolée ».

Que suggérez-vous alors ?

Je me demande si ceux d’entre nous qui partagent cette histoire tragique ne devraient pas unir leurs luttes. Exiger la réparation, la revendication et la restitution de tous les territoires volés par les colonisateurs, qui représentent aujourd’hui l’Etat des colonisateurs. Les luttes isolées menées uniquement par les peuples concernés, compte tenu du bulldozer qu’est le système capitaliste libéral et de la militarisation que ces gouvernements utilisent aujourd’hui, sont vouées d’une certaine manière à l’échec.

Comment renforcer la lutte pour ces revendications ?

Dans un processus de rapport de force inégal, si nous ne changeons pas cela, nous ne pourrons jamais faire entendre nos droits. Plutôt que d’analyser les demandes du peuple mapuche de manière individuelle, nous devrions penser à quelque chose qui est à la fois local, mais aussi international, global, avec d’autres peuples impliqués dans ces processus.

Pourquoi pensez-vous que le système judiciaire argentin, en général, ne tient pas compte de la voix du peuple mapuche lorsqu’il applique la jurisprudence sur les conflits territoriaux qui l’impliquent, ou qu’il fait des déclarations erronées, trompeuses ou mensongères lorsqu’il expose les cas qui deviennent publics ?

Le rapport de force n’est pas en faveur du peuple mapuche. Quand il y a une jurisprudence qui n’est pas respectée, la jurisprudence ne sert à rien. On l’oublie parce que la répression est institutionnalisée. La voix du peuple mapuche est la plupart du temps entendue à partir d’une position qui le sous-estime. Le problème est que les Argentins sont, à l’égard du peuple mapuche, le plus souvent et au mieux, paternalistes, mais à partir d’une supériorité coloniale. Sinon, ils sont racistes. Comment, dès lors, un peuple ancestral peut-il se faire entendre si la suprématie blanche domine à tous les niveaux, qu’ils soient juridiques ou culturels ?

Fanon précise : « Dans le meilleur des cas, les Mapuches deviennent une attraction touristique et dans le pire des cas, un peuple à éliminer, à criminaliser, à emprisonner ou à tuer. Il s’agit d’un sociocide, d’un ethnocide et, en fait, d’un terricide. Car qui dit peuple mapuche dit terres ancestrales, et ce sont ces terres qui intéressent le plus les transnationales, le gouvernement et les grands propriétaires terriens ».

La racine du mal

À El Bolsón, expliquant que le problème a une racine commune « et vient de la colonisation », Fanon pointe « la question raciale » mise en place par le capitalisme pour soutenir son existence. « Inversement, il n’y a pas de racisme sans capitalisme », affirme-t-elle.

Pour le confirmer , elle évoque son père : « Fanon - qui était psychiatre - a essayé de faire comprendre que, dans le domaine de la santé mentale, il n’est pas seulement nécessaire de traiter la personne. Si vous ne traitez pas le contexte social, la personne n’ira pas mieux. Il faut d’abord comprendre comment fonctionne le contexte politique et social et identifier les lieux de dysfonctionnement ».

Où ces dysfonctionnements peuvent-ils être identifiés aujourd’hui ?

Dans les différents types de violence auxquels nous sommes confrontés. En particulier dans le déni de justice. C’est le cas du peuple mapuche, du peuple palestinien et d’autres peuples encore colonisés. Nous devons identifier le type d’aliénation auquel nous sommes soumis et ne pas avoir peur d’essayer de résister à cette aliénation. Nous n’avons rien à perdre à résister car le système essaie de nous tuer. Les Mapuches, les Noirs ou les Palestiniens, partout dans le monde, des personnes racisées, pauvres, marginalisées.

Pour Fanon, le système cherche à « avoir des gens qui ne valent rien », qui ne tiennent pas compte de leur propre existence. « Si nous ne mettons pas le génocide sur la table, le système continuera à l’utiliser pour nous contrôler, pour susciter la peur. Mais si nous le mettons sur la table, nous devons demander des réparations. Et pour nous, à la Fondation Frantz- Fanon, il ne s’agit pas d’une compensation monétaire individuelle, mais d’un processus collectif de décolonisation ».

La colonisation a brisé « la perception de l’altérité », d’un autre, de l’intersubjectivité collective de l’humanité, a rappelé la juriste alors que la nuit tombait sur la région andine. « C’est pourquoi la réparation cherche à reconstruire ce sens de l’humanité et de l’altérité. Et comme hypothèse de résolution, elle n’a évoqué qu’une seule option : “Lutter et résister”. Et même si les autorités refusent l’application de la justice : « Utiliser la justice pour que le droit positiviste soit acculé et que nous jouions avec ce que nous pouvons tordre dans le système judiciaire pour avancer ».

Pensez-vous qu’il soit possible qu’un État plurinational voie le jour, en pensant à des processus comme celui de la Bolivie ?

Je ne connais pas suffisamment l’État plurinational bolivien. Mais dans l’état actuel du capitalisme, je ne pense pas qu’il soit possible de parler d’un État plurinational parce que la politique capitaliste est basée sur la domination des autres peuples. Le plurinationalisme n’est pas compatible avec le capitalisme. Si vous regardez les accords de 1967 sur la Palestine, vous voyez qu’aujourd’hui il n’y a même pas d’État palestinien parce que l’État israélien veut génocider tout le peuple palestinien pour éliminer le problème.

« Dans l’état actuel du monde », poursuit Fanon, « avec les rapports de force qui se dessinent, avec la façade du monde, je me demande ce que signifie un État plurinational. C’est une question philosophique, philopolitique. Même si le capitalisme cessait d’exister, un Etat plurinational ne serait pas la fin de la domination. Car la plurinationalité est un fait pensé par les Blancs dominants comme une “interculturalité”. Ils intègrent des mandats qui masquent les désirs coloniaux de s’approprier les processus culturels des peuples qui résistent ».

Son engagement est « pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. À leur souveraineté. Et y réfléchir ensemble, c'est possible. À une autre définition de ce que pourrait être l’humanité, l’humain, dans un cadre de rupture totale avec le capitalisme et la modernité eurocentrique. On pourrait ainsi penser à une structure plurinationale, ontologique et épistémologique. Il s’agit pour l’instant d’inductions paradoxales du monde blanc, avec lesquelles le monde blanc sait jouer parfaitement ».