18/01/2022

SUZANNE O’SULLIVAN
Le mystère des enfants “endormis” de Suède
Une neurologue enquête sur le « syndrome de résignation » chez les enfants de demandeurs d’asile

Suzanne O’Sullivan, The Sunday Times, 28/3/2021
Traduit par
Courrier International, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala  

Extrait du livre The Sleeping Beauties: And Other Stories of Mystery Illness [« Les belles endormies et autres histoires de maladies mystérieuses », non traduit en français], paru en avril 2021 aux éditions Picador.

Dans le pays scandinave, des centaines de jeunes réfugiés sont tombés dans un état d’apathie généralisé ces vingt dernières années. Sans que personne ne parvienne à comprendre pourquoi. Sur place, une neurologue irlandaise de premier plan a mené l’enquête. 

J’ai à peine franchi le seuil que déjà je me sens oppressée. Nola est allongée sur un lit, sur ma droite. Elle doit avoir une dizaine d’années. C’est sa chambre. Je savais à quoi m’attendre, croyais-je, mais en réalité je n’étais pas prête. Cinq personnes et un chien viennent d’entrer dans la pièce, sans provoquer chez la fillette l’ombre d’un début de réaction. Elle est parfaitement immobile, les yeux clos, paisible pourrait-on dire.

“Elle est comme ça depuis plus d’un an et demi”, précise la docteure Olssen, penchée au-dessus de Nola pour lui caresser doucement la joue.

 

Djeneta, à droite, une réfugiée rrom alitée et sans réaction depuis deux ans et demi, et sa sœur, Ibadeta, depuis plus de six mois, à Horndal, en Suède, le 2 mars 2017. Photo MAGNUS WENNMAN*

Je me trouve à Horndal, en Suède, petite commune à 160 kilomètres au nord de Stockholm. La docteure Olssen s’occupe de Nola depuis le tout début de sa maladie, elle connaît bien la famille. Elle tire les rideaux pour laisser entrer la lumière et se tourne vers les parents de Nola : « Les filles doivent pouvoir se rendre compte qu’il fait jour. Elles ont besoin de sentir le soleil sur leur peau. »

« Elles savent qu’il fait jour, réplique la mère, sur la défensive. Nous les asseyons dehors le matin. C’est parce que vous veniez que nous les avons remises au lit. »

Sa poitrine qui se gonfle, seul signe de vie

Nola n’est pas la seule à occuper cette chambre. Sa sœur Helan, son aînée d’un an environ, est allongée elle aussi tout en bas des lits superposés, sur ma gauche. De là où je me trouve, je ne vois que la plante de ses pieds. Le lit du haut, celui de leur frère, est vide. Lui n’est pas malade : je l’ai aperçu au coin d’une porte en rejoignant la chambre. Si je suis ici, c’est parce que je suis neurologue, spécialiste des maladies cérébrales, et assez fine connaisseuse des pouvoirs de l’esprit sur le corps.

Alors que je m’approche du lit de Nola, je jette un regard en direction de Helan – à ma surprise, je la vois entrouvrir les yeux pour me regarder, une seconde, puis les refermer.

« Elle est éveillée », dis-je à la docteure Olssen.

« Oui, Helan n’en est qu’aux premiers stades de la maladie. »

Étendue sur les draps de son lit et préparée pour ma venue, Nola, elle, ne manifeste aucun signe d’éveil. Elle porte une robe rose et des collants à carreaux noirs et blancs. Elle a les cheveux épais et brillants, mais le teint pâle. Le rose de ses lèvres est fade, comme délavé. Ses mains sont posées l’une sur l’autre sur son ventre. Elle a un air serein, telle la princesse qui a croqué la pomme empoisonnée. Seul signe incontestable de sa maladie, la perfusion par sonde nasogastrique dont le tube, inséré dans son nez, est collé sur sa joue à l’aide de sparadrap. Seul signe de vie, sa poitrine qui monte et descend doucement.

Un processus lent de repli sur soi-même

Je m’accroupis près de son lit pour me présenter à elle. Même si elle m’entend, je sais qu’elle ne comprendra sans doute pas ce que je dis : Nola ne connaît que quelques mots d’anglais, et je ne parle quant à moi ni le suédois ni sa langue maternelle, le kurde – mais j’espère la rassurer par le ton de ma voix.

Outre Nola et Helan, plusieurs centaines de cas d’enfants “endormis” ont été recensées en Suède depuis vingt ans. Selon la rumeur, le phénomène serait apparu dans les années 1990, mais le nombre d’enfants concernés s’est envolé au tournant du siècle. Rien que de 2003 à 2005, 424 cas ont été dénombrés. Depuis, plusieurs centaines d’autres sont apparus. Si le phénomène touche garçons et filles, ces dernières prédominent légèrement.

Les débuts de la maladie sont généralement insidieux. Les enfants développent de l’anxiété et des symptômes dépressifs, et leur comportement change : ils cessent de jouer avec les autres d’abord, avant d’abandonner totalement le jeu. Ils se replient progressivement sur eux-mêmes, au point, rapidement, de ne plus pouvoir aller à l’école. Ils parlent de moins en moins, jusqu’à ne plus dire un mot. Vient ensuite l’alitement. À terme, ils cessent toute interaction avec le monde.

Des bilans médicaux totalement normaux

Les premiers enfants touchés ont été hospitalisés. Des examens médicaux poussés ont été menés : tous les patients avaient des bilans parfaitement normaux, notamment des électroencéphalogrammes qui contredisaient leur état apparemment inconscient. Même chez des enfants ne répondant à aucun stimulus, l’électroencéphalographie montrait encore les mêmes cycles veille/sommeil que chez des individus en bonne santé. Au bout du compte, l’hospitalisation ne leur apportant rien, les enfants furent renvoyés chez eux et confiés à leurs parents. Les patients concernés étaient âgés de 7 à 19 ans ; dans le meilleur des cas, la maladie n’a duré que quelques mois, mais beaucoup restèrent plongés des années dans cet état de sommeil – certains n’en sont d’ailleurs toujours pas sortis.

À  son apparition, le phénomène était sans précédent, et aucun terme ne semblait pouvoir le décrire. Le coma implique une perte de connaissance profonde, or certains enfants semblaient encore avoir conscience de leur environnement. Les examens montraient que leur cerveau répondait aux stimuli extérieurs. Le mot de “sommeil” ne convenait pas non plus : il décrit un état naturel, or le sommeil de ces enfants, plus proche de la léthargie, ne l’était pas. Des médecins suédois optèrent finalement pour le terme d’“apathie”, et au bout de plusieurs années la pathologie a eu une appellation médicale officielle : Uppgivenhetssyndrom, de giva upp, “to give up” (“renoncer”), ou “syndrome de la résignation”, en français.

Une explication neurologique ?

La docteure Olssen a remonté la robe de Nola jusqu’au ventre, sans que la fillette bronche. Elle porte une couche sous ses collants. La médecin palpe son estomac et l’ausculte au stéthoscope, avant d’écouter son cœur et ses poumons. “Son rythme cardiaque est à 92, c’est beaucoup.”

SUZANNE O’SULLIVAN
The mystery of the refugee children in Sweden who won’t wake up

 

Suzanne O’Sullivan, The Sunday Times, 28/3/2021

Hundreds of children have succumbed to a mystery illness that can keep them in a sleeplike state for years. Leading neurologist Suzanne O’Sullivan investigates

Extracted from The Sleeping Beauties: And Other Stories of Mystery Illness by Suzanne O’Sullivan (Picador 2021)

I had barely stepped across the threshold and I already felt claustrophobic. I could see Nola lying in a bed to my right. She was about ten years old, I guessed. This was her bedroom. I had come knowing what to expect, but somehow I still wasn’t prepared. Five people and one dog had just walked into the room, but she didn’t have so much as a flicker of acknowledgment for any of us. She just lay perfectly still, her eyes closed, apparently peaceful.

“She’s been like this for over a year and a half,” Dr Olssen said as she bent to stroke Nola gently on the cheek.

Djeneta, right, a Roma refugee who has been bedridden and unresponsive for two and a half years, and her sister, Ibadeta, for more than six months, in Horndal, Sweden, March 2, 2017. Photo MAGNUS WENNMAN*

I was in Horndal, Sweden — a small municipality 100 miles north of Stockholm. Dr Olssen had been caring for Nola since she had first fallen ill, so she knew the family well. She drew the curtains aside to let the light in, then turned to Nola’s parents and said: “The girls have to know it’s daytime. They need sun on their skin.”

“They know it’s day,” her mother answered defensively. “We sit them outside in the morning. They’re in bed because you’re visiting.”

This wasn’t just Nola’s room. Her sister, Helan, who was roughly a year older, lay quietly on the bottom of a set of bunk beds to my left. From where I stood, I could see only the soles of her feet. The upper bunk — their brother’s bed — was empty. He was healthy; I had seen him peeping out from around a corner as I walked to the girls’ room. I was there because I was a neurologist, a specialist in brain disease and someone who is familiar with the power of the mind over the body — more than most doctors, perhaps.

I approached Nola’s bed. As I did, I glanced over my shoulder at Helan, and was surprised to see her eyes open for a second to look at me and then close again.

“She’s awake,” I said to Dr Olssen.

“Yes, Helan’s only in the early stages.”

Nola showed no sign of being awake, lying on top of her bed covers, laid out in preparation for me. She was wearing a pink dress and black-and-white harlequin tights. Her hair was thick and glossy, but her skin was pale. Her lips were an insipid pink, almost colourless. Her hands were folded across her stomach. She looked serene, like the princess who had eaten the poisoned apple. The only certain sign of illness was a nasogastric feeding tube threaded through her nose, secured to her cheek with tape. The only sign of life, the gentle up and down of her chest.

I crouched beside her bed and introduced myself. I knew that, even if she could hear me, she probably couldn’t understand. She knew very little English, and I didn’t speak Swedish or her native language, Kurdish, but I hoped the tone of my voice would reassure her.

Nola and Helan are two of the hundreds of sleeping children who have appeared sporadically in Sweden over a span of 20 years. Rumour suggested the phenomenon had been around since the 1990s, but the number of children affected escalated at the turn of the century. Between 2003 and 2005, 424 cases were reported. There have been hundreds more since. It affects both boys and girls, but with a slight preponderance of girls. Typically, the sleeping sickness had an insidious onset. Children initially became anxious and depressed. Their behaviour changed: they stopped playing with other children and, over time, stopped playing altogether. They slowly withdrew into themselves, and soon they couldn’t go to school. They spoke less and less, until they didn’t speak at all. Eventually they took to bed. If they entered the deepest stage, they could no longer eat or open their eyes. They became completely immobile, showing no response to encouragement from family or friends, and no longer acknowledging pain or hunger or discomfort. They ceased having any active participation in the world.

The first children affected were admitted to hospital. They underwent extensive medical investigations, including CT scans, blood tests, EEGs (electroencephalograms, or brain-wave recordings) and lumbar punctures to look at spinal fluid. The results invariably came back as normal, with the brain-wave recordings contradicting the children’s apparent unconscious state. Even when the children appeared to be deeply unresponsive, their brain waves showed the cycles of waking and sleep that one would expect in a healthy person.

Some of the most severely affected children spent time under close observation in intensive care units, yet still nobody could wake them. Because no disease was found, the help doctors and nurses could offer was limited. They fed the children through tubes, while physiotherapists kept their joints mobile and their lungs clear, and nurses made sure they didn’t develop pressure sores through inactivity. Ultimately, being in hospital didn’t make much difference, so many children were sent home to be cared for by their parents. The children’s ages ranged from 7 to 19. The lucky ones were sick for a few months, but many didn’t wake for years. Some still haven’t woken.

Gellert Tamas : Le débat sur les enfants apathiques en Suède est malhonnête

Gellert Tamas, Dagens Nyheter, 29/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le débat sur les enfants apathiques de demandeurs d’asile fait rage  en Suède depuis près de 20 ans. Un nouveau livre de la neurologue Suzanne O'Sullivan met en évidence les facteurs mentaux, physiques et environnementaux de ce trouble. Pourtant, les médias suédois considèrent les enfants apathiques comme des simulateurs, écrit Gellert Tamas.

Se pourrait-il que la question très controversée des enfants apathiques ait enfin trouvé une réponse ? Ce n'est pas impossible, du moins si l'on en juge par l'accueil international réservé à un nouveau livre sur le syndrome de résignation écrit par Suzanne O'Sullivan, neurologue de renom et auteure multiprimée.

 

La neurologue et auteure Suzanne O'Sullivan. Photo : Guillem Lopez/TT

Le débat fait rage depuis près de 20 ans. Au tournant de 2005-2006, 10 000 personnes ont manifesté pour mettre fin aux expulsions en cours, tandis que les médias se focalisaient rapidement sur autre chose. Selon une enquête de l'Université du centre de la Suède, la manipulation était l'explication la plus courante - 42 % des articles - de l'état des enfants. Ils auraient fait semblant ou auraient été empoisonnés par leurs parents - tout cela dans le but d'obtenir un permis de séjour.

Puis le débat a tourné. Les premiers résultats de la recherche ont été publiés dans des revues professionnelles de premier plan. Des analyses sanguines et des tests d'hormones de stress, entre autres, ont montré que ni la simulation ni l'empoisonnement ne pouvaient expliquer l'état des enfants. En 2014, le Conseil national de la santé et du bien-être (Socialstyrelsen) a introduit le symptome de résignation comme un code de diagnostic distinct dans le système de soins de santé. Cela semblait régler la question.

Bien que les recherches soient encore incomplètes, toutes celles qui existent montrent - malgré les divergences d'opinion sur, par exemple, la question des soins hospitaliers ou à domicile, du degré d'implication des parents dans le processus de soins et l'importance de l’obtention d’un permis de séjour pour que soit enclenché le processus de guérison - que la manipulation ne peut expliquer l'affection elle-même, même s'il peut y avoir des cas particuliers. C'est le même tableau que j'ai moi-même brossé dans un livre et dans des émissions télévisées d'investigation.

À l'automne 2019, le débat s'est à nouveau enflammé, après que deux personnes aujourd'hui adultes m'ont raconté qu'enfants, elles avaient été forcées par leurs parents à jouer les apathiques. L'accent a été mis une fois de plus sur la question de la manipulation. Bien qu'aucune nouvelle étude ne vienne infirmer les résultats précédents ou étayer l'allégation de manipulation massive, plusieurs commentateurs ont affirmé qu'il existe désormais des preuves irréfutables ; la quasi-totalité des 1 000 cas d'enfants diagnostiqués avec un symptôme de résignation ont en fait été manipulés.

 

Le ton a été vif et pas pas dénué de sous-entendus politiques. PM Nilsson, rédacteur politique à Dagens Industri, dans une interview à la radio suédoise, balaye le symptôme de résignation d’un revers : « Cette étrange histoire d'enfants apathiques qui ont été exploités par leurs parents pour simuler un état qui en faisait des cas pitoyables ».

Gellert Tamas: Debatten kring de apatiska barnen är ohederlig

Gellert Tamas, Dagens Nyheter, 29/10/2021

Debatten om de apatiska barnen har rasat i snart 20 år. En ny bok av neurologen Suzanne O’Sullivan lyfter fram såväl psykiska, fysiska som omvärldsrelaterade faktorer för sjukdomen – ändå avfärdar svenska medier de apatiska barnen som simulanter, skriver Gellert Tamas.

Kan det vara så att den lika infekterade som högljutt debatterade frågan om de apatiska barnen till slut har fått sitt svar? Det är inte omöjligt, åtminstone inte om man ska döma av det internationella mottagandet av en ny bok kring uppgivenhetssymtom, skriven av den välrenommerade neurologen och flerfaldigt prisbelönta författarinnan Suzanne O’Sullivan.

Neurologen och författarinnan Suzanne O’Sullivan. Foto: Guillem Lopez/TT

Debatten har rasat i snart 20 år. Kring årsskiftet 2005–2006 demonstrerade 10 000-tals människor för att stoppa de pågående avvisningarna, samtidigt blev fokus i medierna snabbt ett annat. Enligt en undersökning från Mittuniversitetet var manipulation den vanligaste – 42 procent av artiklarna – förklaringen till barnens tillstånd. De påstods simulera eller förgiftas av sina föräldrar – allt med målet att tillskansa sig ett uppehållstillstånd.

Sedan svängde debatten. De första forskningsresultaten publicerades i ledande facktidskrifter. Blodprover och prover av bland annat stresshormoner visade att varken simulering eller förgiftning kan förklara barnens tillstånd. 2014 införde Socialstyrelsen uppgivenhetsymptom som en egen diagnoskod inom sjukvården. Därmed tycktes frågan avgjord.

Forskningsläget är visserligen fortfarande ofullständigt, men all den forskning som de facto finns visar – trots meningsskiljaktigheter vad gäller exempelvis synen på sjukhus- kontra hemsjukvård, graden av föräldrars medverkan i vårdprocessen och betydelsen av uppehållstillstånd för tillfrisknandeprocessen – att manipulation inte kan förklara själva sjukdomstillståndet, även om enstaka fall kan förekomma. Det är samma bild som jag själv tecknat i såväl en bok som i granskande tv-program.

Hösten 2019 blossade debatten än en gång upp, efter att två i dag vuxna personer berättat att de som barn tvingats spela apatiska av sina föräldrar. Fokus hamnade återigen på frågan om manipulation. Trots att det inte finns någon ny forskning som kullkastar tidigare resultat, eller underbygger påståendet om massmanipulation, har ett flertal debattörer hävdat att det nu finns övertygande bevis; i princip alla de 1 000 fall där barn diagnostiserats med uppgivenhetssymtom har i själva verket handlat om manipulation.

Tonen har varit uppskruvad och inte utan politiska undertoner. PM Nilsson, politisk redaktör på Dagens Industri, viftar i ett samtal i Sveriges Radio bort uppgivenhetssymptom som ”den här märkliga historien med apatiska barn som utnyttjades av sina föräldrar för att simulera ett tillstånd som gjorde dem till ömmande fall.”

17/01/2022

BRUCE E. LEVINE
El suicidio, los campesinos indios, los indígenas norteamericanos… y la vergüenza de los locólogos

Bruce E. Levine, CounterPunch, 14/01/2022
Traducido del inglés por
Sinfo Fernández, Tlaxcala

Roland Chrisjohn, autor principal de Dying to Please You: Indigenous Suicide in Contemporary Canada (Morir para complacerte: el suicidio indígena en el Canadá contemporáneo), se enfrenta a esta trágica negación por parte de los profesionales de la salud mental: al medicalizar y considerar como enfermedad la tendencia al suicidio provocada por determinadas sociopolíticas, están permitiendo el sufrimiento y aumentando el suicidio. Chrisjohn es un onyota'a:ka de las tribus iroquesas, tiene un doctorado en psicología y actualmente es profesor asociado en el Departamento de Estudios Nativos de la Universidad de Santo Tomás, en Canadá (los coautores de Dying to Please You son Shaunessy M. McKay y Andrea Odessa Smith).


Chrisjohn -para que sea lo más fácil posible para todos, salvo para los psiquiatras completamente obtusos- documenta que durante los años del traslado intensivo de los judíos alemanes a los campos de concentración, su tasa de suicidio fue al menos cincuenta veces mayor que la de los alemanes no judíos; y a continuación recuerda a los profesionales de la salud mental: “No se diseñó ni se llevó a cabo ni un solo estudio científico-social para establecer por qué los judíos se comportaban de esa manera, ni hubo urgencia aparente alguna por descubrir la ‘dinámica interna’ del suicidio judío”.

De forma cáustica, aunque correcta, Chrisjohn señala que “el ‘tratamiento adecuado’ para el ‘problema del suicidio judío’ no era enviar animadores a lo que quedaba de sus comunidades, sino la eliminación del sistema de crueldad indecible que destruía sus vidas”. En lugar de aumentar el acceso a los tratamientos de salud mental, nos recuerda que era necesario un tratamiento muy diferente: “Fueron, de hecho, Zhukov y Patton, y las fuerzas que comandaron, quienes acabaron con la opresión que puso fin a la tormenta de suicidios que envolvió a los judíos”.

Así, para Chrisjohn, la mera lógica debería informarnos de que “el ‘tratamiento adecuado’ para el ‘problema del suicidio indígena’ no es enviar animadoras a nuestras comunidades; es la eliminación del sistema que está destruyendo nuestras vidas”. Este análisis del suicidio indígena en Canadá en Dying to Please You se aplica a otros pueblos oprimidos.

Vigilia con velas en la Primera Nación Attawapiskat en el norte de Ontario, Canadá, el 15 de abril de 2016, tras una ola de suicidios de jóvenes y niños. Foto Chris Wattie / Archivo Reuters

 Suicidios de agricultores en la India

 En el número actual de la revista Ethical Human Psychology and Psychiatry aparece el artículo “Farmers' Protests, Death by Suicides, and Mental Health Systems in India: Critical Questions. Su autor es el psicólogo Sudarshan Kottai, que creció en la India rural en una familia dedicada a la agricultura y actualmente enseña en la Universidad de Cristo, en Bangalore (India). Kottai, al igual que Chrisjohn, está indignado por la forma en que la mayoría de los profesionales de la salud mental abordan el suicidio de su pueblo: “Sin embargo, la corriente principal de los discursos sobre salud mental cierra los ojos y los oídos ante los factores sociopolíticos más amplios que afectan a la situación de los agricultores, incluido el suicidio, reduciéndolos simplemente a un problema de salud mental que debe tratarse mediante consejos y psicofármacos”.

OLMEDO BELUCHE
Panama : le 9 janvier 1964, une révolution populaire anti-impérialiste

 Olmedo Beluche, The Panama News, 8/1/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 9 janvier a marqué un tournant dans la politique usaméricaine au Panama. À cette date, 60 ans de contradictions accumulées ont explosé ; ce fut une véritable révolution populaire au plein sens du terme. Elle a fait voler en éclats le rêve de richesse que l'oligarchie panaméenne avait dépeint en 1903 pour imposer un État « indépendant » qui était en réalité un « protectorat », c'est-à-dire une colonie usaméricaine, ainsi que l’ignominieux Traité Hay-Bunau-Varilla qui bradait le canal aux USA « comme s'ils étaient souverains ».

Il faut se rappeler que les grands-parents de notre oligarchie, depuis 1903, s'accommodaient de la situation coloniale, se croyant Yankees dans l'âme. Les secteurs populaires, quant à eux, ont eu du mal à trouver la clarté dans la construction de leur propre projet politique, mais dès le début, ils se sont investis dans la défense de la souveraineté, car ils ont compris que la prospérité du pays et la leur en dépendaient.

En 1964, l'expérience accumulée par le peuple panaméen, dirigé par ses secteurs les plus combatifs, qui avait affronté la présence coloniale impérialiste, a été mise en évidence : dans la grève des loyers de 1925, dans le mouvement anti-bases de 1947, ainsi que dans les grandes actions du mouvement étudiant des années 1950, l'opération Souveraineté et Dissémination des drapeaux, [1958-1959] dans une atmosphère d’exaltation sous l'influence de la révolution cubaine.

Le 9 janvier, à la nouvelle de l'agression subie par les étudiants de l'Institut national, du drapeau souillé par les « zonards » [les Yankees de la Zone du Canal, NdT], de la répression brutale de la soldatesque yankee, le peuple panaméen a éclaté d'indignation et s'est rendu en masse, spontanément, pour franchir la clôture (notre « mur de Berlin ») et planter un drapeau.

Là, sur la barricade ou simplement couchés sur le sol autour de ce qui est aujourd'hui le « Palacio Legislativo », des milliers de personnes ont bravement affronté la mitraille des tanks, sous la conduite des dirigeants populaires des organisations de gauche, depuis certaines ailes de jeunesse du Partido del Pueblo (communiste) avec Adolfo Ahumada ou Víctor Ávila et d'autres, ceux de la Vanguardia de Acción Nacional (VAN) de Jorge Turner et les adeptes de ce qui deviendra plus tard le Movimiento de Unidad Revolucionaria (MUR) de Floyd Britton.

Un « peuple » qui, socialement, était un « prolétariat jeune, vigoureux et en pleine expansion » (une expression de l'industrialisme des années 50 et 60), s'est organisé en Comités de défense de la souveraineté (Comités de Defensa de la Soberanía). Ces comités étaient des embryons de double pouvoir qui comblaient le vide du pouvoir en l'absence de l'État-gouvernement oligarchique qui avait été effacé de la rue. Ces comités organisaient tout, de l'acquisition d'armes à la défense et à l'attaque, en passant par l'organisation civile qui se manifestait par les dons de sang et le transport des blessés vers les hôpitaux. À cet égard, il est conseillé de lire : « Significado y consecuencias del 9 de Enero »,par  José Eugenio Stoute, dans la revue Mujeres Adelante n° 13, janvier, février et mars 1989. 

Une énorme colonne de personnes, entre 40 et 60 mille, selon Stoute, a entouré la Présidence de la République en demandant des armes pour faire face à l'agression impérialiste. Le gouvernement oligarchique de Roberto Chiari, fils de l'ancien président Rodolfo Chiari, qui avait demandé en 1925 une intervention militaire usaméricaine pour écraser la grève des locataires, décide de deux mesures opposées : premièrement, il encaserne  la Garde nationale afin que ses armes ne soient pas utilisées par le peuple pour défendre la souveraineté ; deuxièmement, pour tenter d'apaiser la fureur populaire, il rompt les relations diplomatiques avec Washington, une mesure désespérée qui ne reflétait pas une quelconque vocation nationaliste de l'oligarchie, mais plutôt la crainte du gouvernement face à l'insurrection qui menaçait de s'introduire dans le Palacio de las Garzas [Palais des Hérons, siège de la présidence].

Pendant trois jours, le peuple insurgé a tenu les rues des villes de Panama et Colón. Trois jours pendant lesquels les actions ne se sont pas limitées à planter des drapeaux, mais à affronter les troupes impérialistes avec les quelques armes à leur disposition. Plusieurs morts ont été reconnues par le « gouverneur » de la Zone du Canal. Trois jours au cours desquels tous les symboles ou biens des entreprises usaméricaines ont été pillés et brûlés, du célèbre bâtiment de Panamerican Airlines aux agences bancaires de la Chase Manhattan Bank. Des dizaines de voitures portant des plaques d'immatriculation de la Zone ont été renversées et brûlées dans les rues de la ville.

Le gouvernement, qui s'était lâchement caché, a commencé à faire sortir la Garde nationale des casernes les 11 et 12 janvier. Mais il ne l'a pas fait pour défendre la nation attaquée, mais pour arrêter les dirigeants populaires de l'insurrection, dont un grand nombre a fini dans la prison Modelo. Le travail répressif des gouvernements libéraux de Chiari et Robles se poursuivra au cours des années suivantes, ciblant le leader étudiant Juan Navas, qui avait été blessé lors de la Geste de janvier et s'était rendu en Union soviétique pour se faire soigner. À son retour d'URSS en 1966, il a été arrêté par la police politique du régime, torturé, assassiné et son corps jeté dans le Corridor de Colón. Cela a été suivi d'un procès contre ses camarades du Parti du Peuple de cette ville.

Le sacrifice des martyrs et le soulèvement populaire de 1964 n'ont pas été vains, bien au contraire, une victoire qui s'est dessinée au fil du temps et qui se fait encore sentir aujourd'hui dans le pays : on a imposé le critère, jusqu'alors défendu uniquement par des secteurs populaires de gauche, selon lequel il fallait mettre fin au statut colonial de 1903, abroger le Traité Varilla-Hay-Bunau et négocier un nouveau traité sur le Canal de Panama, qui éliminerait la « Zone », les bases militaires et transférerait l'administration de la voie navigable dans un délai péremptoire. Le traité Torrijos-Carter de 1977 reflète ces demandes, malgré ses amendements et le Pacte de Neutralité.

La prospérité économique dont jouit le pays aujourd'hui est sans aucun doute due à la Geste du 9 janvier, car elle est basée sur les revenus que le canal produit et que le Panama ne recevait pas auparavant. Car, contrairement aux affirmations de l'oligarchie panaméenne qui, jusqu'en 1999, craignait le retrait des bases militaires, il a été démontré que « la souveraineté, ça se mange ».

Malheureusement, la prospérité produite par le canal est en grande partie accaparée par une classe sociale appelée les nouveaux « zonards », qui ne sont autres que les descendants de la même oligarchie qui a vendu le pays en 1903, qui s'est comportée pendant cent ans comme un allié interne du colonialisme usaméricain et qui a accusé les dirigeants populaires de 1964 d'être des « communistes » et les martyrs d'être des « pillards et des voleurs ». 

Cette appropriation des bénéfices du canal, qui est à l'opposé de ce que prétendait Omar Torrijos lorsqu'il disait qu'il fallait en faire « l'usage le plus collectif possible », est due à un autre événement : l'invasion usaméricaine du 20 décembre 1989.

Meeting de soutien au peuple panaméen à l'Université Patrice Lumumba à Moscou, URSS en janvier 1964. (Photo by Keystone-France\Gamma-Rapho via Getty Images)

 

OLMEDO BELUCHE
Panama’s 1964 popular anti-imperialist explosion

 Olmedo Beluche, The Panama News, 8/1/2022
Translated by John Catalinotto, Workers World 

On January 9, 1964, a true popular revolution in the full sense of the word caused a turning point in U.S. policy in Panama, when 60 years of accumulated contradictions exploded. The mass action shattered the dream of riches that the Panamanian oligarchy had painted in 1903 to impose what they called an “independent” state. 

In reality, Panama was a “protectorate,” that is, a U.S. colony, and then the disgraceful Hay Bunau Varilla Treaty [of November 1903, that] handed over the canal to the U.S., “as if they [the U.S.] were sovereign.” 

It should be remembered that the grandparents of our oligarchy, since 1903 felt comfortable with the colonial situation, believing themselves to be Yankees at heart. The popular sectors, on the other hand, found it difficult to find clarity in the construction of their own political project. Nevertheless, from the beginning the masses devoted themselves to the defense of sovereignty, because they understood that the prosperity of the country and their own prosperity depended on it. 

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Above graphic shows photo from Jan. 22, 1964 issue of Workers World: Youth Against War and Fascism in solidarity with Panamanian struggle. New York, Jan. 14, 1964.