Olmedo Beluche, The
Panama News, 8/1/2022
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Le 9 janvier a marqué un tournant dans la politique usaméricaine au Panama. À cette date, 60 ans de contradictions accumulées ont explosé ; ce fut une véritable révolution populaire au plein sens du terme. Elle a fait voler en éclats le rêve de richesse que l'oligarchie panaméenne avait dépeint en 1903 pour imposer un État « indépendant » qui était en réalité un « protectorat », c'est-à-dire une colonie usaméricaine, ainsi que l’ignominieux Traité Hay-Bunau-Varilla qui bradait le canal aux USA « comme s'ils étaient souverains ».
Il faut se rappeler que les grands-parents de notre oligarchie, depuis 1903, s'accommodaient de la situation coloniale, se croyant Yankees dans l'âme. Les secteurs populaires, quant à eux, ont eu du mal à trouver la clarté dans la construction de leur propre projet politique, mais dès le début, ils se sont investis dans la défense de la souveraineté, car ils ont compris que la prospérité du pays et la leur en dépendaient.
En 1964, l'expérience accumulée par le peuple panaméen, dirigé par ses secteurs les plus combatifs, qui avait affronté la présence coloniale impérialiste, a été mise en évidence : dans la grève des loyers de 1925, dans le mouvement anti-bases de 1947, ainsi que dans les grandes actions du mouvement étudiant des années 1950, l'opération Souveraineté et Dissémination des drapeaux, [1958-1959] dans une atmosphère d’exaltation sous l'influence de la révolution cubaine.
Le 9 janvier, à la nouvelle de l'agression subie par les étudiants de l'Institut national, du drapeau souillé par les « zonards » [les Yankees de la Zone du Canal, NdT], de la répression brutale de la soldatesque yankee, le peuple panaméen a éclaté d'indignation et s'est rendu en masse, spontanément, pour franchir la clôture (notre « mur de Berlin ») et planter un drapeau.
Là, sur la barricade ou simplement couchés sur le sol autour de ce qui est aujourd'hui le « Palacio Legislativo », des milliers de personnes ont bravement affronté la mitraille des tanks, sous la conduite des dirigeants populaires des organisations de gauche, depuis certaines ailes de jeunesse du Partido del Pueblo (communiste) avec Adolfo Ahumada ou Víctor Ávila et d'autres, ceux de la Vanguardia de Acción Nacional (VAN) de Jorge Turner et les adeptes de ce qui deviendra plus tard le Movimiento de Unidad Revolucionaria (MUR) de Floyd Britton.
Un « peuple » qui, socialement, était un « prolétariat jeune, vigoureux et en pleine expansion » (une expression de l'industrialisme des années 50 et 60), s'est organisé en Comités de défense de la souveraineté (Comités de Defensa de la Soberanía). Ces comités étaient des embryons de double pouvoir qui comblaient le vide du pouvoir en l'absence de l'État-gouvernement oligarchique qui avait été effacé de la rue. Ces comités organisaient tout, de l'acquisition d'armes à la défense et à l'attaque, en passant par l'organisation civile qui se manifestait par les dons de sang et le transport des blessés vers les hôpitaux. À cet égard, il est conseillé de lire : « Significado y consecuencias del 9 de Enero »,par José Eugenio Stoute, dans la revue Mujeres Adelante n° 13, janvier, février et mars 1989.
Une énorme colonne de personnes, entre 40 et 60 mille, selon Stoute, a entouré la Présidence de la République en demandant des armes pour faire face à l'agression impérialiste. Le gouvernement oligarchique de Roberto Chiari, fils de l'ancien président Rodolfo Chiari, qui avait demandé en 1925 une intervention militaire usaméricaine pour écraser la grève des locataires, décide de deux mesures opposées : premièrement, il encaserne la Garde nationale afin que ses armes ne soient pas utilisées par le peuple pour défendre la souveraineté ; deuxièmement, pour tenter d'apaiser la fureur populaire, il rompt les relations diplomatiques avec Washington, une mesure désespérée qui ne reflétait pas une quelconque vocation nationaliste de l'oligarchie, mais plutôt la crainte du gouvernement face à l'insurrection qui menaçait de s'introduire dans le Palacio de las Garzas [Palais des Hérons, siège de la présidence].
Pendant trois jours, le peuple insurgé a tenu les rues des villes de Panama et Colón. Trois jours pendant lesquels les actions ne se sont pas limitées à planter des drapeaux, mais à affronter les troupes impérialistes avec les quelques armes à leur disposition. Plusieurs morts ont été reconnues par le « gouverneur » de la Zone du Canal. Trois jours au cours desquels tous les symboles ou biens des entreprises usaméricaines ont été pillés et brûlés, du célèbre bâtiment de Panamerican Airlines aux agences bancaires de la Chase Manhattan Bank. Des dizaines de voitures portant des plaques d'immatriculation de la Zone ont été renversées et brûlées dans les rues de la ville.
Le gouvernement, qui s'était lâchement caché, a commencé à faire sortir la Garde nationale des casernes les 11 et 12 janvier. Mais il ne l'a pas fait pour défendre la nation attaquée, mais pour arrêter les dirigeants populaires de l'insurrection, dont un grand nombre a fini dans la prison Modelo. Le travail répressif des gouvernements libéraux de Chiari et Robles se poursuivra au cours des années suivantes, ciblant le leader étudiant Juan Navas, qui avait été blessé lors de la Geste de janvier et s'était rendu en Union soviétique pour se faire soigner. À son retour d'URSS en 1966, il a été arrêté par la police politique du régime, torturé, assassiné et son corps jeté dans le Corridor de Colón. Cela a été suivi d'un procès contre ses camarades du Parti du Peuple de cette ville.
Le sacrifice des martyrs et le soulèvement populaire de 1964 n'ont pas été vains, bien au contraire, une victoire qui s'est dessinée au fil du temps et qui se fait encore sentir aujourd'hui dans le pays : on a imposé le critère, jusqu'alors défendu uniquement par des secteurs populaires de gauche, selon lequel il fallait mettre fin au statut colonial de 1903, abroger le Traité Varilla-Hay-Bunau et négocier un nouveau traité sur le Canal de Panama, qui éliminerait la « Zone », les bases militaires et transférerait l'administration de la voie navigable dans un délai péremptoire. Le traité Torrijos-Carter de 1977 reflète ces demandes, malgré ses amendements et le Pacte de Neutralité.
La prospérité économique dont jouit le pays aujourd'hui est sans aucun doute due à la Geste du 9 janvier, car elle est basée sur les revenus que le canal produit et que le Panama ne recevait pas auparavant. Car, contrairement aux affirmations de l'oligarchie panaméenne qui, jusqu'en 1999, craignait le retrait des bases militaires, il a été démontré que « la souveraineté, ça se mange ».
Malheureusement, la prospérité produite par le canal est en grande partie accaparée par une classe sociale appelée les nouveaux « zonards », qui ne sont autres que les descendants de la même oligarchie qui a vendu le pays en 1903, qui s'est comportée pendant cent ans comme un allié interne du colonialisme usaméricain et qui a accusé les dirigeants populaires de 1964 d'être des « communistes » et les martyrs d'être des « pillards et des voleurs ».
Cette appropriation des bénéfices du canal, qui est à l'opposé de ce que prétendait Omar Torrijos lorsqu'il disait qu'il fallait en faire « l'usage le plus collectif possible », est due à un autre événement : l'invasion usaméricaine du 20 décembre 1989.
Meeting de soutien au peuple panaméen à l'Université Patrice Lumumba à Moscou, URSS en janvier 1964. (Photo by Keystone-France\Gamma-Rapho via Getty Images)
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