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03/01/2024

GLORIA MUÑOZ RAMIREZ
EZLN, 30 ans après le soulèvement : “La propriété doit être au peuple et commune” (sous-commandant Moisés)

Les zapatistes font la fête avec un défilé, de la danse, du théâtre et même des mariachis.

Trois décennies après le soulèvement, ils réaffirment leur lutte pour la liberté et la justice.

Gloria Muñoz Ramírez, La Jornada, Víctor Camacho (photos) 2/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 Gloria Muñoz Ramírez est journaliste au quotidien La Jornada et directrice du magazine international en ligne Desinformémonos, au Mexique.

Ocosingo, Chiapas.- Une démonstration de jeunesse musclée, un défilé militaire au rythme de Panteón Rococó et Los Ángeles Azules, une multitude de zapatistes, une assistance nationale et internationale, et un message fort : La propriété doit appartenir au peuple et être commune, et le peuple doit se gouverner lui-même, a déclaré le sous-commandant Moisés, porte-parole de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).

Les célébrations ont eu lieu au caracol Dolores Hidalgo à Ocosingo, inauguré il y a tout juste trois ans.

Le chef militaire, d’origine tseltale, est un organisateur des peuples et est chargé d’expliquer les prochaines étapes de leur lutte à l’intérieur et à l’extérieur.

Les communs ont été l’expression la plus fréquemment utilisée au cours des deux jours de célébration. Pour l’expliquer, ils ont consacré des pièces de théâtre, des chants, des danses et des poèmes choraux. Un retentissant « Nous sommes seuls, comme il y a 30 ans » a rendu compte de la réalité qu’ils vivent et ressentent, mais a laissé la porte ouverte à leur appel insistant à l’organisation. « Nous invitons les frères et sœurs, s’ils veulent venir, à partager nos idées, à voir ce qui est le mieux pour la vie. Ce que nous disons, c’est que ceux qui travaillent doivent manger et que ceux qui ne travaillent pas doivent manger leurs billets de banque et leurs pièces de monnaie, pour voir si cela satisfait leur besoin de faim. »

Des  milliers de personne en uniforme, vêtu·es de pantalons verts et de chemises marron, ont assisté à l’événement, qui a débuté à 22h30 dimanche.

L’esprit de paix paradoxal d’une armée qui a pris les armes pour la liberté, la démocratie et la justice était une fois de plus évident. « « Nous n’avons pas besoin de tuer les soldats et les mauvais gouvernements, mais s’ils viennent, nous nous défendrons, a expliqué Moisés, lors d’une manifestation où il n’y avait pas une seule arme, bien que des milliers de personne en uniforme portant des pantalons verts et des chemises marron, l’uniforme de la milice zapatiste.

De nombreux·ses milicien·nes appartiennent à une génération née des années après le soulèvement.

C’est à 22h30, le dernier jour de l’année, qu’a débuté la commémoration du 30e  anniversaire du soulèvement armé des peuples mayas du Chiapas. Après un défilé inhabituel, joyeux et festif, de milliers de miliciens et miliciennes zapatistes appartenant à une génération qui est certainement née 10 ans après le soulèvement, le sous-commandant Moisés a commencé son message politique en tseltal, s’adressant tout d’abord à la concentration massive de bases de soutien qui s’était déplacée vers le caracol Dolores Hidalgo, créé sur des terres récupérées et inauguré il y a seulement trois ans.

Une rangée de chaises vides a été placée à l’avant de la scène. Les absents, lisait-on sur le panneau qui les présidait. Les disparus ne sont pas là. Les prisonniers politiques ne sont pas là. Les femmes et les hommes assassinés ne sont pas là. Les jeunes hommes et femmes assassinés ne sont pas là. Les enfants assassinés ne sont pas ici. Ne sont pas là nos arrière-arrière-grands-parents, ceux qui ont combattu il y a plus de 500 ans, mais aussi nos camarades tombés au combat, qui ont fait leur devoir, a déclaré le sous-commandant Moisés, qui, il y a 30 ans, était connu comme capitaine, puis a été promu lieutenant-colonel et occupe enfin le commandement principal au sein de la structure militaire de l’EZLN.

Le discours final a été précédé d’un long programme culturel au cours duquel les enfants et les jeunes des communautés rebelles ont mis en scène l’histoire de leur autonomie par étapes et l’initiative à laquelle ils travaillent déjà : Tierra Común. No Man’s Land. À cette occasion, il n’y a pas eu de communiqué écrit, ni de présence du capitaine Marcos, qui, il y a 30 ans et pendant une longue période, a été chargé d’expliquer la parole des peuples au reste du monde, parvenant avec son propre récit à transmettre non seulement leurs motivations et leurs douleurs, mais aussi une nouvelle façon de faire de la politique qui ne suit pas la voie de la prise de pouvoir, mais celle de l’organisation. Marcos n’est apparu que quelques instants au cours de la soirée culturelle.

« Camarades des bases d’appui, nous sommes engagés maintenant. Nous sommes seuls, comme il y a 30 ans. Parce que seuls jusqu’à présent, nous avons découvert ce nouveau chemin que nous allons suivre : le chemin commun. Nous avons encore besoin que nos compañeros et compañeras du Congrès national indigène et le peuple mexicain nous montrent s’ils sont d’accord avec nous », a conclu le porte-parole zapatiste.

Pourquoi nous sommes ici

La célébration tant attendue du trentième anniversaire a été impeccablement organisée. Des centaines d’événements l’ont précédée. Les gens de l’intérieur et de l’extérieur apprennent les uns des autres et tout se déroule dans une sainte paix. On oublie parfois que ces terres de montagnes vertes et de paysages brumeux font partie d’un État contrôlé par le crime organisé, les paramilitaires et les gouvernements qui ont été à l’avant-garde de la dépossession pendant des décennies. À l’intérieur, il n’y a aucun sentiment de menace. Bien au contraire.

L’écrivain Juan Villoro, l’actrice Ofelia Medina, la productrice Berta Navarro, l’acteur Daniel Giménez Cacho, les cinéastes Valentina Leduc et Juan Carlos Rulfo, et la philosophe Fernanda Navarro marchent en souriant dans le cadre d’une fête. Ils célèbrent, comme beaucoup d’autres, 30 ans de proximité.

Les premiers à être interpellés par la lutte zapatiste sont arrivés ici : les peuples indigènes du pays. Nahuas, Purépechas, Nayeris, Binni Záa, Me’phaa, Na savi, Amuzgos, Mazatecos, Popolucos, Chinantecos, Otomíes, Mayos, Yoremes, Zoques, Totonacos et Mayas sont venus écouter en quoi consiste le travail Tierra Común. No Man’s Land.

« Nous n’avons pas besoin qu’on vienne nous donner des explications, des phrases politiques ou des ateliers sur le système. C’est aussi simple que cela et il est facile de voir comment est le système capitaliste. Ceux qui ne veulent pas le voir en sont responsables. Depuis de très nombreuses années, certains disent des décennies et d’autres des siècles, pourquoi avons-nous besoin d’un cours sur ce sujet ? C’est simplement pour voir que ce qu’il faut faire, c’est bien, c’est penser bien. C’est ce que nous devons faire », explique Moisés au micro. Derrière lui sont assis des dizaines de membres du Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène (CCRI), la plus haute autorité de toute la structure zapatiste.

« Ce que nous allons dire, nous allons le faire en commun, peut-être qu’il y a des frères, des sœurs, qui pensent autrement. Mais non. Il y a des choses qui sont communes et d’autres qui ne le sont pas. C’est pour cela que nous avons une tête, pour penser, et c’est pour cela que nous avons des yeux, pour nous rendre compte. C’est pour cela que nous avons un odorat, pour pouvoir sentir ce qui est commun et ce qui ne l’est pas », poursuit Moisés, ajoutant qu’il n’y a pas de livre ou de manuel pour ce qui est à venir et que, comme toujours, tout devra être testé dans la pratique.

Nous n’avons pas besoin de tuer, insiste le commandant militaire zapatiste, mais pour cela, il faut de l’organisation … Nous ne voulons plus de ceux qui gouvernent là-bas, parce que le capitalisme est dans le monde... personne ne va aller se battre là où tout le monde vit. C’est nous qui sommes là, là où ils sont, là où ils vivent. Puis il demande : quelqu’un croit-il que le capitalisme peut être humanisé ? Le public répond en chœur que non. Et il poursuit : « Le capitalisme ne va pas dire “je renonce à exploiter”. Personne, pas même le plus petit, ne veut arrêter de tricher, de voler et d’exploiter, et encore moins les gros. Il n’y a donc pas besoin de beaucoup d’études. Ce qu’il faut, c’est réfléchir à la manière de changer cette situation. Personne ne nous le dira, c’est nous, les hommes et les femmes, qui allons suivre cette voie et nous défendre ».

Organisation, histoire et 4T

Pendant ces deux jours, les zapatistes ont raconté les différentes étapes de l’histoire de leur autonomie, depuis la naissance des Aguascalientes en 1994, leur conversion en cinq caracoles en 2003, leur élargissement à 12, jusqu’à aujourd’hui, où ils se prononcent en faveur de la Terre Commune, sans propriétaires, et invitent même ceux qui ne sont pas zapatistes à faire partie de ce travail collectif.

« Cela n’a pas été facile, parce que le mauvais gouvernement a voulu en finir avec nous. Dans leurs médias, ils ont dit que nous, les zapatistes, nous étions rendus et que nous avions accepté leurs miettes. Mais nous ne nous sommes pas rendus. Résister, ce n’est pas seulement endurer, c’est construire », disent les jeunes dans une pièce de théâtre.

C’est au tour de la critique et de la remise en question profonde de la 4T [la “Quatrième Transformation” lancée par le président López Obrador, NdT] et de ses mégaprojets. Des trains en carton portés sur les épaules d’enfants et de jeunes représentent le Train Maya et le Train Interocéanique, récemment inaugurés par le gouvernement fédéral. Ce segment évoque les projets éoliens, les entreprises minières, les cultures transgéniques et les centrales hydroélectriques. Il est également question du crime organisé et de sa complicité avec les gouvernements.

La fête semble sans fin. Les danses se poursuivent jusqu’au petit matin. Et tout au long du 1er  janvier, il y a encore de la danse, des tournois de basket-ball et de volley-ball, des performances artistiques et des ateliers proposés par les visiteurs.

Soudain, un groupe impensable de mariachis apparaît dans la cantine communautaire. Ils chantent Las Mañanitas, car un anniversaire est célébré.

Chili : ¡Compañero Ponce Lerou, presente !
Gabrielito file la combinaison du coffre-fort au Beaufissime

NdT

Le président chilien Gabriel Boric a annoncé à la fin de l’année 2023 que l’exploitation des gisements de lithium serait confiée à une entreprise mixte associant l’État chilien et la société SQM jusqu’en 2030, après quoi SQM contrôlerait entièrement l’exploitation jusqu’en 2060. La SQM (Société chimique et minière du Chili) a été créée en 1968 comme entreprise mixte privé-public d’exploitation du salpêtre. Ente 1983 et 1988, elle a été privatisée par Pinochet, qui l’a pratiquement offerte à son beau-fils Julio César Ponce Lerou, qui est aujourd’hui l’homme le plus riche du Chili. Objet d’innombrables enquêtes judiciaires pour ses pratiques mafieuses de détournements de fonds et de corruption, Julio César, alias “el yernísimo” (le Gendre Suprême, ou le Beaufissime), serait en prison dans un pays administré par un État de droit, ce qui n’est de toute évidence pas le cas dans le Chili du pitoyable Gabrielito. Ci-dessous 4 articles d’auteurs chiliens apportant leur éclairage sur cette affaire à faire pâlir d’envie tous les auteur du réalisme magique.- Fausto Giudice, Tlaxcala

 

 Urgences

Luis Casado, Politika,  2/1/2024

L’année 2024 commence par une escroquerie digne du Guinness des records, sans que personne ne s’en émeuve. Seules quelques voix se sont élevées pour alerter le populo sur l’énorme fraude en cours. Et nous invitons tous les nuls à s’opposer à cette ignoble tentative de nous passer à la moulinette...

Il y a quelques jours, -on était encore en 2023-, après le rejet du projet de Constitution concocté par des marmitons fascistes, la presse (sic) chilienne a rapporté ceci :

« le Président a fait un discours mesuré dans lequel il a souligné que les urgences sont ailleurs et il a clôturé le processus constitutionnel ».

À ce moment-là, -plus qu’énervé par la sollicitude soumise qu’il manifeste à l’égard des aumônes-, j’ai osé affirmer que la racaille politichienne s’accommodera de n’importe quoi tant que les « urgence » seront définies par les hommes d’affaires, bref, par les gros bonnets.

Il n’était pas nécessaire de s’armer de patience pour savoir quelles étaient ces « urgences » : livrer le lithium (et ce qui restait, s’il en restait quelque chose, de pudeur, de vertu et de décence) au beaufissime, celui qui, pendant la dictature, s’est payé SQM, à la grande satisfaction de la racaille politichienne que l’escroc a financée et continue de financer, comme on le fait avec les greluches tarifées.

Pour faire taire toute expression de gêne, faciliter la pénétration et accroître la jouissance, ce Soleil du XXIème siècle qui nous sert de président nous a donné quelques chiffres, tous liés à la masse d’argent dont disposera le trésor national, question d’activer le fonctionnement de nos glandes salivaires dans un réflexe pavlovien : Il nous avait récemment souhaité « d’être heureux » (sic), ce qui à proprement parler, comme on dit en France, « ne mange pas de pain », donc ne coûte pas un sou, bref  un synonyme simpliste du «  Dieu vous bénisse ».

Du pactole dont Ponce Lerou s’empare, du gigantesque pied de biche - outil indispensable aux voleurs désireux d’enfoncer des portes réfractaires - qui lui est offert pour ouvrir des marchés, négocier et recevoir des participations millionnaires d’investisseurs étrangers désireux de « placer » leurs capitaux oisifs... rien, pas un mot. En réalité, Ponce Lerou s’élève au rang de videur de bordel, celui qui arrête les clients indésirables à la porte ou qui l’ouvre en grand aux riches michés réguliers, généreux avec le petit personnel.

On a aussi impudemment exhibé comme argument une prétendue prouesse scientifique, de prétendues avancées technologiques réalisées par SQM que ni les Chinois, ni les Russes, ni même les Yankees ne sont près de découvrir, Benjamin Franklin, Charles de Coulomb, Louis Pasteur, Thomas Edison et Alessandro Volta sont des godiches comparés à côté de Ponce Lerou, on voit que la Vierge du Carmen est avec le Beaufissime, elle le protège et lui file des rencarts, que c’est une merveille.

Les âmes pieuses, de gauche à droite et de droite à gauche (mais... n’est-ce pas la même chose, Monseigneur ?) ont loué notre Soleil du XXIème siècle, vantant son « pragmatisme », une qualité qui placera le Chili très haut dans la liste des pays qui attirent les boucaniers, les filibusters, les corsaires et autres aventuriers, - que dis-je ! toute la Confrérie des Pirates des Caraïbes, qu’Emilio Salgari et Sandokan nous éclairent -, qui débarquent dans le but louable d’exploiter - c’est le cas de le dire - notre richesse autrefois nationale et nos travailleurs (Milei les appelle « capital humain »), pour ainsi engraisser  ceux qui débordent déjà de graisse, grâce surtout au fait qu’ils « graissent » de temps en temps leurs condottieri serviles, de droite à gauche et de gauche à droite, on ne peut pas dire qu’au moment de toucher leurs pourboires, ils soient à la ramasse.

Légèrement pressé par d’autres « urgences » -bien plus simples et domestiques que celles qui agitent notre Soleil du XXIème siècle-, j’ai osé évoquer ce sujet à l’aube d’une année qui commence comme un enfer, malgré les vœux sincères généreusement distribués à la fin de 2023, vœux qui, comme ceux de notre Soleil du XXIème siècle (être heureux), « ne mangent pas de pain », bref ne coûtent rien.

Le bradage du lithium à SQM à partir de 2030 est illégal

Julián Alcayaga Olivares, El Ciudadano, 2/1/2024

Le gouvernement, par l’intermédiaire de la CODELCO (Corporación Nacional del Cobre, Compagnie nationale du cuivre), a l’intention de céder le lithium à l’entreprise privée chilienne, chinoise et usaméricaine SQM, alors que depuis 1979, en vertu du décret constitutionnel DL 2.886, le lithium est réservé à l’État.

En outre, d’autres dispositions légales permettent de contester juridiquement, voire administrativement, cet accord entre CODELCO et SQM.

Voyons quelles sont ces dispositions légales.

1.- L’article 640 du Code civil stipule :

« L’État devient propriétaire de tous les biens pris à la guerre de nation à nation, non seulement sur les ennemis, mais aussi sur les neutres, et même sur les alliés et les nationaux selon le cas, et il en dispose conformément aux Ordonnances de la Marine et de la Course ».

Le code civil chilien étant entré en vigueur le 1er  janvier 1857, tous les biens pris lors de la guerre du Pacifique passèrent aux mains de l’État, et plus encore le Dépôt salin d’Atacama, qui n’avait pas de propriétaire, sauf peut-être les revendications des Peuples Atacameños.

2-Le 30 mai 1884, le président Domingo Santa María publia un décret, également signé par son ministre Ramón Barros Luco, qui stipulait ce qui suit :

« L’octroi de concessions pour des gisements de salpêtre, de borates et d’autres substances énumérées dans le décret susmentionné du 28 juillet 1877 est suspendu sur tout le territoire de la République, y compris les départements situés au nord du 23e  parallèle, et est abrogé ».

Le décret du 28 juillet 1877 permettait aux particuliers d’explorer et d’exploiter les gisements de salpêtre, de borates et « toutes autres substances salines qu’ils pourraient trouver dans les limites de leur propriété », ce qui fut abrogé par le décret de 1884.

3 - Par la suite, en 1888, le deuxième code minier chilien a été promulgué (le premier datant de 1874), dont l’article 2, paragraphe 5, établit ce qui suit :

« Nonobstant les dispositions des paragraphes précédents, l’État se réserve le droit d’exploiter les dépôts de guano sur les terres de toute propriété et d’exploiter les gisements de nitrates et de sels ammoniacaux similaires qui se trouvent sur les terres de l’État ou des communes, sur lesquelles aucune propriété minière privée n’a été établie par des lois antérieures ».

Ce code minier a encore renforcé la disposition établissant que, sur les terres de l’État, les nitrates et les sels similaires étaient réservés à l’État, y compris ceux qui se trouvent dans le Dépôt salin d’Atacama.

4.- Plus tard, les codes miniers de 1930 et 1932 ont établi la même disposition à l’article 4 des deux codes :

« Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’État se réserve les dépôts de guano et de pétrole à l’état liquide ou gazeux, situés sur des terrains de toute propriété, et ceux de nitrates et de sels similaires, d’iode et de composés de ces produits, qui sont situés sur des terrains d’État ou nationaux d’usage public ou des communes, à condition que sur les gisements susmentionnés n’ait pas été constituée, conformément aux lois antérieures, une propriété minière de particuliers, encore en vigueur » (c’est nous qui soulignons).

Par conséquent, depuis le décret suprême de 1884, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 4 du code minier de 1932, modifié en 1979 par le Décret-Loi 2.886, il n’était pas possible de constituer une propriété minière sur les nitrates et les sels similaires du Dépôt salin d’Atacama, car ce gisement appartenait indéniablement à l’État, en vertu de l’article 640 du code civil.

6.- D’autre part, afin de garantir que la production agricole nationale puisse répondre aux besoins alimentaires, en 1940, sous le gouvernement du président Pedro Aguirre Cerda, la loi 6.482 a été adoptée, qui visait à garantir que le pays puisse produire les fertilisants dont il avait besoin. Dans ce but, cette loi a créé, à l’article 1er , le Conseil des fertilisants, auquel une série d’attributions ont été confiées, et pour donner plus de pouvoirs à ce Conseil, l’article 6 de cette loi stipulait :

« Les gisements de carbonate de calcium, de phosphates et de sels de potassium se trouvant sur les terrains publics ou nationaux à usage public, ou appartenant aux communes, sont réservés à l’Etat, à condition qu’aucune propriété minière privée en vigueur n’ait été constituée sur lesdits gisements conformément aux lois antérieures. En conséquence, à compter de la date de promulgation de la présente loi, aucune propriété minière ne peut être constituée sur les gisements contenant les substances indiquées dans le présent article ».

L’aspect pertinent de cette loi est que ce ne sont pas les substances minérales mais les gisements contenant des fertilisants qui étaient réservés à l’État, et que les particuliers n’étaient pas autorisés à établir des droits miniers sur un minéral ou une substance minérale, puisque c’était le gisement qui était légalement réservé à l’État.

Par conséquent, il existe une continuité absolue entre le décret du 30 mai 1884 du président Domingo Santa María et tous les codes miniers jusqu’en 1932, dans lesquels la propriété des nitrates et des sels similaires était interdite, et la loi 6.482, qui réservait à l’État « les gisements » contenant du carbonate de calcium et d’autres engrais.

Ce sont précisément ceux que l’on trouve dans le Dépôt salin d’Atacama, qui était déjà propriété de l’État en vertu de l’article 640 du code civil. La loi 6.482 a été en vigueur jusqu’en 1981, date à laquelle elle a été abrogée par le DL 3.557.

7.- Mais bien que la loi 6.482 ait réservé à l’État les gisements de carbonate de calcium, de phosphates et de sels de potassium, de nouvelles institutions ont été créées par la suite pour s’occuper des fertilisants, qui ont remplacé le Conseil des fertilisants dans ses droits et ses biens.

Ainsi, le 7 août 1942, le DFL 2-2281 du ministère des Finances prévoyait, entre autres, que les compétences et les ressources accordées au Conseil des fertilisants par la loi 6.482 seraient désormais exercées par un organisme dénommé « Institut d’économie agricole ».

Par la suite, le 12 mai 1953, le Décret ayant force de loi n° 87 du ministère des Finances a fusionné l’Institut d’économie agricole et l’Institut du commerce extérieur en une société commerciale autonome dénommée « Institut national du commerce ».

Le dernier paragraphe de l’article 1er du DFL 87 stipule:

« Toutes les autres attributions, droits et obligations de l’Instituto de Economía Agrícola échoiront à partir de cette date à l’Instituto Nacional de Comercio ».

9.- Enfin, le DFL 274 du Trésor, publié le 6/4/1960, a créé l’ »Entreprise de Commerce Agricole » (ECA), dont l’article 1er  des dispositions transitoires prévoyait :

« L’Empresa de Comercio Agrícola succède dans tout son patrimoine, ses biens, ses obligations et ses ressources à l’Instituto Nacional de Comercio, qui est supprimé à compter de la date de publication du présent décret avec force de loi » (DFL).

10 - L’Empresa de Comercio Agrícola, qui a eu une grande importance et activité sous les gouvernements du président Frei Montalva et de Salvador Allende, a succédé à l’Instituto Nacional de Comercio dans son patrimoine, ses biens et ses ressources, et est devenue en même temps propriétaire du gisement du Dépôt salin d’Atacama.

L’ECA a été en vigueur jusqu’en 1989, date à laquelle la loi 18.899 l’a remplacée par l’ « Empresa de Abastecimiento de Zonas Aisladas » (EMAZA, Société d’approvisionnement des zones isolées).

En résumé, jusqu’en 1989, en vertu de la loi 6.482, l’Empresa de Comercio Agrícola était propriétaire du Dépôt salin d’Atacama, car il contenait des fertilisants, notamment du carbonate de calcium et des phosphates, ce qui a été vérifié par une étude géologique du Dépôt salin d’Atacama, en province d’Antofagasta, réalisée par l’ « Instituto de Investigaciones Geológicas », en décembre 1969.

11 - Pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, lorsqu’Anaconda, par l’intermédiaire de sa filiale Compañía Sudamericana Exploradora de Minas S.A., en 1969, a voulu constituer 75 000 propriétés dans le Dépôt salin d’Atacama et 4 500 dans le Dépôt salin de Tara, pour un total de 397 500 hectares de superficie,  elle n’a pas pu les constituer, car ces gisements étaient réservés à l’État, même si Anaconda a déclaré que les demandes concernaient le cuivre, le fer, le manganèse et “d’autres substances”.

Toute cette histoire législative que nous avons relatée est pratiquement inconnue, et même certaines de ces dispositions légales sont très difficiles à trouver.

12.- Par conséquent, en 1977, lorsque la CORFO (Compagnie de Développement de la Production) a établi les droits sur le Dépôt salin d’Atacama, presque sur les mêmes propriétés qu’Anaconda voulait constituer en 1967-69, ce gisement appartenait déjà à l’Empresa de Comercio Agrícola, qui était une société d’État, dotée de la personnalité juridique et de ses propres actifs, sur laquelle la CORFO n’avait aucune propriété ni aucun contrôle.

Or, la CORFO étant une institution de service public de l’État, ces propriétés minières constituées par elle dans le Dépôt salin d’ Atacama pourraient être considérées comme valides, précisément en vertu des dispositions légales résumées ci-dessus.

En revanche, la CORFO ne peut pas céder l’exploitation du lithium dans le Dépôt salin d’Atacama à des entreprises privées, en vertu de la disposition constitutionnelle suivante.

13 - En octobre 1979, la Junte militaire, « dans l’exercice de son pouvoir constituant" » a promulgué le décret-loi (DL) 2.886, qui stipule ce qui suit :

« Article 5 - En fonction de l’intérêt national, à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret-loi, le lithium est réservé à l’État .

Seuls les éléments suivants sont exemptés des dispositions du paragraphe précédent :

« a) Le lithium existant dans les biens constitués, sur le lithium ou sur l’une quelconque des substances du premier alinéa de l’article 3 du Code minier qui, à la date de publication du présent décret-loi au Journal officiel, avaient leur acte de mesure enregistré, étaient en vigueur, et dont la manifestation, à son tour, avait été enregistrée avant le 1er janvier 1979 » (c’est nous qui soulignons).

Cela signifie que le lithium a un statut différent de toutes les autres substances minérales concédables et non concédables, car le lithium est réservé à l’État, en vertu d’une disposition constitutionnelle, le DL 2.886 de 1979, qui est en vigueur.

Pour les raisons susmentionnées, le protocole d’accord, l’accord ou le décret suprême, quel que soit le nom qu’on lui donne, par lequel la CODELCO cède à SQM le lithium du Dépôt salin d’Atacama de 2030 à 2060, sans que la CODELCO ait les pouvoirs légaux ou constitutionnels de le faire, peut être contesté devant les tribunaux par le biais d’un recours constitutionnel en nullité.

J’espère que certains avocats prendront la décision de le faire, car l’intérêt national l’exige.

C’est toujours Ponce qui gagne

Daniel Matamala, La Tercera , 30/12/2023

S’il y a une dictature, c’est Ponce le Beaufissime qui gagne.

Si la démocratie revient, c’est Ponce le Bienfaiteur qui gagne.

Si c’est la droite qui  gouverne, c’est Ponce le Roi du Lithium qui gagne.

Si c’est la gauche qui gouverne, c’est Ponce le Roi perpétuel du Lithium qui gagne à nouveau.

Au cours de l’été 1969, Julio César Ponce Lerou a eu son coup de chance. En vacances à Maitencillo, il rencontre la jeune fille d’un militaire, Verónica Pinochet. Plus tard, devenu le gendre du seigneur et maître du Chili, il cumule quinze postes dans des entités étatiques et des entreprises telles que Conaf, Iansa, Enami, ENAP, CTC, Endesa, et les deux plus importantes pour son avenir : Corfo et SQM.

Il est baptisé le “yernísimo”.

En 1983, un scandale de corruption l’oblige à quitter ses fonctions, mais quatre ans plus tard, il revient à la SQM en tant que président du conseil d’administration, grâce aux votes des directeurs militaires nommés par la dictature de son beau-père. Il privatise l’entreprise et en prend le contrôle par une structure pyramidale dite “en cascade”.

La transition démocratique menace son pouvoir. La Chambre des députés estime que le Trésor a perdu 2,223 milliards de dollars d’actifs suite aux privatisations frauduleuses, dont SQM est le principal symbole. Le Conseil de défense de l’État (CDE) ouvre un dossier pour fraude et escroquerie fiscale pour les opérations entre Ponce et Corfo. Le Service des impôts (SII) ouvre une enquête à son encontre.

Le sénateur démocrate-chrétien Eduardo Frei a dénoncé le fait que les travailleurs de la SQM à l’usine de salpêtre de Pedro de Valdivia « vivent dans un environnement concentrationnaire, dans des cloaques immondes, comme des animaux ». La plainte est appuyée par son collègue Jorge Pizarro, et le gouvernement Aylwin annonce une commission d’enquête.

Puis, le “yernísimo” se réinvente. Il se sépare de Verónica Pinochet et devient le grand bienfaiteur de la politique chilienne. Des années plus tard, la famille de Pizarro, la campagne de Frei et les ministres de l’intérieur et de l’économie d’Aylwin figureront sur la liste des conseillers et des récipiendaires de paiements illégaux de SQM.

Un audit usaméricain a montré que SQM avait versé, au cours des cinq années faisant l’objet de l’enquête, 21 millions de dollars à des hommes politiques, dont les deux tiers de manière illégale. Magnanime, elle a payé à droite, au centre et à gauche. Lors de la campagne présidentielle de 2009, les trois candidats financés par SQM (Piñera, Frei et Marco Antonio Enríquez-Ominami) ont rassemblé 94 % des voix.

« Julio voulait soutenir des gens de toutes les convictions. Il voulait maintenir la démocratie dans le pays », expliqua son avocat et ami Darío Calderón. Cette générosité a ses avantages. Le CDE, le SII et la Chambre des députés abandonnent leurs enquêtes et l’Etat, qui s’apprête à poursuivre Ponce, devient son partenaire. Corfo lui confie l’exploitation du lithium dans les salines d’Atacama en échange d’un maigre 6,8% de royalties.

Ce contrat permet à Ponce de devenir le “roi du lithium”, avec une fortune estimée par Forbes à 3,3 milliards de dollars.

Ponce facture, il légifère aussi. La direction de SQM a rédigé un article l’exemptant de toute augmentation d’impôts pendant six ans. Le PDG Patricio Contesse envoie le texte au sénateur UDI Pablo Longueira, qui le transmet au gouvernement Piñera, le Congrès l’approuve et la note de SQM devient Loi de la République. Les enquêtes judiciaires ont prouvé que, dans le même temps, l’entreprise a versé 730 millions de pesos à l’entourage proche de Longueira.

En 2020, la Cour suprême a ratifié que Ponce était l’“idéologue” d’un “système frauduleux” visant à nuire aux actionnaires minoritaires de SQM par le biais des “cascadas”. Grâce à lui, il a obtenu un “bénéfice frauduleux” de 128 millions de dollars.

« Aux USA, Julio Ponce serait en prison3, a déclaré le ministre des Finances, Ignacio Briones. Mais pas au Chili. Sa “sanction” est une amende de 3 millions de dollars, soit 2,3 % du montant fraudé.

Dans le cas de l’argent politique illégal, ce n’est même pas cela. Patricio Contesse a pris tout le blâme, Ponce n’a jamais été touché par l’enquête et ne figure pas parmi les accusés.

Lorsqu’Eduardo Bitran, le timonier de la CORFO, a poursuivi SQM pour rupture de contrat avec le Trésor, il a dénoncé le fait que « des politiciens connus au plus haut niveau ont exigé que je conclue un accord avec Ponce ». Le litige s’est terminé en 2018, avec un nouveau pacte entre SQM et l’État. Cette fois, tout le monde y a gagné : SQM a prolongé son contrat et le Trésor a conservé une grande partie des redevances. L’année dernière, le lithium a rapporté plus de 5 milliards de dollars aux caisses de l’État. Ponce a également dû se retirer du conseil d’administration de l’entreprise, tout en conservant sa part d’actions.

Après des décennies de pillage, les bénéfices de SQM sont désormais partagés avec les propriétaires du lithium : tous les Chiliens.

Cette semaine, le gouvernement a célébré en grande pompe un nouvel accord avec SQM pour l’exploitation du lithium du Dépôt salin d’Atacama. Un partenariat sera formé jusqu’en 2060, dans lequel la CODELCO sera un actionnaire majoritaire, même si, au cours des cinq premières années, elle il n’aura ni le contrôle ni la majorité des bénéfices.

Les analyses sont partagées : certains se félicitent que l’État s’assure des revenus importants grâce au savoir-faire commercial de SQM. D’autres estiment qu’en tant que propriétaire du lithium, il aurait dû exiger une part plus importante ou lancer un appel d’offres transparent, au lieu de négocier avec une seule entreprise.

Le Chili a-t-il quelque chose à gagner dans cette affaire ? C’est discutable. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que, comme toujours, c’est Ponce qui gagne. Les actions de SQM ont augmenté après l’annonce, et la société a clôturé l’année 2023 en tant qu’entreprise la plus précieuse du Chili, avec une capitalisation boursière de 16,717 milliards de dollars.

En 2014, le député Boric avait déclaré : « Julio Ponce est un criminel en col blanc et cravate ». En 2023, le président Boric célèbre le partenariat de Ponce avec l’État jusqu’en 2060. Ponce devient le roi perpétuel du lithium, jusqu’à ses 115 ans, blanchi par le seul secteur politique qui manquait à l’appel : le Frente Amplio qui l’avait dénoncé comme une icône de la corruption entre la politique et les affaires.

Au Chili, tout est incertain, tout change et tout tourne à l’identique : Ponce gagne toujours, toujours, toujours.

À l’ère de la gauche pragmatique

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 2/1/2024

Le président Gabriel Boric s’est lui-même chargé d’informer son pays de l’accord conclu entre la CODELCO, la plus importante compagnie minière publique du Chili, et Soquimich (SQM), l’entreprise privée qui opère depuis quelques années dans les riches salines d’Atacama. La nouvelle est que les deux entités ont convenu d’exploiter conjointement les immenses réserves de lithium dans le désert du nord.

Dans le cadre de ce nouveau partenariat, les deux entités détiendraient chacune 50 % des parts jusqu’en 2060, la société minière publique gérant l’entreprise pendant la première période, jusqu’en 2030, après quoi SQM en prendrait la direction.

Il s’agit de l’accord le plus important de l’histoire des entreprises chiliennes qui, si les prévisions se réalisent et si les bonnes relations entre les deux partenaires se développent, fournira au trésor national d’énormes ressources pour le développement de l’économie nationale.

Personne ne doute des avantages que cet accord pourrait apporter au pays, ni du fait que la nouvelle entreprise serait pratiquement la première au monde dans cette activité et assurerait au Chili une plus grande confiance de la part des investisseurs potentiels, privés et étrangers, à la recherche d’un terrain fertile pour leurs affaires.

Boric a été félicité pour son pragmatisme dans la consolidation de cet accord. En effet, personne n’aurait imaginé que l’entreprise remise en question de Julio Ponce Lerou, le gendre du dictateur, finirait par s’associer à l’État après des décennies de politique et, en particulier de la part du centre-gauche, où ce qui était privilégié était la récupération d’une entreprise mal acquise pendant la dictature, comme beaucoup d’autres sources fiscales productives que Pinochet a vendues à vil prix à ses amis et à ses proches.

Sous les gouvernements de la Concertation et de la Nouvelle Majorité, la vérité est que rien n’a été fait pour récupérer les entreprises pillées. Patricio Aylwin lui-même a promis « la justice dans la mesure du possible », de sorte qu’en matière d’affaires aussi, tout est resté comme la dictature l’avait laissé.

Pour ajouter à l’embarras que cette nouvelle cause à beaucoup de personnes, il y a quelques années encore, Soquimich était l’une des entités commerciales qui collaboraient au financement illégal de la politique, en fournissant de grandes quantités de fonds pour favoriser les candidats et les législateurs en place. Cette situation a donné lieu à des dénonciations journalistiques sévères et documentées et à des enquêtes judiciaires qui ont abouti à la condamnation des contrevenants à des peines très discrètes et scandaleuses, ainsi qu’à l’impunité totale de Ponce Lerou et d’autres hommes d’affaires qui ont exercé une corruption millionnaire. Un crime « en col blanc et cravate », comme on l’appelait.

On peut donc parfaitement soupçonner que ces ressources destinées à corrompre des politiciens et des juges recueillent aujourd’hui un dividende aussi succulent que celui qui permettra à Soquimich de devenir le principal partenaire de l’État chilien et d’éviter ainsi que le Trésor ne récupère un jour ce qui a été accordé illicitement à la soi-disant initiative privée.

Les ressources de cette entreprise sont tellement gigantesques que ses pots-de-vin ont peut-être aussi favorisé les dirigeants de la CODELCO qui sont si enthousiastes à l’égard de cet accord. De même que les médias et les journalistes qui se réjouissent de la nouvelle annoncée par le chef de l’État lui-même. Une chose inhabituelle si l’on se souvient de ce que Boric a déclaré dans le passé contre Ponce Lerou, ainsi que de la position adoptée par les groupes de gauche avant d’entrer au gouvernement.

La vérité est que tout cela a entraîné un bain glacé de réalisme de la part de la politique chilienne remise en question. Nous pourrions dire que ni la droite ni le monde des affaires n’auraient pu imaginer une telle audace. Cela confirme, une fois de plus, que ce sont les gouvernements de gauche qui se conforment souvent aux idées les plus sincères de la droite, comme cet accord commercial, et le fait récent que les plus grands détracteurs de la Constitution de 1980 ont promu et gagné un plébiscite pour donner une continuité à la Charte fondamentale de Pinochet.

Pour soulager leur mauvaise conscience et faire preuve de modestie, les négociateurs de ce grand accord commercial ont accepté que le propriétaire majoritaire de Soquimich, Julio Ponce Lerou, ou l’un de ses parents « jusqu’au deuxième degré de consanguinité », s’abstienne de participer aux conseils d’administration de la nouvelle entité minière. Une obligation cynique qui serait imposée jusqu’en 2030.

C’est ainsi qu’un sénateur de gauche expérimenté, récemment décédé, a osé déclarer que le gouvernement “socialiste” de Ricardo Lagos avait été la meilleure administration de droite de toute la post-dictature. Tout comme d’autres n’arrivaient pas à croire qu’un président de droite comme Sebastián Piñera ait prodigué autant de primes à la classe moyenne et aux plus pauvres, tout en réussissant à lutter contre la pandémie de coronavirus grâce à de généreuses ressources fiscales. « Nul ne sait pour qui il travaille », comme dirait lautre.

01/01/2024

RAÚL ZIBECHI
L’EZLN, 30 ans après le soulèvement : bâtisseur et inspirateur d’autonomies

Raúl Zibechi, Nacla, 22/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

English Zapatistas at 30: Building and Inspiring Autonomy
Italiano
Zapatistas: da trent’anni c’è un mondo nuovo

Pendant des décennies, les zapatistes ont servi de guide aux luttes menées sur l’ensemble du continent. Au milieu du chaos climatique et de la guerre sans fin, ils continuent d’imaginer et de construire des mondes meilleurs.

 

“C’est dans nos cœurs que l’horizon prend racine” (Dante Aguilera Benitez pour le Taller de Gráfica Pesada Juan Panadero).

Le soulèvement de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), il y a 30 ans, a réussi à placer l’autonomie au centre des objectifs de certains mouvements sociaux d’Amérique latine. Jusqu’alors, il n’existait pas de courant politique et culturel orienté dans cette direction, comme c’est le cas aujourd’hui dans la plupart des pays de la région latino-américaine. Il existait tout au plus des positions autonomistes inspirées de l’“opéraïsme” italien qui a donné naissance à l’“autonomisme” européen. Ce courant, qui a pris forme dans les analyses des philosophes italiens Antonio Negri et Mario Tronti, n’a jamais eu de poids réel dans les luttes et les mouvements latino-américains, et son influence s’est concentrée dans les universités et parmi les intellectuels marxistes.

L’EZLN a été créée en 1983 dans les régions indigènes du Chiapas. Pendant dix ans, elle s’est enracinée dans les villages et, après une vaste consultation de quelque 500 communautés, elle a décidé d’entrer en guerre, ce qui a donné lieu au soulèvement du 1er janvier 1994, le jour même de l’entrée du Mexique dans l’accord de libre-échange (ALENA). La guerre a duré moins de deux semaines, la société civile s’étant mobilisée pour exiger la paix et une période de dialogue s’étant ouverte entre le gouvernement et l’EZLN.

Le zapatisme a non seulement placé le débat sur l’autonomie au centre de sa pensée et de sa pratique politique, comme en témoignent les accords de San Andrés négociés en 1996 avec le gouvernement mexicain, mais il a également mis en avant le protagonisme des peuples originaires, qui sont les sujets les plus importants de la lutte pour l’autonomie.

Les rencontres internationales ont joué un rôle important dans la diffusion de la pensée de l’EZLN, tout comme les innombrables communiqués dans lesquels l’alors sous-commandant insurgé Marcos racontait des scènes de la vie des communautés et des miliciens et miliciennes du mouvement. La Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité, qui s’est tenue à La Realidad en 1995, a réuni des centaines de personnes du monde entier, avec une forte présence de collectifs de jeunes Européen·nes de tendance libertaire et autonomiste.

Le fait que le zapatisme s’adresse aux groupes les plus divers de la société, mais surtout à la jeunesse urbaine rebelle (gays, lesbiennes, précaires et chômeurs) et qu’il n’utilise pas les concepts traditionnels de la gauche tels que le “prolétariat”, la “lutte des classes” et la “prise du pouvoir”, était extrêmement attrayant pour les secteurs déjà fatigués du langage monotone de la gauche.

L’influence du zapatisme en Amérique latine peut être détectée à deux niveaux : l’un plus directement lié aux militants les plus actifs et les mieux formés des nouveaux mouvements sociaux - tels que les piqueteros argentins, des secteurs de l’éducation populaire, des jeunes critiques et des artistes - et, deuxièmement, plus indirectement et transversalement dans les mouvements des peuples opprimés, en particulier les indigènes et les afro-descendants.

Les traces du zapatisme se retrouvent surtout dans les mouvements les moins institutionnalisés. D’une certaine manière, une grande partie des nouveaux mouvements ont été attirés par trois questions centrales qu’ils trouvent dans le zapatisme : le rejet de la prise du pouvoir d’État et l’option de créer leurs propres pouvoirs, l’autonomie et l’autogestion, et la façon de comprendre le changement social comme la construction d’un nouveau monde au lieu d’une transformation du monde existant.

L’influence éthique et politique du zapatisme, ainsi que l’échec des révolutions centrées sur la prise de pouvoir et le changement “par le haut”, ont conduit quelques militants à la conviction que le changement doit être lié à la reconstruction des liens sociaux que le système détruit quotidiennement.

Membres de l’EZLN au Congrès national indigène 2016 (Mariana Osornio / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0)

 

“El paso del caracol” [Le rythme de l’escargot] (Dante Aguilera Benitez pour l’Atelier graphique lourd Juan Panadero)

La création de municipalités autonomes et de conseils de bon gouvernement, récemment démantelés par l’EZLN elle-même, a montré qu’il est possible de se gouverner différemment, sans créer ou reproduire des bureaucraties permanentes comme l’ont fait les révolutions réussies. Attirés par leurs particularités, des milliers d’activistes du monde entier, dont une grande majorité d’Européens, sont venus au Chiapas pour connaître de première main la réalité zapatiste et y ont contribué en faisant don de ressources matérielles.

Il serait erroné de croire que le zapatisme influence ou oriente d’une manière ou d’une autre toute cette variété de collectifs. Plus d’un millier de groupes ont soutenu le Tour pour la Vie, organisé en 2021 dans différents pays et régions d’Europe, pour les écouter et fraterniser. Je pense qu’il est plus approprié de parler de confluences, car des collectifs se sont formés et ont grandi dans le monde entier, qui revendiquent l’autonomie comme pratique politique, en se référant au zapatisme, sans aucun doute, mais pas dans une relation de commandement et d’obéissance.

Les mouvements féministes, les mouvements de jeunes précaires et chômeurs, les entreprises autogérées qui se multiplient dans le monde entier, ont trouvé dans le zapatisme une source d’inspiration pour leur détermination à créer du nouveau, leur rejet des institutions étatiques et des partis de gauche. Si les causes des rébellions ont des caractéristiques différentes, il y a partout un profond ras-le-bol du système dominant et de ses conséquences sur les jeunes, telles que la précarité de l’emploi, l’absence de perspectives de vie décente et les persécutions policières contre les contestataires.

Zapatistes contre l’armée mexicaine lors de la procession qui a transporté le corps au cimetière de Guadalupe Méndez López, tuée par des éléments de la Sécurité Publique (SP), Chiapas, janvier 2005 (Oriana Eliçabe / Flickr / CC BY-NC-SA 2.0)

Peuples autochtones  et noirs

Au cours des dernières décennies, plusieurs peuples ont réclamé leur autonomie ou l’ont construite par des actes. Les peuples indigènes sont à l’avant-garde de ce processus, notamment les Mapuches du Chili et de l’Argentine, ainsi que les Nasas et les Misak du Cauca en Colombie. Plus récemment, les peuples amazoniens sont entrés de plain-pied dans la dynamique de l’autonomie, de même que certains palenques et quilombos noirs.

Le premier groupe autonomiste mapuche a été créé en 1998, la Coordinadora Arauco-Malleco (CAM), qui a incarné une nouvelle forme de politique en menant des actions directes contre les entreprises forestières dont les plantations de pins étouffent les communautés. Aujourd’hui, il existe au moins une douzaine de collectifs mapuches qui se réclament de l’autonomie.

Les plus importants sont le CAM, Resistencia Mapuche Lafkenche (RML), Resistencia Mapuche Malleco (RMM), Alianza Territorial Mapuche (ATM) et Weichán Auka Mapu [Lucha del Territorio Rebelde], qui ont encouragé une vague de récupération de terres estimée à 500 territoires ou domaines. Les plus radicalisés sont Weichan Auca Mapu (WAM) et Resistencia Lafkenche, ainsi que le CAM, qui se distinguent par leurs actions directes contre l’industrie forestière. Il existe également des organisations de femmes mapuches.

En Colombie, le Conseil régional indigène du Cauca (CRIC) a été créé en 1971 dans le cadre d’un processus de récupération des terres. Il compte aujourd’hui 84 resguardos [réserves] dans le Cauca et 115 cabildos [communes] appartenant à huit groupes ethniques. Ils gèrent des programmes de santé et d’éducation avec le soutien de l’État, ont mis en place leurs propres formes économiques telles que des entreprises et des magasins communautaires, des associations de producteurs et une institution de troisième niveau, le Cecidic (Centro de Educación Capacitación e Investigación para el Desarrollo Integral de la Comunidad). Ils ont créé un système d’“auto-justice” et se gouvernent eux-mêmes par l’élection de leurs autorités par les cabildos. La Guardia Indígena (Garde indigène), une entité dédiée à la défense des territoires et des modes de vie indigènes, est la création autonome la plus importante.

Les groupes mapuches du Chili et le CRIC entretiennent des relations avec l’EZLN et sont probablement les mouvements indigènes les plus proches politiquement du zapatisme.

Rencontre de femmes zapatistes avec des femmes du monde à La Garrucha, Chiapas, 2007 (Agustine Sacha / Flickr / CC BY-NC 2.0 DEED)

Les expériences se multiplient. De même qu’au Chili, il existe plus d’une douzaine de groupes autonomistes (certaines sources parlent de 15 collectifs), dans le Cauca, la Guardia Cimarrona s’est formée parmi les Afro-Colombiens et la Guardia Campesina, toutes deux inspirées de la Guardia Indígena.

L’organisation autonomiste la plus présente est probablement l’organisation brésilienne Teia dos Povos, née il y a une dizaine d’années dans l’État de Bahia. Elle rassemble des communautés et des peuples indigènes, des paysans sans terre et des quilombolas (peuples noirs descendants de marrons), au sein d’une alliance populaire qui s’étend à plusieurs États et dont l’autonomie - et le zapatisme - est le point de référence central.

Enfin, il y a les peuples amazoniens. Dans le nord du Pérou, neuf gouvernements autonomes ont été créés depuis la formation du premier en 2015, le gouvernement territorial autonome de la nation Wampis, afin de mettre un terme à l’extractivisme pétrolier et forestier, ainsi qu’à la colonisation. Au total, ils contrôlent plus de 10 millions d’hectares et, lors d’une récente réunion à Lima, il a été assuré que six autres peuples étaient engagés dans le même processus de construction de l’autonomie.

Dans l’Amazonie légale brésilienne, 26 protocoles de démarcation autonomes ont été déployés, impliquant 64 peuples indigènes dans 48 territoires différents. Les peuples agissent ainsi face à l’inaction des gouvernements, qui sont tenus de délimiter leurs territoires en vertu de la Constitution de 1988, mais ne le font que dans de très rares cas.

Pour le reste, il convient de mentionner que des dizaines de peuples indigènes vivant au Mexique ont suivi les principes zapatistes en se réunissant au sein du Congrès national indigène (CNI), dans lequel 32 peuples luttent pour leur autonomie. En 2006, le IVe congrès du CNI a décidé de signer la sixième déclaration de la jungle Lacandone et d’exercer l’autonomie dans la pratique.


S'ils en touchent un·e, ils nous touchent tou·tes : “Miradas y Espejos” [Regards et miroirs] (Dante Aguilera Benitez pour le Taller de Gráfica Pesada Juan Panadero)

De nouvelles orientations pour continuer à être

Alors que les autonomies ne cessent de se développer dans la région latino-américaine, le zapatisme a décidé de prendre un tournant important dans son processus.

Depuis le 22 octobre 2023, l’EZLN a publié une série de communiqués annonçant d’importants changements pour faire face à la nouvelle étape de l’effondrement systémique et environnemental. Les Conseils de bon gouvernement et les Municipalités autonomes, structures organisationnelles créées il y a deux décennies et symbole de l’autonomie zapatiste, cesseront de fonctionner. Au lieu d’une trentaine de municipalités autonomes, il y aura des milliers de structures de base, des gouvernements locaux autonomes (GAL) et des centaines de collectifs de gouvernements autonomes zapatistes (CGAZ), là où il y avait auparavant 12 conseils de bon gouvernement.

Les décisions qu’ils ont prises ont un horizon de 120 ans, soit sept générations. L’EZLN note qu’il y aura des guerres, des inondations, des sécheresses et des maladies et que, par conséquent, “au milieu de l’effondrement, nous devons regarder loin devant nous”.

Ils ont procédé à une autocritique du fonctionnement des municipalités et des conseils, concluant que les propositions des autorités n’étaient plus prises en compte et que les avis des citoyens ne parvenaient pas aux autorités. En fait, ils disent que c’était une pyramide qui fonctionnait et c’est pourquoi ils ont décidé de la couper.

Le point le plus important est peut-être qu’ils ont l’intention d’“être la bonne semence” d’un monde nouveau qu’ils ne verront pas, de “léguer la vie” aux générations futures au lieu de la guerre et de la mort.

« Nous pouvons déjà survivre à la tempête en tant que communautés zapatistes. Mais maintenant, il ne s’agit pas seulement de cela, mais de traverser cette tempête et d’autres à venir, de traverser la nuit et d’arriver à ce matin, dans 120 ans, où une fille commencera à apprendre qu’être libre, c’est aussi être responsable de cette liberté », poursuit le communiqué.

Semer sans récolter, sans s’attendre à récolter les fruits de ce qui a été semé, est la plus grande rupture connue avec l’ancienne façon de faire de la politique et de changer le monde. C’est une éthique politique anti-systémique que le zapatisme nous offre comme un cadeau à valoriser dans toute sa formidable dimension.