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14/07/2024

14 juillet : 1935, 1936, 1953, 1958, 1995, 2024

 








Daniel Kupferstein
Les balles du 14 juillet 1953, un massacre oublié





Point de presse de Jacques Chirac, 14 juillet 1995

QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit que si les zones de sécurité en Bosnie n'étaient pas respectées, il fallait en tirer les conséquences et aujourd'hui Srebrenica, malheureusement, est perdue. Les alliés occidentaux n'ont pas encore répondu à votre demande d'engagement, enfin de plus grand engagement en tout cas. Alors, la France compte-t-elle, d'abord vraiment se retirer, et puis comment ne pas repartir humilié comme le craignait Alain Juppé ?
- LE PRESIDENT.- Humilié, je crois, c'est déjà fait, hélas ! Vous me permettrez d'avoir une première pensée pour ces quelques quinze, vingt, trente-mille musulmans de Srebrenica, qui ont été chassés de leur ville dans des conditions parfaitement contraires aux exigences les plus élémentaires des Droits de l'Homme, qui ont été victimes d'un phénomène d'épuration ethnique. Comment peut-on imaginer cela, aujourd'hui, en Europe, avec des soldats de l'ONU qui n'ont rien pu, qui ne pouvaient probablement rien faire pour les aider ? C'est ce qui guette les deux autres enclaves, sans aucun doute, Zepa et Gorazde, qui, au total, représentaient environ cent mille personnes victimes de la barbarie d'un autre siècle. Face à cette situation, j'avais d'abord indiqué qu'il fallait que les Nations unies se donnent les moyens de faire, au moins, d'abord, respecter leurs propres troupes. D'où la décision d'envoyer une Force de Réaction Rapide et ensuite devant les nouvelles attaques des Serbes de Bosnie, j'ai indiqué qu'il était inacceptable de voir ainsi fouler aux pieds, à la fois la démocratie et les droits de l'homme. Nos grandes démocraties font des discours, donnent des leçons aux autres en matière de Droits de l'Homme, en matière de démocratie. Et puis, face aux événements, elles sont étrangement silencieuses et modestes. Ce n'est pas admissible ! En tous les cas, elles se discréditent et n'auront plus bientôt le droit d'évoquer ces grands principes.
- Alors, j'ai proposé, face à une certaine impuissance - je dirais un peu congénitale de l'ONU, je n'attaque personne là ! - à nos principaux partenaires, à ceux qui sont les plus attachés à ces règles du droit international, du droit des gens à vivre, à être respectés, de réagir ensemble, à se concerter de façon forte et limitée, en clair, de reprendre l'enclave de Srebrenica d'y restaurer les droits des gens que l'on a chassés de chez eux, que l'on a séparés entre les hommes et les femmes. Je dois à la vérité dire que jusqu'ici, les contacts que j'ai pris, que le gouvernement français a pris, n'ont pas été positifs. Je le déplore. J'avais indiqué naturellement que la France apporterait sa participation avec les moyens dont elle dispose notamment les éléments de sa Force de Réaction Rapide. Pour le moment nous sommes seuls. Seuls, nous ne pouvons pas agir, nous n'avons pas le mandat pour le faire et nous n'avons pas non plus les moyens de le faire. Alors, il va falloir voir ce qui se passe aujourd'hui. J'en appelle à toutes les démocraties. Nous sommes dans une situation qui ressemble un peu, toutes proportions gardées, aux entretiens qu'avaient Chamberlain et Daladier. J'appelle toujours les grandes démocraties occidentales à se ressaisir et à imposer le respect des droits de l'Homme et du droit international.
(Suite sur la proposition française de reprise de Srebrenica par les forces de l'ONU).
- S'il est impossible ou si personne ne veut s'engager pour reprendre la zone de sécurité de Srebrenica à tout le moins, doit-on garantir d'une part la zone de Gorazde où se trouvent d'ailleurs des Casques bleus britanniques, mais en se défendant réellement ? Si c'est pour faire comme à Srebrenica c'est-à-dire partir dès que les premiers Serbes arrivent, alors il est inutile de prétendre faire un effort ; et deuxièmement, de faire en sorte que Sarajevo soit réellement protégée et par voie de conséquence, que l'accès à Sarajevo soit garanti. A tout le moins que l'on fasse cela, c'est la dernière proposition, donc conforme à l'honneur et aux principes, aux valeurs de nos pays, que je fais. Bien entendu, si nous ne voulons strictement rien faire alors on ne voit pas très bien pourquoi les forces de l'ONU, par leur présence, seraient en quelques sortes complices de cette barbarie, complices de ces pratiques d'épuration ethnique et leur présence à mon avis, serait à ce moment-là en cause.
- QUESTION.- Monsieur Chirac, vous avez dit qu'en cas d'échec de cette initiative, vous en tireriez toutes les conséquences. Vous envisagez donc un retrait possible des Casques bleus français de Bosnie. Je voudrais juste savoir quand et selon quelles modalités, dans l'hypothèse de l'échec de cette initiative ?
- LE PRESIDENT.- Chère madame, les choses ne sont pas si simples. D'abord la France ne va pas prendre une initiative seule, elle va se concerter naturellement d'une part, avec le secrétaire général de l'ONU et d'autre part avec ses partenaires. Ensuite le retrait des Casques bleus, s'il devait être fait, est une opération longue et délicate et qui implique, conformément à l'accord initial, lorsqu'on a envoyé les Casques bleus, une participation forte des troupes américaines de l'ordre de 25 ou 30000 soldats américains pour permettre d'extraire les forces des Nations unies. Mais ce que je veux dire simplement aujourd'hui c'est qu'on ne peut pas imaginer que les forces des Nations unies restent simplement pour observer et être en quelque sorte complices de ces actions. Si tel est le cas il vaut mieux qu'elles se retirent.

Srebrenica

AGATHE LOGEART, Le Monde, 14 juillet 1995

COMMENT dire Srebrenica ? Sur l'imprononçable nom, déjà, ils se cassent tous la langue. Allez dire Sre, en français... Allez essayer de vous rappeler comment s'achève ce nom : ka, tcha, ou tsa ? Comment comprendre, et donc comment montrer, ce qui vous reste si étranger que l'on ne sait pas le dire ? Malgré le Tour de France qui dévide interminablement sa grande boucle et ses héroïsmes alpestres, il a bien fallu, pourtant, faire un peu de place à la Bosnie. Il y avait, sur toutes les chaînes, un rare parfum de colère mal contenue dans la voix des commentateurs, une ironie désenchantée, comme un humour noir de lassitude et de trop de batailles perdues faute d'avoir été livrées.

Depuis plusieurs jours, on voyait les mêmes images d'archives parvenues jusqu'à nous grâce à un anonyme cameraman amateur. Des vieux aux regards perdus, des enfants crasseux, des maisons éventrées : c'était le décor classique de cette guerre qui prend ses civils en otage et donne leur douleur en spectacle à l'opinion, comme si la compassion suffisait à remplacer l'action. Du journal de la mi-journée à celui du soir, c'était toujours la même larme qui roulait sur la joue de cette ancêtre ravagée de rides, la même vue de la ville abandonnée aux bombes, à la faim, à la soif. Puis était venue l'annonce de la prise de la prétendue « zone de sécurité ».

Pas plus que les vivres, les caméras n'étaient alors autorisées à Srebrenica. On ne verrait donc pas l'assaut final, ni les chemins de l'exode : on les devinerait seulement, grâce aux témoignages transmis par les téléphones crachotants des rares représentants d'organisations humanitaires qui n'avaient pu se résoudre à partir. Et il était peut-être plus affreux encore que les plus sanglants reportages, ce récit sans images. En attendant et parce que la télévision a parfois de la mémoire, on avait revu ces images désuètes, vieilles de deux ans, où un général, que l'on appelait alors « le Général Courage », juché sur un char, promettait à la population dont il était devenu le héros qu'il ne les abandonnerait pas...

Il avait fallu laisser les nouveaux maîtres de la situation prendre les choses bien en main pour avoir de la matière fraîche, si l'on ose écrire, à se mettre sous les yeux. Une nouvelle fois, on avait séparé les femmes et les enfants des hommes partis « pour interrogatoire », nous dit-on, vers une destination inconnue. Les vainqueurs appâtaient avec du chocolat des enfants affamés retenus par des grillages, comme on le ferait avec les chiots d'un chenil. Ceux des « casques bleus » qui n'étaient pas « retenus » assistaient à la scène avec leur coutumière impuissance. Pendant ce temps, les hommes de la si fameuse Force de réaction rapide menaient, en technicolor, leurs manœuvres bucoliques dans un décor de montagne piqueté de fleurs blanches. « Ils mangent, ils sont heureux, et ce soir ils repartent en exercice. Donc tout va bien », commentait un supérieur. Cela fait plaisir de savoir qu'en Bosnie il y a au moins quelqu'un de content.

 

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