05/03/2024

ODED YARON/OMER BENJAKOB
Les USA sanctionnent Tal Dilian, un ancien officier de renseignement israélien à l’origine d’entreprises de logiciels espions

Oded Yaron & Omer Benjakob, Haaretz, 5/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Trésor usaméricain sanctionne le fondateur israélien d’Intellexa Consortium pour le rôle que cette compagnie a joué dans le développement et la vente de “technologies d’espionnage commercial utilisées pour cibler des USAméricains”.

Tal Dilian, fondateur d’Intellexa, dans sa villa de Chypre Photo : Yiannis Kourtoglou / REUTERS

Les USA ont imposé mardi des sanctions personnelles à l’ancien officier de renseignement israélien Tal Dilian, qui est à l’origine des cyber-entreprises Cytrox et Intellexa, qui ont mis au point le logiciel espion Predator utilisé pour la surveillance des téléphones portables.

Ces sociétés, qui opèrent en dehors de la supervision du ministère israélien de la défense, sont au cœur d’un scandale mondial après la découverte de plusieurs affaires impliquant l’utilisation de technologies d’espionnage contre des hommes politiques, des journalistes et d’autres cibles en Grèce et dans d’autres pays.

Le Trésor usaméricain a annoncé mardi que son “Office of Foreign Assets Control” [Bureau de contrôle des avoirs étrangers] a désigné deux personnes et cinq entités associées au consortium Intellexa pour leur rôle dans « le développement, l’exploitation et la distribution d’une technologie commerciale d’espionnage utilisée pour cibler des USAméricains, dont des représentants du gouvernement US, des journalistes et des experts politiques ».

« La prolifération des logiciels espions commerciaux pose des risques distincts et croissants pour la sécurité des USA et a été utilisée à mauvais escient par des acteurs étrangers pour permettre des violations des droits humains et le ciblage de dissidents dans le monde entier à des fins de répression et de représailles », poursuit le communiqué du Trésor.

Les nouvelles sanctions personnelles impliquent le gel de tous les avoirs de Dilian, ainsi que de ceux de son beau-père et de ses diverses sociétés aux USA, ou de celles qui sont contrôlées par des citoyens USaméricains.

Tout intérêt commercial de ce type doit être signalé à l’Office of Foreign Assets Control, qui est chargé d’administrer la liste noire du ministère US du commerce.

Les sanctions interdisent également à tous les citoyens usaméricains d’exercer une quelconque activité commerciale avec Dilian et l’une de ses sociétés, à moins qu’ils n’obtiennent un permis spécial.

La déclaration du département du Trésor indique en outre que les institutions financières, les entreprises et les particuliers qui continuent à faire des affaires avec Dilian peuvent également faire l’objet de sanctions. Parmi les activités susceptibles d’entraîner des sanctions figurent les dons, les paiements, les biens et les services fournis à Dilian et à ses associés ou par eux.

Dilian. Predator fait partie du portefeuille d’outils d’espionnage d’Intellexa. Photo : Yiannis Kourtoglou / REUTERS

En juillet 2023, Intellexa et Cytrox ont été ajoutées à une liste noire usaméricaine d’entreprises agissant contre les intérêts usaméricains, mais c’est la première fois que des sanctions personnelles ont été imposées aux dirigeants de l’entreprise, y compris à Dilian.

Jusqu’à présent, l’entreprise figurait sur la liste de la Chambre de commerce en tant qu’entité avec laquelle les organismes et agences gouvernementaux officiels ne sont pas autorisés à faire des affaires. À partir d’aujourd’hui, les sanctions sont devenues personnelles et marquent ainsi une étape dans la lutte des USA contre les cyber-risques offensifs mondiaux.

À cet égard, la décision d’aujourd’hui représente l’aboutissement d’un long combat qui a commencé en 2021, lorsque le ministère usaméricain du commerce a ajouté les sociétés israéliennes de logiciels espions NSO group et Candiru, ainsi que des sociétés russes et singapouriennes, à sa liste d’entités pour des activités contraires aux intérêts de la sécurité nationale ou de la politique étrangère des USA.

Outre les sanctions imposées à Dilian, ancien commandant de l’unité 81 des services de renseignement de l’armée israélienne, des sanctions ont également été prises à l’encontre de sa compagne et ex-femme, Sara Aleksandra Hamou [alias Sara S. elle enregistré 4 entreprises à Chypre], que le gouvernement usaméricain définit comme une « spécialiste de la délocalisation qui a fourni des services de gestion au consortium Intellexa », notamment en louant ses bureaux en Grèce.

Le codirecteur général d’Intellexa, Tal Dilian, pose pour une photo dans sa maison de Limassol, à Chypre, en avril 2020.Photo : Yiannis Kourtoglou / REUTERS

Des sanctions ont également été imposées à cinq autres entités commerciales du consortium Intellexa, dont quatre avaient déjà été ajoutées à la liste des entités du ministère usaméricain du commerce l’année dernière. L’autre entreprise, qui n’a pas encore été mentionnée dans les sanctions, est Thalestris [basée en Irlande].

Alors que ces entreprises opèrent depuis Israël conformément à la législation israélienne, Intellexa échappe à la supervision du ministère israélien de la défense. L’inscription de la société sur la liste noire l’année dernière a marqué l’effort des USA non seulement pour freiner l’industrie israélienne des logiciels espions, mais aussi pour surveiller les Israéliens à l’étranger.

« Les mesures prises aujourd’hui représentent une avancée tangible dans la lutte contre l’utilisation abusive d’outils de surveillance commerciaux, qui représentent de plus en plus un risque pour la sécurité des USA et de leurs citoyens », a déclaré Brian E. Nelson, sous-secrétaire d’État au Trésor chargé du terrorisme et du renseignement financier.

« Les USA s’attachent à établir des garde-fous clairs pour le développement et l’utilisation responsables de ces technologies, tout en garantissant la protection des droits humains et des libertés civiles des individus dans le monde entier », a poursuivi Nelson.

Le logo de la société israélienne de logiciels espions NSO. Photo : Ohad Zwigenberg

Plusieurs rapports d’enquête ont été publiés ces dernières années, notamment dans Haaretz, concernant les activités d’Intellexa dans le monde. Le premier rapport concernait le déménagement de la société de Chypre en Grèce.

Dilian et la société ont fait l’objet d’une enquête criminelle à Chypre par le passé, et une société affiliée a été reconnue coupable cette année d’avoir siphonné illégalement des données de l’aéroport de Larnaca - bien que Dilian lui-même ait été blanchi de tous les chefs d’accusation.

Il s’agissait du premier cas d’un ressortissant européen ciblé par le logiciel espion Predator créé par la société israélienne Cytrox, qui appartient à Intellexa.

Il a été révélé par la suite que le chef du Parti socialiste grec avait également été la cible d’espionnage, de même qu’un haut responsable de Meta [ex-Facebook].

Le logiciel espion Pegasus vendu par le NSO israélien, ou le Predator de Cytrox, peuvent être utilisés par les gouvernements pour suivre et surveiller leurs propres citoyens, sans raison, de manière presque invisible et en toute dénégation, voire en toute impunité. Photos : Sebastian Scheiner, AP / Andrei Minsk / Shutterstock, photoshopées par Anastasia Shub

En collaboration avec un groupe de journalistes, Haaretz a révélé comment le logiciel espion Predator d’Intellexa a également été vendu à une milice soudanaise et même à des militants du Bangladesh - des pays avec lesquels les Israéliens n’ont pas le droit de faire des affaires.

Depuis lors, une série de rapports a été publiée sur l’entreprise et ses logiciels espions - fabriqués par Cytrox - qui, comme l’a révélé Haaretz, a reçu un investissement initial des Industries aérospatiales israéliennes, qui se sont par la suite retirées de l’entreprise.

Les cyber-entreprises Sekoia.io et Recorded Future ont simultanément publié des enquêtes sur les sanctions qui ont révélé l’existence d’une nouvelle infrastructure de logiciels espions Predator dans 11 pays aux régimes répressifs. La plupart des pays avaient déjà été identifiés, mais la nouvelle infrastructure a également été découverte pour la première fois aux Philippines et au Botswana, ont noté les chercheurs du groupe Insikt de Recorded Future.

De vastes infrastructures ont également été découvertes en Arabie saoudite, en Angola, en Arménie, en Égypte, en Indonésie, au Kazakhstan, à Oman, à Madagascar et à Trinité-et-Tobago.

MONICA MOOREHEAD
Une armée et une société lézardées, un isolement international croissant : pour Israël, rien ne va plus

Monica Moorehead, Workers World, 4/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Réseau d’information de la Résistance (Resistance News Network) a rapporté le 3 mars que « des colons sionistes ultra-orthodoxes bloquent une autoroute de Tel Aviv pour protester contre la loi de conscription de l’entité, qui les verrait incorporés pour la première fois dans les FOI  [Forces d’occupation israéliennes], alors que les FOI  s’efforcent de compenser leurs pertes significatives et exigent un recrutement plus important. Un certain nombre de colons ont été arrêtés ». Aucun drapeau israélien n’était visible lors de cette confrontation entre les colons fascistes et la police. Les colons ultra-orthodoxes bénéficiaient jusqu’à présent d’une exemption totale du service militaire.


Qu’est-ce que cette nouvelle loi sur la conscription ? Elle propose d’allonger la durée de la conscription militaire pour les colons sionistes de deux à trois ans, ainsi que de porter la limite d’âge des soldats de réserve à 45 ans.  Actuellement, des milliers de ces colons fuient Israël pour éviter la conscription. 

Le ministre israélien de la guerre, Yoav Gallant, a déclaré dans un discours prononcé le 28 février : « Nous payons un prix très élevé dans nos rangs. Les coûts que nous encourons en termes de nombre de morts et de blessés sont très élevés. Nous n’avons pas connu une telle guerre depuis 75 ans, et cela nous appelle à approuver des amendements à la loi sur la conscription ».  

Gallant est le même criminel de guerre monstrueux qui a qualifié les Palestiniens d’ »animaux humains », alors qu’il a coupé la nourriture, l’eau et les médicaments à plus de 2 millions de personnes.  Il a également lancé un appel à l’aide internationale et à l’augmentation du nombre d’Israéliens pour soutenir une force d’occupation dégonflée.

Au-dessus de Gaza, par Mohamed Afefa, Palestine

Il s’agissait d’un aveu public stupéfiant sur le fait que les forces d’occupation israéliennes, bien armées et bien entraînées, ont subi un nombre sans précédent de morts et de blessés depuis que le déluge d’Al-Aqsa a été déclenché par les forces de la résistance islamique, le Hamas, le 7 octobre.  

La résistance démoralise le régime sioniste

Le Hamas, ainsi que d’autres forces de résistance palestiniennes, se sont regroupés avec des armes artisanales à leur disposition. Grâce à des tactiques de guérilla, la résistance a réussi à démoraliser le régime d’apartheid soutenu par USA dans les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie pendant près de cinq mois. 

Depuis le 8 février, il a été prouvé que les brigades Al-Qassam du Hamas ont détruit ou mis hors d’usage plus de 1 100 véhicules militaires de l’armée israélienne, et que d’autres engins militaires ont été détruits par d’autres factions de la résistance armée.

Cette protestation contre l’allongement de l’âge de la conscription militaire intervient au moment même où l’opposition de masse croissante dans les rues contre le régime israélien, dirigé par un autre criminel de guerre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, appelle à sa démission. L’assassinat de trois autres otages israéliens lors d’une tentative de sauvetage malheureuse de l’armée israélienne a jeté de l’huile sur le feu en ce qui concerne la demande de démission de Netanyahou. 

De plus en plus d’Israéliens exigent que Netanyahou accepte un cessez-le-feu négocié avec la résistance pour mettre fin au génocide catastrophique que lui et Gallant ont perpétré contre les habitants de Gaza et qu’il libère des milliers de prisonniers palestiniens en échange de la centaine d’otages israéliens encore détenus par le Hamas.


 Cam Cardow, The Ottawa Citizen, Canada

L’isolement croissant d’Israël dans le monde

La détérioration de la situation interne d’Israël trouve son origine dans la dégradation de son image mondiale, qui n’a été qu’une façade depuis sa création. Dans une tribune du New York Times du 27 février, intitulée « Israël perd son plus grand atout : l’acceptation », Thomas Friedman écrit : « J’ai passé ces derniers jours à voyager de New Delhi à Dubaï et Amman, et j’ai un message urgent à délivrer au président Biden et au peuple israélien : Je constate l’érosion de plus en plus rapide de la position d’Israël parmi les nations amies - un niveau d’acceptation et de légitimité qui a été laborieusement construit au cours des décennies. Et si Biden n’y prend pas garde, la position mondiale de l’Amérique s’effondrera en même temps que celle d’Israël.

« Je ne pense pas que les Israéliens ou l’administration Biden mesurent pleinement la rage qui bouillonne dans le monde entier, alimentée par les médias sociaux et les images télévisées, après la mort de milliers de civils palestiniens, en particulier des enfants, avec des armes fournies par les USA dans la guerre d’Israël à Gaza. Le Hamas a beaucoup à se reprocher dans le déclenchement de cette tragédie humaine, mais Israël et les USA sont perçus comme les moteurs des événements et comme les principaux responsables ».

La vérité est que la position mondiale des USA et d’Israël s’est déjà tellement dégradée qu’il n’y a pas d’inversion dans l’avenir immédiat. L’article de Friedman énonce une évidence : Israël et son plus grand soutien financier et militaire, les USA, sont de plus en plus isolés et méprisés, non seulement dans le Sud, mais aussi dans le Nord. Des millions de personnes continuent de protester dans le monde entier, non seulement contre le génocide, mais aussi pour défendre le droit des Palestiniens à toutes les formes de résistance contre le génocide. 

Le régime sioniste est également confronté à une crise de plus en plus profonde de son économie, qui a déjà chuté de 20 % depuis le 7 octobre, en raison non seulement des pertes humaines et des dépenses militaires, mais aussi de l’efficacité du mouvement mondial de boycott, de désinvestissement et de sanctions contre Israël. 

Ali Divandari, Iran

Plus de 50 pays ont poursuivi Israël devant les tribunaux internationaux pour accuser le régime colonial de génocide. Nombre de ces mêmes pays ont coupé le commerce d’armes et les relations diplomatiques avec Israël. Les forces navales yéménites ont empêché des centaines de navires de livrer des marchandises destinées à Israël, causant des pertes qui se chiffrent en milliards de dollars.

L’Union européenne et d’autres pays ont rétabli leur financement à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine après qu’un petit nombre d’employés de l’UNWRA ont été accusés par Israël d’être membres du Hamas. Cette réprimande est un coup politique porté à Israël.  

L’auto-immolation d’Aaron Bushnell le 24 février pour exprimer sa solidarité avec la Palestine a contribué à renforcer l’indignation face à l’horrible rôle de complice joué par les USA dans le nettoyage ethnique à Gaza. 

Comme l’a déclaré le président vénézuélien Nicolás Maduro le 2 mars, « ce soldat [Aaron Bushnell] de l’armée de l’air usaméricaine a ébranlé la société usaméricaine et le monde entier. Nous assistons à l’épuisement, au déclin définitif de l’empire usaméricain et du système de domination impérial occidental. Nous vivons un moment historique ».

 

Joel Pett, Lexington Herald, USA


 

Libro libre: “En agosto nos vemos”, novela inédita de Gabriel García Márquez (adelanto)

 La editorial Penguin Random House publicará miercoles ‘En agosto nos vemos’, la novela inédita del premio Nobel de Literatura Gabriel García Márquez. La llegada a las librerías de la novela este 6 de marzo coincidirá exactamente con el natalicio de García Márquez, quien cumpliría 97 años.

Los familiares del autor de ‘Cien años de soledad’ la recuperaron entre los documentos de una colección de varios de sus manuscritos originales de obras publicadas e inéditas en manos del Harry Ransom Center, un archivo de la Universidad de Texas (EE.UU.). A juicio de los hijos del escritor colombiano, Rodrigo y Gonzalo García Barcha, la creación de su padre debía ser publicada debido a sus “muchísimos y muy disfrutables méritos” y porque contiene “lo más sobresaliente de la obra de Gabo”. He aquí un adelanto del libro.

04/03/2024

Shwetha Srikanthan
L’approfondissement des liens entre l’Inde et Israël et ses implications pour l’Asie du Sud
Entretien avec Rohan Venkat

Himal Southasian, 14/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Entretien avec Rohan Venkat sur le partenariat économique et militaire qui anime les relations entre l’Inde et Israël, et sur la façon dont il s’écarte de l’histoire de la solidarité de l’Inde avec la Palestine.

 Shwetha Srikanthan : Le bombardement brutal de Gaza par Israël a tué plus de 20 000 Palestiniens et en a blessé plus de 50 000 autres en un peu plus de deux mois, depuis l’attaque du 7 octobre par le Hamas. Alors que l’Inde a fermement condamné l’attaque et exprimé sa solidarité avec Israël, elle a récemment voté en faveur de plusieurs projets de résolution aux Nations unies qui critiquaient la conduite d’Israël à Gaza et soutenaient l’aide aux civils palestiniens, après s’être initialement abstenue sur une résolution qui appelait à une trêve humanitaire immédiate et à un accès humanitaire sans entrave à la bande de Gaza. Cela signifie que des changements profonds ont eu lieu dans l’approche de l’Inde à l’égard d’Israël. Pendant la majeure partie de l’histoire de l’Inde indépendante, New Delhi n’avait pas de relations diplomatiques avec Israël. Sous l’égide de Narendra Modi et de Benjamin Netanyahou, l’Inde et Israël ont développé un partenariat militaire important et des liens économiques croissants. Dans une recension [à lire ici en français] de Hostile Homelands : The New Alliance between India and Israel, pour Himal Southasian, Rohan Venkat explore la convergence idéologique de l’hindutva et du sionisme et les conséquences pour le Cachemire et la Palestine, et affirme que l’approfondissement des liens entre l’Inde et Israël ne s’arrête pas là.

Dans cette édition d’Himal Interviews, Rohan Venkat explique que le point commun le plus puissant entre l’Inde et Israël ne réside pas dans les liens commerciaux et militaires qu’ils ont tissés au cours des trois dernières décennies. Rohan explore plutôt la manière dont les mouvements idéologiques qui sont au cœur des dirigeants politiques indiens et israéliens d’aujourd’hui servent à justifier les excès des deux États, ainsi que les implications plus larges de cette situation pour la région de la mer du Sud.

Shwetha : Pour commencer, pourriez-vous nous donner un aperçu de la réaction de l’Inde à la guerre Israël-Gaza et nous expliquer en quoi le virage vers Tel-Aviv que New Delhi a pris plus récemment s’écarte de l’histoire de la solidarité du pays avec les Palestiniens ?

Rohan : Au lendemain de l’attaque du Hamas le 7 octobre et de la réponse de l’État d’Israël, l’Inde a gardé le silence officiel, c’est-à-dire que le ministère des Affaires étrangères n’a fait aucun commentaire sur ce qui se passait pendant quelques jours. Au lieu de cela, la seule réponse officielle que nous ayons eue a été celle du Premier ministre Narendra Modi, qui s’est d’abord exprimé en solidarité avec Israël sur la question, puis qui a eu un appel téléphonique avec Netanyahou quelques jours plus tard. Rien que cela, c’était déjà le signe d’une certaine rupture par rapport aux périodes précédentes, où l’Inde cherchait toujours à mentionner la question palestinienne lorsqu’elle parlait d’Israël, même dans des situations complexes comme celle-ci. Au fil du temps, il est apparu clairement que l’Inde ne s’alignait pas entièrement sur les Israéliens, pas comme l’ont fait les USAméricains ou d’autres États occidentaux, mais qu’elle s’éloignait légèrement de ses propres positions, alors qu’elle s’était initialement abstenue de demander une trêve humanitaire, selon la terminologie utilisée à l’époque pour désigner une sorte de cessez-le-feu.

Et pour comprendre cela, nous devons connaître, comme vous l’avez demandé, l’histoire plus large de l’Inde, les tentatives de l’Inde de créer une sorte de politique à la fois pour Israël et pour la Palestine. L’histoire est complexe et quelque peu alambiquée, en partie parce qu’il s’agit de deux États postcoloniaux qui ont vu le jour à peu près au même moment, à la fin des années 1940, et qui ont lutté pour savoir exactement comment traiter l’un avec l’autre. Mais je pense que les contours de la situation sont simples : l’Inde, après avoir fait quelques efforts initiaux pour reconnaître Israël, a décidé de ne pas le faire, bien qu’un consulat ait été ouvert dans les premières années qui ont suivi l’indépendance, et n’a pas reconnu officiellement Israël avant les années 1990. Au cours de cette période, le pays a été un fervent défenseur de la cause palestinienne, devenant le premier pays au monde à reconnaître l’OLP et s’exprimant fréquemment au nom des Palestiniens. À partir des années 1990, la grande question de la normalisation s’est posée.

Peu de temps après la chute du mur de Berlin, la fin de l’URSS et le passage au mouvement unipolaire usaméricain, ainsi qu’un ensemble de changements dans la politique indienne, où le terrain se déplace un peu plus vers la droite, l’Inde ouvre des liens officiels avec Israël et lentement, au début, puis beaucoup plus rapidement lorsque le premier gouvernement de droite BJP prend en charge Delhi à la fin des années 90, les liens de l’Inde avec Israël sont devenus de plus en plus forts, mais ils sont toujours considérés comme étant équilibrés par le soutien à la cause palestinienne. Au cours de la dernière décennie, le Premier ministre Modi a été beaucoup plus clair quant à l’abandon de ces tropes de l’histoire. Son ministre des Affaires étrangères a parlé des hésitations de l’histoire qui, en raison du vote musulman à l’intérieur du pays, ont éloigné l’Inde d’un partenariat avec Israël. Ainsi, au cours des dix dernières années, nous avons assisté à un soutien beaucoup plus ouvert à Israël, à des connexions ouvertes avec l’État israélien et l’économie israélienne, ainsi qu’à une tentative générale de découplage de la cause israélo-palestinienne dans la politique étrangère de l’Inde. L’Inde maintient donc officiellement son soutien à la Palestine et appelle sur le papier à une solution à deux États, etc. Mais dans la pratique, elle s’est efforcée d’élargir ses liens avec Israël au cours de la dernière décennie.

Shwetha : Au cours de la dernière décennie, l’idéologie nationaliste hindoue a occupé le devant de la scène en Inde. Les membres du gouvernement de Modi et de l’écosystème Hindutva, dirigé par le RSS, traitent la minorité musulmane comme une population subalterne. De nombreux membres de l’actuel gouvernement israélien d’extrême droite seraient également des partisans de la vision du monde de l’Hindutva lorsqu’il s’agit des musulmans. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette convergence idéologique entre l’hindutva et le sionisme ?

Rohan : Il est important de se rappeler, bien sûr, que si ces deux choses sont étroitement liées, ce que l’État indien choisit de faire et ce que la large base idéologique du parti au pouvoir fait sont des choses légèrement différentes. C’est pourquoi l’Inde, en particulier sous la direction de Modi, s’est montrée très habile à mélanger ces deux courants idéologiques et politiques quand elle le souhaite et à les séparer quand elle le veut.  Pour situer le contexte, les relations de l’Inde avec les Émirats arabes unis, qui sont un émirat musulman, sont aussi fortes, beaucoup plus fortes, en fait, que ses relations avec Israël. L’Inde dispose donc d’une certaine marge de manœuvre pour faire des choses qui ne reflètent pas nécessairement les fondements idéologiques sous-jacents. 


Borj Khalifa accueille Narendra Modi avec faste lors de sa visite officielle aux Émirats arabes unis en juillet 2023

03/03/2024

La Vierge rouge & les Cannibales
Louise Michel et les Kanak

Sur les 4253 Communard·es (dont 23 femmes) déporté·es en Nouvelle-Calédonie suite à l’écrasement sanglant de la Commune de Paris, Louise Michel fut pratiquement la seule à ne pas entrer dans la logique de la « colonisation pénitentiaire », dont le but sera résumé par Victor Hugo dans son célèbre discours sur l’Afrique de 1879 : « Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires » . 

Louise prend fait et cause pour les « Canaques », lorsque ceux-ci se soulèvent en 1878 contre le génocide en cours. «[…]  Cette écharpe rouge de la Commune a été divisée, là-bas, en deux morceaux, une nuit où deux Canaques, avant d’aller rejoindre les leurs, insurgés contre les blancs, avaient voulu me dire adieu. » Au cours des sept années de déportation, Louise fraternisa avec les Kanak et tira deux livres de ses échanges. Alors que la plupart des déportés se rangeaient du côté des forces de répression coloniales, Louise Michel est l’exception lumineuse, pionnière d’un anticolonialisme qui a trop souvent fait défaut à la gauche française, toutes tendances confondues. Des textes à découvrir, d’une femme puisant dans sa condition féminine la force de s’opposer au racisme, au patriarcat et au spécisme. « Quel est l’être supérieur, de celui qui s’assimile à travers mille difficultés des connaissances étrangères à sa race, ou de celui qui, bien armé, anéantit ceux qui ne le sont pas ? »

La Vierge Rouge, la Pétroleuse, l’institutrice, l’infirmière, la combattante Louise Michel est condamnée à la déportation après l’écrasement de la Commune de Paris. Elle arrive en Nouvelle-Calédonie en décembre 1873 et y restera jusqu’en juillet 1880, après quoi, bénéficiant d’une amnistie, elle rentrera en France. Elle établit très rapidement un rapport fraternel avec les Kanak, échangeant, conversant avec eux, apprenant leurs langues, écoutant leurs récits, enseignant à leurs enfants. Quand des insurgés viennent une nuit l’avertir de leur soulèvement imminent, elle leur montre comment sectionner les fils du télégraphe pour saboter les communications des occupants et leur donne son écharpe rouge, relique de la Commune (elle adoptera dans la dernière partie de sa vie tumultueuse le drapeau noir). Cette relique, pieusement conservée, donnera l’idée aux militants indépendantistes kanak des années 1960 d’appeler leur mouvement Les Foulards Rouges.

Louise Michel a écrit deux textes issus de sa rencontre du deuxième type. Ce sont ces documents historiques précieux que nous republions pour les rendre accessibles à toute personne ne fréquentant pas les temples du savoir et leurs rayonnages. L’ouvrage est complété par des analyses sur les déportés de 1848, 1855 et 1871, et couronné par l’incroyable discours de Victor Hugo sur l’Afrique.

Table des matières

·        Légendes et chansons de gestes canaques
par Louise Michel, Nouméa 1875…………….8

·        Légendes et chants de gestes canaques
par Louise Michel,  Paris 1885………………….44

·        Louise Michel et les Kanak : amorce d’une réflexion anti-impérialiste
par Lucie Delaporte, 2018………………………235

·        Déportés en Nouvelle-Calédonie : l’improbable rencontre des communards et des insurgés algériens
par Lucie Delaporte, 2018………………………248

·        Les déportés de 1848
par Marcel Émerit, 1948…………………………257

·        Les communards contre les Canaques
par Jean Bruhat, 1981………………………….....266

·        Commune(s), communards, question coloniale
par Alain Ruscio, 2022……………………………..275

·        Discours sur l’Afrique
 par Victor Hugo, 1879……………………………299

 

 

 

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02/03/2024

GIDEON LEVY
Une jeep de l’armée israélienne percute deux adolescents palestiniens à vélo, puis l’un d’eux est abattu à bout portant

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 2/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une jeep de l’armée israélienne, à la poursuite de deux adolescents palestiniens circulant sur un vélo électrique, les percute et ils sont jetés à terre. Un soldat place son fusil sur le cou de l’un d’eux et appuie sur la gâchette. Imru Swidan, 17 ans, est toujours dans un état critique et paralysé.

Imru Swidan avant d’être abattu

Cette fois-ci, il n’y a pas de place pour le doute, ni pour les questions, les excuses ou les mensonges de l’unité du porte-parole des forces de défense israéliennes : les vidéos témoignent de ce qui s’est passé. Elles montrent une jeep blindée à la poursuite de deux jeunes qui roulent sur une bicyclette électrique. Le côté de la jeep heurte violemment les cyclistes, les faisant tomber du vélo. L’un d’eux parvient à s’échapper, l’autre est couché sur le ventre, face contre terre. L’un des soldats qui sort de la jeep place le canon de son fusil sur le cou du garçon. L’image est floue, mais un agrandissement permet de comprendre ce qui s’est passé ensuite : une balle pénètre dans le cou du jeune homme, brisant la partie supérieure de sa colonne vertébrale. Paralysé et placé sous respirateur, il se trouve actuellement dans l’unité de soins intensifs d’un hôpital de Naplouse.

L’événement rappelle l’incident impliquant Elor Azaria, le « tireur d’Hébron », qui, en 2016, avait abattu un « terroriste » palestinien qui avait déjà été abattu et maîtrisé, mais dans un format plus sinistre. Dans ce cas, le jeune n’est pas mort sur la route, et on ne sait pas exactement ce que les deux cyclistes - 17 et 15 ans - avaient fait pour justifier la poursuite par la jeep, ni ce qui a déclenché la fureur des soldats, qui ont décidé d’essayer d’exécuter l’un des jeunes en lui tirant une balle dans le cou à bout portant.

Ces questions troublantes resteront à jamais sans réponse. Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI n’a pas perdu de temps pour blanchir, truquer et dissimuler la vérité, se contentant de la réponse habituelle, générique, évasive et fictive, à la question de Haaretz : « Un certain nombre de terroristes ont lancé des engins explosifs sur une unité des FDI qui opérait près du village d’Azzun dans le [territoire de la] brigade Ephraim le 13 février 2024. Une unité des FDI qui se trouvait sur le site a pris des mesures pour les arrêter et, dans ce cadre, a tiré sur l’un d’entre eux ».

Les mots manquent. Deux adolescents sur un vélo deviennent « un certain nombre de terroristes », leur transgression n’étant pas claire ; « a pris des mesures pour les arrêter » est la façon dont l’armée décrit le tir à bout portant sur un jeune désarmé et sans défense qui était allongé face contre terre sur la route, ce qui ressemble plus à une tentative d’exécution qu’à toute autre chose. « A pris des mesures pour l’arrêter » ? Les soldats auraient pu très facilement arrêter le jeune prostré sur la route, mais ils ont préféré lui tirer dessus alors qu’il était blessé et immobile. Après la fusillade, les soldats sont partis sans arrêter personne.

Vidéo de l’incident

Un acte à la Elora Azaria, mais les temps ont changé de manière méconnaissable. Personne ne sera jugé pour avoir procédé à des exécutions en uniforme, pas après l’épisode Azaria et encore moins après la guerre dans la bande de Gaza. Personne n’a même l’intention d’enquêter sur cet incident ; l’unité du porte-parole de l’armée israélienne ne s’est pas intéressée à la vidéo qui documente l’acte. La jeep dont les soldats ont fait cela portait un drapeau israélien sur un mât imposant. C’est au nom de ce drapeau qu’ils ont abattu l’adolescent blessé sur la route, alors qu’ils auraient pu facilement le placer en détention.

Imru Swidan est un jeune homme de 17 ans originaire de la ville d’Azzun, à l’est de la ville cisjordanienne de Qalqilyah, de l’autre côté de la frontière de Kfar Sava. Depuis 2003, l’entrée orientale de la ville est bloquée et, depuis le 7 octobre, son entrée principale, au sud, est également fermée par une grille en fer. Seule une entrée reste ouverte, par l’ouest, via le village voisin de Khirbet Nabi Elias, où de fréquents barrages surprise de l’armée bloquent pendant de longues heures la circulation en direction et en provenance de la ville. Peu avant notre arrivée à Azzun cette semaine, les soldats étaient encore là, harcelant les habitants ; heureusement pour nous, nous sommes arrivés après leur départ.

La famille Swidan vit dans le complexe résidentiel familial au centre de la ville. Dans le salon où nous avons été reçus, deux guitares sont accrochées au mur et, à côté, du matériel de sonorisation appartenant au cousin d’Imru. Imru est dans un hôpital privé de Naplouse, complètement paralysé. Sur les photos prises sur place, on peut voir qu’un tube respiratoire lui a été inséré dans la gorge, qu’une attelle maintient son cou, que son visage est d’un blanc effroyable. Il est difficile de savoir s’il est conscient. Il murmure parfois quelque chose, dit sa mère. Elle pense qu’il demande qu’on lui récite des versets du Coran, car sa mort est proche.

Son père, Mohammed, 42 ans, est à ses côtés, et sa mère, Arwa, 33 ans, lui rend également visite, bien entendu. Le couple a quatre fils et deux filles - Imru est l’aîné, sa mère n’avait pas encore 17 ans lorsqu’elle l’a eu. Les déplacements des parents à Naplouse pour voir leur fils sont extrêmement difficiles. En raison des nombreux points de contrôle autour de Naplouse - la ville est presque assiégée depuis le début de la guerre - le voyage dure des heures, bien que la distance soit relativement courte. Voilà à quoi ressemble aujourd’hui la vie dans toute la Cisjordanie.

Arwa Swidan, mère d’Imru

C’était le 13 février, un mardi, il y a deux semaines. Les FDI font de fréquentes incursions à Azzun, comme c’était le cas ce midi-là. La mère d’Imru raconte que lorsqu’il s’est levé ce matin-là, vers 10 heures, comme d’habitude, elle l’a envoyé au marché pour acheter des légumes. Comme son vélo électrique était hors d’usage, il s’est rendu chez un voisin, un lycéen de 15 ans qui est son ami depuis l’enfance et qu’il rencontre tous les jours (et qui a demandé à ce que son nom ne soit pas mentionné). Avec le vélo de son ami, il a fait les courses pour sa mère. Mais il a oublié d’acheter de la pita, et elle l’a renvoyé. Cette fois, il ne reviendra pas. Il a été abattu à quelques centaines de mètres de chez lui, sur la rue principale de la ville.

Les soldats ont envahi la ville par l’entrée Est, qui est fermée. Imru pédale, son ami se tient sur le vélo. Nous n’avons aucune information sur ce qu’ils ont fait en chemin, jusqu’à ce que la vidéo montre la jeep les poursuivant puis les renversant. Une ambulance palestinienne appelée sur le site a été bloquée pendant dix minutes, selon le témoignage recueilli par Abd al-Karim Sa’adi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Ce n’est qu’après le départ des soldats que les ambulanciers ont pu accéder au jeune blessé.

Il a été transporté à l’hôpital Omar al-Qassem d’Azzun, puis à l’hôpital Darwish Nazzal de Qalqilyah, et comme il était dans un état critique, il a été transféré à Naplouse. Là, selon les habitants d’Azzun, il a eu la chance d’être soigné par un habitant de sa ville, le Dr Abdallah Harawi, un chirurgien réputé. La mère du chirurgien est décédée le jour même, mais il a opéré Imru. Une radiographie montre les dégâts considérables causés à la moelle épinière par la balle.

Imru Swidan avant d’être abattu

Selon sa mère, Imru a quitté l’école pendant la pandémie de COVID, alors qu’il était en dixième année, et depuis lors, il est resté chez lui, désœuvré. Son père est ouvrier d’entretien dans des hôpitaux israéliens. L’année dernière, il travaillait à l’hôpital Meir, à Kfar Sava, mais depuis la guerre, un bouclage a été imposé en Cisjordanie, si bien qu’il est hors de question de se rendre à son ancien travail. De nombreux membres de la famille élargie ont travaillé en Israël et parlent l’hébreu.

Vers midi, après qu’Imru est retourné chercher le pain, des amis ont appelé sa mère pour lui dire qu’il avait été blessé. Stupéfaite, elle a téléphoné à son mari, qui avait commencé un nouveau travail dans un atelier de couture dans le village voisin de Jayous. Il s’est immédiatement rendu à l’hôpital de Naplouse, tout comme sa femme et d’autres membres de la famille.

À leur arrivée, Imru sortait d’un scanner et sa mère s’est évanouie à sa vue. Elle est rentrée chez elle le soir, dans une maison remplie de voisins et de membres de sa famille. Aujourd’hui, elle prie Dieu tous les jours pour que l’état de son fils s’améliore. Pour l’instant, rien ne laisse présager une telle amélioration.