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04/05/2025

GIDEON LEVY
En réalité, Israël se moque du sort des Druzes en Syrie

 Gideon Levy, Haaretz , 04/5/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il est parfois difficile de croire ce que l’on lit : Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, appelle la communauté internationale à « jouer son rôle dans la protection des minorités en Syrie, en particulier la communauté druze, contre le régime et ses gangs terroristes, et à ne pas fermer les yeux sur les graves incidents qui s’y déroulent ».


Un religieux druze, à gauche, qui est passé de la Syrie à Israël plus tôt dans la journée, est accueilli par un soldat israélien dans le sanctuaire du Prophète Shuaib [tombe de Jethro, le beau-père de Moïse], à Hittin, dans le nord d’Israël, vendredi. Photo Leo Correa/AP

Israël s’est depuis longtemps forgé une réputation de chutzpah [culot], mais il semble qu’il se soit surpassé cette fois-ci. Le ministre des Affaires étrangères appelle le monde à intervenir pour aider une minorité opprimée par un gouvernement dans un autre pays, alors que d’autres dirigeants politiques agissent déjà dans ce domaine.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a donné des instructions, Eyal Zamir, des Forces de défense israéliennes, a ordonné à l’armée de frapper des cibles précises et le ministre de la Défense Israel Katz a déjà menacé qu’Israël répondrait “durement” ; les Forces de défense israéliennes ont déjà bombardé. Une véritable armée du salut pour défendre les Druzes opprimés.

  Le ministre israélien des Affaires étrangères n’a aucun droit moral d’ouvrir la bouche et de prononcer ne serait-ce qu’un mot sur l’oppression d’une nation ou d’une minorité, et certainement pas d’appeler le monde à prendre leur défense. Israël, qui ferme les yeux sur l’Ukraine après avoir fait la même chose pendant la guerre civile en Syrie, n’a pas non plus le droit d’appeler le monde à ouvrir les yeux sur les événements en Syrie.

 
Des membres de la communauté druze israélienne se tiennent près de la frontière, en attendant que des bus transportant des religieux druzes syriens traversent la Syrie vers la ville de Majdal Shams, sur les hauteurs du Golan occupées par Israël, vendredi. Photo : Maya Alleruzzo/AP

Le manque de conscience de soi des dirigeants israéliens bat tous les records. Lorsque Gideon Sa’ar parle d’un régime oppressif et de bandes de terroristes, il devrait avant tout parler de son propre pays. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde où un régime oppressif et des voyous terroristes prospèrent comme en Israël, tourmentant les membres d’une autre nation. Et comment Israël réagit-il aux appels lancés au monde pour qu’il prenne la défense de la nation opprimée qui y vit ? Par des hurlements et des cris à l’antisémitisme.

Et comment Israël réagirait-il à une intervention militaire d’un autre État ou d’un autre acteur venant en aide aux opprimés ? C’est exactement ce que les pays arabes ont dit dans le passé, et ce que le Hezbollah et les Houthis disent aujourd’hui : ils interviennent contre Israël pour protéger les Palestiniens.

De même que les Druzes locaux exigent aujourd’hui qu’Israël vienne en aide à leurs frères syriens, les populations des pays arabes exigent que leurs gouvernements interviennent en faveur de leurs frères soumis à l’occupation israélienne.

Et qu’en est-il des frères de sang des Arabes israéliens [Il veut dire : Palestiniens de 48, NdT], qui ont été massacrés à Gaza, en Syrie et au Liban ? Israël a-t-il jamais envisagé de leur venir en aide ?

Un homme tient un bébé sauvé des décombres, qui a survécu à une frappe aérienne des forces loyales au président syrien Bachar el-Assad à Alep en 2014.Photo Hosam Katan/Reuters

Au Liban, Israël a dressé les phalangistes contre les Palestiniens. Lorsque le peintre palestinien Abed Abadi, vivant à Haïfa, a tenté d’exfiltrer sa sœur, née dans ce pays, du camp de réfugiés assiégé de Yarmouk, en Syrie, en 2014, Israël a refusé. Mais pour “sauver les Druzes”, Israël est prêt à bombarder.

Imaginez que la France bombarde les colonies israéliennes dans les territoires occupés parce qu’elle les considère comme des « bases terroristes », d’où sortent des terroristes pour nuire aux Palestiniens. Quel tollé cela provoquerait ici !

Cette demande est empreinte de cynisme. Après tout, Israël ne se soucie pas vraiment du sort des Druzes en Syrie, tout comme il ne se souciait pas vraiment des victimes de l’ancien régime syrien. Après l’adoption de la loi sur l’État-nation, il est évident que le gouvernement ne se soucie même pas des droits de la population druze d’Israël.


Des Druzes manifestent contre la loi sur l’État-nation en 2019.Photo Tomer Appelbaum

Se mobiliser pour la défense des Druzes de Syrie n’est rien de plus qu’une ruse cynique, un autre prétexte pour attaquer la Syrie dans sa faiblesse, peut-être aussi un clin d’œil aux électeurs druzes du Likoud. Au lieu de donner une chance au nouveau régime, Israël fait du bellicisme. C’est le seul langage qu’il a employé ces dernières années : frapper, bombarder, bombarder, tuer, démolir, autant que possible et en tous lieux.

Si Israël souhaite promouvoir la justice où que ce soit, qu’il commence chez lui, où d’horribles méfaits et crimes contre l’humanité sont de plus en plus souvent perpétrés.

Même l’appel d’Israël au monde pour qu’il envoie du matériel de lutte contre les incendies afin d’aider à surmonter les feux de forêt près de Jérusalem la semaine dernière, alors qu’il empêche la nourriture et l’aide humanitaire d’entrer à Gaza depuis plus de deux mois, est une demande impudente qui aurait dû être rejetée. Un pays qui affame deux millions de personnes n’a pas droit à l’aide de la communauté internationale, même lorsque des incendies menacent ses communautés.

Hittin, 5 février 1949 : un groupe de Druzes brandit un drapeau avec l’étoile à 5 branches représentant les 5 principes cosmiques (haad, plur. houdoud) de leurs croyances, généralement confondue par les ignorants avec l’étoile de David à six branches adoptée par les sionistes. En arabe, le nom de Sultan Pacha El Atrache (1891-1982), leader de la révolte antifrançaise syrienne de 1925-1927 et héros des mouvements de libération arabes

03/05/2025

MICHELE GIORGIO
Les Druzes pris en tenaille entre l’“aide” d’Israël et la répression de Damas

 Michele Giorgio, il manifesto, 3/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Syrie - La communauté druze est prise en étau entre les violences sectaires internes et les manœuvres géopolitiques externes. Netanyahou, qui se proclame « protecteur » des Druzes, bombarde à quelques encablures du palais présidentiel syrien. 

Michele Giorgio est un journaliste italien, correspondant au Machrek du quotidien il manifesto et directeur de la revue en ligne Pagine Esteri. Auteurs de 3 livres. X

Maître dans l’art d’adapter les événements à une version politique commode, Benjamin Netanyahou s’est à nouveau déguisé en « protecteur des Druzes » après avoir ordonné à l’armée de l’air israélienne de frapper à une courte distance du palais du président syrien autoproclamé et chef du groupe alqaïdiste HTA, Ahmad Charaa. « C’est un message clair au régime syrien. Nous ne permettrons pas aux troupes syriennes de se déplacer au sud de Damas ou de constituer une menace pour la communauté druze », a déclaré le premier ministre israélien. Il se référait aux violences qui, au début de la semaine et jusqu’à jeudi, ont vu des miliciens sunnites liés au gouvernement prendre d’assaut Jaramana, Sahnaya et d’autres centres à majorité druze, après la diffusion d’un clip audio offensif contre le prophète Mohamed dans le sud de la Syrie.


Des miliciens du nouveau régime en faction à Sahnaya. Photo AP

La réaction de Damas au bombardement israélien a été lente. « Il s’agit d’une escalade dangereuse », a déclaré le nouveau régime syrien qui a remplacé celui de Bachar el-Assad. L’UE est intervenue et a exigé qu’Israël respecte la souveraineté syrienne et les termes de l’accord de désengagement de 1974 sur le Golan syrien. Bruxelles n’a pas compris, ou feint de ne pas comprendre, que Netanyahou n’a pas l’intention de renoncer à une occasion en or de prendre le contrôle de facto du sud de la Syrie.

Les Druzes israéliens (150 000), dont beaucoup servent dans les forces armées, l’aident à masquer des intérêts stratégiques par un prétendu engagement humanitaire. Ces derniers jours, des centaines de Druzes - réservistes de l’armée, activistes et simples citoyens - ont bloqué des routes dans le nord d’Israël, exigeant une intervention en faveur de leurs « frères menacés en Syrie ». Netanyahou a donc ordonné le bombardement à quelques mètres du palais de Charaa. Il a ensuite téléphoné au cheikh Muwafaq Tarif, chef spirituel des Druzes israéliens, qui, selon son bureau, « apprécierait l’action dissuasive contre Damas ».

Le principal allié de Netanyahou est l’instabilité syrienne, marquée par les vagues de « purification » menées par les milices djihadistes du HTS et de ses alliés contre les prétendus restes du régime Assad et contre les « apostats » : en mars les Alaouites, aujourd’hui les Druzes. « Nous sommes massacrés et le silence de la communauté internationale nous condamne deux fois », a protesté le cheikh Hikmat al-Hijri, autorité spirituelle de la communauté druze syrienne, en référence aux attaques subies ces derniers jours de la part des forces djihadistes près de Damas. Pour convaincre l’Occident de lever les sanctions contre son pays - décrétées après 2011 pour viser Bachar el-Assad - Ahmad Charaa a adopté un profil modéré et s’est à plusieurs reprises porté garant d’une Syrie « inclusive et respectueuse des minorités ». Mais si déradicalisation il y a eu, elle ne s’est produite qu’au sommet. Car à la base du nouveau régime, une pléthore de formations salafistes - qui incluent des combattants étrangers - ne partagent pas la ligne modérée et font pression pour que les musulmans « apostats » et les sectes hétérodoxes comprennent qui tient désormais le manche en Syrie.

Après les Alaouites de la côte, les plus extrémistes voudraient mettre en œuvre une « normalisation armée » également dans les régions du sud, qui sont restées en marge du nouveau pouvoir. Soueïda, la principale ville druze, a maintenu une autonomie de fait après 2011, résistant à la fois au pouvoir d’Assad et à la pénétration salafiste. Aujourd’hui, cette fragile indépendance est assiégée. Elle doit également se prémunir contre les manœuvres israéliennes. Al-Hijri continue de rejeter toute ingérence extérieure, réaffirmant « l’appartenance des Druzes à la patrie syrienne unie » et dénonçant les tentatives d’instrumentalisation par des acteurs étrangers. Lors d’une réunion entre les dirigeants druzes, les anciens et les groupes armés à Soueïda, la communauté a accepté d’être « une partie inséparable de la patrie syrienne unifiée ». « Nous rejetons la division, la séparation ou le désengagement », a ajouté un porte-parole. Certaines ONG syriennes, comme le Réseau syrien pour les droits humains, avertissent que « l’ingérence israélienne contribue à la polarisation sectaire et entrave toute tentative de médiation » entre Damas, les Druzes et d’autres minorités.

« La communauté druze se trouve prise au piège entre la violence sectaire interne et les manœuvres géopolitiques externes », explique au manifesto Giovanna Cavallo, militante des droits des Druzes syriens qui s’est récemment rendue à Soueïda avec une délégation italienne. « La question qui se pose aujourd’hui est inquiétante : le gouvernement syrien est-il tout simplement incapable de faire face à la vague de violence ou s’agit-il plutôt d’une ambiguïté délibérée, d’un calcul politique qui évite la confrontation avec les franges les plus radicales, aujourd’hui de plus en plus présentes dans les appareils du pouvoir ? » Dans ce contexte, ajoute-t-elle, « une action extérieure comme celle d’Israël apparaît encore plus dangereuse », car elle accentue « les divisions au sein même de la communauté druze, entre la majorité qui appelle à un accord avec le gouvernement central et une minorité qui voudrait choisir le moindre mal (Israël, ndlr) ». « Nous ne voulons ni de Damas ni de Tel-Aviv« , déclare pour sa part une femme d’al-Qurayya, « nous voulons vivre libres, sans que d’autres décident de notre sort par les armes ».

Lire aussi 

L’Étaticule joulanesque ou les sécrétions putrides du totalitarisme djihadiste, par Haytham Manna

02/05/2025

DANIEL LARA
Le gouvernement d’Espagne affirme que la panne électrique totale a excédé la capacité des pare-feux

Daniel Lara, InfoLibre, 30/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Daniel Lara (Móstoles, Madrid, 1997) est journaliste en charge de l’environnement et de l’énergie au site ouèbe espagnol Info Libre. X


 

Au moment du black-out, il y avait une capacité de perdre, sans préavis, l’équivalent de 60% de l’énergie du pays

La déconnexion en chaîne de dizaines de centrales électriques à travers le pays a eu raison des pare-feux et a mis le réseau hors service



Le ministère de la Transition écologique (MTÉ) a déclaré mercredi que les pare-feux censés empêcher une panne sur le réseau « ont fonctionné et ont été activés » normalement, et qu’ils auraient été capables de résister à une forte baisse de la production. Mais l’ampleur de la panne a été si rapide et si importante que les systèmes de protection du réseau n’ont pas pu y faire face. Plus précisément, le système espagnol avait la capacité, lundi, de couvrir une baisse imprévue de la production de 15 gigawatts (GW), soit l’équivalent de 15 réacteurs nucléaires, mais la panne imprévue a été encore plus importante.

Des sources ministérielles de haut niveau expliquent que la capacité de “délestage” du réseau était immense à l’époque, équivalant à 60 % de la demande d’électricité de l’Espagne. La production et la demande d’énergie devant toujours être en parfaite adéquation pour que le système fonctionne, le délestage permet de compenser une baisse surprise de la production - par exemple, le black-out d’une centrale nucléaire, qui se produit plusieurs fois par an - par une réduction de la consommation afin d’équilibrer la balance. Techniquement, il s’agit d’obliger les grandes industries à se déconnecter immédiatement.

Le réseau espagnol a pu dégrouper 10 GW d’électricité à l’approche du black-out, en plus d’arrêter l’exportation de 5 GW d’électricité vers la France, afin de couvrir un effondrement de la production. Tout cela a été activé, selon les techniciens, « mais l’effet de contagion [certaines centrales s’arrêtent et les autres suivent en chaîne] a été plus important et plus rapide », et tout le système s’est effondré. Les sources du ministère reconnaissent qu’elles ne savent toujours pas quelle était l’ampleur du trou de production, mais seulement qu’il était supérieur à 15 GW. Ils ne connaissent pas non plus l’emplacement exact, mais ils savent qu’il se situe dans le sud-ouest.

Tout cela s’est produit pendant les fameuses cinq secondes de l’incident. Comme Red Eléctrica l’a expliqué précédemment, tout allait bien jusqu’à ce qu’à 12 heures, 33 minutes et 16 secondes, une oscillation de la fréquence du réseau se produise, causée par ce qui semble être une baisse de production. Lorsqu’une grande centrale électrique est déconnectée du réseau de manière inattendue, ce décalage entre l’offre et la demande d’énergie provoque une variation de fréquence qui est rapidement corrigée et, si elle est faible, n’a pas de conséquences. Cet incident a été surmonté normalement.

Mais 1,5 seconde plus tard, un autre événement similaire s’est produit, avec une variation de fréquence beaucoup plus importante, qui a provoqué un arrêt de la production d’électricité dans le sud-ouest de la péninsule, probablement à partir de centrales solaires en Estrémadure. La fréquence du réseau électrique européen est de 50 Hz, mais en cas d’écart important, les centrales électriques sont automatiquement mises hors service pour des raisons de sécurité, conformément aux règles de l’opérateur, Red Eléctrica. D’après ce que l’on sait de ces moments, ce black-out localisé a “généré un effet de chaîne” qui a entraîné l’arrêt du reste des centrales électriques. Au même moment, la France s’est déconnectée de l’Espagne pour ne pas contaminer l’Europe.

Selon le MTÉ, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir ce qui a provoqué ces fortes oscillations de fréquence. Pour cela, ils doivent encore analyser des tonnes de données, milliseconde par milliseconde, qu’ils recevront de Red Eléctrica et des grandes entreprises dans les prochaines heures.

La possibilité qu’une cyberattaque en soit à l’origine n’a pas encore été exclue par le gouvernement, et des experts en cybersécurité du ministère de la Défense enquêtent actuellement au siège de Red Eléctrica et d’autres entreprises pour trouver une réponse. Cette faille aurait pu donner l’ordre à un grand nombre de centrales électriques de s’arrêter, déclenchant ainsi un black-out en chaîne.

José Luis Domínguez, expert en réseaux électriques à l’Institut de recherche énergétique de Catalogne (IREC), exclut toutefois ce scénario. « Je le considère comme irréalisable, car il faudrait une connaissance approfondie du réseau pour déconnecter autant de centrales en même temps ». Il rappelle que la Russie, pour fermer une seule centrale électrique en Ukraine en 2022, a piraté son système et a mis deux mois à comprendre comment elle pouvait la mettre hors service. 

Les énergies renouvelables ne sont pas à la traîne

Les fonctionnaires du MTÉ ont également affirmé qu’un excès d’énergies renouvelables n’était pas à l’origine de la panne, même s’ils ont reconnu que des changements réglementaires devront désormais être envisagés pour rendre cette énergie plus sûre. Peut-être en installant des systèmes d’inertie synthétique, une sorte de tampon pour réguler la fréquence du réseau, dans les centrales solaires et éoliennes d’Espagne.

Depuis la panne, on a beaucoup parlé de l’instabilité que les énergies renouvelables apportent au système électrique, une question qui est débattue par les experts et les gestionnaires de réseau depuis des années. La production d’énergie traditionnelle (nucléaire, cycle combiné au gaz, hydroélectricité, géothermie...) utilise des moteurs rotatifs qui confèrent au système une inertie qui aide à réguler les petits déséquilibres entre l’offre et la demande. Ces technologies sont dites synchrones et leurs moteurs tournent tous à la même vitesse, soit 50 rotations par seconde, ou 50 Hertz (Hz).

Si l’on considère le système électrique comme une baignoire, le robinet (production) et le drain (consommation) doivent transporter la même eau pour que le niveau de la baignoire reste stable. Ce niveau est la fréquence du réseau, qui ne peut varier afin d’éviter les dysfonctionnements. Si le robinet de la baignoire réduit sa pression, mais que le bouchon reste ouvert, le niveau de l’eau baisse. C’est ce qui s’est passé lundi sur le réseau électrique espagnol : la production a baissé, mais pas la demande, ce qui a fait chuter la fréquence et déclenché les protections de toutes les centrales.

À ce système, il faut ajouter un facteur supplémentaire : les moteurs rotatifs, comme ceux des centrales à cycle combiné. Si la fréquence du réseau baisse - les moteurs de ces centrales tournent plus lentement que 50 tours par seconde - leurs turbines libèrent l’énergie cinétique sous forme d’énergie électrique et l’injectent dans le système, compensant ainsi la perte d’approvisionnement et augmentant à nouveau la fréquence. Plus le poids de la production synchrone dans le mix électrique est important, plus la fréquence du réseau a du mal à baisser, et donc plus il a du mal à s’effondrer car il est autorégulé.

Le problème est que les centrales photovoltaïques n’ont pas de moteur rotatif et ne peuvent pas arrêter une baisse ou une hausse de la fréquence du réseau. Les éoliennes ont une rotation, mais elles ne sont pas connectées à la synchronisation du système. Au moment de la panne de lundi, ces deux technologies représentaient plus de 60 % du mix électrique et certains experts estiment que s’il y avait eu plus de sources synchrones, la puissance zéro aurait pu être évitée car les pics de fréquence auraient été mieux contrôlés.

Interrogés à ce sujet, les techniciens du ministère ont souligné qu’un jour sur sept de l’année, le mix de production en Espagne est similaire à celui de ce lundi et que cela ne s’était jamais produit auparavant, de sorte qu’il n’est pas logique de blâmer ces technologies. En fait, ils ont souligné que cet incident ne modifie pas le plan national pour l’énergie et le climat (PNIEC), la feuille de route pour l’installation d’énergies renouvelables d’ici à 2030. Cependant, ils estiment que des modifications réglementaires devront être proposées à l’avenir. Il existe différents systèmes sur le marché pour ajouter de la synchronisation au photovoltaïque et au solaire au moyen de batteries ou de logiciels, mais ils ne sont pas encore obligatoires en Espagne.

En fait, la seule technologie qui a posé problème est le nucléaire, qui a été arrêté pour des raisons de sécurité pendant la période d’absence d’énergie et qui n’a pas réussi à se remettre en marche avant mercredi. Les responsables ont souligné que non seulement cette technologie n’a pas fourni d’électricité lors du retour à la normale, mais qu’elle a également eu besoin d’une puissance supplémentaire pendant la panne pour éviter que le cœur des cinq centrales ne soit endommagé.

Ils ont également ajouté qu’une meilleure interconnexion avec la France aurait apporté de la « robustesse » au système avant la panne et constituera une autre tâche urgente. À l’heure actuelle, la France retarde l’extension de ce câble depuis deux décennies, car elle vise à devenir la centrale nucléaire de l’Europe et l’Espagne est un concurrent de par son abondante énergie renouvelable.





AHMED HELOU
He perdido a 160 miembros de mi familia en Gaza, pero no he perdido la esperanza
Palabras de un combatiente palestino por la paz

A los quince años, me uní a Hamas, lancé piedras, cosí banderas palestinas y pasé siete meses en prisión. Aquí está lo que cambió mi perspectiva sobre los israelíes y me motiva a construir puentes sobre ríos de sangre.

Ahmed Helou, Haaretz , 29/4/2025
Traducido por Fausto GiudiceTlaxcala

Ahmed Helou, palestino de El Ariha/Jericó, es un activista dela organización Combatientes por la Paz, que celebró la vigésima ceremonia anual conjunta de conmemoración israelí-palestina el 29 de abril, en asociación con el Círculo de Padres – Foro de Familias (palestinas e israelíes afectadas por la violencia).

 

Palestinos inspeccionan el lugar de un ataque israelí a una casa, en Jan Yunis en el sur de la Franja de Gaza. Foto: Hatem Khaled / Reuters

Escribo estas palabras desde el dolor más profundo que un ser humano puede soportar. En el último año, he perdido 160 miembros de mi familia extendida: hombres, mujeres y niños. Todos ellos eran civiles. Todos estaban desarmados. Fueron asesinados en ataques aéreos y tiroteos durante la guerra en Gaza. En cuestión de minutos, generaciones enteras de la familia Helou fueron borradas: tías, tíos, primos, sobrinas y sobrinos, todos asesinados en sus hogares.


Sus cuerpos fueron encontrados entre los escombros, a veces todavía sosteniéndose entre ellos, a veces esparcidos. Algunos no fueron identificados durante días. Nuestra familia, una vez unida alrededor de una mesa en las festividades, se ha convertido en una lista de nombres entre los muertos. 160 miembros de la familia. 160 vidas. 160 futuros que nunca existirán.

Mi dolor no tiene fondo. A veces se siente tan difícil como simplemente respirar. Pero incluso desde ese lugar, el lugar donde todo parece perdido, elijo levantarme y decir: no debemos rendirnos. No debemos sucumbir al odio, a la pérdida, a la venganza. Ahora más que nunca, llamo a ambos pueblos, israelí y palestino, a elegir un camino diferente. Un camino no de sangre, sino de vida. No de venganza, sino de esperanza.

Soy un palestino de Jericó. Aunque nací allí, mis raíces se hunden profundamente en Gaza y Beersheba . Mis abuelos nacieron en Gaza y se mudaron a Beersheba a principios del siglo XX para hacer crecer sus negocios. Mis padres también nacieron y crecieron en Beersheba . Durante la guerra de 1948, intentaron regresar a Gaza, pero en cambio huyeron a Jericó, esperando que su proximidad a la frontera jordana les proporcionara una ruta de escape si las cosas empeoraban. En 1967, tuvieron que huir de nuevo, esta vez a Jordania, donde fueron testigos de más violencia y más muerte.

Crecí escuchando estas historias de miedo, de huida, de personas asesinadas ante sus ojos. Estaba lleno de ira. Quería venganza. A los diez años, durante la guerra de Israel en 1982 en Líbano, arrastraba neumáticos a la calle para las manifestaciones. Creía que tenía que luchar. A los quince años, me uní al movimiento local de Hamas. Lanzaba piedras. Cosía banderas palestinas, que eran ilegales en ese momento, sabiendo que eso podría llevarme a la prisión. Y así fue. En 1992, fui condenado a siete meses en prisión militar israelí como detenido político.

Pero la prisión también trajo algo más: un encuentro inesperado con personas que tenían diferentes visiones del futuro. Durante mi condena, comenzó el proceso de paz de Oslo. Cuando mis padres me visitaron, me hablaron de un nuevo acuerdo de paz con Israel, sobre dos estados, y que ahora era legal ondear la bandera palestina. Plantó una pequeña semilla de algo que no me había permitido considerar: una posibilidad.

Después de mi liberación, me centré en reconstruir mi comunidad. Ayudé a lanzar un grupo juvenil en Jericó. Hice trabajo voluntario en escuelas, hospitales y hogares de ancianos. Tomé un curso de primeros auxilios y me convertí en voluntario de ambulancia con la Media Luna Roja Palestina.


El humo se eleva desde Gaza tras un ataque aéreo, visto desde el lado israelí de la frontera. Foto Amir Cohen / Reuters

Durante los enfrentamientos en Jerusalén Este en 1996, proporcioné asistencia médica a palestinos heridos. Un día, corrí a ayudar a un hombre inconsciente y descubrí que era mi amigo cercano Firas. Mientras lo llevaba hacia la ambulancia, fui disparado en la espalda por un soldado israelí. Me colapsé. En el camino al hospital, escuché al médico decirle al paramédico que dejara de resucitar al otro herido en la ambulancia, mi amigo. Él había muerto.

Cuando regresé a Jericó, pregunté por Firas. Mi hermano me llevó al cementerio. Había cuatro tumbas: una para Firas, un estudiante de derecho de 21 años; una para un chico de 17 años; una para un oficial de policía palestino. Pregunté sobre la cuarta tumba. “Esa era para ti”, dijo mi hermano. “Pensamos que ibas a morir”. Sobreviví, pero la bala aún está alojada cerca de mi columna vertebral hoy.

Años después, en 2004, un amigo me invitó a un taller con israelíes. Estaba furioso. “¿Cómo pueden pedirme que me reúna con el enemigo?” grité. “¿Con aquellos que mataron a mi gente, robaron mi tierra, me convirtieron en refugiado, me encarcelaron?” Fui, pero juré que no hablaría. El primer día, permanecí en silencio. El segundo, empecé a hablar. En el tercero, compartí un café con ellos. Para el cuarto, estaba preguntando con incredulidad: “¿Realmente son judíos? ¿Realmente son israelíes?” Hasta entonces, solo había conocido a judíos como soldados. Nunca había hablado con civiles y nunca había discutido derechos, futuros o paz.

Seguí asistiendo a talleres, eventualmente viajando a Alemania para un seminario con israelíes y palestinos. En 2006, fui invitado a conocer a Combatientes por la Paz en Jericó. No estaba listo. Pero seguí aprendiendo, seguí preguntando, seguí conociendo. En 2013, me pidieron que hablara en la ceremonia conjunta del Día de Recuerdo. Acepté. Desde entonces, he sido un miembro comprometido, involucrado en la resistencia no violenta y la protesta pacífica contra la ocupación.


Palestinos desplazados por la ofensiva aérea y terrestre israelí sobre la Franja de Gaza caminan por un campamento improvisado de tiendas de campaña en la ciudad de Gaza. Foto Jehad Alshrafi, AP

Para cuando cumplí treinta años, me casé con Hiba, quien también es originaria de Gaza. Durante muchos años, no hemos podido visitar a su familia. Durante más de ocho años antes de que comenzara la guerra, nuestros cuatro hijos no obtuvieron permisos para visitar a sus abuelos en Gaza. Y desde el 7 de octubre, hemos perdido a más de 160 parientes en Gaza. Pero sé que la cooperación internacional y la no violencia son las únicas maneras de poner fin a la ocupación y lograr la paz.

Debido a todo lo que he vivido, sé: los extremistas de ambos lados quieren que odiemos, que temamos, que perdamos la esperanza. Quieren que creamos que no hay alternativa a la guerra, que un pueblo solo puede sobrevivir destruyendo al otro. Me niego a aceptar eso. Me niego a dejar que esta narrativa gane.

La paz no es debilidad. Es la fuerza para elegir el camino más difícil, para escuchar el dolor del otro, para reconocer su sufrimiento y construir puentes sobre ríos de sangre. Es el coraje de enfrentarse a aquellos que se benefician de la guerra interminable y decir: ¡basta ya!

En Israel, a menudo escucho: “No hay socio para la paz”. Pero eso no es cierto. Estamos aquí: palestinos que creemos en la igualdad, la coexistencia y la justicia para ambos pueblos. Somos pocos, pero estamos determinados. Determinados a vivir, no a morir. A construir, no a destruir. Incluso después de haberlo perdido todo.

Elijo dedicar mi vida a la paz y a una lucha no violenta contra la injusticia, la ocupación y el extremismo, tanto el nuestro como el suyo. Este es el único camino que queda: un futuro compartido, construido sobre el reconocimiento mutuo y la creencia de que la paz todavía es posible.

He perdido a mis seres queridos, pero no mi esperanza. La paz no es un eslogan. Es la única manera de vivir.





01/05/2025

USA : pourquoi les militants propalestiniens sont envoyés dans une prison sous-traitante de l’ICE* au fin fond de la Louisiane

*NdT : ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) est l’agence fédérale de l’immigration et des frontières, créée en 2002 dans le cadre du Homeland Security Act instituant le Département de la Sécurité intérieure, qui en 2024, employait 258 000 personnes avec un budget de 103 milliards de $. ICE a sous-traité la majorité de ses centres de détention pour étrangers en voie d'expulsion à des entreprises privées.

Mahmoud Khalil, Rümeysa Öztürk et Alireza Doroudi sont tous détenus par l’ICE à Jena, en Louisiane. Jena représente le point nodal de la suprématie blanche, de l’exploitation des prisons et de la répression étatique. Mais son histoire nous montre aussi la voie de la résistance.

Stephanie Guilloud et Desiree S. EvansMondoweiss, 28/4/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Stephanie Guilloud est responsable de la stratégie d’organisation des mouvements au sein du Project South: Institute for the Elimination of Poverty and Genocide, basé à Atlanta, en Géorgie. Elle apporte près de trois décennies d’expérience en matière d’organisation et de leadership dans le mouvement du Sud et le travail pour la justice mondiale. Elle a co-créé le site Organizers’ History lié à son action directe en 1999 pour fermer l’Organisation mondiale du commerce, et a édité le People’s Movement Assembly Organizing Handbook (Manuel d’organisation de l’assemblée du mouvement populaire) de Project South.

Desiree S. Evans est coordinatrice de la communication au sein du Project South. Vivant en Louisiane, Desiree a 25 ans d’expérience dans l’organisation de la justice sociale et le travail de plaidoyer, ainsi que dans les relations avec les médias et la communication.


«Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille par des matins froids et où je passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises à l’encontre d’un grand nombre de personnes exclues de la protection de la loi ».

Ces dernières semaines, les étudiants Mahmoud Khalil, Rümeysa Öztürk et Alireza Doroudi ont été enlevés par l’ICE et détenus dans des centres de détention de l’ICE dans les zones rurales de la Louisiane. La puissante déclaration de Khalil relie de multiples réalités qui démontrent comment la répression étatique est activée pour soutenir la montée de l’autoritarisme.


Le fait que Khalil et d’autres soient envoyés dans des centres de détention situés dans des villes isolées de Louisiane n’est pas un hasard. La montée de l’autoritarisme nécessite un État policier, et l’expansion des prisons, de la police et des centres de détention est extrêmement rentable. Alors que le gouvernement usaméricain actuel fait disparaître des personnes vers un camp de prisonniers brutal au Salvador, il déplace également des personnes vers la Louisiane rurale pour tenter de faire disparaître des personnes à l’intérieur des frontières des USA.

L’histoire du Sud en matière d’esclavage, d’incarcération, de contrôle social par la suprématie blanche et la résistance constante de la population font partie d’un plan qui peut nous aider à comprendre ce qui se passe, pourquoi, qui en bénéficie et comment riposter.


L’importance de la Louisiane : isolement, stratégie juridique et profit

Pour comprendre pourquoi l’emplacement de ces centres de détention est important, nous devons comprendre le système carcéral usaméricain, ancré dans le contrôle racial, l’exploitation économique et l’effacement géographique.

Khalil et Doroudi sont tous deux détenus au Central Louisiana ICE Processing Center à Jena. Öztürk est détenue au South Louisiana ICE Processing Center à Basile. Les deux centres de détention sont situés dans des villes rurales éloignées, à majorité blanche, comptant moins de quelques milliers d’habitants. Ces lieux présentent des défis importants pour ces détenus, car les centres sont éloignés des grandes villes, ainsi que de nombreux avocats et organisations de défense des droits humains.

Cet isolement est délibéré et stratégique, plaçant les détenus à des milliers de kilomètres de leurs réseaux de soutien et limitant considérablement l’accès à un avocat, ce qui rend beaucoup plus difficile la mise en place d’une défense efficace. Ces sites sont également moins surveillés par le public, car les médias et les organisations de défense des droits humains n’ont qu’un accès limité pour surveiller les conditions et rendre compte de ce qui se passe à l’intérieur. Avec moins de possibilités de visites familiales, les détenus sont de plus en plus coupés du monde extérieur, isolés à la fois émotionnellement et physiquement. La détention en milieu rural devient une autre méthode de « disparition » des personnes.

Ces dernières années, la Louisiane est devenue l’un des principaux centres de détention d’immigrants du pays, se classant juste derrière le Texas pour le nombre de personnes détenues. La Louisiane détient actuellement environ 7 000 immigrants en détention civile. La Louisiane, ainsi que ses voisins, le Texas et le Mississippi, abritent 14 des 20 plus grands centres de détention de l’ICE du pays, et disposent également de tribunaux extrêmement conservateurs.

Les administrations répressives apprécient la Cour du 5e circuit de Louisiane, bien connue pour son conservatisme, et peuvent souvent obtenir les résultats qu’elles souhaitent plus facilement que dans d’autres États. C’est un juge fédéral de Louisiane qui a décidé que Khalil pouvait être expulsé parce qu’il représentait un risque pour la sécurité nationale en raison de ses convictions et de ses manifestations en faveur de la Palestine. Un juge de l’immigration de Jena a récemment refusé la caution à Doroudi. En revanche, le juge fédéral de New York a estimé que la détention de Yunseo Chung était illégale.

Les centres de détention fonctionnent comme des outils de punition à part entière. Au fil des ans, plusieurs centres situés dans la région rurale de la Louisiane ont fait l’objet de graves critiques pour violation des droits humains.

Öztürk a déclaré avoir été confrontée à des conditions « insalubres, dangereuses et inhumaines » dans le centre de Basile, où elle a lutté pour obtenir des soins médicaux adéquats. Les enquêteurs ont documenté les abus commis dans ce centre, notamment le fait que les détenus se voient refuser des soins médicaux, qu’ils reçoivent des produits d’hygiène féminine inadéquats et qu’on leur serve de la nourriture avariée.

Ces centres font plus que faire disparaître, contenir et punir. Hier comme aujourd’hui, la mégaentreprise de prisons privées GEO Group possède et gère le Central Louisiana ICE Processing Center à Jena (ainsi que le South Louisiana ICE Processing Center à Basile), en tant que centres de détention à but lucratif. Anciennement connu sous le nom de Wackenhut Corrections Corporation, tristement célèbre dans les années 1990 en tant qu’acteur majeur de l’essor des prisons privatisées à but lucratif, GEO Group a racheté Wackenhut en 2002. GEO Group, l’une des plus grandes sociétés pénitentiaires privées au monde, détient actuellement près d’un milliard de dollars de contrats gouvernementaux pluriannuels pour des prisons, des centres de détention, des transports et de la surveillance.

Cible elle-même, comme Israël, de stratégies de désinvestissement pour protester contre la violence systématique, la torture, le travail forcé et les abus, GEO Group risque de gagner des milliards supplémentaires en contrats fédéraux alors que l’administration Trump criminalise et rafle les immigrés, les Noirs, les musulmans et les étudiants.

Envoyés dans le Sud : du port d’esclaves à la capitale pénitentiaire

La Louisiane était un site clé dans le commerce intérieur des esclaves, la Nouvelle-Orléans étant le deuxième port négrier et le plus grand marché aux esclaves du pays, où les personnes asservies étaient achetées, vendues et transportées dans tout le Sud des USA. 

Pendant l’esclavage, les esclavagistes utilisaient souvent une expression pour menacer les esclaves : être « vendus le long de la rivière ». Cela signifiait être vendu plus au sud, le long du Mississippi, dans les plantations du Sud profond, comme les tristement célèbres champs de canne à sucre de Louisiane. Pour les esclaves, cette phrase avait le poids d’une condamnation à mort, symbolisant la séparation d’avec la famille et une souffrance quasi certaine. Être condamné plus au « Sud » était un outil d’isolement, de punition et de peur, une pièce maîtresse du contrôle exercé à l’époque de l’esclavage.

Dans les années qui ont suivi l’émancipation, cette exploitation a évolué au lieu de disparaître, jetant les bases du rôle central de l’État dans l’essor de l’incarcération de masse. De l’affermage des condamnés et du travail pénal à l’époque de Jim Crow au complexe industriel carcéral moderne, la Louisiane a longtemps profité des systèmes qui criminalisent et réifient les corps noirs. En fait, la Louisiane a accueilli la première prison privatisée du pays en 1844, un établissement qui a par la suite fait appel à une main-d’œuvre anciennement esclave à des fins lucratives.

Photographie de 1934 de prisonniers dAngola, prise par le folkloriste Alan Lomax, avec au premier plan le chanteur de blues Huddie « Lead Belly » Ledbetter, emprisonné pour tentative d'homicide, libéré plus tard dans l'année 

L’héritage de l’époque esclavagiste est peut-être incarné de la manière la plus frappante aujourd’hui par le tristement célèbre pénitencier de l’État de Louisiane, mieux connu sous le nom d’« Angola », qui est la plus grande prison de haute sécurité des USA. Il est situé sur le site isolé d’une ancienne plantation d’esclaves, d’une superficie de 18 000 acres [7 284 ha], et continue d’exploiter sa ferme en recourant à la main-d’œuvre carcérale. Des hommes incarcérés, noirs pour la plupart, travaillent la terre pour récolter entre autres du coton, souvent pour quelques centimes de l’heure, dans des conditions difficiles, chaudes et inhumaines, sous la surveillance de gardiens de prison armés et à cheval. C’est une image sinistre, qui s’est reflétée à la frontière du Texas en 2021, lorsque des agents de la patrouille frontalière usaméricaine se sont déplacés à cheval avec des fouets pour poursuivre et capturer des immigrés haïtiens.


Les groupes de pression qui prônent une réforme de la justice pénale ont joué un rôle clé dans la réduction de la population carcérale en Louisiane ces dernières années. Mais aujourd’hui, la détention des immigrants menace de remplacer ces chiffres en baisse, en particulier dans les zones rurales.

L’augmentation de la détention d’immigrants en Louisiane est parallèle à l’utilisation historique des prisons rurales du Sud et des camps de travail pour faire disparaître les personnes marginalisées de la vue du public. Les installations de l’ICE en Louisiane participent à une forme moderne de contrôle racial en détenant des immigrants et des dissidents politiques : ces installations sont transformées en sites où des corps volés sont enfermés à des fins de profit et de punition - loin des yeux, loin du cœur.

Ces centres de détention de Louisiane perpétuent la logique de l’esclavage usaméricain : des corps noirs et bruns, enfermés et exploités dans des communes rurales à des fins lucratives. Les architectes de la politique d’immigration des USA ont commencé à moderniser ce que la Louisiane a perfectionné pendant des siècles : le contrôle par la punition, le profit par l’emprisonnement et le silence par l’isolement.

Ce n’est pas une coïncidence si tant d’organisateurs propalestiniens ont été envoyés en Louisiane. Mais il y a un autre aspect de l’histoire du Sud qui pourrait guider notre réponse. La résistance fonctionne.

L’importance de Jena : un nœud de répression et de résistance

Lorsque nous parlons de la montée du fascisme aux USA et dans le monde, nous nous souvenons que le Sud des USA a conçu le schéma directeur d’une grande partie du fascisme européen et de l’apartheid sud-africain sous la forme de l’esclavage et de Jim Crow. Les systèmes imbriqués de suprématie blanche existent toujours dans le domaine social, dans les écoles, au sein de la police et dans les tribunaux. L’affaire des « 6 de Jena » montre que tous ces systèmes protègent le racisme blanc et tentent de contenir l’indignation des Noirs.

Avant d’être récemment sous les feux de la rampe, la petite ville de Jena, en Louisiane, était surtout connue pour l’affaire des 6 de Jena. En 2006, après que des nœuds coulants ont été accrochés à l’« arbre blanc » du lycée de Jena, six étudiants noirs ont été arrêtés et inculpés de tentative de meurtre pour avoir prétendument battu un jeune Blanc dans un contexte d’escalade des tensions raciales. Le jury était entièrement blanc et Mychal Bell, âgé de 17 ans, a été jugé comme un adulte et reconnu coupable. L’affaire est devenue un point chaud, car le jugement a suscité l’indignation nationale face à l’injustice raciale affichée. Vingt mille personnes se sont rassemblées dans la petite ville de Louisiane le jour de la condamnation de Mychal Bell pour protester contre le procès.


Jena, 20 septembre 2007

Les tensions raciales et les violences liées aux « 6 de Jena » ont commencé juste un an après que l’ouragan Katrina a mis en lumière les réalités du racisme, des décennies après les avancées du mouvement des droits civiques. « Katrina a fait prendre conscience aux Noirs qu’ils étaient des citoyens de seconde zone dans ce pays. Il a mis en lumière les souffrances endurées par les Noirs. Lorsque leurs abris et leurs moyens de subsistance leur ont été enlevés, ils ont été traités de pilleurs et laissés à l’abandon », a déclaré Assata Richards, de l’université de Pittsburgh, à propos de la montée des tensions à Jena à l’époque.

L’affaire des 6 de Jena montre également le pouvoir de la protestation, de l’organisation et de la construction d’un mouvement. Plus de 20 000 personnes sont descendues à Iéna en septembre 2007. Plus de 100 campus à travers le pays ont organisé des manifestations et des débrayages. Ces manifestations massives menées par des jeunes Noirs étaient le signe avant-coureur des manifestations « Black Lives Matter » et des soulèvements en faveur de la justice raciale à venir.

Bien qu’ils aient été accusés de tentative de meurtre et que Bell ait été jugé en tant qu’adulte, les charges retenues contre lui ont finalement été annulées et les autres adolescents noirs n’ont été condamnés qu’à une simple amende. Lorsque nous nous organisons et refusons de permettre aux systèmes répressifs d’isoler et de faire disparaître notre peuple, nous pouvons gagner.

Jena, en Louisiane, et l’industrie pénitentiaire privatisée qui enferme les militants propalestiniens représentent un ensemble de systèmes qui renforcent la suprématie blanche, la rentabilité des prisons et la répression anti-contestation. Ils reflètent un héritage continu de ciblage des personnes marginalisées, en particulier des corps noirs et bruns, à des fins de punition et de contrôle.

Jena témoigne de la réalité multiforme de la répression étatique raciste et de la violence sociale, mais elle peut aussi rappeler le pouvoir de l’organisation pour mettre fin à l’injustice.

Pourquoi nous devons être attentifs

La disparition et les détentions d’organisateurs propalestiniens sont une punition directe pour les puissants campements de jeunes du printemps 2024. Si nous continuons à montrer notre puissance pendant cette période, nous serons confrontés à davantage de répression. Plus de 40 projets de loi anti-manifestations ont été introduits en 2025 à travers les USA. Ces lois viendraient s’ajouter aux lois existantes visant les manifestations, les organisations à but non lucratif, l’entraide et les fonds de cautionnement.

À mesure que les mouvements se développent, la répression de l’État s’intensifie. Et les entreprises privées sont prêtes à en profiter. Le cours de l’action de GEO Group a doublé après les élections de novembre.


Cours des actions GEO GROUP au 1er mai 2025

Le complexe industriel carcéral est une cible majeure contre laquelle nous pouvons nous organiser pour le démanteler. L’omniprésence de l’État policier et des systèmes pénitentiaires élargit la base des personnes qui sont affectées et qui peuvent être organisées pour résister. Des centres de détention de l’ICE à la surveillance de nos quartiers, presque toutes les communautés sont concernées. Les lycéens et les collégiens doivent faire face à une présence policière accrue. La criminalisation de la dissidence est en train d’être codifiée à tous les niveaux de la législation locale, étatique et fédérale.

Les manifestations du mouvement en 2007 ont changé l’issue de l’affaire des 6 de Jena et ont fait progresser la justice raciale. Nous ne pouvons pas rester silencieux aujourd’hui alors que des personnes sont isolées, confinées et expulsées. Nous devons être courageux, et nous devons le faire collectivement.

Les nouvelles quotidiennes sur les disparitions, les détentions et la criminalisation accrue de l’activité des mouvements peuvent être décourageantes. Il est essentiel de comprendre les liens actuels et historiques, et nos stratégies sont plus solides lorsqu’elles s’appuient sur une analyse claire de ce qui se passe, de ceux qui en bénéficient et des forces qui sont affectées et en mouvement. En ce moment de danger à plusieurs niveaux, notre responsabilité est d’évaluer les liens et les modèles afin d’agir de manière décisive et stratégique.

En tant qu’organisatrices, nous posons les questions suivantes : pourquoi des personnes sont-elles enlevées et envoyées dans des prisons lointaines ? Qui profite matériellement de l’expansion de l’État policier ? Que pouvons-nous apprendre de l’histoire sur la manière dont l’opposition se déplace ? Que pouvons-nous apprendre des mouvements qui, aux USA et dans le monde, ont affronté des États autoritaires ?

En tant qu’organisatrices, nous le savons : La solidarité des mouvements est nécessaire pour prévenir et démanteler les États autoritaires.

En tant qu’organisatrices, nous le savons : La solidarité du mouvement est nécessaire pour prévenir et démanteler l’autoritarisme et le système carcéral qui est nécessaire pour le maintenir en place. Démasquez les formes d’expansion de la police, de la surveillance, des prisons et de la détention dans votre communauté et organisez-vous pour les dénoncer et les éliminer.

Le projet sioniste va bien au-delà de l’État d’Israël et de son génocide à Gaza. Alors que les USA soutiennent et aident le génocide, la violence de l’État augmente pour contenir notre résistance. Dans tout le pays, les étudiants luttent contre une répression accrue et des mesures disciplinaires, et les universités font face à des menaces existentielles sur leur autonomie et leur liberté. Un exemple de la portée du sionisme aux USA est le Georgia International Law Enforcement Exchange (GILEE), un programme d’échange de policiers basé sur un campus universitaire qui forme la police usaméricaine aux tactiques militaires de l’apartheid et développe les technologies de surveillance israéliennes à Atlanta. Mais les étudiants de l’université d’État de Géorgie s’organisent pour mettre fin à ce programme.


Juillet 2022: 16 policiers de Géorgie et du Tennessee suivent un stage de deux semaines en Israël dans le cadre du programme 
GILEE, lancé en 1992



Les jeunes établissent des liens et nous montrent à tous comment être courageux, depuis les lycéens qui ont manifesté pour protester contre le racisme des procès de Jena 6 jusqu’à ceux qui luttent contre Cop City à Atlanta, en passant par les campements de 2024. La solidarité et le soutien à l’organisation des jeunes et des étudiants en ce moment sont essentiels pour que nous soyons tous libres.

Mahmoud Khalil, prisonnier politique dans le contexte actuel de montée du contrôle autoritaire, nous le rappelle : « Les étudiants sont depuis longtemps à l’avant-garde du changement : ils ont mené la charge contre la guerre du Viêt Nam, se sont tenus en première ligne du mouvement pour les droits civiques et ont mené la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui encore, même si le public ne l’a pas encore pleinement compris, ce sont les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice ».

Jena, 15 avril 2025