17/05/2021

L'empire financier prospère de Mohammed VI

Francisco Peregil, El País, 16/5/2021
Traduit par Fausto Giudice

Journaliste au quotidien  espagnol  El Pais, Francisco Peregil est correspondant de ce journal pour le Maghreb, basé à Rabat, Maroc. Il est aussi l'auteur de plusieurs romans et essais.

 La holding du roi du Maroc est l'une des plus puissantes d'Afrique, avec des intérêts dans la banque, l'assurance, le tourisme et la téléphonie.

La fortune du roi Mohammed VI et de sa famille s'accroît chaque fois qu'une personne vivant au Maroc ou dans d'autres pays africains accomplit un simple geste quotidien, comme déposer de l'argent à la banque Attijariwafa, la plus grande du pays et l'une des plus présentes sur le continent. Ou lorsqu'une personne souscrit une police auprès de sa filiale Wafa Assurance, le premier assureur du Maroc.

Le capital du roi augmente également chaque fois qu'une personne fait des achats dans le principal hypermarché du Maroc, Marjane, qui compte 100 points de vente dans 30 villes ; lorsqu'elle fait installer une ligne téléphonique ou Internet par le deuxième opérateur du pays (Inwi) ; ou lorsqu'elle séjourne dans un hôtel de la chaîne Atlas, présente dans les principales villes du Maroc.

Le patrimoine du roi et de sa famille peut également bénéficier lorsqu'une municipalité, une entreprise ou un particulier achète du ciment à la filiale marocaine du groupe franco-suisse LafargeHolcim, le plus grand cimentier du monde, auquel est associé le groupe d’entreprises du monarque. Ou lorsque quelqu'un commande des matériaux de construction à la société Sonasid (Société Nationale de Sidérurgie), leader sur le marché marocain de l'acier.

Toutes ces sociétés appartiennent au groupe Al Mada, du moins comme indiqué jusqu'à mercredi sur son site officiel, après quoi la page est devenue blanche. Ce fonds d'investissement a changé plusieurs fois de nom depuis sa création en 1966, sous Hassan II. À partir de 2018, il s'est présenté sous le nom d'Al Mada (perspective, en arabe) et a abandonné l'ancien nom SNI. Il prétend être l'un des plus grands fonds d'investissement du continent, déclare son siège à Casablanca et affirme que son identité est, avant tout, africaine. 

Le nom du roi n'apparaît pas sur le site ouèbe du groupe. Cependant, le nombre de 24 pays africains dans lesquels il est implanté se distingue par son importance.


Sept secteurs

Al Mada se développe dans sept secteurs, avec différentes participations du monarque et de sa famille : les services financiers (Al Mada détient 46% d'Attijariwafa Bank, selon l'hebdomadaire Jeune Afrique en 2020, citant l'agence de notation Fitch), les matériaux de construction, la distribution, les mines (société Managem), l'immobilier et le tourisme, l'énergie (société Nareva) et les télécommunications (Inwi).

Par ailleurs, Al Mada possède une fondation du même nom à travers laquelle le groupe a fait don en mars 2020 de l'équivalent de 200 millions d'euros pour le fonds spécial dédié au Maroc à la lutte contre le covid-19. Plusieurs médias locaux ont rapporté à l'époque qu'Al Mada avait fait ce don, « sur les instructions de Sa Majesté le Roi ». La fondation a également offert un million de masques FFP2 au personnel de santé du pays et distribué 50 000 paniers alimentaires au cours du mois de mai 2020.

Le groupe de la famille royale présentera lors de la prochaine assemblée générale prévue le 25 mai prochain à ses actionnaires un résultat historique pour l'exercice 2020 équivalent à 302 millions d'euros, dépassant son précédent record établi en 2018, selon le site parisien Africa Intelligence. Ce site, qui suit de près les comptes du roi, assure que la pandémie n'a eu aucun effet sur Al Mada.

Les origines d'Al Mada remontent à deux autres groupes liés au palais royal et cotés à la bourse de Casablanca : l'ONA et la Société Nationale d'Investissements (SNI). L'actionnaire majoritaire de SNI était un autre groupe personnel du roi, appelé Siger (anagramme de Regis, qui signifie roi en latin), fondé en 2002. ONA et SNI ont fusionné en 2010, ont été renommées SNI et ont été radiées de la bourse. Cette année-là, Ahmed Benchemsi, alors rédacteur en chef du L'hebdomadaire Tel Quel, aujourd'hui responsable pour le Maghreb et le Moyen-Orient à Human Rights Watch (HRW), a prévenu que les Marocains ne seraient plus en mesure de suivre l'évolution de la fortune du monarque.

Un journaliste, qui préfère taire son nom, note : «  La création d'Al Mada en 2018 était avant tout une opération de marketing. Le Palais devait changer le nom précédent (SNI), qui était trop étroitement lié à la famille royale. Et c'est tout ce qui a été fait, changer le nom. 60% de la SNI appartenait à Copropar, un groupe qui comprend les avoirs du Roi (à travers les holdings Siger et Ergis), ceux de son frère, Moulay Rachid (à travers Providence Holding) et ceux de ses trois sœurs : Lalla Meryem (Unihold), Lalla Asma (Yano Participation) et Lalla Hasna (Star Finance) ».

A la page 20 des 330 pages du document correspondant à l'exercice 2019 de la société minière Managem, il est détaillé que 81,4% de Managem appartiennent à Al Mada. Et la page 21 montre la composition de l'actionnariat d'Al Mada : Copropar apparaît comme le propriétaire de 42% des actions d'Al Mada et Siger de 4,8%.

Le journaliste précité précise : « Mohamed VI peut percevoir à travers Siger des bénéfices encore plus importants que ceux qu'il obtient avec sa participation à Al Mada. Parce que Siger lui appartient à 100%. Siger est composé de 70 filiales, qui ne sont pas inscrites à Al Mada. Les entreprises de Siger travaillent dans le développement urbain, l'agriculture ou le tourisme, avec des hôtels de luxe... ».

Plusieurs sources marocaines ont déclaré à ce journal que le roi est le plus grand propriétaire foncier du pays, le plus grand propriétaire de terres tant urbaines qu’agricoles. Mais les mêmes sources admettent qu'elles n'ont aucun moyen de le prouver.

Dans la liste des 500 plus grandes entreprises d'Afrique, publiée en 2020 par l'hebdomadaire Jeune Afrique sur la base des comptes 2018, Al Mada apparaît à la 37e place, derrière l'OCP, la grande entreprise publique marocaine de phosphate, qui n'appartient pas à Al Mada et se classe 14e. La première place revient à la compagnie nationale algérienne d'énergie Sonatrach.

L'Afrique est le continent où Mohammed VI a effectué le plus de voyages officiels, une cinquantaine en 20 ans. L'objectif du roi sur le continent n'est pas seulement économique mais aussi géostratégique. Le Maroc tente de trouver des alliés en Afrique pour combattre l'influence de l'Algérie, principal protecteur du Front Polisario, une organisation avec laquelle il mène un conflit armé au Sahara occidental.

Les activistes marocains du printemps arabe de 2011 ont brandi certains slogans visant le roi, tels que « le pouvoir ou la fortune ». En 2007, le magazine Forbes avait classé Mohammed VI comme le septième monarque le plus riche du monde, devant Albert de Monaco (9e) et Elizabeth II d'Angleterre (12e). Plus tard, plusieurs médias ont rapporté que la fortune de Mohamed VI avait été multipliée par cinq au cours de ses neuf premières années sur le trône.

Le site Le360, proche de Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi et, depuis 2001, président de Siger, affirmait dans un article de 2016 que la SNI a versé 4,3 % des recettes fiscales de l'État dans les caisses publiques en 2014. Il a ajouté : « Cela en fait un acteur clé de la croissance du pays et de la lutte contre les inégalités sociales ».

Au-delà de ses investissements commerciaux, la fortune de Mohammed VI suscite souvent l'intérêt de la presse internationale. Le Monde a publié un article en 2015 dans le cadre des fuites connues sous le nom de SwissLeaks. Il a indiqué que Mohammed VI avait ouvert un compte à son nom auprès de la banque suisse HSBC pour un montant de 7,9 millions d'euros. Le journal a rappelé qu'il est illégal pour les Marocains résidant au Maroc d'ouvrir des comptes à l'étranger. Deux des avocats du monarque ont écrit une lettre au Monde dans laquelle ils assurent que les sommes ont été transférées "en toute transparence" vis-à-vis des autorités marocaines.

Ce journal a essayé sans succès à plusieurs reprises de contacter un responsable d'Al Mada.

Dilem, Liberté, Algérie,  21/02/2015

 

 

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