Alors que les feux de l’actualité sont braqués sur la Syrie et que l’écrasante majorité des « informations » circulant dans les médias internationaux sont produites par des personnes ignorant tout ou presque tout de l’histoire syrienne, il nous a semblé utile de donner la parole à Rim al-Attrache, une habitante de Damas, descendante d’une longue lignée de combattants, pour qu’elle nous parle de son père Mansour (1925-2006) et de son grand-père Sultan Pacha (1888-1982), dont l’histoire peut éclairer l’état actuel du pays.
Propos recueillis par Fausto Giudice, Tlaxcala
Rim, peux-tu vous présenter, toi et ta lignée ?
Dans l’introduction de mon premier roman, en arabe, intitulé « Jusqu’à la fin des temps », j’ai écrit ce qui suit : « Je suis une personne qui essaie de combiner l’islam et le christianisme dans son cœur, et je crois que la religion appartient à Dieu et que la patrie appartient à tous ».
Un jour, l’avocat syrien Najat Qassab-Hassan, m’a posé cette question : Rim, quelle partie de toi est druze et quelle partie est chrétienne ? Je lui ai répondu sans la moindre hésitation : Je suis divisée, verticalement, en deux, et je peux déplacer mon cœur tantôt à droite, et tantôt à gauche.
Je suis l’arrière-petite-fille du martyr Zoukan al-Attrache, l’un des chefs de résistance contre les Turcs (1910). Il a été condamné à mort et exécuté s à la place Merjé, à Damas par Jamal Pacha, dit Le Boucher meurtrier.
Je suis la petite-fille de Sultan al-Attrache, chef de la Grande Révolution syrienne (1925) contre le Mandat français.
Enfin, je suis la fille de Mansour al-Attrache, politicien syrien, l’un des premiers Baathistes, en 1945, et membre du conseil fondateur du parti Baath en 1947.
Que faut-il savoir sur Sultan Pacha, auquel tu as consacré une série de 5 volumes (éditée au Liban), basée sur les archives de votre famille ?Sultan al-Attrache a explicitement rejeté les mandats français et britanniques devant la Commission King-Crane (1919), lorsque celle-ci lui a rendu visite au Djebel al-Arab (dit Djebel Druze) pour sonder l'opinion des habitants de la région.
Il rassembla les cavaliers pour aider l’armée syrienne, dirigée par le ministre de la Guerre, Yusuf al-Azma, le 24 juillet 1920, à Mayssaloun. Les cavaliers de Djebel al-Arab , dirigés par Sultan al-Attrache, arrivèrent dans le village Sijen, et même quelques-uns atteignirent Braq (40 km au sud de Damas), où Sultan, apprenant le meurtre de Yousef Al-Azma, déclara : « Perdre une bataille ne signifie pas perdre la guerre. ».
Sultan al-Attrache voulait alors organiser la résistance au Djebel al-Arab sous la bannière de la légitimité en Syrie. C'est pour cette raison qu'il invita le roi Fayçal Ier à s'installer là-bas au lieu de partir pour l'Europe, en 1920. Mais le roi répondit au messager de Sultan, en disant : « Il est trop tard » !
Sultan a également demandé à Ibrahim Hanano (chef des rebelles du Nord) de rester chez lui pour organiser la résistance contre l'occupation française, lorsqu'il est venu lui demander protection en 1922, mais Hanano a voulu se rendre en Jordanie.
La Grande Révolution syrienne éclata dans le dernier tiers de juillet 1925, mais elle attira l'attention du monde entier après la bataille de Mazraa contre l’armée du général Michaud, au début du mois d'août de la même année. Les Européens ont commencé à envoyer des journalistes d’Allemagne et d’autres pays européens en Syrie, et plus précisément au Djebel al-Arab, pour découvrir la vérité sur ce qui s’était passé. C’est seulement à ce moment-là que les nationalistes arabes ont commencé à s’intéresser à ce qui se passait !
Il est important de noter qu'après la bataille de Mazraa, les autorités françaises ont été contraintes de demander une trêve et une cessation des hostilités, avant que les dirigeants du mouvement national à Damas ne répondent à l'appel à la révolution du Djebel al-Arab , dans le but de l'étendre à toute la Syrie et au Liban.
Sultan al-Attrache a déclaré aux deux journalistes allemands du journal Vössische Zeitung, venus photographier le site de la bataille de Mazraa, ce qui suit : « Les Français ne cherchent pas sérieusement la paix dans leurs négociations. Même les conditions modérées présentées par notre délégation n'obtiendront rien d'essentiel du général Sarrail. Ils veulent nous distraire jusqu'à l'arrivée de leurs nouvelles forces militaires, qu'ils ont fait venir de France ou de leurs colonies voisines. Quant à nous, nous ne restituerons pas les armes capturées sur le champ de bataille tant que nous serons en vie. Nous ne nous satisferons de rien de moins que de l'indépendance et de l'unité complète de la Syrie et de l'établissement d'un gouvernement national constitutionnel. La mission de l'État mandataire doit se limiter à fournir une assistance et des conseils techniques et administratifs, par l'intermédiaire de conseillers et d'experts qualifiés, en application de ce qui a été stipulé dans le Pacte de la Société des Nations en 1919 concernant le mandat. ». La condition posée par Sultan al-Attrache pour les négociations avec les Français était qu'elles ne devaient pas dépasser trois jours.
Ainsi, l’intérêt, sérieux, arabe et européen pour la Grande Révolution syrienne a commencé après la bataille de Mazraa (2-3 août 1925). L’armée du général Henry Michaud comptait 13 000 soldats et officiers français, et ils furent sévèrement défaits par environ 400 combattants rebelles de Djebel al-Arab . C'est ce qu'a déclaré l'un des soldats d'origine marocaine, qui a participé à la campagne de Michaud et a été capturé : il l'a confirmé au commandant en chef de la révolution syrienne, Sultan al-Attrache. Il rejoint plus tard les rangs des révolutionnaires pour combattre les Français. Les forces nationales ont décidé de choisir Sultan al-Attrache comme commandant général de cette révolution. C'est ici que fut publiée la célèbre déclaration du commandant en chef, « Aux armes », le 23 août 1925, dans laquelle il était souligné que le premier objectif de la révolution était d'unifier la Syrie, à la fois sur la côte et à l'intérieur, ce qui signifiait rejeter la division de la Syrie sur une base confessionnelle, religieuse et ethnique, et que le deuxième objectif était l'indépendance complète. Le slogan de la révolution c’est : « La religion est à Dieu et la patrie est à tous. »
Tout au long de sa vie, Sultan n’a jamais abandonné ce slogan qu’il avait lancé ; pour lui, il est resté inébranlable, en paroles et en actes. Ce slogan était une gifle aux colonialistes français, prétendant faussement la croyance en la laïcité. Ce slogan était une réponse claire au rejet de la division du pays, planifiée par l'accord Sykes-Picot, qui a également abouti à la déclaration Balfour, que Sultan al-Attrache a complètement rejetée.
Lors des préparatifs des batailles, Sultan al-Attrache élaborait des plans militaires en consultation avec les commandants de terrain, en fonction de la zone où se déroulaient les batailles, et en fonction du positionnement des forces ennemies, de leur nombre et du volume de leurs munitions. Il était également toujours en coordination avec les commandants qu'il envoyait en campagne à l'extérieur du Djebel, et sa responsabilité était de leur assurer des munitions et de l'équipement.
Il est important de souligner que les négociations des hommes politiques syriens avec les autorités du mandat français dépendaient de la fermeté des révolutionnaires sur le terrain. La politique est, sans doute, d’une grande importance, mais la Grande Révolution syrienne, qui a surpris tout le monde, des politiciens nationalistes syriens et libanais aux politiciens français et européens, a commencé à imposer sa présence, surtout après la bataille de Mazraa. Tous les nationalistes se référaient toujours, dans leurs négociations, à l'avis de Sultan al-Attrache, qui consultait les révolutionnaires pour élaborer une opinion représentant tout le monde.
Tout au long de sa vie, Sultan al-Attrache n’a jamais employé « je », mais plutôt « nous ». Cela indique l’effacement de soi et l’incapacité à nier le rôle des autres !
Le 25 octobre 1929, pendant la période d'exil, se tint à Haditha, dans le Wadi al-Sirhan, la « Conférence du désert », convoquée par Sultan al-Attrache. Des personnalités nationales de partis et d'organisations y ont participé. La conférence a pris des décisions très importantes qui ont eu un impact significatif sur le développement de la vie politique en Syrie, et sur le cours que les événements et les négociations ont pris par la suite, conduisant à l'évacuation.
Sultan al-Attrache et les révolutionnaires en exil ont insisté pour que cette conférence soit libre de toute influence étrangère et adhère aux principes des droits de l'homme, et que la Syrie reste attachée à ses droits légitimes et à son unité nationale globale dans la quête de libération du colonialisme. A l’issue de cette conférence, une résolution en six points a été annoncée, dans laquelle les révolutionnaires stationnés dans le désert ont condamné la suspension des travaux de l'Assemblée constituante en Syrie et les déclarations d’Henry Ponsot [Haut-commissaire de France au Levant, 1926-1933], ignorant la question nationale syrienne. La conférence a également dénoncé les décisions invalides du Congrès sioniste de Zurich [1929] et les attaques des Juifs contre les Arabes, appelant le gouvernement travailliste britannique à révoquer la célèbre Déclaration Balfour et à reconnaître les droits nationaux des Arabes et leur souveraineté dans leur propre pays afin d'assurer la paix mondiale et d'encourager des relations modernes entre les peuples, comme l'a fait la Grande-Bretagne en Égypte et en Irak. La conférence a également remercié les Arabes de la diaspora soutenant financièrement la patrie et les révolutionnaires et leurs familles, en exil.
Sultan al-Attrache croyait que la Grande Révolution syrienne avait duré douze ans, de 1925 à 1937, car son refus de rendre les armes, avec ses camarades révolutionnaires, signifiait que la résistance continuerait et qu'ils ne se rendraient pas au colonialisme. Les hommes politiques lui écrivirent également fréquemment pour lui demander son avis durant son exil de dix ans, de 1927 à 1937, durant lequel il a appelé à l'unification du monde arabe, afin de « parvenir au succès de la cause syrienne, qui est le noyau de l'unité arabe ». Cela est considéré comme une prise de conscience claire de l’importance de parvenir à l’unité entre les Arabes. Durant cette période, il a résisté à d’énormes tentations, malgré toutes les difficultés qu’il a subies, avec sa famille, ses camarades et leurs familles !
Je mentionne ici que le responsable britannique, agissant en tant que représentant du roi George V, a rencontré Sultan al-Attrache à Azraq en 1927 pour discuter de la question de la déportation des révolutionnaires qui refusaient de rendre leurs armes. Ce représentant tenta de convaincre Sultan de la nécessité de mettre fin à la révolution sans condition et lui fit une offre royale, dont l'essentiel était qu’il vivrait dans un palais privé à Jérusalem, en plus d'un salaire mensuel lucratif à vie qui lui garantirait une vie confortable aux frais de l'Empire britannique. Mais Sultan a répondu : « Notre bonheur réside dans l’indépendance et l’unité de notre pays, la liberté de notre peuple et le retrait des forces étrangères du pays ». Lors de cette rencontre, le représentant du roi George V n'a pas oublié d'apporter avec lui de la nourriture et des boissons délicieuses et de les mettre devant les rebelles assoiffés et affamés. Cependant, les rebelles, sur ordre de Sultan, ne les ont pas touchés du tout. Sultan a refusé l’offre généreuse royale, ainsi que la nourriture !
Dans l’un des documents du ministère britannique des Affaires étrangères, pendant le mandat, se trouvant aux archives de la Bibliothèque nationale, le consul britannique au Levant a admis à son ministère des Affaires étrangères que Sultan al-Attrache avait obstinément refusé de coopérer avec la Grande-Bretagne malgré les tentatives répétées et persistantes des autorités. Il a écrit : « Sultan al-Attrache ne s’achète pas. »
Sa position sur l’enseignement était ferme ; en exil, il s'efforçait de faire en sorte que les fils et les filles des révolutionnaires soient éduqués et qu'une école soit construite pour eux dans le désert. Il a également fait don d’un terrain pour construire une école dans son village natal (Quraya) après son retour d’exil.
La Palestine et le plateau du Golan étaient son obsession jusqu’à la fin de sa vie.
Sultan al-Attrache a soutenu l'unité entre la Syrie et l'Égypte et la lutte du parti Baath.
De 1918 à 1946, il refusa à la fois le poste et l’argent. Il recommanda au défunt président Chukri al-Quwatli de préserver l’indépendance du pays pour la libération duquel les révolutionnaires avaient tant sacrifié ! Il réitéra cette recommandation plus tard, en 1960, devant le président Gamal Abdel Nasser. En 1981, devant le président Hafez al-Assad. Il a écrit cette recommandation dans son testament politique, diffusé par son fils Mansour devant le cortège funèbre d'un million et demie de personnes, au stade municipal de Sweida, le 28 mars 1982.
Sultan al-Attrache a signé la célèbre Charte nationale, qui a été signée par des personnalités nationales bien connues de toute la Syrie, notamment feu Hachim al-Atassi, dont le petit-fils, Radwan al-Atassi l'a publiée dans la biographie de son grand-père. Cette charte nationale comprenait les principes suivants :
1- Condamner le pouvoir individuel autoritaire et ne pas se conformer à ce qu’il édicte.
2- Exiger des élections justes qui établissent un régime constitutionnel et démocratique.
3- Respecter les libertés publiques et l’État de droit pour tous.
4- Protéger l’indépendance et la souveraineté.
5- Renforcer l’armée et limiter sa mission à la défense de la patrie et de sa sécurité.
Suite à cela, le colonel Adib Chichakli a lancé une campagne militaire injuste contre la population du gouvernorat de Soueïda, croyant qu'en agissant ainsi, il consoliderait les piliers de son pouvoir, contre lesquels tous les citoyens libres de la plupart des partis (y compris le parti Baath et le parti communiste) avaient lutté.
Une centaine de martyrs non armés ont été tués au Djebel al-Arab pendant la campagne militaire (1954). Sultan al-Attrache a quitté son village et s'est dirigé vers la Jordanie pour éviter de nouvelles effusions de sang. Il a alors prononcé sa célèbre phrase : « Je refuse d'affronter les militaires de l'armée syrienne, car ce sont mes fils ! ». Sultan et ses compagnons ont marché, sous des chutes de neige, jusqu'en Jordanie. Il avait 66 ans à l’époque. À son arrivée à la frontière jordanienne, le gouvernement lui a envoyé une voiture sur laquelle flottait le drapeau britannique, mais il a refusé d'y monter, même s'il était poursuivi et que sa vie était en danger. Mais non, même dans les circonstances les plus difficiles, Sultan al-Attrache ne faisait pas appel aux étrangers ! Le gouvernement jordanien a été contraint d’envoyer une autre voiture avec le drapeau jordanien flottant dessus. Il accepta de la prendre avec ses compagnons, et ils entrèrent en Jordanie. Sultan et ses compagnons y sont restés jusqu'à ce que Chichakli quitte le pays ! Il revint victorieux au village.
Lorsque les gens sont venus le féliciter pour le meurtre de Chichakli, il leur a dit : « Je n'ai plus aucun lien avec lui depuis qu'il a quitté le pouvoir. Son assassinat était un acte individuel, et nous ne cherchons pas à nous venger ni à nous réjouir de sa mort ! »
Ce sont trois leçons exemplaires que Sultan al-Attrache a laissées aux Syriens d’aujourd’hui !
Dans un document des archives de ma famille, que j'ai éditées et publiées à la maison d’édition Abaad à Beyrouth, en cinq volumes, Sultan a écrit, en 1961 : « Ils ont dit que nous avons récolté le fruit de notre lutte, le fruit de cet arbre dont nous avons arrosé le sol avec notre sang. Non, ce fruit n’est pas encore mûr. Notre lutte est à l’état de fleur et n’a pas encore porté ses fruits, parce que nous ne nous sommes pas tous unis en tant qu’Arabes pour les récolter ensemble. Fils de la révolution et enfants du désert, c'est ainsi que nous nous sommes voués à être des sacrifiés sur l'autel du nationalisme arabe. Cet arbre ne portera pas de fruits tant que ses branches seront couvertes d’insectes… Il ne portera pas de fruits tant que la voix de la liberté de la Palestine ne s’élèvera pas pour éloigner le spectre des ambitions coloniales, concernant l’Irak, l’Égypte et la Jordanie. Après cela, quel fruit délicieux et mûr, symbole des générations qui ont porté le flambeau de la civilisation, dont la lumière ne s'éteindra jamais ».
Sultan al-Attrache s’est toujours méfié des ambitions coloniales qui prenaient mille formes. Il a laissé, alors, un testament politique à cet effet.
Venons-en à ton père Mansour, fils de Sultan. Résume-nous son parcours
Il a étudié les sciences politiques et l'histoire à l'Université américaine de Beyrouth ; il a étudié le droit à l'Université de la Sorbonne à Paris. Il a été emprisonné pour des raisons politiques à trois reprises : en 1952 et 1954 à l'époque d'Adib Chichakli, et en 1966 après le Mouvement du 23 février. Il a vécu, ensuite, en exil à Beyrouth entre juillet 1967 et avril 1969, date à laquelle il est retourné à Damas.
Il est nommé ministre du Travail et des Affaires Sociales en 1963. Il était membre du Conseil présidentiel en 1964. Il a refusé d'accepter le poste de ministre à plusieurs reprises, notamment pendant la période de 1961 à 1963. Membre des directions régionales et nationales du parti. Il était président du Conseil National de la Révolution 1965-1966. Il a pris sa retraite et a travaillé dans l'agriculture.
Il était Président du Comité arabe syrien pour la levée du siège et le soutien à l'Irak de 200 à 2006 et membre fondateur du Comité de soutien à l'Intifada de 2000 à 2006.
Il était marié à l'enseignante, à l’École Normale Supérieure, Hind al-Choueiri, chrétienne orthodoxe de Damas, et il a eu deux enfants : Thaer (ingénieur civil) et moi, Rim (traductrice et écrivaine).
Dans une interview publiée au quotidien Al Khalij, le 23 mai 1993, Mansour al-Attrache a déclaré ce qui suit :
« Nous sommes responsables et notre génération est condamnée. Si, un jour, j’écris mes mémoires, je les intitulerai “La génération condamnée” .
« Condamnée pourquoi ? Parce que nous, en tant que génération, n’avons pas été fidèles aux objectifs que nous avions fixés pour le parti Baath, et nous n'avons pas été fidèles à la voie honnête vers ces objectifs. Nous nous sommes noyés dans des excuses pour nous protéger de la chute du pouvoir, et nous sommes donc tombés moralement et éthiquement. Nous ne ressentons plus aucun lien entre nous et la première image du parti Baath...
« Sur le plan personnel, je peux dire que je suis tombé avec la génération, mais je me suis sauvé en tant qu’individu. Je n’ai violé les droits de personne, je n’ai pas changé et je ne me suis pas noyé dans les tentations du pouvoir. De ce point de vue, j’ai la conscience tranquille et je me considère libéré des maux de cette expérience, ce qui a renouvelé ma détermination à entreprendre une œuvre nationale, d’ambition modeste, qui répond aux nécessités de la phase actuelle que traverse la Nation arabe.
« Mais je crois franchement que le salut d’un individu face à toute lacune dans le travail national ou à toute accusation morale dans le cadre de son travail politique, n’a pas beaucoup de valeur, car l'individu, malgré son rôle parfois important dans le travail politique, ne peut pas sauver la génération de sa responsabilité dans l'échec ».
À ton avis, qu’auraient fait Sultan et Mansour dans la Syrie de 2025 ?
Mon grand-père Sultan et mon père, Mansor, croyaient en l’unité de la Syrie et du Levant, ainsi qu’en la nécessité d’une intégration entre les pays du monde arabe, pour former une force politique et économique significative. Ils ne peuvent donc pas être convaincus par la division et la fragmentation du pays, sur une base confessionnelle et ethnique. Je crois plutôt que s’ils étaient présents en Syrie aujourd’hui, ils auraient œuvré pour soutenir le dialogue national entre les Syriens afin de parvenir à une constitution qui protège la citoyenneté, et de préserver la liberté, l’indépendance et le pluralisme, dans le but de consolider la démocratie participative et la séparation entre les trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Ils auraient œuvré aussi pour réaliser la confédération du Levant, basée sur un programme national clair. Ils auraient également souligné la nécessité de libérer la Palestine du fleuve à la mer, et d’expulser toutes les armées étrangères se trouvant maintenant en Syrie et dans tout le Levant.
Comment définir l’être Druze dans le monde d’aujourd’hui, où les Druzes, comme tous les Syriens, les Palestiniens et autres, sont devenus un « peuple-monde », présent du Venezuela (où on les appelle les Bani Zuela) à la Scandinavie et à l'Australie, en passant par la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine, dite « Israël » ?
Le nombre d’expatriés du Levant est très important, notamment depuis la guerre civile libanaise, ainsi que depuis 2011 en provenance de Syrie, depuis 1948 en provenance de Palestine et depuis 1967 en provenance du plateau du Golan, en raison de l’occupation sioniste. Les Druzes de la diaspora sont, pour la plupart, des Syriens, des Libanais, des Palestiniens, des Jordaniens et, finalement, des Arabes. Quant aux nouvelles générations, elles appartiennent au pays d’expatriation dans lequel elles se trouvent et se sont largement intégrées. Il existe cependant un fil très fin qui relie encore la plupart d’entre eux au patrimoine de leur pays et à leur communauté religieuse. Cela s’est clairement manifesté, par exemple, par leur soutien matériel et moral des druzes en Syrie pendant l’épreuve syrienne qui dure depuis 2011 et qui continue encore aujourd’hui, d’autant plus que le peuple syrien est aujourd’hui à 90 % en dessous du seuil de pauvreté !
Quels sont les rapports entre les Druzes du Djebel Druze, du Golan, de Damas, du Liban et de la Palestine de 1948, dite « l’Israël » d’aujourd’hui ?
Les monothéistes ou les Druzes ne s'abandonnent jamais. Il s’agit des mêmes familles, réparties en Syrie, sur le plateau du Golan syrien occupé, au Liban, en Jordanie et en Palestine occupée. À l’origine, il s’agissait de tribus arabes venues du Yémen, et elles constituent une confession islamique du chiisme des sept Imams. Les monothéistes n’abandonnent pas leurs terres ni leurs armes, car les armes protègent la terre et l'honneur, et ils ne s'abandonnent pas, en raison de leur parenté et de leur nombre restreint. On constate donc que, dans le cas d’une menace existentielle pour certains d’entre eux, ils se rangent tous du côté de celui qui se trouve sous cette menace. C’est ce qui s’est passé, par exemple, en 1982 au Mont Liban.
Peut-on rêver à une confédération transnationale druze ?
Je ne crois pas que ce soit un rêve politique druze. Car tout au long de leur histoire, les Druzes ont adopté des positions patriotiques pour construire un État national et se libérer du colonialisme occidental et turc.
As-tu autre chose à ajouter ?
J’aimerais ajouter ici une partie du testament politique de Sultan al-Attrache, seul révolutionnaire syrien à avoir laissé un tel testament :
« Je vous dis, chers Syriens et Arabes, que vous avez devant vous un long et difficile chemin, exigeant deux types de djihad : le djihad contre votre instinct confessionnel et le djihad contre l’ennemi. Soyez donc patients, comme les hommes libres, et que votre unité nationale, et la force de votre foi soient votre chemin pour repousser les complots de l’ennemi, expulser les usurpateurs et libérer le pays. Sachez que préserver l’indépendance est votre responsabilité, après que de nombreux martyrs sont morts pour elle et que beaucoup de sang a été versé pour l’obtenir. Sachez que l’unité arabe est force et puissance, qu’elle est le rêve de générations et la voie du salut. Sachez que ce qui a été usurpé par la force sera rendu par l’épée, que la foi est plus forte que toute arme, que l’amertume dans la gloire est plus douce que la vie dans l’humiliation, que la foi est chargée de patience, préservée par la justice, renforcée par la certitude et fortifiée par le djihad.
Sachez que la piété est pour Dieu, que l’amour est pour la terre, que la vérité victorieuse, que l’honneur est dans la préservation des mœurs, que la fierté est dans la liberté et la dignité, que le progrès est par la connaissance et le travail, que la sécurité est par la justice, et que la coopération fait la force ».