Se préparer à la guerre
Le
ministre de la Défense,
Yoav Gallant,
a déclaré lors de la conférence qu’Israël se préparait à ce qu’il a décrit
comme une “guerre difficile, complexe et sur plusieurs fronts”. Il a accusé les
Gardiens de la révolution iraniens de “transformer des navires commerciaux
civils en bases militaires, en transporteurs de drones et en bases terroristes maritimes
au Moyen-Orient”.
Il
est intéressant de noter que ces menaces semblent avoir suscité plus d’intérêt
de la part des médias étrangers que de la part des médias israéliens.
Gallant
a ajouté : « Ces plates-formes terroristes maritimes représentent une
extension du terrorisme maritime de l’Iran dans le golfe Persique et la mer d’Arabie,
avec l’ambition d’étendre sa portée à l’océan Indien, à la mer Rouge et
peut-être même à la mer Méditerranée ».
Gallant propose une “solution” : « Seules
la coopération internationale et la mise en place d’une coalition contre le
terrorisme iranien dans le Golfe, ainsi qu’une menace militaire réelle contre
chaque front, permettront d’affronter le plus efficacement possible le
terrorisme iranien, que ce soit dans les airs, en mer ou sur terre ».
Par ailleurs, le chef de la direction du
renseignement militaire, le général Aharon Haliva, a lancé un avertissement : « Nasrallah
est sur le point de commettre un faux pas qui pourrait plonger la région dans
une guerre importante ». Il a évoqué un incident
récent
impliquant un combattant du Hezbollah qui a franchi la frontière israélienne et
posé un engin explosif près du carrefour de Megiddo, à l’intérieur du pays, disant
qu’il n’était ni accessoire ni unique.
Haliva a souligné que l’Iran continuait d'avancer dans ses ambitions
nucléaires, en progressant dans l’enrichissement de l'uranium. Il a déclaré : « Nos
évaluations indiquent que l’Iran n’a pas encore pris la décision définitive d’obtenir
des armes nucléaires. Israël reste vigilant et suit de près tous ces
changements ».
Haliva a ajouté que le retour de la Syrie au
sein de la Ligue
arabe,
ainsi que le réchauffement des relations et la visite du président Bachar Al Assad
en Arabie saoudite, laissent présager une remontée du moral et de l’assurance
des Syriens, ce qui pourrait renforcer le défi que représente la Syrie pour
Israël.
Dans
une contradiction apparente, la rhétorique exacerbée menaçant d’une guerre
préemptive imminente contraste fortement avec la nature même de la guerre
préemptive, qui repose traditionnellement sur des éléments de tromperie et de
surprise.
La
perception unilatérale selon laquelle le Hezbollah a été dissuadé depuis 2006,
associée aux affirmations de la conférence d’Herzliya selon lesquelles il est
désormais plus audacieux dans sa confrontation avec Israël, néglige un point
essentiel, à savoir qu’Israël lui-même aurait pu être dissuadé. La dissuasion
est en effet une voie à double sens. Cette notion a d’ailleurs été illustrée
par la récente résolution
de la
crise du gaz en Méditerranée orientale, ainsi que par le barrage
de missiles
qu’Israël a essuyé depuis le Sud-Liban il y a quelques semaines.
Plusieurs
analystes militaires soutiennent que le mandat de Netanyahou
en tant que premier ministre pendant la majeure partie de la dernière décennie,
en particulier ses efforts pour saper l’accord sur le nucléaire iranien jusqu’à
son abandon par l’administration Trump, a peut-être posé par inadvertance un
risque stratégique pour Israël.
Cette affirmation découle de l’observation
que le rythme de l’enrichissement de l’uranium et le développement de missiles
à longue portée en Iran se sont tous deux accélérés, à la suite du retrait des USA
de l’accord. Ils
ajoutent que tout acte d’agression contre l’Iran pourrait inciter ses
dirigeants à accélérer l’achèvement de son projet nucléaire militaire, ce qui
est tout à fait contraire aux intérêts stratégiques d’Israël.
Emad Hajjaj Motivations politiques
L’analyste
politique israélien Ronel Alfer et l’analyste militaire Amir
Oren
affirment dans Haaretz que la position adoptée par les dirigeants
militaires, les institutions de sécurité et le gouvernement actuel est
principalement destinée à l’opinion publique israélienne. Selon les analystes,
la menace de guerre est devenue un cliché, bien qu’elle prévienne efficacement
l’insubordination militaire potentielle parmi les pilotes.
Ils
estiment en outre que ce climat d’alerte accrue aide Netanyahou à atteindre son
objectif, qui est d’écarter ses rivaux politiques, tels que Ben-Gvir et le
parti Otzma Yehudit (Pouvoir juif), et d’intégrer le chef de l’opposition, Benny
Gantz, dans un gouvernement de coalition d’urgence. Ils estiment en outre que l’intégration
de Gantz dans le gouvernement pourrait obtenir l’approbation de l’administration
Biden.
Alfer
évoque en outre la possibilité qu’Israël mette en péril sa propre sécurité pour
tenter de faire dérailler les efforts de “réforme judiciaire” et de surmonter
la crise interne en cours. Selon lui, cela pourrait déboucher sur un conflit
motivé par des objectifs politiques internes.
À la suite de ses attaques contre Gaza, Netanyahou
a réussi à regagner une partie de sa popularité et de sa stature perdues,
mais ce rebond est notablement limité et n’a pas modifié l’orientation
dominante de la politique intérieure israélienne.
La
population israélienne est actuellement plus préoccupée par l’état de l’économie,
l’escalade des prix et l’appréhension d’un effondrement économique que par les questions
relatives à l’Iran. La pression économique a été encore exacerbée par le
spectre de la guerre, qui a entraîné une dépréciation marquée du shekel
israélien par rapport aux devises étrangères, ce qui laisse présager de
nouvelles hausses de prix et une inflation financière.
En
outre, les événements en cours coïncident avec la ratification d’un budget d’État
de deux ans pour lequel Netanyahou s’est manifestement plié aux exigences
de ses
partenaires de coalition, à savoir les sionistes religieux et les Haredim.
Manque de capacité
Bien
qu’elle reste entourée d’incertitude et de scepticisme, une autre question clé
est de savoir si Israël est préparé à une guerre bien calculée contre le
Hezbollah et l’Iran. Plusieurs analystes ont conclu qu’Israël, malgré ses
formidables capacités militaires et ses prouesses dans l’utilisation de l’intelligence
artificielle à des fins militaires, pourrait ne pas être en mesure de dicter
pleinement l’issue, la trajectoire et l’ampleur d’une telle guerre.
La
capacité du front intérieur israélien à supporter une guerre d’une ampleur
presque totale est tout aussi obscure.
Selon
les déclarations du chef d’état-major israélien, la menace du Hezbollah a été
gérée efficacement depuis 2006. Toutefois, cette même période illustre
également la position similaire d’Israël en matière de dissuasion. Pendant
toutes ces années, la frontière nord est restée l’une des lignes de
confrontation les plus pacifiques.
En
outre, l’accord définissant la démarcation des frontières maritimes
entre le Liban et Israël, en particulier en ce qui concerne l’exploration
gazière, témoigne de cette double dissuasion politique et militaire. Les
récentes déclarations de l’état-major israélien viennent compléter ce tableau
complexe. À la suite de la dernière agression contre Gaza, les autorités
israéliennes ont précisé que les évaluations appropriées pour évaluer les
attaques contre le Jihad islamique ne s’appliquaient pas au front nord, où
opère le Hezbollah.
Cette déclaration fait suite aux travaux
de la conférence d’Herzliya, où, selon les évaluations israéliennes, le
Hezbollah a été qualifié de front le plus redoutable de l’Iran.
Si l’objectif de ces menaces est de
rajeunir la capacité de dissuasion d’Israël, cela correspondrait à l’affirmation
de Netanyahou sur la supériorité d’Israël dans le domaine de “l’intelligence
humaine et artificielle”. Cette dernière partie concerne les opérations
militaires, les cybercapacités et “l’influence sur l’opinion publique et le
moral de l’adversaire”.
Toutefois, l’Iran et le Hezbollah considèrent
le gouvernement de. Netanyahou comme un facteur qui a affaibli Israël sur le
plan stratégique, ce qui se reflète dans la diminution de son influence
régionale. Pour eux, le leadership actuel offre plus d’opportunités que de
risques. Revenant apparemment sur ses menaces, un porte-parole de l’armée israélienne a
déclaré aux médias étrangers le 24 mai que les avertissements émis par les
dirigeants politiques et militaires du pays « ne signifient pas qu’une
guerre se profile à l’horizon, ni qu’Israël va frapper l’Iran de manière
imminente ».
La Chine parraine l'accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite
Emad Hajjaj
Changement d’alliances
Dans
un paysage régional en mutation, des signes naissants de réconciliation interarabe
et arabo-iranienne apparaissent. Dans le même temps, Israël et les USA
affirment que l’Iran aide la Russie en lui fournissant des drones et des
missiles dans le cadre du conflit russo-ukrainien.
En
fin de compte, il est peu probable que l’escalade des menaces des dirigeants
israéliens précipite une guerre à grande échelle
Cet
alignement de l’Iran sur la Russie et la Chine, tel qu’il est perçu par
Netanyahou, pourrait susciter l’intérêt des USA pour une éventuelle attaque
contre l’Iran, mettre un terme à la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran
et entre les pétromonarchies du Golfe et la Syrie, et limiter les efforts
arabes visant à instaurer un nouvel ordre mondial fondé sur la multipolarité
plutôt que sur une configuration unipolaire.
Les
analyses israéliennes suggèrent qu’en menaçant d’une guerre régionale,
Netanyahou pourrait accélérer les pressions usaméricaines sur l’Arabie saoudite
pour qu’elle normalise ses relations diplomatiques avec Israël. Cet effort
comprend actuellement des mesures limitées à court terme telles que la
facilitation des vols
directs
entre Israël et l’Arabie Saoudite pour transporter les pèlerins du Hadj parmi
les Palestiniens
de 1948.
Il
est de plus en plus douteux que la guerre de menaces orchestrée par Israël se
transforme en une véritable guerre, une entreprise qui présente des risques
dépassant de loin toute capacité à en prédire les conséquences -
potentiellement dévastatrices non seulement pour le Liban, mais aussi pour
Israël lui-même.
Le
récent assaut israélien sur Gaza, qui visait spécifiquement le mouvement du
Jihad islamique, relativement petit et de capacité limitée, a mis en évidence l’incapacité
d’Israël à contrôler efficacement la progression de l’offensive ou à dicter sa
conclusion. Comme l’a déclaré Halevi, la situation sur le front nord est
totalement différente de celle de Gaza, et les mêmes stratégies ne peuvent être
employées.
Dans
ces conditions, il semble que l’influence régionale d’Israël ait diminué de
manière significative et palpable. Il est également très peu probable que les
dirigeants israéliens parviennent à remodeler les priorités mondiales des USA au
profit de leur propre agenda politique. Par ailleurs, la “guerre des menaces”,
répétée depuis 2004 et en particulier en 2013 et 2014 avant la conclusion de l’accord
international sur le programme nucléaire iranien, est devenue inefficace.
Les
objectifs de cette rhétorique sont axés sur des gains à court terme plutôt que
sur une stratégie à long terme. La “guerre des menaces” actuelle a révélé la
profondeur de la crise économique et financière d’Israël résultant du coup d’État
judiciaire entrepris par le gouvernement actuel.
Alors
que certaines guerres ont pu soutenir l’économie israélienne dans le passé,
elles sont devenues désastreuses pour l’économie, qui retient actuellement l’attention
de la société israélienne plus que toute autre question. Cela indique que la crise
politique interne israélienne, le coup d’État judiciaire et ses résultats sont
à l’origine de l’érosion de la dissuasion israélienne, parallèlement aux
transformations régionales et mondiales mentionnées précédemment.
En fin de compte, il est peu probable
que l’escalade des menaces des dirigeants israéliens précipite une guerre à
grande échelle. Et bien que les manœuvres diplomatiques usaméricaines puissent
favoriser une certaine détente entre Israël et l’Arabie saoudite, la
perspective de relations diplomatiques formelles reste incertaine.