Nous n’avons jamais connu une guerre comme celle-ci,
une guerre de consensus total, une guerre de silence total, une guerre de
soutien aveugle ; une guerre sans objection, sans protestation, sans refus de
servir, sans opposition, ni au début ni au milieu. Une guerre unanimiste, avec
une approbation mur à mur - à l’exclusion des citoyens arabes de l’État, à qui
il a été interdit de s’opposer - et sans points d’interrogation ni même le moindre doute.
Des
Palestiniens dans un camp de réfugiés à Rafah, mardi.
Photo : Mohammed Salem /
Reuters
Une guerre qui a déjà tué près de 20 000 personnes,
dont une grande majorité de civils innocents, et qui a détruit la
quasi-totalité des maisons et des vies des habitants de la bande de Gaza,
est-elle la guerre la plus juste de l’histoire d’Israël ? Une guerre qui cause
tant d’horribles souffrances à plus de deux millions de personnes est-elle la
plus morale des guerres d’Israël ? Et si ce n’est pas le cas, comment se
fait-il qu’aucune voix ne s’élève pour réclamer l’arrêt du bain de sang ? Même
l’effusion croissante de sang parmi
les Israéliens n’a pas
encore soulevé les questions “jusqu’à quand ?” et “combien d’autres ?”.
La plupart des guerres d’Israël ont été des guerres de
choix. Presque tout le monde les a soutenues au début, mais peu après, lorsque
le prix terrible et la futilité sont devenus évidents, la résistance a
commencé. À la fin de ces guerres, beaucoup étaient contre. Rétrospectivement,
d’innombrables Israéliens étaient contre elles.
Ce fut le cas lors des deux folles guerres du Liban et
de toutes les attaques contre la bande de Gaza et la Cisjordanie. Chacune a été
plus courte que la guerre actuelle, dont personne ne peut prévoir la fin. Et
cette fois-ci, tout le monde est pour et personne ne pose de questions.
Le lavage de cerveau opéré par les médias est un
véritable feu d’artifice qui jaillit jour et nuit des studios de télévision, et
même ceux qui commencent à douter n’osent pas le faire publiquement. Tous unis,
nous vaincrons.
Tel est le résultat d’une guerre qui a éclaté à la
suite d’un attentat barbare et atroce, mais qui, depuis qu’elle a éclaté, ne
connaît plus de limites. Elle n’a pas de limites et personne ne la conteste ni
ne s’y oppose. Aux yeux des Juifs israéliens, la justesse de son déclenchement
justifie tout ce qui s’ensuit. Aujourd’hui, après deux mois terribles, des
doutes commencent peut-être à naître.
Il n’y a personne dans la société arabe israélienne
qui ne soit pas choqué par les images de la bande de Gaza. Ces gens sont leurs
frères, leurs parents, et contrairement aux Juifs israéliens, ils sont
également exposés à la réalité de Gaza qui est cachée aux Juifs par les médias
sans valeur et propagandistes. Mais les Arabes israéliens ne peuvent pas protester.
Le gouvernement menace cette communauté plus que n’importe
lequel de ses prédécesseurs, en bâillonnant brutalement sa voix et en emprisonnant certains de ses
membres. Les Arabes israéliens vivent aujourd’hui dans la peur, du gouvernement
et de la populace juive, une peur qu’ils n’ont pas connue depuis la Nakba de
1947-48.
Dans la société juive israélienne également,
parallèlement au soutien massif apporté à la guerre et à tous ses crimes,
certains commencent certainement à comprendre l’horreur causée par Israël, mais
là aussi, les gens ont peur de s’exprimer, par crainte du gouvernement actuel
et des masses. Résultat : une guerre sans opposition.
Dans la Russie de Poutine, il y a plus de
manifestations de résistance à la guerre en Ukraine qu’il n’y en a dans l’Israël
supposé démocratique à la guerre à Gaza. Ce n’est pas que la justice des deux
guerres soit similaire - la guerre en Ukraine est infiniment plus contraire à l’éthique
[ah bon, NdT] - mais les moyens et les résultats des deux guerres sont
de plus en plus similaires. Des scènes horribles dans les deux cas, des
souffrances indescriptibles pour des millions de civils innocents, et tout cela
en vain.
Les souffrances de Gaza n’apporteront rien à Israël. L’hiver
arrive, et ces souffrances vont doubler et tripler. Israël n’a jamais semé autant de
destruction et tué autant d’enfants et d’adultes qu’au cours de cette guerre.
Lorsque la conversation publique se concentre exclusivement sur l’élaboration
des réalisations militaires, réelles et imaginaires, tout en se complaisant
sans cesse dans la souffrance israélienne - et elle seule - ainsi que sur l’étouffement
de toute manifestation d’opposition, le résultat est clair.
Pour les Israéliens, il est possible de poursuivre
cette guerre éternellement, de tuer tous les habitants de la bande de Gaza et
de la détruire entièrement, pour de bon. C’est la solution la plus morale, la
plus juste.
La traduction élargit notre
perception de l’être humain, de ce qu’il dit, pense et ressent, et de l’influence
de la langue sur le monde.
DIEGO MIR
Le 14 novembre dernier, l’Institut
Reine Sofia de New York m’a invité à faire, pendant quelques minutes, ce que je
ferais volontiers pendant des heures : parler de traduction et de traducteurs.
Il s’agissait de la cérémonie de remise d’un prix que l’institut organise avec
la complicité d’autres institutions et qui récompense la
meilleure traduction de l’espagnol vers l’anglais aux USA Cette fois-ci, le
prix a été décerné à la traductrice Charlotte Whittle, qui a traduit en anglais
El infinito en un junco [L’infini
dans un roseau, trad. Anne Plantagenet], le beau livre d’Irene Vallejo
qui parle, parmi mille choses différentes (et toutes intéressantes), de l’importance
historique de la traduction. J’ai toujours cru à la pertinence et même à la
nécessité de toutes les manifestations auxquelles nous pouvons penser pour
déclarer publiquement notre gratitude aux traducteurs, et je ne pense pas qu’il
soit exagéré de dire que tous - et toutes, puisque les femmes sont majoritaires
dans cette profession - sont les auteur·es d’une bonne partie de ce que nous
disons quand nous disons : je suis humain·e.
Je commencerai par une
déclaration de principe : si nous lisons et écrivons de la littérature, je
crois que c’est à cause d’un sentiment d’insatisfaction. Nous ne sommes pas
satisfaits de la vie qui nous a été donnée ; nous nous rebellons contre le fait
qu’il n’y a qu’une seule vie, dans le sens où nous n’en avons pas d’autre après
celle-ci, mais aussi contre le fait d’être confinés à une seule identité, à une
seule place dans le monde, à un seul point de vue à partir duquel nous
regarderons le monde jusqu’à notre mort. C’est frustrant parce que nous voulons
toujours vivre et en savoir plus : nous voulons avoir d’autres vies. La
littérature est un remède (imparfait, mais nous n’en avons pas d’autre pour l’instant)
à ces carences ; or, la traduction pousse ce privilège un peu plus loin, et nous donne accès à des vies encore plus différentes, encore
plus lointaines, ou comble le fossé qui nous sépare de ces vies lointaines. C’est
pourquoi je peux dire que ma vision du monde, ma moralité, ma compréhension de
ce que nous sommes en tant qu’êtres humains ont été façonnées par Homère et
Tolstoï, par Aristote et Tchekhov, même si je ne parle pas un mot de grec ou de
russe. J’ai souvent dit que sans traduction, je ne pourrais pas parler de ma
réalité colombienne, car j’ai besoin pour cela de deux mots qui ont été
traduits du grec : politicien et idiot. Vous voyez, la traduction
enrichit notre compréhension de la vie.
Pendant plusieurs années, j’ai
gagné ma vie en tant que traducteur, et j’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas
de meilleure école pour un apprenti écrivain que la traduction littéraire. L’équation
est très simple : on apprend à écrire en lisant, et les traducteurs sont les
meilleurs lecteurs du monde. Un bon traducteur comprend tous les effets ; comme
un bon imitateur, il peut faire toutes les voix. Un bon traducteur reconnaît
également tous les raccourcis, tous les pièges, toutes les astuces bon marché,
ce qui, pour l’écrivain traduit, est un encouragement inestimable (il m’est
arrivé plus d’une fois de travailler sur une phrase en pensant à ses
traducteurs : pour la rendre meilleure ou plus claire, ou qu’elle ne soit pas
paresseuse ou complaisante : pour qu’elle soit à la hauteur de leur métier et
de leur talent). Enfin, les traducteurs sont les meilleurs détecteurs d’erreurs.
Leurs courriels me font paniquer, car ils sont la preuve tangible que, quel que
soit le nombre de fois qu’un manuscrit est corrigé, il y a toujours une erreur
qui ne deviendra visible - au grand désespoir de l’auteur - que lorsque le
livre sera déjà publié et en cours de traduction. Mais Borges avait l’habitude de dire que sa première lecture de Don
Quichotte avait été en anglais, et que plus tard, lorsqu’il avait lu l’original
en espagnol, il avait pensé qu’il s’agissait d’une traduction médiocre. Je ne
sais pas pourquoi, mais cette anecdote me réconforte.
Le prix Reine Sofia, comme il est
appelé dans le pays où il est décerné, récompense, comme je l’ai dit, une
traduction de l’espagnol vers l’anglais. Personne ne peut être plus conscient
de l’importance de la traduction qu’un romancier latino-américain, car notre
roman est né, au moins en partie, grâce à certaines découvertes traduites.
García Márquez n’aurait pas écrit le sien s’il n’avait pas découvert La
métamorphose de Kafka, ou cette étrange annonce du réalisme magique qu’est Orlando
de Virginia Woolf, ou Faulkner et Hemingway et Albert Camus : tous des
livres qu’il a lus en traduction (et beaucoup publiés par la grande Victoria
Ocampo, dont il faudrait parler plus en détail dans un autre article). La même
chose peut être dite dans le sens inverse : sans la traduction de Cent ans de solitude par Gregory Rabassa, ou les
traductions de Borges par Norman Di Giovanni, toute une génération de
romanciers usaméricains serait difficile à imaginer : je pense à Toni Morrison
et à John Barth. Mais aussi beaucoup d’autres : The Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides est un roman
admirable qui serait inconcevable sans Chronique d’une mort annoncée.
Je veux dire que la traduction
est, parmi beaucoup d’autres choses, un antidote possible à la fermeture d’esprit
et à la xénophobie de l’esprit. La traduction élargit notre perception de ce
que sont les êtres humains, de ce qu’ils disent, pensent et ressentent, mais
aussi de ce que la langue fait au monde. Gregory Rabassa dit que le principe d’incertitude
d’Heisenberg s’applique à la traduction : « Chaque fois que nous appelons
une pierre une pierre », écrit-il, « nous l’avons en quelque sorte
transformée en quelque chose d’autre qu’une pierre ou un Stein ».
Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais ce fait me semble tout à fait
magique. Il y a de nombreuses années, j’en ai parlé avec Javier Marías, l’un des plus grands romanciers-traducteurs de
notre langue - responsable de Tristram Shandy lorsqu’il avait une vingtaine d’années,
puis des œuvres de Conrad et d’Isak Dinesen - et Marías m’a dit que la chose la
plus mystérieuse à propos de la traduction est le simple fait que nous l’acceptions.
Comment un texte peut-il rester le même après avoir perdu ce qui l’a rendu
possible, à savoir la langue ? Comment ceux d’entre nous qui ne connaissent pas
l’allemand peuvent-ils avoir l’impression d’avoir lu W.G. Sebald ou Thomas
Bernhard, alors que pas un seul mot du texte traduit n’est le fruit de la
décision de l’auteur ? Nous lisons en sachant que les mots sont de Miguel
Sáenz, et pourtant nous pensons : j’ai lu Bernhard, j’ai lu Sebald, j’ai lu
Joseph Roth.
Cela a un corollaire : les bonnes traductions font disparaître le traducteur ; les
mauvaises traductions le rendent visible. Le lieu commun que nous répétons
sans l’examiner est peut-être vrai, et les bons traducteurs sont invisibles
dans le travail. Mais d’un autre côté, je crois, et avec toute ma conviction,
qu’ils devraient être très visibles, autant que possible, dans notre société de
lecteurs. Ou de citoyens, oui, car c’est aussi cela que les traductions créent
indirectement, leur présence dans nos sociétés ou notre contact soutenu avec
elles. C’est donc vrai : les noms des traducteurs devraient figurer sur la
couverture des livres. Et c’est vrai : ils devraient être mieux payés. Et c’est
vrai : l’industrie, cette industrie de l’édition qui dépend d’eux, devrait
commencer dès maintenant à les protéger contre les assauts incontrôlés de ce
que nous appelons l’intelligence artificielle, qui pourrait bien être le plus
grand pas en arrière que nous, les humains, ayons jamais fait. Et nous,
lecteurs de littérature, devrions remercier ces personnages invisibles, en leur
disant de temps en temps que nous les voyons, que nous les reconnaissons, que
nous les apprécions.
Statue à Grenade
de Yehuda ben Saul ibn Tibbon
(Grenade 1120-Lunel 1190), le “patriarche des traducteurs”, qui traduisit de
nombreuses œuvres arabes vers l’hébreu
Le 23 novembre dernier, Le Point
titrait : « Le viol, arme de guerre du Hamas », employant ce
procédé permanent des sionistes, l’inversion des charges. Le livre d’Adania
Shibli vient donc à point : il a fait parler de lui à l’occasion de la
Foire du Livre de Francfort, lorsque les responsables ont décidé d’annuler (ou
suspendre sine die) son prix à la suite de l’opération palestinienne du 7
octobre ; ils ont voulu, disent-ils, condamner cette attaque et rendre
plus audible la voix des auteurs israéliens (comme si elle risquait d’être étouffée
!). Le sujet du livre était en effet brûlant : le massacre de chameliers
bédouins et de leurs quelques bêtes, et le viol et l’assassinat d’une jeune
fille, dans le désert du Néguev, en 1949, par un détachement militaire
israélien.
Adania Shibli
Le récit est divisé en deux parties : la
première suit, dans sa routine quotidienne, le commandant de ce détachement qui
a pourmission de contrôler la zone,
occupée à la suite de la première guerre entre pays arabes et Israël, et d’en
éliminer les Arabes qui s’y infiltreraient – ce qui se traduit par un massacre
d’habitants traditionnels de la région, décrit de façon elliptique, puis,
célébré par le commandant comme un haut fait d’armes : haranguant ses
troupes, il expose une synthèse d’idéologie sioniste que l’auteur nous
livre sans commentaires : le devoir des soldats est de combattre et chasser les
« infiltrés » bédouins, incapables de mettre en valeur la région,
pour permettre au peuple juif « en exil » de rentrer dans sa « patrie »,
et d’en faire une région florissante et « civilisée » ; il va
jusqu’à accuser les chameaux de détruire la végétation du
pays : « Nous ne devons pas laisser le Néguev ainsi : un
désert pelé et ingrat, en proie aux nuisances des Arabes et de leurs
bêtes ».
Dans la deuxième partie, 75 ans après, une jeune
femme, qui, comme le commandant, n’a pas de nom, et que j’appellerai
l’enquêtrice, raconte à la première personne sa découverte, grâce à un article
dans le journal Haaretz, de cet « incident », et sa décision de se
rendre sur les lieux, pour essayer de retrouver des indices, des témoignages,
lui permettant de donner la version de la victime. Son récit se présente donc
comme une sorte de nouvelle policière ; mais, comme elle doit enquêter d’abord
dans un centre d’archives israélien, dans le Nord, à Jaffa, puis dans le Sud,
dans le Néguev, ce sera aussi un road movie, et un véritable périple,
qui nous donnera une idée des obstacles que les Palestiniens doivent affronter
au quotidien, du fait du système élaboré par la bureaucratie militaire
israélienne.Israël est divisé en quatre
zones, et les Palestiniens ne peuvent accéder qu’à certaines, voire seulement à
leur zone d’habitation, en fonction de la couleur de la carte d’identité dont
ils sont titulaires. En outre, chaque trajet est un voyage de découverte, car
l’extension des murs, des zones militaires, des colonies transforme sans cesse
le paysage, et rend les Palestiniens étrangers à leur propre pays. Cette
destruction du pays est rendue manifeste par la superposition des deux cartes
que l’enquêtrice consulte au cours de ses déplacements : une carte
touristique israélienne, et une carte de la Palestine d’avant 1948 ; entre
les deux, des dizaines, des centaines de villages et de chemins ont été
anéantis.
Pourtant, à mesure que le récit avance,
l’enquêtrice voit revivre le passé : elle retrouve le lieu du massacre de
1949, et celui du camp où la jeune Bédouine a été détenue et violée. On peut
croire qu’elle va en quelque sorte lui redonner vie, et lui rendre
justice ; toute une série de sensations et objets qui reviennent en écho
de la première partie (aboiements de chiens, tuyau d’arrosage, odeur
d’essence…) nous donnent en effet l’impression qu’elle remet ses pas dans ceux
de la victime ; en fait, la solidarité entre les deux femmes ira beaucoup
plus loin : au lieu d’être conjuré, le passé ne fera que se répéter.
Les deux parties semblaient s’opposer, en fait,
c’est toujours la même catastrophe qui se répète (l’enquêtrice côtoie même
Rafah bombardée, au Sud de la Bande de Gaza, avant de s’éloigner et de
l’abandonner au « sort qui l’attend »). Le « détail
mineur » du titre, c’est le fait que l’assassinat de la jeune fille se
produit un 13 août, jour de naissance de l’enquêtrice ; mais on découvrira
que c’est loin de n’être qu’une coïncidence : en fait, le viol de la jeune
Bédouine n’a pas cessé de se reproduire jusqu’à nos jours, c’est le viol de la
Palestine, comme nous l’annonçait la belle illustration de la page de titre,
une anamorphose où on peut voir soit une carte de la Palestine, soit un
visage féminin flouté.
Le problème posé à l’auteure, comme aux autres
écrivains et cinéastes qui traitent de la situation des Palestiniens, c’est que
l’excès de souffrances et d’injustices risque d’aboutir à décourager, abattre
le lecteur. Les romanciers sud-américains des années 50-70 ont mis au point,
pour décrire les horreurs des dictatures sanglantes et sadiques mises en place
par les USA, le système du réalisme magique, qui obtenait une distanciation par
une exagération épique. Les artistes qui parlent de la Palestine arrivent à la
même distanciation par un procédé contraire : le choix d’un style sobre et
objectif : c’est ainsi qu’A. Shibli se réfère constamment au drame comme à
un « incident », ou que le viol n’est suggéré qu’à travers les
grincement d’un sommier (c’est ainsi aussi que Till Roeskens, dans Vidéocartographies :
Aïda, Palestine, décrivait les drames et les difficultés du camp en
filmant des schémas de l’évolution obligée des déplacements de ses habitants à
mesure qu’il était bloqué par les Israéliens).
Mais les
notations apparemment anodines qui parsèment le récit, et qui se répètent en leitmotive,
s’avèrent en fait symboliques (comme le chancre du commandant qui, comme Israël,
s’étend inexorablement), lui donnant, malgré sa sobriété, de la profondeur, et
l’imprégnant d’une angoisse que le lecteur partage avec la protagoniste. C’est
la beauté et la force de ce style à la fois très simple et ciselé qui apporte,
en plus de l’émotion, une catharsis, et un espoir.
A lire les critiques sur
le Napoléon de Ridley Scott, il semble qu’on n’ait d’autre choix que
d’aimer ce blockbuster ou d’apparaître comme un franchouillard admirateur de
Napoléon.Les commentateurs français
regrettent alors que le film ne mette pas assez en valeur le génie militaire de
l’Empereur, et les aspects positifs de sa politique intérieure – ici intervient
la tarte à la crème du Code Civil. On saisit bien là le rôle des médias :
quand ils ne portent pas aux nues ou ne dénigrent pas carrément un film, ils
posent en tout cas pour nous les limites de la réflexion.
Bien sûr, il y a une autre
position possible : dénigrer le film et haïr Bonaparte.
Quel est l’atout de cet
énième film sur Napoléon ? Le rôle attribué à Joséphine, qui serait
l’explication de toute la vie publique et des entreprises guerrières de
Bonaparte. D’abord, ce n’est pas une idée très originale : il suffit de
consulter Wikipédia pour trouver une quinzaine de films centrés sur Joséphine,
parmi eux Joséphine, l’atout irrésistible de Napoléon, téléfilm tourné
pour Secrets d’Histoire - Stéphane Bern, inspirateur de Ridley
Scott ? L’idée centrale de Napoléon est en effet d’une puérilité
confondante : après deux siècles d’historiographie sérieuse, sinon
« scientifique », on en est encore à chercher l’explication des
grands événements de l’Histoire dans la vie sentimentale des « grands
hommes » ?
Napoléon Bonaparte observant à la dérobée Joséphine
et Madame de Fontenay, alias Teresa Cabarrús, alias Madame Tallien, dansant nues
devant Paul Barras. Caricature de James Gillray, Londres, 1797
Certes, on peut mettre en
avant le rôle de public relations de Joséphine, sa place dans les salons
des Merveilleuses du Directoire et du Consulat, en concurrence avec Madame
Tallien et Juliette Récamier, entre autres.Mais alors, il faudrait s’intéresser aux hommes dont ces salons
diffusaient les mots d’ordre, Tallien, Barras, Cambacérès ; il faudrait
faire, non pas un portrait, mais le tableau de tous ces requins qui émergent
après Thermidor, ceux dont le mérite essentiel était d’avoir
« survécu », tel Talleyrand, à la Révolution, grâce à leur absence de
convictions politiques ; car ils ne voyaient dans les événements que des
occasions de s’enrichir par leurs spéculations. La période qui voit l’ascension
de Bonaparte est le règne des affairistes, de ce qu’on a appelé en Russie, dans
les années 90, les oligarques. Ce qu’il faudrait faire entendre, derrière les
minauderies des Joséphine, ce sont les arrangements entre banquiers et
fournisseurs aux armées, pour procurer de l’argent aux ambitieux qui devaient remettre
de l’ordre dans le pays, cet ordre social et politique nécessaire aux affaires.
C’est ainsi qu’une vingtaine, réduite plus tard à une dizaine de banquiers,
fonde en 1799 le groupe des Négociants réunis (rien qu’au nom, on sent la
magouille !), dont le fournisseur aux armées Ouvrard sera un élément permanent,
reconstituant ainsi les Fermiers Généraux de l’Ancien Régime.
Au lieu d’insipides
« Barbie et Ken sous l’Empire » (formule heureuse du Figaro
Magazine), ce dont on aurait besoin, c’est de films comme Mille millions de
dollars, de 1982, avec Patrick Dewaere et Mel Ferrer, où Verneuil montrait
comment les entreprises USaméricaines avaient continué à collaborer avec les
entreprises nazies pour la production guerrière. La bêtise des biopics apparaît
de façon magistrale quand on relit l’immense Guerre et Paix, où Tolstoï
s’attache à ridiculiser la croyance des historiens (et, ajouterait-on
aujourd’hui, des réalisateurs) dans le rôle prépondérant des décisions des
« grands hommes », des héros – croyance particulièrement grotesque
quand on parle d’un individu aussi vaniteux, arrogant, grossier, criminel et
borné (oui, borné, car quelqu’un qui manque de tout sentiment humain ne peut
que manquer aussi d’intelligence) que Napoléon.
Arrivons donc au glorieux
Napoléon, que tout bon Français se devrait d’idolâtrer.
Inutile de s’attarder sur
la question classique : dans quel sens Napoléon a-t-il achevé la
Révolution (l’a-t-il portée à son terme ou liquidée) ? Issu d’une famille
aristocratique déclassée, Napoléon n’a eu de cesse d’affubler tous les membres
de sa famille de titres ronflants (roi, vice-roi, grand-duc, prince…) afin de
constituer une nouvelle dynastie (les Bonaparte après les Bourbon). Passons à
son œuvre intérieure : les tentatives pour unifier les lois françaises
remontent à Louis XIV (ce dont Voltaire, dans son ouvrage historique Lesiècle
de Louis XIV, le félicite). Elles reprirent à la fin de l’Ancien Régime et,
pendant la Révolution, des Comités furent constamment occupés à la rédaction
d’un Code Civil ; Cambacérès en fut le principal maître d’œuvre, et il continua
à l’être sous le Directoire et finalement l’Empire. La seule contribution de
Napoléon est de lui avoir donné son nom en 1804. Quand bien même il l’aurait
entièrement rédigé, en en dictant les articles à 20 secrétaires simultanément,
y aurait-il lieu de lui en faire un mérite ?
Le Code Civil n’a rien de
novateur, encore moins de progressiste, c’est le code de lois dont on avait
besoin pour reprendre tranquillement les affaires après quinze ans de
désordres ; les féministes devraient le vouer aux gémonies, puisqu’il fait
de la femme une éternelle mineure, qui passe de l’autorité paternelle à
l’autorité maritale (c’est là un terrible recul, au Moyen Âge, les femmes
avaient davantage de droits) ; il n’y est pas question des droits des
Noirs, l’esclavage ayant été officiellement rétabli en 1802 (c’est là qu’on
pourrait parler de Joséphine, fille de planteurs martiniquais possédant 200
esclaves) ; enfin, tout pouvoir est donné auxpatrons (mais il en était déjà ainsi depuis
1791 et les Lois Le Chapelier de sinistre mémoire) dans leurs rapports avec les
ouvriers, à qui il est interdit de se concerter entre eux. En général, le Code
Civil supprime tout type de propriété non individuel : c’est le triomphe
de la propriété bourgeoise.
Mais le prestige de
Napoléon vient essentiellement de ses entreprises militaires : ainsi, en
octobre 1795 (Vendémiaire), il fait tirer au canon sur des insurgés
royalistes : quel courage, quelle ingéniosité stratégique ! Plus
tard, en 1799, il prendra l’habitude (il y reviendra en 1812, lors de la
retraite de Russie) d’abandonner ses troupes, les laissant dans les conditions
les plus catastrophiques. Avant cette fuite, il avait étendu ses opérations à
la Palestine et la Syrie, se livrant à de terribles exactions et massacres (à
Jaffa, 4000 prisonniers sont fusillés ou décapités : Chateaubriand, dans
ses Mémoires d’Outre-Tombe, décrit ce carnage.) La cruauté*, la lâcheté,
l’égoïsme narcissique ou l’irresponsabilité de Bonaparte-Napoléon ne font pas
de doute.
Mais il reste son génie stratégique !
Ironie du sort, Saint Jean d’Acre fut victorieusement défendu contre lui par
son ex-condisciple à l’Ecole Militaire et collègue artilleur, le colonel émigré
Antoine de Phélippeaux ; et, Dans Guerre et Paix, Tolstoï prend un
plaisir tout particulier à démythifier le génie de Napoléon : il démontre
que les batailles ne se déroulent jamais comme on les décrit, après coup, dans
les rapports des officiers : ainsi, à Borodino, dernière bataille avant la
fatidique entrée à Moscou, aucun des ordres de Napoléon ( pas plus que de
Koutouzov du reste, mais Koutouzov ne se prenait pas pour un génie) n’a été
exécuté, la bataille se déroulant dans une confusion, pourrait-on dire,
quantique (les unités qu’on veut déplacer n’étant plus au même endroit quand
l’ordre arrive). Et, pendant l’occupation de Moscou, puis la débâcle, Tolstoï
montre que Napoléon prend les décisions les plus catastrophiques possible. De
façon générale, les théoriciens trouvent toujours des raisons pour qualifier de
géniaux les dispositifs les plus stupides : pourvu qu’ils aboutissent à la
victoire, on ne les contredira pas ; mais que les revers arrivent, toutes
les fautes apparaissent. Tolstoï ne croit pas au génie militaire et aux
dispositifs savants des théoriciens (Die erste Kolonne marchiert…,
s’amuse-t-il à parodier) mais à la motivation d’un peuple qui mène une guerre
de survie et de libération.
200 millions de dollars
pour nous faire croire que l’épopée napoléonienne est avant tout un beau roman
d’amour (un spectateur qui réagit dans Allociné ou Sens critique
attribue à Napoléon cette recommandation à Joséphine : « Ne te lave
pas, j’arrive », - même si on l’a toujours connue comme adressée par Henri
IV à Gabrielle d’Estrées).Comment
lutter contre cette politique de crétinisation du public ? On peut certes
regarder chez soi le Napoléon de Bondartchouk de 1970, ou Adieu
Bonaparte (1985) de Youssef Chahine, où Patrice Chéreau nous offre une
interprétation hilarante de Bonaparte dansant avec conviction à la mode arabe
(on peut bien parler d’une danse du ventre) devant des dignitaires
égyptiens ; mais rien à voir avec la force de frappe publicitaire des
plates-formes USaméricaines.
*Je ne résiste pas à
l’envie de recopier ce spécimen de prose et de tartufferie bonapartiste, trouvé
dans Wikipédia : La « commission militaire » (conseil de guerre)
chargée de juger de juger l’assassin (kurde) de Kléber en 1800 « a cru
devoir, dans l’application de la peine, suivre les usages de l’Égypte :
elle a condamné l’assassin à être empalé après avoir eu la main droite
brûlée » (lettre publiée dans Le Moniteur du 6 septembre 1800).
Seit dem Ende des Waffenstillstands wurden allein in
den letzten 24 Stunden 700 Zivilisten in Gaza durch den ununterbrochenen
Angriff der Armee des israelischen Besatzungsregimes getötet.
Wo ist der grosse Philosoph Jürgen Habermas? Wird er
dieses Mal wenigstens vom Massaker Israels sprechen?
Ist das die Legitimität und die moralische Autorität
des Westens und sein Respekt vor den universellen Menschenrechten, die er
tagtäglich schulmeisternd in die Welt hinausposaunt.
Betrachten die Europäer diese neuen "Verdammten
der Erde" in Gaza überhaupt alsunsere Mitmenschen, als unsere Brüder und Schwester?
Warum werden sie dann auf einmal so still und wortkarg?
Für mich besteht kein Zweifel mehr daran, dass das
europäische Wertesystem im Kern immer noch diskriminierend ist und auf den
Werten der Apartheid basiert.
Das vom Westen geduldete Verbrechen und der Völkermord
in Gaza ist eine Wahrheit, die sie weder reinwaschen noch verbergen können.
Oder sollte der Krieg in Gaza als ein Beginn der „zweiten Kreuzzüge“
bezeichnet werden?
The West and
Israel's crimes in Gaza!
Mostafa Ghahremani
3/12/2023
Since the end of the ceasefire,
700 civilians in Gaza
have been killed in the last 24 hours alone by the continuous onslaught of
the Israeli occupation regime's army.
Where is the great philosopher
Jürgen Habermas? Will he at least talk about Israel's massacre this time?
Is this the legitimacy and
moral authority of the West and its respect for the universal human rights
that it preaches to the world every day?
Do Europeans even consider
these new "Wretched of the Earth" in Gaza to be our fellow human beings, our
brothers and sisters?
Then why do they suddenly
become so quiet and taciturn?
There is no longer any doubt in
my mind that the European value system is still fundamentally discriminatory
and based on the values of apartheid. The crime and genocide tolerated by the
West in Gaza
is a truth that they cannot whitewash or hide.
Or should the war in Gaza be described as a
beginning of the “Second Crusades”?
غرب و جنایت اسراییل
در غزه!
مصطفی قهرمانی
3 دسامبر
2023
پس از پایان آتشبس
تنها در ۲۴ ساعت گذشته ۷۰۰ نفر غیرنظامی در غزه بر اثر تهاجم بیوقفه ارتش رژیم
اشغالگر اسرائیل کشته شدهاند.
کجاست جناب یورگن
هابرماس که اینبار لااقل از کشتار اسرائیل نیز بگوید. این است مشروعیت و اقتدار
اخلاقی غربی و احترامش به حقوق جهانشمول بشر که آنها هر روز آنرا با تبختر
برای جهانیان تبلیغ میکنند.
آیا اروپاییها
مردم بیپناه غزه را اصلاً در زمره ابنا بشر میدانند؟ پس چرا آنها اينگونه
دچار خفقان شدهاند. برای من دیگر جای هیچ شکی باقی نمانده استکه نظام ارزشی اروپایی هنوز در هسته مرکزی
خود بهغایت تبعیض گرا و مبتنی بر ارزشهای آپارتایدگونه میباشد.
جنایت و نسلکشی
در غزه حقیقتی است که آنها آن را نه دیگر میتوانند سفید شویی کنند و نه کتمان.
جنگ غزه را بایستی
آغاز دیگری برای "جنگ های صلیبی دوم" بنامیم.