Antonio Mazzeo, Pagine
Esteri, 12/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Si, au lieu du sommet de l’OTAN, la capitale lituanienne Vilnius avait accueilli des Jeux olympiques, le podium des vainqueurs aurait certainement accueilli le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, le président usaméricain Joe Biden et le président turc Recep Tayyip Erdoğan.
Erdoğan, Stoltenberg et Ulf Kristersson à Vilnius. Photo Reuters
Le premier a été récompensé par une nouvelle prolongation de son mandat pour avoir élargi l’adhésion de jure à l’OTAN de la Finlande et de la Suède et l’adhésion de facto de la moitié du monde. Le second pour avoir imposé la vision géostratégique de Washington et du Pentagone à tous les alliés, en réaffirmant la suprématie militaire et nucléaire incontestée des USA et en transformant l’Union européenne et les puissances moyennes du vieux continent en distributeurs automatiques de billets pour financer la folle course mondiale aux armements. Le troisième pour avoir obtenu l’accord unanime des alliés sur le plan de liquidation de la question kurde à coups de raids et de bombes en échange d’un oui à l’entrée de la Suède, autrefois non-alignée, dans l’OTAN.
Oliver Schopf, Autriche
« L’entrée de la Finlande est une étape historique pour l’OTAN et nous serons encore plus grands et plus forts lorsque le processus d’adhésion de la Suède sera achevé », a souligné le secrétaire Jens Stoltenberg à l’issue du sommet qui s’est tenu sur le sol lituanien. « Nous sommes très heureux de l’engagement pris par le président turc de présenter le protocole de ratification de l’adhésion de la Suède à l’OTAN à l’assemblée parlementaire nationale dès que possible. La Turquie et la Suède continueront à coopérer dans la lutte contre le terrorisme. Les autorités de Stockholm ont modifié la constitution, changé les lois et augmenté de manière significative la coopération antiterroriste contre le PKK et repris les exportations d’armes vers la Turquie ». (1) Washington a également œuvré personnellement pour obtenir le feu vert d’Erdoğan à la 32e étoile suédoise de l’OTAN : à la veille du sommet de Vilnius, le chef du Pentagone, Lloyd Austin, a fait savoir au dirigeant turc qu’il était déterminé à autoriser le transfert de 40 chasseurs-bombardiers F-16 à Ankara, une commande attendue depuis plusieurs années par l’armée de l’air turque. (2)
Les invités d’honneur en Lituanie, aux côtés des chefs de gouvernement des deux nouveaux pays membres de l’alliance, étaient également les représentants de l’Union européenne, avec laquelle l’OTAN partage des missions stratégiques et des charges financières afin de renforcer les réseaux de production de guerre et d’infrastructure pour la mobilité des hommes et des moyens militaires, les ministres des Affaires étrangères de la Géorgie, de la République de Moldavie et de la Bosnie-Herzégovine, ainsi que ceux de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Japon et de la Corée du Sud. Pour l’OTAN, la région Indo-Pacifique joue un rôle fondamental « dans les efforts euro-atlantiques de sécurité et de défense en Ukraine » et dans « la coopération dans le domaine de la cyberdéfense, de la lutte contre le terrorisme et de la production d’armes et de nouvelles technologies ». Dans le document final du sommet de Vilnius, les États membres de l’Alliance atlantique appellent également à un partenariat plus étroit avec certaines des principales organisations internationales et régionales telles que l’ONU, l’OSCE et l’Union africaine. « Nous renforcerons ces interactions afin de promouvoir nos intérêts communs et de contribuer à la sécurité mondiale », promet l’OTAN. « Nous étudions également la possibilité d’établir un bureau de liaison à Genève afin de renforcer nos liens avec les Nations unies ».
Arcadio Esquivel, Costa Roca
Une grande partie du communiqué final du sommet de Lituanie est consacrée à l’ennemi numéro un de l’alliance militaire, la Russie de Poutine. « La Fédération de Russie a violé les normes et les principes qui contribuent à un ordre de sécurité européen stable et fiable », écrivent les pays de l’OTAN. " La Fédération de Russie viole les règles et les principes qui contribuaient à la stabilité et à la prévisibilité de l’ordre de sécurité européen. Elle constitue la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. (...) La Russie porte l’entière responsabilité de la guerre d’agression, illégale et injustifiable, qu’elle mène contre l’Ukraine, guerre qui ne fait suite à aucune provocation et nuit gravement à la sécurité euro-atlantique et internationale, et pour laquelle elle devra pleinement répondre de ses actes. (…) Nous ne reconnaissons pas et ne reconnaîtrons jamais les annexions, illégales et illégitimes, auxquelles la Russie a procédé, y compris celle de la Crimée. Les crimes de guerre et autres atrocités perpétrés par la Russie ne sauraient rester impunis, notamment les attaques contre des civils et les destructions d’infrastructures civiles, qui empêchent des millions d’Ukrainiens d’accéder aux services de base. (…) La destruction du barrage de Kakhovka est un exemple des terribles conséquences de la guerre déclenchée par la Russie ».
Néanmoins, comme l’avait demandé l’administration Biden, aucune date n’a été fixée pour officialiser l’entrée de Kiev dans l’OTAN. Cependant, l’Ukraine ne sera pas privée d’armes et de munitions pour mener le conflit fratricide sanglant avec la Russie. « La livraison par l’OTAN, dans le cadre de l’ensemble complet de mesures d’assistance en faveur de l’Ukraine (CAP), des moyens militaires non létaux dont le pays a besoin d’urgence reste une priorité », ajoute le document final du sommet de Vilnius. « Depuis le sommet de Madrid, les Alliés et les partenaires ont engagé plus de 500 millions d’euros pour le CAP. Pour aider l’Ukraine à assurer la dissuasion et la défense sur le court, le moyen et le long terme, nous avons décidé aujourd’hui de développer encore le CAP pour en faire un programme pluriannuel. Il s’agira notamment d’aider l’Ukraine à remettre sur pied son secteur de la sécurité et de la défense et à parvenir à une interopérabilité totale avec l’OTAN. »
Face à la Russie, la présence des unités de déploiement rapide des forces armées des pays de l’OTAN sur le “flanc oriental” (Pologne, Lettonie, Estonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Hongrie et Bulgarie) sera renforcée, auxquelles s’ajoutera une force de déploiement rapide de plus de 300 000 militaires prêts à être transférés aux frontières avec la Russie et le Belarus en cas d’alerte, ainsi qu’une importante “puissance de combat” aérienne et navale. Lors du sommet de Vilnius, il a été décidé d’accélérer le processus de transformation des huit groupements tactiques actuellement déployés dans les pays d’Europe de l’Est en unités de la taille d’une brigade “là et quand c’est nécessaire”, avec des moyens de guerre, des équipements et des systèmes de commandement et de contrôle prépositionnés plus importants. « Dans le cadre du nouveau modèle de forces de l’OTAN, adopté au sommet de Madrid, les Alliés mettent spécialement à disposition un plus grand réservoir de forces aptes au combat, parmi lesquelles des forces à haut niveau de préparation, ce qui nous permet d’améliorer notre réactivité militaire, de faire jouer l’expertise régionale et de tirer profit de la proximité géographique », indique le document final du sommet. « Nous nous attachons par ailleurs à mettre en place une force de réaction alliée multinationale et multidomaine, laquelle élargira l’éventail d’options qui s’offrent à nous pour réagir rapidement aux menaces et aux crises, d’où qu’elles viennent. Nous nous sommes engagés à fournir l’intégralité des forces et des capacités requises à cette fin. Nous avons décidé de renforcer le dispositif de commandement et de contrôle de l’OTAN, afin de disposer de la souplesse, de la résilience et des effectifs nécessaires à l’exécution de nos plans. »
Le sommet de Vilnius a mis un accent particulier et inquiétant sur les capacités de dissuasion nucléaire de l’alliance militaire. « Nous mettrons à disposition, chacun pour notre part et collectivement, tout l’éventail des forces, capacités, plans, ressources, moyens et infrastructures nécessaires à la dissuasion et à la défense, y compris au combat multidomaine de haute intensité contre des compétiteurs à parité disposant de l’arme nucléaire De même, nous renforcerons les entraînements et les exercices simulant la dimension conventionnelle et, pour les Alliés concernés, la dimension nucléaire d’une crise ou d’un conflit, de manière à accroître la cohérence entre les composantes conventionnelle et nucléaire de la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN, et ce pour tous les domaines d’opérations et tous les degrés de conflictualité ».
L’objectif fondamental de la capacité nucléaire de l’OTAN, a-t-on rappelé à Vilnius, est de préserver la paix, d’empêcher la coercition et de dissuader l’agression. « Les armes nucléaires sont des armes à part. Aussi longtemps qu’il y en aura, l’OTAN restera une alliance nucléaire. L’OTAN aspire à un monde plus sûr pour tous ; nous nous attachons à créer l’environnement de sécurité qui permettra de faire advenir un monde sans armes nucléaires. Il est très peu probable que les circonstances dans lesquelles l’OTAN pourrait être amenée à y recourir se présentent. Tout emploi d’armes nucléaires contre l’OTAN altérerait fondamentalement la nature d’un conflit. L’Alliance a les capacités et la détermination voulues pour faire payer à tout adversaire un prix inacceptable, largement supérieur aux gains que celui-ci pourrait espérer obtenir ». Et pour rendre les menaces de réponse et de représailles nucléaires encore plus crédibles, le sommet de l’OTAN a annoncé de nouvelles mesures visant à rendre ses arsenaux atomiques encore plus efficaces et destructeurs. « L’OTAN fera tout ce qui est nécessaire pour assurer la crédibilité, l’efficacité, la sûreté et la sécurité de sa mission de dissuasion nucléaire, y compris continuer de moderniser ses capacités nucléaires et actualiser son processus de planification de manière à accroître la flexibilité et l’adaptabilité des forces nucléaires de l’Alliance, le tout sous un contrôle politique fort et constant », indique le document final.
Le système intégré de défense aérienne et antimissile (IAMD) restera un élément clé des stratégies de guerre de l’OTAN. « L’IAMD de l’OTAN est une mission essentielle et permanente, en temps de paix comme en période de crise ou de conflit. », indique le document final du sommet de Lituanie. « Elle englobe l’ensemble des mesures visant à contribuer à assurer la dissuasion contre toute menace aérienne et missile, ou à en neutraliser ou en réduire l’efficacité. Cette mission, menée suivant une approche à 360 degrés, est conçue pour faire face à l’ensemble des menaces aériennes et missiles émanant de toutes les directions stratégiques, qu’elles soient le fait d’acteurs étatiques ou non étatiques ».
La défense antimissile est considérée comme pleinement complémentaire de la dissuasion nucléaire. « L’objectif de la défense antimissile balistique (BMD) de l’OTAN et les principes politiques qui la régissent restent les mêmes que ceux définis au sommet de Lisbonne, en 2010 ». notent les pays participant au sommet de Vilnius. « La BMD de l’OTAN est strictement défensive et vise à contrer les menaces liées aux missiles balistiques émanant de l’extérieur de la zone euro-atlantique. Les Alliés demeurent déterminés à la développer pleinement, dans un but de défense collective de l’Alliance et pour assurer une couverture totale des territoires des pays européens de l’OTAN ainsi qu’une protection complète de leurs populations et de leurs forces contre la menace croissante que représente la prolifération des missiles balistiques ». La défense antimissile balistique de l’OTAN continuera d’exploiter les unités antimissiles des forces armées américaines déployées en Roumanie, en Turquie, en Espagne et en Pologne, mais les Alliés se disent prêts à achever l’installation de « composants supplémentaires » du système antimissile balistique et des centres de commandement et de contrôle correspondants « si nécessaire pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle ».
Washington et les alliés euro-atlantiques ont également les yeux rivés sur le “flanc sud” de l’OTAN, qui comprend la Méditerranée élargie, l’Afrique du Nord, les régions du Sahel et le Moyen-Orient. « Le voisinage méridional de l’Alliance, en particulier le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et le Sahel, est confronté à des défis qui s’enchevêtrent, sur le plan de la sécurité mais aussi sur les plans démographique, économique et politique », ajoute le document approuvé à Vilnius. « Ces défis sont amplifiés par les effets du changement climatique, la fragilité des institutions, les urgences sanitaires et l’insécurité alimentaire. Un tel contexte est propice à la prolifération des groupes armés non étatiques, dont les organisations terroristes. Il permet aussi à des compétiteurs stratégiques de se livrer à des actes d’ingérence déstabilisateurs et coercitifs. La Russie alimente les tensions et l’instabilité dans ces régions. Le climat d’instabilité se traduit par des violences contre les civils – notamment des violences sexuelles liées aux conflits – ainsi que par des dommages aux biens culturels et à l’environnement. Il donne lieu à des déplacements forcés qui alimentent la traite des êtres humains et la migration irrégulière ». L’OTAN globale se déclare donc prête à jouer un rôle de premier plan dans la gestion des crises sociales, économiques, environnementales et climatiques qui frappent la planète et dans l’endiguement de phénomènes structurels tels que les migrations du sud vers le nord. « En réponse aux implications profondes de ces menaces et défis, qui touchent la zone euro-atlantique et son voisinage, nous avons aujourd’hui chargé le Conseil de l’Atlantique Nord en session permanente de lancer une réflexion exhaustive et approfondie sur les menaces et défis actuels et émergents ainsi que sur les possibilités d’interaction avec les pays partenaires, les organisations internationales et les autres acteurs concernés de la région, et d’en présenter les résultats pour notre prochain sommet, en 2024 ».
Pour réaliser les ambitions démesurées de l’OTAN en tant qu’acteur mondial, le sommet de Vilnius a pris l’engagement commun d’investir des ressources financières toujours plus importantes dans les armes et les structures militaires. Tous les États membres de l’Alliance ont été invités à remplir “les obligations découlant de l’article 3 du traité de Washington” en allouant au moins deux pour cent de leur produit intérieur brut par an au secteur de la défense. « Nous le faisons en reconnaissant que cela est d’autant plus nécessaire et urgent pour répondre aux engagements de l’Alliance, y compris aux demandes d’équipements à plus long terme, et pour contribuer aux nouveaux plans de défense et au modèle de forces de l’OTAN, ainsi qu’aux opérations, missions et activités de l’Alliance », ajoute le document final. « Nous affirmons que, dans de nombreux cas, des dépenses supérieures à 2 % du PIB seront nécessaires pour remédier aux lacunes existantes et pour répondre aux besoins de tous les domaines découlant d’un ordre de sécurité contesté ». (3)
Davantage de dépenses pour les armes et les instruments de mort et des coupes conséquentes dans le welfare et les dépenses sociales, malgré les chiffres records enregistrés ces deux dernières années dans les budgets des forces armées des pays de l’OTAN. À la veille du sommet de Vilnius, le secrétaire général Jens Stoltenberg lui-même s’est déclaré plus que satisfait des efforts budgétaires de l’Alliance, avec une croissance en termes réels de 8,3 % au cours de l’année écoulée de la part des alliés européens et du Canada. « Il s’agit de la plus forte augmentation depuis des décennies et de la neuvième année consécutive au cours de laquelle nous avons augmenté nos dépenses militaires », a déclaré Stoltenberg. « Ce faisant, les alliés européens et le Canada ont investi plus de 450 milliards de dollars depuis que nous avons décidé d’augmenter les investissements en 2014. » (4)
À Vilnius, l’OTAN s’est engagée à allouer au moins 20 % du budget de la défense à la recherche, au développement et à l’acquisition de nouveaux systèmes d’armes. « Nous accélérons nos efforts pour faire en sorte que l’Alliance conserve son avance technologique dans le domaine des technologies émergentes et de rupture afin de préserver l’interopérabilité et l’efficacité de nos forces armées, y compris les solutions à double usage », peut-on lire dans le document de clôture du sommet. « Nous travaillons ensemble à l’adoption et à l’intégration de nouvelles technologies, à la coopération avec le secteur privé, à la protection de nos écosystèmes innovants, de nos modèles standard, etc. Il s’agit notamment de l’Accélérateur d’innovation pour la défense dans l’Atlantique Nord (DIANA), lancé l’année dernière pour promouvoir les réseaux de recherche et de développement entre les centres universitaires, les jeunes pousses et les petites et grandes entreprises. Une première tranche d’environ 1 milliard d’euros a été allouée à DIANA grâce au Fonds d’innovation de l’OTAN, le fonds d’investissement financier lancé au sommet de Madrid par 23 pays (Belgique, Bulgarie, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, Allemagne, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Espagne, Turquie, Royaume-Uni). Le fonds financera notamment les secteurs considérés comme stratégiques et prioritaires par l’OTAN : les systèmes aérospatiaux, l’intelligence artificielle, la biotechnologie et la bio-ingénierie, les ordinateurs quantiques, la cybersécurité, les moteurs hypersoniques, la robotique et les systèmes télépilotés terrestres, navals, aériens et sous-marins, l’industrie navale et des télécommunications, l’énergie, les systèmes de propulsion, etc. (5) Au conseil d’administration du Fonds d’innovation de l’OTAN a été appelé, entre autres, l’ancien ministre italien de la Transition écologique, Roberto Cingolani.
Neuf accélérateurs et 63 centres d’essai qui seront établis en Europe et en Amérique du Nord contribueront à la réalisation des programmes de recherche DIANA. L’un de ces accélérateurs de l’OTAN sera construit dans la ville de Turin, tandis que deux centres d’essai sont également prévus en Italie, le premier au Centre d’expérimentation et de soutien naval (CSSN) de La Spezia et le second à Capoue (Caserta) au Centre italien de recherche aérospatiale (CIRA), une société détenue par l’Agence spatiale italienne, le Conseil national de la recherche et la région de Campanie.
Notes
1. https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_217147.htm
2. https://www.avionews.com/item/1252468-stati-uniti-si-a-vendita-aerei-f-16-alla-turchia.html
5. https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_197494.htm
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