Alice Speri, The Intercept, 31/12/2021
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
L'avocate yéménite Huda Al-Sarari représentait depuis des
années des femmes dans des affaires de violence domestique et de genre, lorsque
vers 2015, elle a commencé à recevoir des appels à l'aide différents.
Huda Al Sarari en 2021. Photo : Adil Salim
Obaid Al Bahrani
Alors que le conflit civil au Yémen se transformait en une guerre par procuration entre puissances régionales, des femmes appelaient Huda Al Sarari au milieu de la nuit pour lui dire que leur maison venait d'être attaquée et que leurs maris, frères et fils avaient été emmenés de force. D'autres l'appelaient après avoir passé des jours à chercher leurs proches dans les prisons et les commissariats de police, et à plaider auprès de fonctionnaires qui leur disaient ne pas être impliqués dans la détention des hommes ni savoir où ils se trouvaient.
Ces familles disaient : « Aidez-nous, nos fils ont été enlevés », a raconté Al Sarari dans une interview avec The Intercept. « Je ne pouvais pas entendre parler de ces violations et de ces crimes et rester sans rien faire ».
Les disparitions ont commencé peu après que l'Arabie saoudite a lancé une intervention aérienne et terrestre au Yémen, soutenue par les USA et impliquant d'autres puissances régionales, comme les Émirats arabes unis. Au cours de cette campagne, les Émirats arabes unis, un allié clé dans la guerre menée par les USA contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique, ont pris le contrôle de vastes étendues du sud du Yémen. Alors que les disparitions forcées se comptaient par centaines dans la ville d'Aden et ses environs, des informations ont commencé à circuler selon lesquelles ces hommes avaient été détenus, battus et souvent torturés par des forces de sécurité yéménites informelles formées et armées par les Émirats arabes unis.
Al Sarari, ainsi qu'un groupe d'autres avocats et militants, ont commencé à enquêter discrètement sur ces rapports. Leur méticuleux effort de documentation a abouti à une base de données qui, à un moment donné, contenait les noms de plus de 10 000 hommes et garçons, dont la plupart étaient détenus en dehors du système judiciaire de l'État. Il a permis de mettre au jour un réseau de prisons secrètes géré par les Émirats arabes unis au su et parfois avec la participation directe des forces usaméricaines.
Le travail d'Al Sarari et de ses collègues a été au cœur de rapports explosifs publiés par l'Associated Press et Human Rights Watch en 2017. Les révélations sur les abus de la coalition dans le sud du Yémen ont renouvelé l'examen de l'implication des puissances étrangères dans le conflit civil du pays, ainsi que des violations des droits humains qui continuent d'être commises par les alliés des USA au nom de la lutte contre le terrorisme. Les efforts de documentation ont contribué à la libération de plus de 260 détenus dans les mois qui ont suivi la publication des rapports, et pourraient fournir des preuves essentielles alors qu'un nombre croissant d'acteurs internationaux demandent des comptes pour les violations généralisées commises par toutes les parties au conflit au Yémen. Plus de 1 000 personnes sont toujours détenues à ce jour, a précisé Al Sarari, et plus de 40 sont portées disparues, sans que l'on sache ce qu'elles sont devenues ni où elles se trouvent.
Le gouvernement des Émirats arabes unis n'a pas répondu à une demande de commentaire. Un porte-parole du département d'État usaméricain a renvoyé les questions au département de la Défense, qui n'a pas répondu à une demande de commentaire.
L'identité d'un grand nombre des personnes qui ont témoigné sur les abus n'est pas rendue publique, en raison de leur crainte de représailles au Yémen. Mais Mme Al Sarari est apparue dans des entretiens avec les médias et a été reconnue publiquement pour son implication. Cette reconnaissance a fait d'elle une cible. Elle a dû faire face à une campagne de diffamation incessante, ainsi qu'à des menaces et des tentatives d'intimidation, et sa famille l'a implorée de cesser de parler. « Ils m'ont blâmée en me disant : "Si tu n'as pas peur pour toi, crains pour tes enfants, crains pour ta réputation" », dit-elle.
Quatre ans plus tard, le travail d'Al Sarari continue d'avoir un impact profond sur sa vie. Al Sarari a fui le Yémen en 2019 quelques mois après que son fils adolescent eut été tué, dans ce qu'elle croit être des représailles pour son travail. Elle se cache maintenant dans un pays qu'elle a demandé à The Intercept de ne pas nommer. De là, elle continue à répondre aux appels de personnes restées au pays, principalement des mères, et à enquêter sur les rapports d'abus.
Même en exil, elle préfère parler des violations actuelles des droits humains au Yémen plutôt que de ce qu'il lui en a coûté de les dénoncer.
« Je vais poursuivre mon travail ; je n'ai jamais regretté ce que j'ai fait malgré les pertes que j'ai subies », dit-elle. « Ne pas pouvoir vivre au Yémen et rester avec ma famille à cause de mon travail - c'est ma responsabilité en tant qu'avocate, en tant que défenseure des droits humains et en tant qu'être humain. Vous devez défendre ces victimes car elles n'ont personne d'autre vers qui se tourner ».
Huda Al Sarari regarde une photo de son fils décédé, Mohsen, en 2021. Photo : Adil Salim Obaid Al Bahrani
Des prisons sans retour
La campagne menée par l'Arabie saoudite au Yémen est venue en réponse à une insurrection des Houthis, un mouvement rebelle chiite qui, en 2014, a pris le contrôle de la capitale, Sanaa, et a contraint le président Abdrabbuh Mansur Hadi, soutenu par l'Arabie saoudite, à fuir le pays. Cette crise politique faisait suite à une précédente, en 2011, lorsqu'un soulèvement populaire avait contraint le président autoritaire du Yémen, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis longtemps, à céder le pouvoir à Hadi, son vice-président.
Depuis l'éviction du président, les Houthis contrôlent la majeure partie du nord du pays, mais en 2015, ils ont brièvement pris le contrôle de certaines parties du sud, notamment la ville portuaire d'Aden, où Al Sarari vivait. Ils ont été repoussés avec le soutien des USA par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite, qui pense que les Houthis sont soutenus par l'Iran, un rival clé de la Saoudie.
À la suite de cette campagne, les forces des Émirats arabes unis ont établi une présence dans le sud, où elles ont entrepris ce qui était ostensiblement une campagne de lutte contre le terrorisme qui a permis d'arrêter d'innombrables personnes sans lien avéré avec des groupes terroristes. De hauts responsables usaméricains ont fait l'éloge de la manière dont les EAU et l'Arabie saoudite ont mené les opérations antiterroristes dans la région. Un ancien directeur adjoint de la CIA, Michael Morell, a salué le rôle des EAU dans le sud du Yémen comme une « solution d'école pour la manière de s’y prendre avec les groupes terroristes » et a appelé à ce que l'intervention serve de « modèle pour les autres pays de la région ». Les responsables militaires usaméricains ont pris l'habitude de qualifier les EAU de « Petite Sparte ».
Aden ayant été désignée comme capitale provisoire du gouvernement yéménite déchu, les EAU ont entrepris de mettre en place un vaste appareil de sécurité parallèle à l'appareil officiel. Plutôt que de reconstruire les institutions yéménites, ils ont formé et armé un système de forces spéciales yéménites subordonnées officiellement au président en exil, mais en réalité à une chaîne de commandement dirigée par les EAU. Ces forces, qui comprenaient les "ceintures de sécurité" à Aden et les "forces d'élite de l'Hadrama" à Hadramaout, ont rapidement été accusées d'abus généralisés. Les forces des EAU se sont retirées du Yémen en 2020 mais ont continué à exercer une influence importante dans le sud.
« Les EAU ont formé ces milices en dehors du cadre de l'État, séparément de l'appareil répressif, à une époque où le système judiciaire était perturbé », dit A Sarari. « Les services de police étaient inefficaces, et donc les ceintures de sécurité que les EAU ont créées sont celles qui ont pris en charge le travail de sécurité à l'intérieur du gouvernorat d'Aden. Et ce sont eux qui, par la suite, ont effectué les incursions, les arrestations et les opérations coup de poing ».
Lorsque l'on a appris qu'elle enquêtait sur les disparitions, Al Sarari a reçu 10 à 20 plaintes par jour concernant des raids et des enlèvements. Au début, elle se tournait vers les systèmes officiels de la police et des tribunaux, mais elle a rapidement conclu « qu'il y avait des forces autres que les forces de sécurité officielles qui procédaient à ces arrestations », dit-elle.
Elle et ses collègues ont donc commencé à rédiger les témoignages des familles de disparus, recueillant des détails tels que les armes portées par les forces de sécurité et les mots écrits sur leurs uniformes. Les raids, ont-ils appris, étaient systématiques et se déroulaient bien au-delà d'Aden, dans une série de districts où l'insurrection houthie avait été repoussée. Les rapports sont devenus si nombreux qu'ils ont rapidement pris la forme d'une feuille de calcul tentaculaire.
« Il n'y avait pas de partie officielle à qui s'adresser, alors les familles ont eu recours à nous », dit Al Sarari, qui a noté que ce sont généralement les mères des disparus qui ont entendu parler d'elle, par le bouche à oreille ou par le biais de l'Association des mères des personnes enlevées, un groupe de la société civile dirigé par des femmes.
Les hommes disparus, dont plusieurs avaient résisté à l'offensive des Houthis dans le sud et à l'intervention de la coalition, ont été sommairement accusés de liens avec divers groupes terroristes, notamment les branches yéménites d'Al Qaïda et de l'État islamique, et emprisonnés pendant des mois dans plus d'une douzaine de centres de détention informels.
Al Sarari a pu identifier l'emplacement de plusieurs de ces sites et interroger des hommes qui y avaient été détenus et maltraités. Une fois, elle a parlé avec un homme qui avait été libéré après avoir été détenu avec son frère. Chez lui, il a demandé à sa mère et à sa sœur de quitter la pièce avant de dire à Al Sarari que les forces de sécurité avaient maintenu la tête de son frère sous l'eau et qu'il était certain que son frère n'avait pas survécu.
Les défenseurs des droits humains demandent depuis longtemps la mise en place d'un processus indépendant visant à documenter les abus et les crimes de guerre généralisés et systématiques commis par toutes les parties au conflit au Yémen. Ce mois-ci, plus de 75 groupes de la société civile ont appelé l'Assemblée générale des Nations unies à mettre en place un nouveau mécanisme international de demande de reddition de comptes pour le Yémen, après qu'un groupe d'experts chargé par les Nations unies de documenter les violations des droits humains dans le pays a vu son mandat prendre fin sous la pression politique de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Les détracteurs de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite ont également demandé une enquête de la Cour pénale internationale.
« À un moment ou à un autre, il faudra que toutes les parties reconnaissent ce qui s'est passé au Yémen, et toute sorte de mécanisme de responsabilisation dans un Yémen post-conflit doit inclure les violations des droits humains commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme », a déclaré Jennifer Gibson, une avocate qui dirige le projet sur les exécutions extrajudiciaires au sein de l'association Reprieve, basée au Royaume-Uni, qui s'est efforcée d'amplifier les efforts de défense d'Al Sarari en dehors du Yémen, notamment en la nommant pour deux prestigieux prix des droits humains. « C'est pourquoi les enquêtes de Huda sont si importantes, en raison de ce qu'elle a pu documenter en temps réel et des preuves qu'elle a pu rassembler. Ces preuves ne disparaissent pas ».
Une cellule déserte dans la section publique de la prison centrale d'Aden, au Yémen, le 9 mai 2017. Une aile séparée et fermée est gérée par des alliés yéménites des Émirats arabes unis, dans le cadre d'un réseau de prisons secrètes dans le sud du Yémen. Photo : Maad El Zikry/AP
Un coût énorme
Alors qu'elle constituait une base de données sur les détentions extrajudiciaires entre 2015 et 2016, Mme Al Sarari commençait à être frustrée de constater que le fait de documenter ces abus ne contribuait pas beaucoup à les faire cesser. Aussi, lorsqu'un journaliste de l'Associated Press et des représentants de divers groupes internationaux de défense des droits humains ont commencé à lui tendre la main, elle a partagé ses recherches avec eux et a coordonné des visites avec les familles des détenus pour aider à exposer leur sort au monde entier.
L'existence des prisons a finalement été documentée en 2017, dans des enquêtes distinctes de l'Associated Press et de Human Rights Watch qui se sont largement appuyées sur le travail d'Al Sarari et d'autres militants locaux. Elles ont ensuite été confirmées par des enquêteurs de l'ONU - le Groupe d'experts éminents sur le Yémen, ou GEE - en 2018.
Ces rapports comprenaient les témoignages d'anciens détenus qui dénonçaient des violences et des tortures systématiques commises par les forces spéciales yéménites soutenues par les Émirats arabes unis. Les témoins ont décrit avoir été battus, agressés sexuellement, détenus dans des conteneurs d'expédition bondés et les yeux bandés pendant des mois. Ils ont dit avoir été battus avec des faisceaux de fils de fer et avoir reçu des décharges électriques. Les lieux de détention secrets se trouvaient dans des aéroports, des bases militaires, des résidences privées et une boîte de nuit. Certains détenus ont rapporté que des interrogatoires avaient également lieu à bord de navires. La torture comprenait une technique appelée le « grill », au cours de laquelle une personne était attachée à une broche et tournait dans un cercle de feu, selon l'AP. Un homme détenu dans l'un de ces centres l'a décrit comme une « prison sans retour », selon le rapport de HRW. Un autre, qui a rendu visite à un enfant détenu dans une cellule surpeuplée de l'un des sites, a déclaré que le garçon « semblait fou ».
Une fois rendus publics, les rapports ont été largement repris. Al Sarari, qui était citée dans l'un des articles de l'AP, est devenue le visage réticent de l'histoire. Après qu’elle eut donné une interview à Al Jazeera, les partisans de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite ont lancé une féroce campagne de harcèlement et de diffamation à son encontre. Sur les médias sociaux, elle a été traitée d'espionne, de sympathisante des terroristes, de mercenaire et de « pute ». Les insultes en ligne se sont parfois transformées en menaces envoyées anonymement. Une fois, quelqu'un s'est introduit chez elle et a volé son téléphone. Quelqu'un a brisé les vitres de sa voiture.
« Mon objectif était de continuer à travailler, mais j'étais terrifiée », dit Mme Al Sarari.
Certains de ses proches étaient fermement opposés à son travail et l'accusaient de mettre ses quatre enfants en danger. Ils ne comprenaient pas pourquoi, dans un État effondré où aucune des institutions officielles ne fonctionnait, elle insistait pour effectuer son travail dangereux. Ils lui disaient : « Fais ton travail normal, mais ne fais pas de surveillance, ne parle pas », se souvient-elle. « Il n'y a pas de système judiciaire, il n'y a pas de poursuites judiciaires ; aucune organisation ne travaille : vous vous retrouvez seule à faire le boulot ».
Mais c'est exactement la raison pour laquelle Al Sarari s'est sentie obligée de continuer à documenter les abus. Elle a fait profil bas pendant un certain temps, mais a fini par reprendre ses visites aux domiciles des disparus, en prétendant sortir avec des amis et en se cachant sous une burqa pour protéger son identité.
« Toute personne qui s'exprimait sur ce sujet courait des risques importants », dit Kristine Beckerle, ancienne chercheuse sur le Yémen à Human Rights Watch, qui a indiqué que le rapport 2017 de l'organisation s'appuyait largement sur le travail d'Al Sarari et de plusieurs autres personnes.
« Elle a vraiment payé le prix pour le travail qu'elle a fait », ajoute Beckerle. « Et c'est assez dévastateur, car on aimerait que le Yémen soit un endroit où des personnes comme Huda et d'autres soient récompensées et applaudies, plutôt que menacées ou voient leur vie bouleversée ».
En mars 2019, alors qu'Al Sarari était à la télévision pour discuter d'une vague de protestations contre les forces spéciales de sécurité yéménites, son fils Mohsen, âgé de 18 ans, a été abattu alors qu'il se trouvait à l'une des manifestations. Il a immédiatement été paralysé et est resté en soins intensifs pendant un mois, avant de mourir de ses blessures. Mme Al Sarari a demandé aux autorités locales d'enquêter sur le meurtre de son fils, mais elles ne l'ont pas fait, dit-elle. Elle a donc commencé à enquêter elle-même, et a appris d'un témoin qu'il n'avait pas été frappé au hasard, comme elle l'avait d'abord cru, mais qu'il avait été abattu intentionnellement, de face et à courte distance, par le frère d'un membre haut placé de la Ceinture de sécurité d'Aden, soutenue par les Émirats arabes unis. The Intercept n'a pas pu vérifier son récit de manière indépendante.
Après l'assassinat de son fils, Mme Al Sarari a ignoré les conseils de ses amis qui lui reocmmendaient de fuir et est restée au Yémen, où elle a poursuivi son travail de documentation des abus commis par les forces responsables de la mort de son fils. Elle est partie plusieurs mois plus tard, alors que la campagne de diffamation à son encontre s'intensifiait après la reconnaissance internationale de son travail.
Le point de basculement, dit-elle, s'est produit lorsqu'un commentaire anonyme en ligne a menacé son fils survivant. « Ils devraient se débarrasser d'un autre de tes enfants pour que tu partes », pouvait-on lire.
Huda Al Sarari montre une photo de son fils Mohsen, 18 ans au
moment de sa mort. Photo : Adil Salim Obaid Al Bahrani
Externaliser la torture
Bien qu'elle ne regrette pas son sacrifice, Huda Al Sarari se dit profondément déçue que son travail n'ait pas suscité une action plus énergique de la part de la communauté internationale - et des USA en particulier - en réponse aux abus commis par les EAU dans le sud du Yémen. « Les USA devraient demander des comptes aux EAU », a-t-elle déclaré.
« Ils n'ont pris aucune mesure qui rende justice aux victimes, surtout si l'on considère qu'il y avait des éléments usaméricains aux côtés des Émiratis dans le camp de la coalition », a-t-elle ajouté, en faisant référence aux responsables usaméricains. « Ils n'ont exercé aucune pression sur la coalition pour qu'elle cesse de commettre de tels crimes ».
Début 2015, lorsque les insurgés houthis se sont déplacés vers le sud, les USA ont évacué les troupes qu'ils avaient déployées au Yémen dans le cadre de leur lutte au long cours contre Al Qaïda. Mais après que les Houthis ont été repoussés par les forces de la coalition appuyées par les renseignements et le soutien aérien usaméricains, les USA ont redéployé un petit nombre de soldats des opérations spéciales pour aider aux efforts de lutte contre le terrorisme gérés par les EAU. Dans le sud du Yémen, les USA ont collaboré avec les Émirats pour former et armer les forces spéciales yéménites, auxquelles ils ont fourni un soutien tactique et technique.
Les rapports qu'Al Sarari a contribué à mettre en lumière, en fait, impliquaient également les USA, d'anciens détenus et des responsables yéménites affirmant avoir vu des USAméricains autour des sites de détention ou avoir été interrogés par eux.
L'enquête de l'AP de 2017 citait des responsables usaméricains anonymes affirmant que des USAméricains avaient effectivement participé aux interrogatoires des détenus sur les sites, et qu'ils avaient fourni des questions aux autres forces et reçu les transcriptions des interrogatoires. Les responsables ont déclaré qu'ils avaient eu connaissance d'allégations d'abus, mais qu'ils pensaient qu'aucun d'entre eux n'avait eu lieu lorsque les forces usaméricaines étaient présentes. « Nous ne fermerions pas les yeux, car nous sommes tenus de signaler toute violation des droits humains », a déclaré à l'époque un porte-parole du ministère usaméricain de la Défense.
Les hommes qui ont été libérés des prisons ont rapporté que les détenus seraient répartis entre ceux accusés de liens avec des groupes terroristes et les critiques de la coalition et autres activistes politiques, a déclaré Baraa Shiban, coordinatrice du projet Yémen à Reprieve, qui travaille en étroite collaboration avec Al Sarari et a personnellement interviewé certains des anciens détenus.
« Lorsque certains des détenus ont commencé à sortir, ils ont commencé à dire : "En fait, nous avons été interrogés par des interrogateurs usaméricains" », a déclaré Shiban à The Intercept. « Un certain nombre de prisonniers nous ont dit que lorsqu'ils les accueillaient, ils les séparaient et disaient : "Voici des personnes qui intéressent les interrogateurs usaméricains, et voici des personnes qui intéressent les Émirats arabes unis" ».
Ces révélations ont suscité des questions sur le rôle direct ou indirect des USA dans les détentions extrajudiciaires et la torture. Beckerle, la chercheuse sur le Yémen, a déclaré que si les rapports des groupes occidentaux ont attiré tardivement l'attention internationale sur les disparitions forcées et les prisons secrètes gérées par les EAU, « ce n'était pas un secret dans le sud du Yémen que ces terribles abus se produisaient ».
La position des responsables usaméricains - selon laquelle ils n'étaient pas au courant de ces abus avant la publication de rapports très médiatisés - est « absurde », ajoute-t-elle. « S'ils avaient cherché, ils l'auraient découvert, mais ils ne voulaient pas le découvrir ».
Un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense a déclaré à The Intercept qu'à la suite d'allégations publiques de torture, les responsables usaméricains ont fait pression pour que des représentants du Comité international de la Croix-Rouge soient autorisés à visiter les installations, et les ont rencontrés pour coordonner une telle visite. L'ancien fonctionnaire, qui a requis l'anonymat pour discuter de questions sensibles, a déclaré que le ministère déconseillait à ses membres de visiter des prisons à l'étranger pour éviter d'être tenus « responsables de faire quelque chose pour améliorer les conditions ». Il a ajouté que le CICR était mieux à même de rendre compte des conditions de détention et avait "plus de crédibilité" auprès des critiques.
Mais l'ancien fonctionnaire a également déclaré qu'il ne pensait pas que les EAU étaient responsables de la torture sur les sites, ajoutant que la torture n'est « pas seulement immorale, elle est inefficace ».
« Nous avions un engagement quasi-constant avec les Émirats sur les efforts au Yémen », a déclaré le fonctionnaire. « Si nous avions eu connaissance de violations des droits humains, dont la torture fait bien sûr partie, nous aurions cessé tout soutien ». [Ouf, on est soulagés, NdT]
Le CICR a effectué sa première visite à des détenus "liés au conflit" à Aden en 2018. Imene Trabelsi, porte-parole du groupe, a écrit dans un courriel à The Intercept que « tous les détails et toutes les préoccupations ou observations que nous pourrions avoir sont partagés dans le cadre d'un dialogue strictement confidentiel et bilatéral avec les autorités en charge ».
La porte-parole a ajouté que le CICR a visité environ 40 sites de détention dans tout le Yémen, touchant environ 20 000 détenus, pour la plupart civils. « L'accès du CICR aux détenus liés au conflit reste limité et continue de faire l'objet de négociations en cours avec toutes les parties au conflit », a écrit Mme Trabelsi.
Selon les critiques, les sites gérés par les Émirats arabes unis au Yémen rappellent les "sites noirs" de la CIA où les forces usaméricaines ont torturé de nombreux suspects de terrorisme au lendemain du 11 septembre. Bien que les abus commis par les USA aient été amplement documentés, aucun responsable ni aucune force usaméricaine n'ont été tenus responsables de ces actes - un échec qui, selon les défenseurs des droits humains, n'a fait que permettre à d'autres pays d'appliquer des tactiques similaires au nom de la lutte contre le terrorisme.
S'il y a quelque chose qui a changé depuis les premiers jours du programme de torture usaméricain, a déclaré Gibson de Reprieve, c'est que les USA ont pris leurs distances par rapport aux abus commis par d'autres forces avec lesquelles ils coopèrent étroitement, créant ainsi « une couche de déni plausible dans le système ».
« On pensait que la torture usaméricaine appartenait à l’histoire, et ce que le travail de Huda nous montre, c'est que tout ce que les USA nt fait, de la première moitié de la guerre contre le terrorisme à la seconde, c'est de se rendre compte qu'en fait, il vaut mieux externaliser la torture, la confier à nos partenaires, et ainsi nous n'avons aucune responsabilité, nous ne sommes pas impliqués », ajoute Gibson. « Lorsque vous n'assumez pas la responsabilité de vos propres actes et que vous ne demandez pas à votre gouvernement de rendre des comptes pour les actes de torture qu'il a commis, il va continuer à le faire d'une manière ou d'une autre. L'impunité ne fait qu'engendrer plus d'impunité ».
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