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17/09/2021

GIDEON LEVY
Anhar Al Dik a passé la moitié de sa grossesse dans une prison israélienne. Elle espère que son nouveau-né n'y grandira pas

Gideon Levy et AlexLevac (photos), Haaretz, 17/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala  

Quelques jours avant la naissance prévue de son fils, la prisonnière de sécurité Anhar Al Dik a été libérée, sous conditions restrictives, afin que le bébé ne naisse pas derrière les barreaux. Anhar, qui souffre de troubles mentaux, est accusée d'avoir tenté de poignarder un colon.

Anhar Al Dik, son mari Thaar Al Haj’a et leur fils Ala, cette semaine. Ce dernier a passé la plupart de son temps dans le ventre d'une mère en prison, mais il est né dans une sorte de liberté relative.

 
Félicitations. Ala Al Dik est né par césarienne le 9 septembre à l'hôpital arabe Istishari, près de Ramallah. Il pesait trois kilos à la naissance, souffrait de diabète néonatal et est sorti de l'hôpital quatre jours plus tard. Anhar, sa mère de 25 ans, était sortie de l'hôpital deux jours plus tôt. Lundi après-midi de cette semaine, Anhar était assise dans le salon de la maison de sa mère Aisha, dans le village de Nima, au centre de la Cisjordanie, où elle est assignée à résidence. Son visage exprimait une joie contenue et une lassitude démonstrative. Tout ce qu'elle voulait, c'était que nous partions pour qu'elle puisse être avec son mari et ses enfants.


Nous étions venus ici il y a deux semaines. À l'époque, il semblait que le tribunal militaire n'allait pas libérer Anhar de prison. Les autorités de l'administration pénitentiaire israélienne avaient alors décidé qu'elle accoucherait par césarienne le 12 septembre dans un hôpital israélien, alors qu'elle était encore en détention. Il semblait alors peu probable que le tribunal se réveille à la dernière minute et ordonne la libération de cette femme qui en était à son neuvième mois et dont la famille atteste qu'elle souffre d'instabilité mentale.


Anhar, elle non plus, ne croyait pas qu'elle serait libérée avant d'avoir accouché. Cette semaine, elle nous a dit qu'elle était certaine d'accoucher derrière les barreaux, dans la prison de Damon, au sud de Haïfa. Quelques semaines auparavant, elle avait écrit une lettre depuis sa cellule : « Vous connaissez la césarienne. Comment sera-t-elle pratiquée à l'intérieur de la prison, avec moi menottée et seule ?... Je n'ai aucune idée de l'endroit où je serai après l'opération et de la façon dont je ferai mes premiers pas après l'accouchement avec l'aide d'une gardienne israélien qui me tiendra les mains avec dégoût ».

 Elle s'inquiétait, écrivait-elle, de la manière dont elle allait élever son fils en prison, comment elle allait veiller à ses besoins et le protéger contre les bruits effrayants de la prison. Cette semaine, elle nous a dit qu'elle avait voulu que les autorités pénitentiaires lui montrent au moins les articles qui seraient fournis au nourrisson à la naissance, le lit dans lequel il dormirait et les vêtements qu'il porterait. Les autorités de Damon lui ont dit qu'après avoir accouché, elle recevrait tout ce qui est nécessaire pour élever un nouveau-né dans l'une des prisons les plus anciennes et les plus minables d'Israël, où 40 femmes palestiniennes sont actuellement incarcérées et où Anhar a passé les derniers mois de sa grossesse.

 Elle a été libérée dans la soirée du jeudi 2 septembre. La major des Forces de défense israéliennes Sivan Omer, juge au tribunal militaire de la base d'Ofer, a écrit dans sa décision, en réponse à la demande d'Anhar d'être libérée afin de pouvoir accoucher en dehors de la prison : « Il est clair que le fait de se trouver entre les murs d'un centre de détention n'est pas une situation bénéfique pour un nouveau-né et pourrait, manifestement, mettre en danger la santé de l'enfant.... Dans ces circonstances, j'ai estimé qu'il y avait lieu d'examiner sa libération de manière positive et d'envisager une autre forme de détention, qui comportera des conditions strictes garantissant le bien-être de la requérante, de ses enfants et du public en général ».

 La juge Omer, qui mérite des éloges pour sa décision, a noté que sur la base d'un avis rendu par le psychiatre du district, les experts en santé mentale qui l'ont examinée n'ont pas eu l'impression qu'Anhar était dans un état psychotique. Cependant, la juge a noté : « L'avis [des experts] indique que, selon la description de la pétitionnaire, concernant l'incident qui fait l'objet de l'acte d'accusation, ses actions ne découlaient pas de motifs racistes ou nationalistes, mais de son désir de mourir, car elle ne pouvait plus supporter le sentiment [constant] de dépression ».

Comme nous l'avons écrit ici il y a deux semaines, lorsque son état mental a commencé 0 devenir instable, au début de sa deuxième grossesse, la famille d'Anhar l'a emmenée chez deux psychiatres palestiniens ; ils ont diagnostiqué qu'elle souffrait de troubles de la personnalité bipolaires et de dépression.

 

Anhar Al Dik et sa fille Julia, cette semaine

 Les signes de la dépression qui apparemment va et vient n'étaient pas apparents cette semaine, seulement l'épuisement d'Anhar dû à son incarcération et à l'accouchement, bien que ses jambes aient tremblé nerveusement tout au long de notre conversation. Ala est pris en charge par les femmes de la famille élargie de ses parents, qui sont encore émues par la libération surprise d'Anhar. Pendant notre visite, le bébé a été amené dans la pièce dans un porte-bébé, un tout petit bébé de quelques jours à peine, les yeux fermés, après avoir passé la plupart de son temps dans le ventre d'une mère en prison, mais étant né dans une sorte de liberté relative.

 Thaar Al Haj'a, le mari d'Anhar, ne la quitte pas d'une semelle ; de temps en temps, le couple échange des regards et des sourires. Ce jeudi-là, à 18 heures, une semaine avant l'accouchement prévu, Anhar a appris par la télévision palestinienne, dans sa cellule, que les autorités israéliennes avaient décidé de la libérer. Vers 21 heures, les gardiennes sont arrivées pour lui annoncer la nouvelle. Elles lui ont donné dix minutes pour faire ses bagages et s'organiser, et pour se séparer de ses codétenues et de l'endroit où elle avait passé les derniers mois.

 « Je n'arrivais pas à croire qu'ils me laissaient sortir », nous a-t-elle confié cette semaine. « C'était un sentiment qu'il est difficile de décrire avec des mots ».

 Anhar, qui n'était pas menottée cette fois, a été emmenée dans un fourgon cellulaire jusqu'au poste de contrôle de Salem, près de Jénine, où elle a été stupéfaite de voir des dizaines de sympathisants l'attendre de l'autre côté du poste de contrôle - y compris sa famille, bien sûr. Les photos et les clips vidéo pris à sa sortie du fourgon sont très émouvants.

 Après avoir été examinée à l'hôpital de Jénine, Anhar s'est rendue au domicile de sa mère à Nima, comme le stipulent les conditions de sa libération : Elle a été libérée moyennant une caution de 40 000 shekels (environ 10 000 €) ; elle doit être sous la surveillance de deux membres de sa famille ; et elle doit se présenter une fois par semaine au poste de police de la colonie israélienne de Modi'in Ilit. Cette semaine, elle s'est inquiétée de savoir de quel côté du poste de contrôle se trouve le poste de police.

 Les autorités pénitentiaires l'ont traitée comme n'importe quelle autre détenue, explique-t-elle, ajoutant que la nourriture qu'elle recevait n'était pas appropriée pour une femme enceinte et qu'elle avait du mal à dormir dans le lit étroit à mesure que sa grossesse avançait. Un médecin l'examinait chaque semaine et, chaque mois, elle était emmenée au centre médical Rambam de Haïfa pour des contrôles. Les trajets, au cours desquels elle était menottée malgré le stade avancé de sa grossesse, l'épuisaient. Il y avait quatre femmes dans sa cellule, et le plan était de la transférer dans une cellule individuelle après la naissance. Elle a expliqué qu'elle se trouvait dans la même prison que Khalida Jarrar, membre du parlement palestinien, au moment déchirant où celle-ci a été informée que sa fille, Suha, était décédée d'un arrêt cardiaque Israël a refusé de libérer la mère éplorée pour qu'elle puisse assister aux funérailles.

 « Pensez à la difficulté de perdre une fille à l'extérieur, et vous commencerez à comprendre à quel point la vie est terrible en prison », a déclaré Anhar. « Toutes les détenues ont essayé de la soutenir et de faire preuve de solidarité ». (Jarrar doit être libérée à la fin de ce mois).

 

Anhar Al Dik avec son mari Thaar Al Haj'a

 Anhar avait très peur d'accoucher seule dans un hôpital israélien, en tant que prisonnière. « Comment pourrais-je me rendre à l'hôpital ?" a-t-elle demandé cette semaine. "Avec les mains et les pieds liés ? Sans ma mère ou mon père - sans mon mari ? Sans personne de ma famille ? Et comment Ala grandirait-il dans ces conditions difficiles ? Comment m'occuperais-je de lui ? »

 L'histoire d'Anhar a commencé le 8 mars dernier, journée internationale des femmes, alors qu'elle était dans son quatrième mois de grossesse. Elle a quitté la maison à 9 heures du matin, laissant seule sa fille Julia, âgée de 2 ans, et a marché en direction de Jabal Al Risan, une colline sur laquelle la famille de son mari possède des terres qui ont été accaparées par des colons qui y ont établi l'avant-poste illégal de Sde Ephraim. L'un des colons, Eitan Ze'ev, qui a tué un Palestinien de 34 ans originaire d'un village voisin en février, est actuellement jugé pour avoir tiré et blessé un autre Palestinien.

 
L'acte d'accusation d'Anhar indique qu'elle a pénétré dans l'avant-poste, qui y est appelé "yishuv" - le mot pour "communauté" - en passant sous la clôture d'enceinte, et s'est dirigée vers une maison avec l'intention d'y entrer.

 
« L'accusée [Anhar] a profité d'une occasion, lorsque L.Z. [un colon] était au téléphone avec son mari pour le convoquer, pour entrer dans la maison. Elle s'est rendue dans la cuisine et a pris un couteau avec une lame de 10 centimètres de long et l'a brandi. Pendant tout ce temps, les filles de L.Z., âgées de 1 et 8 ans, étaient dans la maison et se sont ensuite enfuies sous le porche. L'accusée s'est avancé vers L.Z. en tenant le couteau, et L.Z. a réussi à atteindre le porche. L'accusée a poussé la porte du porche en brandissant le couteau. Ce n'est qu'après l'arrivée du mari de L.Z., qui a armé son pistolet et ordonné en arabe à l'accusée de lâcher le couteau, que celle-ci l'a lâché ». Anhar a été accusé de tentative d'agression.

 Cette semaine, Anhar nous a dit qu'elle ne se souvenait pas des événements de cette journée. Elle se souvient seulement d'avoir été encerclée par des colons qui l'ont attaquée, avant de l'emmener au centre médical Sheba, à Ramat Gan, pour soigner ses blessures.

 Selon sa famille, le lendemain des incidents précédents - comme lorsqu'Anhar a mis le feu à un rideau de sa maison, a menacé de sauter du toit ou a attaqué sa famille - elle ne s'en souvenait pas non plus. Elle nous a dit qu'elle était probablement en proie à une sorte de crise d'épilepsie lorsqu'elle s'est rendue à l'avant-poste. Que voulait-elle y faire ? « Je n'étais pas consciente ».

Le procès d'Anhar reprendra le 12 octobre lors d'une session qui traitera des détails logistiques, où elle n'aura pas à être présente. Pour l'audience suivante, le 22 novembre, elle devra être présente dans la salle d'audience. Il est clair qu'elle a peur de retourner en prison et espère que la promesse de son avocat selon laquelle elle n'aura pas à y retourner se réalisera.

 « Tout ce qui s'est passé ces derniers jours, c'était pour qu'Ala ne soit pas en prison », dit-elle, visiblement impatiente que nous partions. « J'espère juste qu'ils ne vont pas me renvoyer en prison ».

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