Antonio Mazzeo, Africa Express, 16/9/2021
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Neuf vols fantômes pour expulser des centaines de citoyens fantômes égyptiens. Nous ne connaissons pas leurs visages, leurs noms, leurs prénoms, leurs âges, leurs espoirs et leurs rêves brisés, les véritables raisons qui les ont poussés à abandonner leurs foyers et leurs familles et à s'embarquer pour un long et dangereux voyage à travers la mer et le désert. À vrai dire, nous ne savons même pas combien ont été réellement rejetés ou expulsés en six mois seulement, car les comptes des bureaucrates de l'État sont tout sauf précis et méticuleux. Il est question de « rapatriement et de réadmission » mais, à trois reprises, l'aéroport de destination n'est pas en Égypte mais dans un pays tiers situé à 3 000 kilomètres, la Tunisie.
Nous ne savons pas à qui et avec quelles garanties ont été remis les citoyens égyptiens entrés illégalement sur le territoire italien, ni qui et comment Rome a vérifié qu'ils ne fuyaient pas les répressions sanglantes du régime du maréchal Al Sissi - disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires, torture - dont tout le monde en Italie a désormais connaissance après le cas tragique du chercheur Giulio Regeni et l'emprisonnement pour une durée indéterminée de l'étudiant Patrick Zaki de l'université de Bologne.
Les avis d'appel d'offres pour le transport aérien d'immigrants, attribués
par le département de la sécurité publique du ministère de l'Intérieur
(direction centrale de l'immigration et de la police des frontières), qui
peuvent être consultés sur le site web de la police d'État, décrivent un
scénario inédit et inquiétant : entre le 19 mars et le 31 août 2021, les
autorités italiennes ont dépensé 652 290 euros pour louer neuf avions et
expulser un nombre indéterminé de citoyens égyptiens « destinataires
d'ordres d'expulsion ou de rejet par les préfectures ». Ces opérations
sont déplorables en raison du climat de violence et d'oppression qui règne dans
ce pays d'Afrique du Nord et de la dépense injustifiée de ressources
financières et humaines. Pour les "services d'éloignement et
d'accompagnement nécessaires" des migrants ou des demandeurs d'asile
potentiels, entre 650 et 1 000 policiers ont été employés, avec des frais de
mission (internationale) non quantifiés, ainsi que des dépenses non quantifiées
pour le transfert des Égyptiens des centres de détention et d'expulsion vers
les aéroports d'embarquement.
« Il est possible de rapatrier les citoyens égyptiens arrivés illégalement sur le territoire national, après avoir effectué les procédures d'identification nécessaires, conformément à l'accord de coopération entre la République italienne et la République arabe d'Égypte sur la réadmission du 9 janvier 2007 », peut-on lire dans les neuf procédures négociées dont la police d'État confie le transport aérien des migrants à des sociétés privées. « Le rapatriement des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'expulsion doit toujours être effectué immédiatement ou, en tout état de cause, si les intéressés sont détenus dans un CPR (Centres de rétention pour rapatriement), dès que les situations transitoires qui ont fait obstacle à son exécution ont été surmontées, indépendamment de la durée de détention déjà validée par l'Autorité judiciaire (...).) On considère donc qu'il est impératif de prévoir le rapatriement des citoyens égyptiens faisant l'objet d'une mesure d'éloignement de l'Italie, par la location d'un avion et des services connexes ».
Le premier vol de réadmission a eu lieu le 19 mars 2021 et a impliqué "20/30 citoyens égyptiens" accompagnés "d'environ 70/90 membres des forces de police". L'avion a décollé de Rome Fiumicino et, après une escale à Palerme Punta Raisi, a incroyablement terminé son voyage en atterrissant à "Hammamet (Tunisie)". L'affrètement a coûté 85 000 euros et a été confié à PAS Professional Aviation Solutions S.r.l., une société basée à Milan, qui a effectué cinq autres transports de migrants égyptiens au cours de l'année. Le 13 avril, les autorités policières ont rapatrié "20/40 autres citoyens égyptiens " par un vol direct Rome-Le Caire ; puis à nouveau le 27 avril (départ de Fiumicino, escale à Palerme et destination finale, encore une fois Hammamet-Tunisie, coût 92 000 euros) et le 21 mai (départ de Rome Fiumicino, escale à Bari Palese et Palerme et arrivée à Hammamet, 53 900 euros).
Le 21 juin, un autre groupe de migrants a été remis aux autorités policières égyptiennes après avoir emprunté la route Fiumicino-Palerme-Le Caire ; le 2 juillet, avec un avion loué à la compagnie EgyptAir, la route de "réadmission" vers leur pays d'origine était Fiumicino -Bari-Le Caire. Le 13 juillet, il y avait un vol au départ de Trieste Ronchi dei Legionari, avec une escale à Rome Fiumicino et comme destination finale la capitale égyptienne. La dernière opération de "réadmission" d'une trentaine de migrants égyptiens a eu lieu le 31 août sur l'itinéraire Rome-Bari-Le Caire. En 2020, il n'y avait eu que deux vols de rapatriement depuis l'Italie (21 janvier et 7 février) et toujours avec le même itinéraire Rome-Palerme-Le Caire, pour une dépense totale de 115.990 euros.
L'accord de coopération en matière de réadmission et de lutte contre l'immigration clandestine, qui a servi de base juridique à l'escalade des vols de passagers fantômes, a inexplicablement survécu aux "révolutions" et aux coups d'État qui ont secoué l'Égypte au cours de la dernière décennie. Signé à Rome le 9 janvier 2007 par le vice-ministre de l'époque Ugo Intini (avec le premier ministre Romano Prodi, le ministre de l'intérieur Giuliano Amato, le ministre des affaires étrangères Massimo D'Alema) et son homologue vice-ministre de la République d'Égypte Mohammed Meneisi, l'accord est resté en vigueur malgré l'éviction du président Hosni Moubarak le 11 février 2001, par le Conseil suprême des forces armées dirigé par le général Mohammed Hussein Tantaoui, qui a été suivie par l'élection contestée de Mohamed Morsi (Frères musulmans) à la présidence en juin 2012 et le coup d'État militaire du 3 juillet 2013, avec la présidence provisoire du magistrat Adil Mahmud Mansur et enfin l'arrivée au pouvoir du général Abdel Fattah Al Sissi (8 juin 2014). Dans les phases les plus critiques des relations entre les deux pays - après l'assassinat de Regeni - les autorités égyptiennes ont menacé de suspendre unilatéralement la validité du mémorandum, mais le nombre record de rapatriements au cours des six derniers mois confirme au contraire que les migrants "irréguliers" constituent une dossier fondamental pour l'alliance italo-égyptienne, au même titre que l'import-export de systèmes d'armes, de gaz et de pétrole.
Selon l'article 2 de l'Accord, chaque partie contractante « réadmet ses ressortissants qui ne remplissent pas les conditions prévues par la législation applicable en matière d'immigration, pour autant qu'il soit prouvé ou qu'il puisse être raisonnablement présumé qu'ils sont des ressortissants de la partie requise ». Présomption raisonnable de nationalité pour les demandes de réadmission auxquelles les parties répondent dans un délai de 21 jours, sinon l'assentiment tacite s'applique. L'article 7 prévoit la possibilité pour les ressortissants de pays tiers de transiter par le territoire, par accord entre les parties, trois au maximum à la fois et avec une description de l'itinéraire de transit et du pays de destination finale.
Dans le protocole exécutif joint, l'article 2 prévoit que la réadmission des ressortissants des parties contractantes et les procédures de passage en transit des ressortissants de pays tiers se déroulent aux points de passage frontaliers des aéroports internationaux de Rome Fiumicino, Milan-Malpensa et du Caire. La lecture de l'art. 5 est choquante : « lorsque les parties évaluent, d'un commun accord, l'existence de cas d'urgence et de nécessité ou de cas humanitaires, les procédures visant à établir l'identité des personnes dont la réadmission est demandée peuvent être exécutées sur le territoire de la partie requise (c'est-à-dire le pays auquel la demande de réadmission est adressée, NdA) ». « Dans ce cas », ajoute-t-on, « les parties contractantes conviennent des délais et des modes de transport, ainsi que des garanties pour le retour sur le territoire de la partie requérante de ceux qui s'avèrent ne pas être des citoyens de la partie requise ». Les politiques migratoires du gouvernement égyptien sont à l'index des principales organisations des droits humains. Amnesty International note que l'année dernière, d'innombrables cas d'arrestation, de détention arbitraire et de mauvais traitements de réfugiés et de migrants étrangers ont eu lieu en Égypte. Il est impensable qu'en cas de découverte d'une erreur d'identification, le migrant puisse rentrer et être accueilli en Italie. Il est également impossible de comprendre pourquoi les citoyens égyptiens ont été transférés dans la ville de Hammamet, au nord-est de la Tunisie. Une erreur d'impression répétée trois fois dans autant de documents de la police ? Ou le risque concret d'une déportation manu militari dans l'enfer libyen tout proche ? Draghi et sa ministre de l’Intérieur Lamorgese ont le devoir de s'en expliquer le plus rapidement possible.
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