08/08/2022

AVI BAR-ELI
L'homme le plus riche d'Asie vient d'acheter le port israélien de Haïfa

Avi Bar-Eli, Haaretz, 17/7/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'industriel milliardaire Gautam Adani, un ami proche du Premier ministre indien Narendra Modi, a acheté jeudi 15 juillet une participation majoritaire dans le port de Haïfa pour plus de 4 milliards de shekels [= 2 milliards €]. Cette transaction pourrait-elle déboucher sur une liaison ferroviaire avec la Jordanie ?

Le milliardaire indien Gautam Adani. Il est aujourd'hui la quatrième personne la plus riche du monde et le propriétaire du port de Haïfa. Photo : Tomohiro Ohsumi / Bloomberg

Dans le cadre de la visite du président usaméricain Joe Biden en Israël la semaine dernière, un sommet diplomatico-stratégique sans précédent a eu lieu jeudi après-midi.

Biden, le Premier ministre Yair Lapid, le dirigeant des Émirats arabes unis Mohammed bin Zayed et le Premier ministre indien Narendra Modi se sont rencontrés pratiquement sous l'égide du nouveau groupe créé par les USA, I2U2, pour accroître la coopération entrepreneuriale entre les quatre pays (et peut-être pour signaler aux Chinois qu'un nouveau forum stratégique a été créé pour contrer celui que la Chine a établi avec le Pakistan et l'Iran).

Alors que les quatre dirigeants ont surmonté les limites de Zoom et discuté de la nécessité d'investissements communs dans les infrastructures, la santé et la sécurité alimentaire, la nouvelle alliance semble déjà porter ses fruits.

L'empire des infrastructures appartenant à Gautam Adani, un ami personnel de Modi et la personne la plus riche d'Asie, a été déclaré vainqueur de l'opération de privatisation du port public de Haïfa, avec la société israélienne Gadot Chemical Terminals. Cette décision a été prise à la suite de l'immense pression exercée par les USA sur les Chinois pour qu'ils ne soumettent pas d'offre et après que les Émiratis se sont retirés à la dernière minute.

Adani Ports a offert un montant plutôt stupéfiant de 4,1 milliards de shekels (= 2 milliards €) pour le port, soit 55 % de plus que la deuxième meilleure offre. Il s'agit d'un prix beaucoup plus élevé que ce que le gouvernement avait d'abord prévu, avec un ratio cours/bénéfice de 18 (calculé approximativement, sur la base de la moyenne des trois dernières années). C'est comme si Adani disait : « Écartez-vous, il s'agit d'un achat stratégique - et pour nous, le prix est moins important ».

Fier d'être à Haïfa

En fait, lorsque les groupes locaux en concurrence pour acheter le port ont entendu le prix qu'Adani Ports avait proposé, ils ont tous fait marche arrière. « Avec un tel écart, vous comprenez que c'est un jeu complètement différent. Cela ne sert à rien de s'opposer à un acteur qui considère cet actif comme un investissement stratégique », a déclaré une personne proche de l'un des soumissionnaires rivaux.

La société d'Adani exploite 13 terminaux maritimes en Inde et contrôle 24 % du commerce maritime indien. Il n'a pas d'intérêts en Occident. Son entrée en Israël est donc un signe de l'augmentation du trafic maritime entre l'Asie et l'Europe, et du besoin des principaux acteurs asiatiques d'avoir une plateforme en Méditerranée.


 Adani a gazouillé jeudi à ses près de 638 000 follooueurs : « Ravi de remporter l'appel d'offres pour la privatisation du port de Haïfa en Israël avec notre partenaire Gadot [qui détient une participation de 30 % dans le port]. Une importance stratégique et historique immense pour les deux nations ! Fier d'être à Haïfa, où les Indiens ont mené, en 1918, l'une des plus grandes charges de cavalerie de l'histoire militaire ! »

En évoquant la charge de la cavalerie indienne lors de la Première Guerre mondiale, lorsque les troupes indiennes ont vaincu les Ottomans, la quatrième personne la plus riche du monde - Adani pèse près de 111 milliards d’euros - a enveloppé l'opération d'une aura nationaliste-historique dont la signification est claire pour tous : Lorsqu'il s'agit d'acquérir une participation majoritaire dans un actif stratégique comme un port, il ne s'agit pas seulement d'une opération privée, mais aussi d'une manœuvre politique. Derrière le vainqueur de l'appel d'offres se cache un pays, pour le meilleur et pour le pire.

 Le port de Haïfa

Israël s'attend à ce que l'entrée d'Adani sur la scène locale conduise à davantage d'investissements indiens, notamment dans les domaines des énergies renouvelables et de la défense. Adani a d'ailleurs déjà collaboré avec la société d'aérospatiale et de défense Elbit Systems pour la construction d'une usine de fabrication de drones en Inde.

Une autre attente, alimentée par la vision d'un nouveau Moyen-Orient, concerne la construction d'une liaison ferroviaire entre le port de Haïfa et la Jordanie. Il s'agirait d'un changement de donne diplomatique et logistique, dont on a beaucoup parlé dans le passé. Maintenant qu'une société indienne détient une participation majoritaire dans le port de Haïfa et que les Chinois (par l'intermédiaire du Shanghai International Port Group) détiennent une participation majoritaire dans le terminal à conteneurs voisin de Haïfa Bayport, cette liaison pourrait enfin devenir une réalité.

Cela est d'autant plus probable que les Jordaniens pourraient bientôt avoir un intérêt économique dans une telle liaison. En effet, la possibilité pour l'Arabie saoudite d'autoriser les pèlerins musulmans à se rendre directement d'Israël à La Mecque entraînerait une réduction importante des revenus jordaniens tirés de la traversée terrestre du pont Allenby entre la Cisjordanie et la Jordanie.

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