Shimon Stein et
Moshe Zimmermann, Frankfurter
Rundschau, 9/9/2022
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Shimon Stein a été ambassadeur d'Israël en Allemagne (2001-2007) et est actuellement chercheur principal à l'Institut d'études de sécurité nationale (INSS) de l'Université de Tel Aviv.
Moshe Zimmermann est professeur émérite à l'Université hébraïque de Jérusalem.
Une étude sur la position des Allemand·es à l'égard d'Israël et de sa politique donne des résultats qui ont de quoi dégriser
Plus la commémoration du 50e anniversaire de la prise d’otages de Munich se rapprochait, plus les relations germano-israéliennes revenaient en une des médias. C'est pourquoi l'étude de la Fondation Bertelsmann « L'Allemagne et Israël aujourd'hui : entre connexion et distanciation » a pu trouver son chemin dans les médias. Dans la plupart des journaux et des chaînes de télévision, la nouvelle est apparue à peu près sous le titre : « Les Israéliens regardent l'Allemagne de manière plus positive que l'inverse. » Cela n'est pas surprenant, car cette conclusion a déjà été tirée par des sondages antérieurs menés par d'autres instituts de sondage.
Mais en examinant de plus près les résultats, un message plus important transpire : en ce qui concerne les relations de l'Allemagne avec Israël, le fossé entre la politique et la société menace de créer une situation explosive. Le mot distanciation (Entfremdung] apparaît déjà dans le sous-titre de l'étude, et la postface de Dan Diner souligne à juste titre le « hiatus d’ambiance » entre la société et la politique, comme le confirme également un récent « sondage Israël » d'Elnet (European Leadership Network).
Depuis 2008, les politiciens allemands citent la déclaration d'Angela Merkel : la sécurité d'Israël est la raison d'État allemande. La responsabilité envers Israël et le soutien aux intérêts israéliens – pour cela, il y a une grande majorité parmi les députés du Bundestag, selon le « sondage Israël ». Cependant, pour l'Allemand·e lambda, la mise en œuvre de ce mantra s'avère très problématique. Si Israël répondait aux ambitions nucléaires de l'Iran par une frappe militaire, seuls 13 % des Allemands seraient prêts à soutenir Israël (selon l'étude Bertelsmann). Et si Israël décidait de faire un pas de plus vers l'annexion des territoires palestiniens, les Allemands ne l'avaleraient pas en tant que raison d'État allemande – le nombre de partisan·es de la solution à deux États parmi eux·elles est trois fois et demie plus élevé que celui de leurs adversaires ! La classe politique sera-t-elle en mesure, même dans ces cas, de tenir les promesses de raison d'État de Merkel contre la volonté des citoyen·nes ?
Alors que la politique met en avant le soutien absolu à l'État juif, l'étude Bertelsmann montre que 83 % des Allemand·es ont une attitude qui va de la neutralité à l’indifférence face au conflit israélo-palestinien. En général, seulement un huitième des citoyen·nes allemand·es estiment que le gouvernement fédéral devrait soutenir Israël. Il serait toutefois erroné de rejeter globalement cette attitude des Allemand·es comme l'expression d'un antisémitisme généralisé lié à Israël : 90 % des personnes interrogées considèrent l'antisémitisme comme un problème et estiment en outre que « les Juifs font naturellement partie de l'Allemagne ». Environ un cinquième de la population est sensible aux préjugés antisémites – pas plus que la moyenne européenne et pas plus que les dernières décennies. En outre, beaucoup plus (43%) estiment que les élèves apprennent trop peu sur l'Holocauste que ceux (8%) qui affirment le contraire.
Un exemple de ce que toutes les attitudes critiques vis-à-vis d’Israël ne renvoient pas à un antisémitisme lié à Israël : si environ un tiers des Allemand·es ne ressentent pas de responsabilité particulière envers Israël et le peuple juif, il s'agit d'un manque évident de conscience historique. Mais ce déficit ne concerne pas seulement les Juifs et Israël – un tiers des personnes interrogées ont également répondu négativement à la question sur la « responsabilité vis-à-vis des personnes fuyant la guerre et la persécution dans le monde ».
Il est évident que la sympathie relativement faible pour Israël, telle que nous le révèle l'étude, résulte plutôt de l'attitude d'Israël envers le conflit israélo-palestinien : si 45% des Israéliens rejettent la solution à deux États et seulement 17% des Allemands sont de cet avis, le chemin vers le hiatus est ouvert. L'opinion des Allemand·es, poursuit l'étude, « sur le gouvernement israélien (43% plutôt mauvaise/très mauvaise) » est « encore plus négative que sur le pays dans son ensemble ».
En outre, l'approbation (43%) de l'affirmation « Le gouvernement israélien contribue à … l'antisémitisme », couplé à 0% (!), qui ont une « très bonne opinion du gouvernement israélien actuel », indique que les critiques à l'égard de l'État juif sont principalement dirigées contre la politique gouvernementale israélienne. Même si les préjugés antisémites jouent un rôle, une chose est claire : le fossé entre la République fédérale officielle et la vox populi n'est pas négligeable.
A cela s'ajoute le fait que structurellement, « la distanciation » et « le hiatus » s'expriment non seulement dans la comparaison entre la politique et l'opinion publique en Allemagne, mais aussi dans la perspective d'un ancrage démocratique dans les deux pays. Dans les deux sociétés, seuls 3 % rejettent la démocratie comme « meilleure forme d'État », mais alors qu'en Allemagne, seuls 28 % aspirent à un « homme fort », en Israël, ils sont 77 % ! Pas de surprise pour les observateurs des faiblesses de la « seule démocratie du Moyen-Orient ».
L'étude a également souligné à juste titre les particularités du secteur juif religieux, qui a une opinion très négative sur l'Allemagne (39%, contre 13% chez les Juifs laïcs), et s'oppose fermement à la solution à deux États. Compte tenu de la part croissante de ce groupe, on peut s'attendre à une distanciation progressive entre Allemands et Israéliens. La proposition de l'étude Bertelsmann de « faire des efforts pour inclure les Israéliens qui se définissent comme religieux » est naïve, car une opinion fondée sur la foi ne peut pas être changée de cette façon.
L'AfD incarne un paradoxe des relations germano-israéliennes : la direction du parti est particulièrement pro-israélienne. De ce parti, même les colons juifs reçoivent un soutien. Donc, absurdement, l'AfD pourrait-elle devenir le moyen de surmonter le hiatus israélo-allemand ? Mais l'étude doit être lue comme un avertissement pour les Allemands et les Israéliens en même temps : les aéfdéistes de base sont ceux qui considèrent le moins la démocratie comme la meilleure forme d'État, et souhaitent le plus un « Führer fort ». A la question : « Le souvenir de l'Holocauste devrait-il jouer un ... rôle dans la politique allemande actuelle et future ? », 81% des aéfdéistes répondent « aucun ou un petit rôle ». Ils sont les plus nombreux à rejeter la responsabilité historique (allemande) pourIsraël (68%),un partisan de l'AfD sur deux croit au préjugé antisémite selon lequel « les Juifs ont trop d'influence dans le monde ». Que les Juifs ne font pas partie de l'Allemagne, 31% d'entre eux le pensent. À un moment donné, le masque tombera et posera également la question de la proximité entre ce parti et ses sympathisants en Israël.
Les études nous donnent donc une leçon dégrisante : dans le contexte du conflit israélo-palestinien, l'écart entre la politique et l'opinion publique en Allemagne, ainsi qu'entre le système de valeurs israélien et allemand, ne cesse de se creuser. Les deux champs relationnels semblent courir le risque de transformer l'écart en un fossé profond. Pour arrêter la dégringolade, les discours solennels au Bundestag ne suffisent pas. Ce qu’il faudrait, ce serait plutôt un tournant dans la politique israélienne.
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