Antonio Mazzeo, Africa Express,
15/1/2021
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Nous avons vraiment décidé de nous faire du mal. Et beaucoup. On ne pouvait pas choisir un pire moment pour rendre la nouvelle mission militaire italienne au Mali à 100% opérationnelle. Le pays sahélien, durement éprouvé politiquement, économiquement et socialement par les deux coups d'État orchestrés en août 2020 et mai 2021, a été mis au ban de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) car l'homme fort de Bamako, le colonel Assimi Goïta, ne montre aucune intention de favoriser une véritable transition démocratique. Le report des élections, initialement prévues en février, a convaincu l'organisation africaine de fermer ses frontières avec le Mali et de brandir la menace de nouvelles sanctions, telles que la suspension des transactions financières et le gel des avoirs de l'État dans les banques des États membres.
14 pays européens et le Canada se sont prononcés contre le gouvernement du colonel Goïta, irrités par l'autorisation et le financement de troupes mercenaires sur le territoire malien. En particulier, la célèbre société de contractants russes Wagner, proche de l'establishment poutinien, est à l'index, mais aussi les fournitures militaires que Moscou vient d'envoyer à l'État africain (dont quatre hélicoptères de transport et de combat Mi-171). Les relations avec la France sont encore plus mauvaises : le président Emmanuel Macron a accéléré le retrait d'une partie du contingent déployé au Sahel (sur les 5 000 militaires début 2021, il en restera 3 000 fin 2023) et fin 2021, les bases de Kidal, Tessalit et Tombouctou, utilisées depuis août 2014 dans le cadre de la mission « anti- terroriste » Barkhane, ont été rendues aux forces armées maliennes.
Les Français partent, en partie, pour être remplacés par leurs plus fidèles partenaires européens, l'Italie en tête, totalement inconsciente du scénario géostratégique très compliqué et dangereux au Sahel. Paris demandait depuis des années à l'UE un partage du fardeau militaire et financier en Afrique sub-saharienne. Ainsi, en janvier 2020, Macron a lancé la Task Force Takuba (Épée en langue tamasheq), une mission multinationale dirigée par la France, à laquelle se sont déjà joints l'Italie, la Belgique, le Danemark, l'Estonie, l'Allemagne, la Grèce, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la République tchèque, la Roumanie, l'Espagne et la Suède.
Évitant soigneusement tout battage, le détachement de l'armée italienne affecté à la Task Force Takuba est devenu pleinement opérationnel à la fin de 2021. Sur la grande base de Ménaka (région de Gao, au nord-est), 200 soldats des forces spéciales, deux hélicoptères de transport Boeing CH-47 Chinook et deux hélicoptères d'attaque AW-129 Mangusta d'Agusta-Leonardo ont été déployés. « L'articulation opérationnelle sera appelée à fournir des activités de conseil, d'assistance et de mentorat aux forces armées maliennes dans la lutte contre le terrorisme jusqu'à ce qu'elles soient en mesure d'opérer de manière autonome », rapporte le service de presse du ministère italien de la Défense. « La zone d'opération est identifiée à l'est du fleuve Niger, dans la zone des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso), appelée Liptako-Gourma. La participation nationale au Mali - et à terme au Niger et au Burkina Faso - permettra, entre autres, de renforcer les capacités italiennes de transport sanitaire militaire (MEDEVAC) au profit des forces de sécurité locales et des principaux acteurs européens ».
Ménaka est devenu le véritable quartier général de la force opérationnelle européenne. Après avoir été une base logistique pour les unités françaises affectées à l'opération Barkhane, l'installation est agrandie (de 8 à 30 hectares de surface), et des aires d'atterrissage et de stationnement pour les avions de guerre, des entrepôts et des magasins, des infrastructures d'hébergement, une cantine, un gymnase et une salle de réunions et de réceptions (le Takubar) sont construits. Outre les unités françaises et italiennes, Ménaka accueille actuellement des unités du Danemark, de l'Estonie, de la République tchèque, du Royaume-Uni et de la Roumanie. Dans les mois à venir, une unité « interarmées » belge devrait également rejoindre le camp pour assurer la « protection » et le soutien des forces spéciales. Depuis l'été dernier, l'OTAN, par le biais de son agence NSPO (Agence OTAN de soutien et d'acquisition), fournit toute une série de services au grand camp européen (approvisionnement en nourriture et en carburant, assainissement, activités de génie, entretien des infrastructures, transport aérien et terrestre, etc.)
« En 2012, la situation politique au Mali s'est précipitée suite à un coup d'État et ce vide de pouvoir a permis aux mouvements indépendantistes et aux groupes islamistes de la région de contrer les forces de sécurité locales et de prendre le contrôle du territoire », écrit le ministère de la Défense dans la fiche d'information sur l'objet de la participation italienne à la Task Force Takuba. « À la demande du Mali, la mission française appelée Serval (rebaptisée Barkhane en 2014) a été lancée en 2013. Dans ce contexte, se greffe la demande d'avril 2019 du chef d'état-major français à ses homologues européens pour la création d'une force multinationale (TF-Takuba) composée d'éléments des branches d’opérations spéciales des pays européens ».
« Le président de la République du Mali a officiellement invité l'Italie à participer au dispositif opérationnel à la fin du mois de novembre 2019 et le 9 mars 2020, le président de la République du Niger a de même étendu à l'Italie la demande d'assistance militaire, autorisant son déploiement au Niger, visant à stabiliser la région sahélienne susmentionnée », poursuit la Défense. La participation de l'Italie à la mission au Mali « comprend également le soutien à l'initiative par le renforcement du dispositif national au Niger (MISIN), avec une référence particulière à la construction de la base nationale et d'un hub logistique - des exigences cruciales pour les actifs qui seront déployés au Mali - et le renforcement de la composante des forces spéciales qui opèrent déjà dans le pays. Le décret de prolongation des missions internationales à l'étranger pour 2021 a autorisé la présence au Mali d'un maximum de huit hélicoptères « avec des fonctions de MEDEVAC et d'escorte » et de 200 militaires.
À vrai dire, les forces armées italiennes sont présentes au Mali depuis presque dix ans sans interruption et certainement pas seulement pour des tâches de « surveillance » et/ou de « soutien sanitaire ». Le 17 janvier 2013, le Conseil de l'Union européenne a décidé de lancer une mission d'éducation, de formation et de réorganisation des forces armées maliennes dans une fonction « anti-terroriste » (EUTM - EU Training Mission), dont le quartier général se trouve à Bamako. Initialement, elle ne devait durer que 15 mois (des dépenses de 12,3 millions d'euros ont été autorisées) mais, comme en Irak et en Afghanistan, la mission a été prolongée à plusieurs reprises jusqu'à devenir permanente.
Le 23 mars 2020, le Conseil de l'UE a ratifié sa prolongation jusqu'à fin mai 2024, élargissant également son champ d'application et ses bénéficiaires : l'assistance, la formation et le conseil sont en effet garantis aux forces armées des pays membres de ce que l'on appelle le G5 Sahel (en plus du Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Niger). Le budget financier pour la période quadriennale 2021-2024 a été fixé à 133,7 millions d'euros, tandis que le personnel militaire européen est passé de 450 à 600 par rapport au mandat précédent. La mission EUTM renouvelée a également lancé un projet de construction d'une nouvelle base de formation à Sévaré, au centre du Mali.
« Les activités de la mission continueront d'être menées en étroite coordination et coopération avec d'autres acteurs tels que les Nations unies, l'opération Barkhane et la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest », indique le Conseil de l'UE. Oui, la même CEDEAO qui vient de sanctionner le régime putschiste du Colonel Goïta.
« L'objectif de la composante italienne est de contribuer à la mission de formation de l'Union européenne - Mali afin de fournir une formation et une assistance médicale aux forces armées maliennes opérant sous le contrôle des autorités civiles locales légitimes, afin de contribuer à la restauration des capacités militaires nécessaires à la reconquête de l'intégrité territoriale du pays », indique le ministère italien de la Défense. Sur le papier, il s'agit d'une présence presque symbolique - le nombre maximum assigné est de 12 instructeurs et personnel - mais à y regarder de plus près, l'engagement de l'Italie a été décisif dans la préparation des unités maliennes contre les milices djihadistes dans un conflit généralisé qui n'a malheureusement pas épargné la population civile et dans lequel il y a des violations systématiques des droits humains et du droit humanitaire international.
La participation italienne à la mission au Sahel a été officialisée le 22 janvier 2013 par le gouvernement dirigé à l'époque par Mario Monti, avec l'amiral Giampaolo Di Paola comme ministre de la Défense et l'ambassadeur Giulio Terzi di Sant'Agata comme ministre des Affaires étrangères. « Notre engagement pourrait envisager l'utilisation, pour une durée de deux-trois mois, de deux avions de transport C-130 et d'un avion 767 pour le ravitaillement en vol », avaient alors assuré les deux hommes du gouvernement au Parlement.
Pour le début des opérations, l'opinion publique s’était vu offrir une image « humanitaire « , avec un avion KC-767 de la 14e escadre de l'armée de l'air décollant de Pratica di Mare le 13 mai 2013, transportant une cargaison de médicaments, de trousses de premiers soins, de vêtements, de tentes et de lits de camp pour la population malienne. Quelques mois plus tard, cependant, on s'est rendu compte que les Italiens resteraient longtemps au Mali et certainement pas pour distribuer de l'aide aux femmes et aux enfants. Au camp d'entraînement de Koulikoro, situé à environ 70 km au nord-est de la capitale Bamako, le long du fleuve Niger, une équipe du régiment de « Cavalerie de Gênes » de l'armée de terre a pris en charge l'organisation et la gestion des cycles d'entraînement des 1er , 3e et 4e bataillons des forces terrestres maliennes, qui ont ensuite été envoyés dans la région nord du pays, déchirée par les conflits. Les premiers cours ont eu lieu fin 2013, en mars et mai 2014, portant sur la « conduite des fonctions tactiques des unités blindées légères, à savoir la reconnaissance des itinéraires, la surveillance de la zone de responsabilité et l'acquisition d'objectifs ».
Après avoir envoyé une cellule de génie militaire à Bamako au second semestre 2014 pour contribuer à la réalisation de certains projets d'infrastructure au sein du quartier général de l'EUTM (logements, centre de commandement, salles d'opérations, entrepôts, etc.), l'armée italienne a pris en charge en janvier 2015 la formation d'un escadron de cavalerie et de certains éléments de l'armée de l'air malienne. « Des actions d'appui aérien aux forces déployées au sol ont été simulées », rapporte l'état- major. « Le cours a été complété par des exercices spécialisés tels que ceux visant à contrer les engins explosifs improvisés, l'exécution de points de contrôle et des activités de tir avec des armes légères et depuis des véhicules ».
Un deuxième cycle de formation pour les escadrons de cavalerie maliens a été organisé en avril par des instructeurs du 2e régiment « Cavalerie piémontaise » de Trieste et de l'école de cavalerie de Lecce, à Ségou, une ville située le long du fleuve Niger, à environ 235 km au nord-est de Bamako.
En juin 2015, les Italiens se déplaçaient à l'École Militaire Inter-Armes de Koulikoro pour un cours avec 154 officiers stagiaires maliens. Les formateurs étaient cette fois une équipe du 9e Régiment alpin de L'Aquila, du centre d'entraînement alpin d'Aoste, du 8e régiment alpin de Cividale del Friuli (Udine) et du régiment Lagunari de Venise.
Le camp d'entraînement de Koulikoro a également vu l'achèvement en septembre d'un cycle d'entraînement pour les escadrons de cavalerie, qui opéreront également dans les régions du nord du Mali. « Une attention particulière a été accordée aux activités de tir dynamique à pied, aux procédures d'escorte de convois et aux règles de premiers secours sur le champ de bataille », a rapporté l'armée italienne. En octobre 2015, des formateurs du 3e régiment « Cavalerie Savoie»de Grosseto et du 31e régiment de chars de Lecce sont arrivés au Mali pour un cours destiné au 423e Escadron de reconnaissance de Nioro du Sahel, une unité d'élite malienne, pour « faire face à une embuscade et employer des tirs d'artillerie ».
En janvier 2016, ce sont les hommes du 32e RIM (Régiment d'Infanterie Motorisée) qui ont bénéficié des conseils italiens en matière de guerre, dans la grande zone d'entraînement de Kati. « Le cours ne faisait pas partie de la planification ordinaire de la mission européenne de formation, mais a été extraordinairement demandé par le commandement militaire malien, dans le but de tester les capacités d'un groupe de formateurs en dehors du camp d'entraînement de Koulikoro », rapporte la Défense. « Les principales activités étaient les suivantes : mener des activités de patrouille, défendre des positions, répondre à des embuscades, escorter des convois et effectuer des exercices de tir sur le champ de tir de Kalifabougou. Le peloton nouvellement formé retournera à son unité d'origine dans le nord du Mali, le GTIA1 Waraba, où il a déjà été déployé pour des opérations de contrôle territorial dans la région de Tombouctou ».
Toujours à Kati, en février 2016, l'équipe italienne a formé une unité de cavalerie à l'utilisation du véhicule blindé Bastion, un véhicule de fabrication française récemment acquis par les autorités de Bamako. Un deuxième stage de formation aux véhicules blindés a été organisé en juin pour trois pelotons des 134e et 132e escadrons de reconnaissance, qui ont ensuite été déployés dans la région de Gao. Les instructeurs étaient des hommes du 19e régiment de cavalerie « Guides » de Salerne, ainsi qu'une équipe de l'armée slovène.
En 2017, les cours du centre de formation de Koulikoro ont été confiés aux parachutistes de la brigade « Folgore ». « Une formation relative à l'utilisation des armes individuelles et du détachement, aux techniques de déplacement et de camouflage à pied et motorisé et aux procédures de sécurité en matière de tir a été dispensée à une section du 26e Bataillon du génie des forces armées maliennes », note la Défense. « Les techniques par lesquelles les troupes en patrouille réagissent si elles entrent en contact avec des forces hostiles lors des opérations de contrôle du territoire dans le nord du pays ont également été explorées en profondeur ».
Les activités menées l'année suivante ont été encore plus complexes. En particulier dans le sud du Mali, des officiers italiens de la brigade « Aosta » stationnée en Sicile et de la « Taurinense » (Piémont) ont formé le personnel de l'armée de l'air à la gestion des avions et des hélicoptères. « Le but de l'activité était de permettre aux services militaires maliens de disposer d'un élément clé pour contrer la menace terroriste : des avions et hélicoptères d'attaque et de reconnaissance pour la suprématie et le contrôle de la troisième dimension [sans oublier la quatrième, NdT] », écrit l'état-major. « Grâce à d'énormes efforts, l'armée de l'air malienne a mis en service ses avions Tetras pour plusieurs phases d'entraînement ».
Toujours en 2018, une équipe du 3e régiment « Cavalerie Savoir » de Grosseto a formé l'armée malienne à l'utilisation des armes à feu des véhicules blindés BTR-60 PB. Pour les forces aériennes, un cours sur le guidage tactique avancé, la communication radio et le soutien aux troupes au sol a été réalisé.
L'Italie est également présente avec sept officiers au quartier général militaire à Bamako de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), la mission des Nations unies qui a débuté avec la résolution du Conseil de sécurité du 25 avril 2013 « pour soutenir le processus de transition politique et aider à stabiliser le Mali ».
La composante militaire de la MINUSMA voit 14 000 personnes de plus de 50 pays déployées dans les villes de Kidal, Gao, Tombouctou et Mopti. Selon le Conseil de sécurité, la mission a notamment pour tâche « d'assurer la sécurité, la stabilisation et la protection des civils, de soutenir le dialogue politique et la réconciliation nationale, d'aider au rétablissement de l'autorité de l'État et de promouvoir et protéger les droits de l'homme ».
Quand on regarde le panorama politique et social actuel, il est impossible de ne pas penser que la mission de l'ONU sur le territoire malien a été un échec total.
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