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25/02/2024

ALON PINKAS
Le plan de Netanyahou pour “le jour d’après” à Gaza n’est pas réalisable et ce n’est pas un plan

Alon Pinkas, Haaretz, 25/2/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alon Pinkas (1961) est rédacteur principal sur la politique israélienne et usaméricaine pour le quotidien israélien Haaretz. Il a été chef de cabinet de Shlomo Ben-Ami et David Levy, conseiller en politique étrangère d’Ehud Barak et Shimon Peres et consul général d’Israël à New York de 2000 à 2004.

Le plan d’après-guerre pour Gaza rendu furtivement public vendredi par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou est une liste de déclarations unilatérales qui mérite à peine un examen sérieux.

Netanyahou dans le nord de la bande de Gaza, en décembre. Photo: Avi Ohayon / GPO

Plus de 140 jours après le début de la guerre de Gaza, près de cinq mois après que les USA lui ont demandé - en tant qu’allié - de fournir des idées, une vision ou un cadre pour la Gaza d’après-guerre, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a finalement présenté un non-plan. Une liste de principes apparemment raisonnables, mais non viables, qui n’ont rien à voir avec la réalité. Cette liste a été publiée furtivement vendredi matin, comme si le gouvernement espérait que personne ne la remarquerait.

C’était une sage décision, car il mérite à peine d’être remarqué ou examiné sérieusement. Il s’agit en fait d’une négation du plan Biden, d’une liste de déclarations qui constituent un contrôle israélien illimité de la bande de Gaza sans aucune lueur d’espoir politique. D’un point de vue critique, il n’est tout simplement pas réalisable.

Le document, qui est essentiellement une liste de déclarations unilatérales plutôt qu’un plan cohérent, est divisé de manière concise en trois périodes : un court paragraphe sur la période immédiate, une description en cinq points de la période intermédiaire en termes de sécurité et une description en quatre points de la réalité civile. Vient ensuite une déclaration « à long terme » de deux paragraphes, qui se veut grandiloquente.

La ville de Jabalya, au nord de la bande de Gaza, jeudi. Photo : Mahmoud Issa / Reuters

Décortiquons-le point par point pour comprendre ce qu’il signifie et ce qu’il ne signifie pas, et pourquoi il n’est pas viable.

Le « calendrier immédiat » stipule qu’une condition préalable pour atteindre le « jour d’après » est que les forces de défense israéliennes « poursuivent la guerre jusqu’à ce que leurs objectifs soient atteints : la destruction des capacités militaires et de l’infrastructure gouvernementale du Hamas et du Jihad islamique ; le retour des otages détenus à Gaza ; et la prévention de toute menace contre Israël à partir de la bande de Gaza à l’avenir ».

En soi, cette approche est logique et correspond à l’état d’esprit israélien. Toutefois, elle va à l’encontre du calendrier et de la séquence usaméricains qui supposent qu’une prise d’otages s’accompagnera d’un cessez-le-feu temporaire mais de longue durée, et non d’une poursuite de la guerre. Deuxièmement, cela suppose qu’il est possible de détruire le Hamas militairement et politiquement sans occuper l’ensemble de la bande de Gaza pendant une longue période.

Le « cadre temporel intermédiaire » est divisé en deux domaines : le domaine de la sécurité et le domaine civil. La dimension sécuritaire comprend cinq points, abrégés ici par souci de clarté :

- Israël maintiendra une liberté opérationnelle, illimitée dans le temps, dans l’ensemble de la bande de Gaza. C’est logique, non ? Bien sûr, si vous réalisez que cela signifie nécessairement qu’Israël restera à Gaza pour une période de temps indéfinie. Il n’est pas possible d’installer un appareil gouvernemental à Gaza tant qu’Israël conserve une liberté opérationnelle totale. Ce concept présente des avantages et des inconvénients, mais il doit être clair que la présence israélienne est assurée.

- Les zones tampons de sécurité à Gaza, adjacentes à la frontière israélienne, seront maintenues aussi longtemps que les besoins et les exigences en matière de sécurité le justifieront. C’est légitime, tant qu’il est clair que, selon ce document, Israël n’a aucunement l’intention de quitter Gaza.

- Israël maintiendra une soupape de « bouclage sud » pour empêcher le Hamas de se réarmer. Le bouclage sera opéré avec la coopération de l’Égypte et l’assistance des USA dans la mesure du possible. Cela semble logique, mais on peut douter de la coopération égyptienne et usaméricaine, compte tenu des clauses 1 et 2 et des stipulations relatives au « calendrier immédiat ».

- Israël aura « le contrôle de la sécurité sur toute la zone située à l’ouest du Jourdain ». Ce que signifie exactement « contrôle de la sécurité » n’est pas précisé et la formulation exclut toute souveraineté palestinienne, même dans le contexte d’un futur État palestinien démilitarisé.

- La bande de Gaza sera « totalement démilitarisée » et la responsabilité de la mise en œuvre et de la supervision de cet objectif dans un avenir prévisible incombera à Israël. Le concept de démilitarisation est une position israélienne constante et inflexible depuis les accords d’Oslo de 1993, et constituait un principe de base des pourparlers de Camp David et des paramètres Clinton qui ont suivi, détaillant la vision usaméricaine d’un futur accord en 2000. Mais l’ajout de la responsabilité exclusive d’Israël sur la mise en œuvre et la supervision se traduit par une réalité : La réoccupation de Gaza par Israël. Sinon, comment mettre en œuvre et superviser la démilitarisation ? C’est peut-être une idée valable dans un jeu de simulation de sciences politiques. En réalité, il s’agit d’une proposition irréalisable.

Le domaine civil, quant à lui, comprend quatre postulats :

- L’administration civile et la responsabilité de l’ordre civil seront confiées à des « éléments locaux ayant une expérience de l’administration et de la gestion ». Sérieusement ? Combien de Palestiniens apolitiques répondent à ces critères ? Ou bien Israël recrutera-t-il ces administrateurs palestiniens expérimentés à Sciences Po Paris ou à l’université de Harvard ? Ou peut-être s’agit-il de sous-traitants palestiniens travaillant pour Israël et n’ayant aucune légitimité parmi les Palestiniens ? Et en quoi cela est-il compatible avec une force internationale qui gouvernerait Gaza ? Ou bien est-ce soumis à la clause cinq de la structure de sécurité, où Israël conserve l’entière responsabilité ?

- « Déradicalisation » : un plan visant à déradicaliser les institutions religieuses, éducatives et sociales de Gaza, « avec la participation et l’assistance d’États arabes ayant une expérience avérée dans la promotion de la déradicalisation ». Il s’agit d’une clause farfelue, aussi détachée de la réalité qu’il est possible de l’être. Comment Israël va-t-il « déradicaliser » Gaza ? Comment Israël va-t-il encourager ce processus ? Quels sont les États arabes qui ont un tel bilan ? D’ailleurs, la question de savoir si Israël fera de même ne manquera pas de se poser.

- Israël s’efforcera de fermer l’Office de secours et de travaux des Nations unies, « dont les employés ont été impliqués dans le massacre du 7 octobre. Israël cherchera à mettre fin aux activités de l’UNRWA et à le remplacer par d’autres organismes internationaux d’aide sociale responsables ».

Des soldats israéliens près du siège de l’UNRWA à Gaza ce mois-ci. Photo : Jack Guez/AFP

Vraiment ? Lesquels exactement ? Et quelle est la position d’Israël dans les organisations internationales qui puisse laisser penser que c’est faisable ? Et qu’en est-il des évaluations des services de renseignement usaméricains qui remettent en question les conclusions d’Israël, du moins dans leur portée, concernant la complicité de l’agence de secours UNRWA avec le Hamas ? On sait depuis des années que l’UNRWA est inefficace, perturbateur et hostile à Israël. Israël n’est pas en mesure de le fermer, alors pourquoi soulever la question ?

- « La reconstruction de Gaza ne commencera qu’une fois la démilitarisation achevée et la déradicalisation entamée. [...] La reconstruction sera menée et financée par des pays acceptables pour Israël. » En d’autres termes, elle ne se fera jamais. Cette clause laisse également entendre qu’Israël n’a pas l’intention de quitter Gaza et demande avec arrogance aux pays désireux de financer la reconstruction d’attendre le feu vert israélien.

Mais il n’y a pas de liste de pays arabes ou autres qui ne demandent qu’à dépenser des milliards. Deuxièmement, la seule condition posée par l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis est la création, à terme, d’un État palestinien, ce qu’Israël n’est pas disposé à envisager.

Vient maintenant la vision à long terme, décrite comme « les règles fondamentales pour un règlement futur ». Ne retenez pas votre souffle. Il ne s’agit que de deux proclamations moralisatrices tirées de la déclaration gouvernementale de la semaine dernière.

Premièrement, Israël « rejette de prime abord les diktats internationaux concernant un règlement final avec les Palestiniens. Un accord ne peut être obtenu que par des négociations directes entre les parties, sans conditions préalables ». Il s’agit là d’un argument bidon, qui s’inscrit dans la logique de la manipulation et de la mise en scène de Netanyahou. Pendant une décennie, il a refusé de négocier avec les Palestiniens, interlocuteurs impossibles eux-mêmes. Par ailleurs, il n’y a pas de « diktats » internationaux mais des pays, notamment les USA, qui réitèrent leur politique de longue date, qu’Israël le veuille ou non. Enfin, « pas de conditions préalables » est un argument valable. Mais tout le document jusqu’à présent n’est-il pas une liste de conditions préalables et de diktats israéliens ?

Deuxièmement, « Israël continuera à s’opposer à la reconnaissance unilatérale d’un État palestinien. [...] Une telle reconnaissance serait, au lendemain du 7 octobre, une récompense pour le terrorisme et empêcherait tout futur  règlement de paix».

C’est très riche, même si l’on s’en tient à des critères de générosité. Unilatéral ? Par qui ? Plus de 100 pays ont déjà indiqué leur intention de reconnaître un État palestinien. C’est Israël qui s’y oppose unilatéralement, même si c’est pour des raisons sans doute valables. Plus important encore - quel que soit le problème que pose la reconnaissance d’un futur État provisoire - comment et pourquoi cela empêcherait-il un règlement de paix ?

Manifestation contre le gouvernement du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à Tel-Aviv, samedi. Photo : Susana Vera/Reuters

La cote de popularité de Netanyahou est abyssale. Il se maintient à 19 %, soit moins que le nombre d’USAméricains qui pensent qu’Elvis Presley est encore en vie. Dans les sondages sur les intentions de vote en cas de nouvelles élections, sa coalition gouvernementale de 64 députés obtiendrait entre 38 et 47 sièges, en fonction de la formation de nouveaux partis. Soixante-quinze pour cent du public israélien et 67 % des anciens électeurs du Likoud le considèrent comme responsable de la débâcle du 7 octobre ; 71 % pensent qu’il devrait démissionner et 66 % sont en faveur d’ élections dès que possible.

Face à de tels chiffres, son dernier pari est d’inventer une « crise à propos de l’État palestinien » et d’affronter les USA. Voilà ce qu’est le plan « non-plan ». Cela ne fait que démontrer de manière éclatante qu’il n’y a jamais eu de plan.

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