Hai
Dang, Aljazeera,
30/3/2024
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le Vietnam connaît
un rare activisme politique en faveur des Palestiniens alors que la guerre de
Gaza rappelle la solidarité autrefois partagée dans la lutte pour la libération
nationale.
Le président
palestinien Yasser Arafat inspecte une garde d’honneur avec le président
vietnamien Tran Duc Luong à Hanoi en avril 1999. Photo AFP
Hanoi, Vietnam - Dans un lieu privé niché dans une ruelle étroite du
centre-ville de Hanoi, un groupe de plus de 20 personnes a écouté attentivement
Saleem
Hammad, un Palestinien charismatique de 30 ans, qui s’exprimait dans un
vietnamien courant.
Hammad, qui
dirige une entreprise au Viêt Nam, a raconté un incident survenu dans son
enfance à Jénine, en Cisjordanie occupée.
Les
personnes présentes l’ont écouté raconter le souvenir saisissant d’une nuit où
il a été réveillé par des soldats israéliens qui encerclaient la maison
familiale et y faisaient une descente.
Auparavant,
il avait déclaré aux participants à la discussion que l’histoire de la lutte de
libération du Viêt Nam contre les USA avait inspiré les Palestiniens dans leur
lutte contre l’occupation de leurs terres par Israël.
«Le peuple
vietnamien, avec son histoire douloureuse et glorieuse, a toujours été une
source d’inspiration pour les Palestiniens dans leur lutte pour la justice »,
a dit Hammad à son auditoire.
« Nous
vous considérons toujours comme un modèle ».
Horrifiés
par la guerre d’Israël contre Gaza et le nombre croissant de victimes, les
jeunes Vietnamiens ont commencé à élever la voix pour soutenir les
Palestiniens. Ce faisant, ils découvrent les liens historiques entre le Viêt
Nam et la Palestine et leurs luttes communes pour la libération nationale.
VICTOIRE
Vietnam-Palestine
OLP
Ismail Shammout, 1972
Mais les
relations entre les deux nations, vieilles de plusieurs décennies, ont été
éclipsées par la promotion plus récente de la culture d’entreprise israélienne
auprès d’une jeune génération de Vietnamiens.
Soucieux de
réussir dans l’économie de marché vietnamienne en pleine expansion, beaucoup
ont été inspirés par la culture d’entreprise israélienne, tout en ne sachant
pas grand-chose de la face cachée du succès d’Israël, à savoir sa longue
occupation des terres palestiniennes.
Organisé à
la fin de l’année dernière par les militants pro-palestiniens Trinh* et Vuong*,
le rassemblement au cours duquel Hammad s’est exprimé a été inspiré par
l’activisme étudiant que les deux hommes ont rencontré lorsqu’ils étudiaient
aux USA.
Trinh et
Vuong font partie d’un mouvement populaire en plein essor parmi la jeunesse
vietnamienne qui a été attirée par la cause palestinienne depuis le début de la
guerre contre Gaza en octobre.
Mais les
politiques vietnamiennes strictes contre les assemblées publiques et
l’activisme politique signifient que les militants pro-palestiniens doivent
trouver des moyens discrets et créatifs d’organiser des événements sans attirer
l’attention indésirable des autorités vietnamiennes.
À Ho Chi
Minh Ville, Trinh et quelques amis ont organisé des discussions sur la
Palestine et des cours de dessin sur le thème de la Palestine. Dessinateur de
formation, Trinh a également travaillé avec d’autres créatifs pour concevoir
des produits dérivés en faveur de la Palestine, des œuvres d’art politiques et
des fanzines.
Des jeunes
vietnamiens créent des œuvres d’art pour soutenir la Palestine. Photo Cat
Nguyen/ Tu Ly
En novembre,
une projection de documentaires et de films sur la Palestine, la Nakba et
l’histoire de l’occupation israélienne de la Palestine a eu lieu sous le titre
Films pour la libération : Palestine Forever dans le but, selon les
organisateurs, d’annuler « les descriptions diaboliques des Palestiniens »
par les acteurs « occidentaux et impérialistes ».
Sur les
réseaux sociaux, une multitude de pages de fans en vietnamien ont vu le jour,
présentant des poèmes palestiniens traduits, des œuvres d’art
pro-palestiniennes et des analyses sur l’histoire du conflit, tandis que
l’ambassade de Palestine au Vietnam a invité d’anciens vétérans de la guerre
contre les USA, des universitaires, des activistes et des membres du public à
une commémoration pour ceux qui ont été tués à Gaza.
Le 29 novembre, qui est la
Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien désignée par
les Nations Unies, le gouvernement vietnamien a également publié un message du
président de l’époque, Vo Van Thuong, dans lequel il parlait de la longue
histoire de fraternité entre le Vietnam et la Palestine et du « soutien
fort et de la solidarité du Vietnam avec les Palestiniens dans leur lutte pour
la justice" »
Mais les
relations entre le Vietnam et la Palestine ne sont plus ce qu’elles étaient.
Rue Kham Thien, Hanoï après le passage des B-52, 26 décembre 1972
Chaque
jour à Gaza, il y a un nouveau Kham Thien
La
destruction de Gaza par Israël rappelle aux Vietnamiens la campagne de
bombardement américaine visant le quartier de Kham Thien à Hanoi en 1972.
Lors d’une
réunion de militants vietnamiens pro-palestiniens, deux images de guerre ont
été projetées sur le mur : l’une de Gaza en 2023 après une attaque aérienne
israélienne et l’autre des décombres laissés par le bombardement du quartier de
Kham Thien à Hanoï il y a plus de 50 ans.
En 1972,
Richard Nixon, alors président des USA, avait ordonné le bombardement de la
capitale nord-vietnamienne pendant la période de Noël, et c’est le quartier de
Kham Thien qui a été le plus gravement dévasté. Pendant 12 jours et nuits
consécutifs à partir du 18 décembre, environ 20 000 tonnes de bombes ont été
larguées sur Hanoi, ainsi que sur la ville portuaire très fréquentée de Hai
Phong et sur plusieurs autres localités.
Tract français de 1967 sur la visite de Moshe Dayan au Sud-Vietnam en août 1966 La
juxtaposition des deux images et les échos historiques des deux guerres - qu’il
s’agisse de « raser Gaza » ou de « bombarder le Nord-Vietnam
jusqu’à l’âge de pierre » - font partie d’un réservoir de symboles
partagés qui ont alimenté l’ambiance actuelle de solidarité Vietnam-Palestine
parmi les jeunes Vietnamiens.
L’histoire
se répète, dit Hung*, un étudiant de 20 ans dont le père et les grands-parents
ont vécu les bombardements de Noël 1972 par les forces usaméricaines.
« En
regardant ce qui se passe à Gaza, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à
l’histoire que mon père m’a racontée, celle d’un jour de son enfance où il a
assisté avec horreur au largage de bombes près du lac de l’Ouest [de Hanoï] et
où, peu après, il a senti un coup de vent souffler dans sa direction et l’onde
de choc presser sa poitrine », raconte Hung à Al Jazeera.
« Aujourd’hui,
c’est précisément ce qui arrive à tout le monde à Gaza, jour après jour. Chaque
jour à Gaza, il y a un autre Kham Thien », ajoute-t-il.
Dans les
réunions pro-palestiniennes à travers le pays, des liens similaires entre la
guerre d’Israël contre Gaza et la guerre USA contre le Viêt Nam sont établis et
les analogies du temps de guerre sont utilisées par de jeunes militants pour
présenter la cause palestinienne à de nouveaux publics.
Des images
d’une combattante vietnamienne des années de guerre portant un foulard
traditionnel “ran” et se tenant aux côtés d’une combattante palestinienne vêtue
d’un keffieh sont imprimées sur des tote-bags et des autocollants. Les
combattantes tiennent une clé de porte en l’air, symbolisant les maisons que
les Palestiniens ont perdues en 1948 lors de leur déplacement forcé par les
forces israéliennes au cours de la période connue sous le nom de Nakba, ou
"catastrophe", au cours de laquelle au moins 750 000 Palestiniens ont
été violemment déplacés et dépossédés.
Une
œuvre d’art pro-palestinienne exposée à Hanoi représente une combattante de la
lutte de libération nationale vietnamienne et une combattante palestinienne
au-dessus des mots en arabe et en vietnamien : « Du fleuve à la
mer ». Photo Cat Nguyen
Par l’art,
la discussion et d’autres moyens d’expression, les militants pro-palestiniens
au Viêt Nam aident leurs pairs à comprendre des concepts tels que le sionisme,
la Nakba, les accords d’Oslo et le colonialisme de peuplement.
Et pas à
pas, ils réaffirment le contexte et l’histoire de la perte et de l’enlèvement
des Palestiniens que les récits au Vietnam dans les médias locaux et les livres
omettent dans leur récit de l’émergence d’Israël en tant que succès économique.
Phuong, une
peintre vietnamienne basée en Italie qui a lancé la page fan en ligne « Poèmes
palestiniens », a déclaré qu’elle avait été profondément bouleversée par
ce qui s’est passé depuis octobre dans la bande de Gaza.
Elle a
expliqué qu’elle s’était tournée vers la traduction de poèmes comme moyen de
protester et de canaliser son chagrin face à la guerre dans la bande de Gaza. À
ce jour, elle a traduit de l’anglais au vietnamien plus de 50 poèmes d’auteurs
palestiniens tels que Mahmoud Darwich, Fadwa Tuqan et Ghassan Zaqtan.
Phuong
espère pouvoir aider ses lecteurs à apprécier l’humanisme universel de la
culture et de la société palestiniennes, tel qu’il se reflète dans les poèmes
de Darwish et d’autres auteurs.
« Les
Palestiniens ne sont pas seulement des victimes de la guerre », a déclaré
Phuong. « Ils sont aussi un peuple au patrimoine riche et magnifique, avec
des philosophies et des arts sophistiqués. Les Vietnamiens doivent le savoi »r.
Nguyen
Binh est un autre jeune traducteur qui s’est fait connaître pour ses
traductions d’œuvres vietnamiennes, comme la traduction en anglais du classique
Conte de Kieu.
Binh
travaille actuellement à la traduction en vietnamien du livre de Rashid
Khalidi, The
Hundred Years’ War on Palestine [inédit en français], afin d’ «élever
la voix de ceux que l’on n’entend pas » et de combler le manque de
compréhension des questions palestiniennes par les Vietnamiens.
Vendre
l’image de “startup” d’Israël
L’édition
vietnamienne de Start-Up Nation : The Story of Israel’s Economic Miracle [Israël, la
nation start-up, Maxima 2014] présente une image flatteuse de la réussite
des entreprises israéliennes
Le Hong
Hiep, chercheur et coordinateur du programme d’études sur le Vietnam à
l’Institut ISEAS-Yusof Ishak de Singapour, a décrit le soutien du Vietnam au
peuple palestinien et à sa lutte pour la libération comme « inébranlable »
pendant la guerre froide et dans les années 1990.
« Cela
s’explique en partie par le fait que les dirigeants vietnamiens étaient
convaincus que la cause palestinienne reflétait leur propre lutte pour
l’unification et l’indépendance contre les puissances étrangères », dit M.
Hiep à Al Jazeera.
L’Organisation
de libération de la Palestine (OLP) a établi des relations avec le Nord-Vietnam
en 1968 et a mis en place un bureau de représentation résident après la fin de
la guerre au Viêt Nam en 1975. Ce bureau est rapidement devenu l’ambassade de
Palestine au Viêt Nam.
« Dans
les années 1990, le Viêt Nam a également accueilli des dirigeants palestiniens,
dont Yasser Arafat, à de nombreuses occasions. La position officielle du Viêt
Nam sur le conflit israélo-palestinien a toujours été en faveur de
l’autodétermination palestinienne et de la création d’un État palestinien »,
dit M. Hiep.
Du côté
palestinien, ces liens d’ amitié ont été résumés par Darwich en 1973, alors que
la guerre au Vietnam entrait dans sa phase finale avec la signature des accords
de paix de Paris en 1973, qui mettaient fin aux combats militaires directs des USA
dans le pays.
« Dans
la conscience des peuples du monde, le flambeau a été transmis du Viêt Nam à
nous », a déclaré le poète.
Mais les
temps ont changé.
Il en va de
même pour le souvenir de la solidarité du Viêt Nam avec la Palestine.
Les
militants pro-palestiniens interrogés par Al Jazeera ont déclaré qu’ils
avaient eu du mal à persuader leurs parents que la cause palestinienne était
juste.
Hung raconte
que ses parents ont d’abord réagi à la guerre contre Gaza en blâmant « ces
terroristes» qui l’avaient "commencée les premiers ».
« J’ai
dû moi-même passer du temps à leur expliquer l’histoire de la question, qui
remonte à 1948. Ce n’est qu’après cela qu’ils ont changé d’avis », raconte
Hung.
Saadi
Salama, l’ambassadeur palestinien au Vietnam, a déclaré que les médias locaux
avaient une grande part de responsabilité dans le manque de sensibilisation du
public vietnamien aux événements en Palestine.
L’ambassadeur
Saadi Salama prononce un discours à Hanoï lors d’un événement organisé en
novembre pour commémorer les Palestiniens tués à Gaza. Photo Tu Ly
Ayant d’abord travaillé à la résidence de l’OLP à Hanoï en tant que secrétaire
à l’information dans les années 1980, Salama a des décennies d’expérience au
Viêt Nam. Mais depuis une dizaine d’années, dit-il, les informations sur la
question palestinienne sont beaucoup moins fréquentes dans les médias locaux.
Ce qui apparaît est présenté de manière superficielle.
« La
plupart des gens n’ont qu’une vague idée de ce qui se passe réellement à Gaza
et en Cisjordanie », dit M. Salama à Al Jazeera, expliquant que les
journalistes locaux manquent souvent d’expertise sur les questions relatives à
la Palestine et au Moyen-Orient.
« Par
conséquent, ils hésitent à rédiger des analyses approfondies sur le sujet,
optant plutôt pour un copier-coller non critique de sources occidentales sans
fournir de contexte aux lecteurs », ajoute-t-il.
Il y a de
rares exceptions, admet Salama, mais pas assez pour faire la différence avec
une impression généralement négative de la Palestine à un moment où il y a une
impression positive d’Israël au Viêt Nam.
Pour les
Vietnamiens, Israël est aujourd’hui le symbole du développement, une « startup
nation », explique M. Salama.
« Ils
ne voient pas les dessous d’Israël ».
Dinh Le, un
marché aux livres bien connu du centre de Hanoï, se trouve à quelques pas du
lieu où Hammad a parlé de la Palestine et de son enfance.
S’il est
difficile pour un visiteur de trouver ici des livres sur la Palestine, il ne
manque pas d’exemplaires en langue vietnamienne de Start-Up Nation : The
Story of Israel’s Economic Miracle, un livre publié en 2009 par Dan Senor
et Saul Singer.
Republié par
AlphaBooks, qui est surtout connu au Viêt Nam pour ses ouvrages sur les
affaires et la science populaire, Start-Up Nation est devenu un best-seller au
Viêt Nam.
Selon les
chiffres disponibles sur le site du ministère vietnamien de l’information et de
la communication, le livre a fait l’objet de plus d’une douzaine de
réimpressions et a été publié à plus de 2 millions d’exemplaires.
Selon le
ministère, plus d’un million d’exemplaires de Start-Up Nation ont été commandés
pour être distribués par l’un des principaux entrepreneurs vietnamiens, qui
dirige un projet de distribution gratuite de livres d’inspiration dans des
domaines tels que les affaires, la science et la philosophie.
Certains
considèrent que la popularité du livre au Viêt Nam est liée à l’image flatteuse
d’Israël auprès du public et à la description souvent positive d’Israël dans
les médias vietnamiens.
L’attrait
populaire d’Israël coïncide également avec un moment critique de l’histoire
moderne du Viêt Nam, selon les experts.
Depuis la
fin des années 1980, le Viêt Nam a mené des réformes économiques, connues sous
le nom de Doi Moi, qui ont vu le pays adopter un développement axé sur le
marché libre et la promotion de l’esprit d’entreprise.
Dans le même
temps, la politique étrangère du Viêt Nam a donné la priorité aux intérêts
nationaux et à l’indépendance plutôt qu’à ce qui aurait été décrit comme une « pureté
idéologique » à l’époque révolutionnaire.
Bien
qu’officiellement appelé République socialiste du Viêt Nam, le pays accueille
depuis longtemps des capitaux étrangers et s’est efforcé de normaliser ses
relations, principalement sur la base de la coopération économique, avec des
pays et des blocs autrefois considérés comme ennemis.