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16/12/2021

DONATELLA DI CESARE
Les gendarmes de la mémoire et l'histoire interdite des Brigades rouges : l'enquête kafkaïenne sur Paolo Persichetti

Donatella Di Cesare, Il Riformista 16/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Donatella Di Cesare (Rome, 1956) est une philosophe, essayiste et éditorialiste italienne. Elle enseigne la philosophie théorique à l'université de Rome La Sapienza. Elle est l'une des voix les plus significatives de la pensée critique en Italie. Elle est très présente dans le débat politique. Elle collabore avec plusieurs journaux et revues, dont L'Espresso, Il Manifesto, La Stampa et Il Riformista. Bio-bibliographie

 

Il avait accompagné ses deux enfants à l'école quand, sur le chemin du retour, il a été arrêté par une patrouille de la Digos [Division des enquêtes générales et des opérations spéciales, police politique, NdT] qui l'a raccompagné chez lui. Il y a déjà d'autres agents là-bas - une dizaine en tout - prêts à commencer la perquisition. Tout est mis sens dessus dessous, fouillé et inspecté. Sans trop de considération pour l'intimité d'une famille, qui comprend aussi une personne âgée. Ordinateurs, téléphones portables, appareils électroniques, matériel de toute sorte sont confisqués, y compris le matériel privé, les photos, les notes et les lettres. Les documents concernant Sirio, un enfant que le verdict médical avait condamné à une existence végétative et qui aujourd'hui va à l'école en se battant chaque jour pour la vie et en apprenant aux autres à regarder le monde avec les yeux du handicap, sont aussi saisis. En fin d'après-midi, la perquisition a pris fin.

L'affaire n'est pas finie là. Comme dans un roman kafkaïen, de nouvelles incriminations sont venues s'ajouter.

Celui qui compte vraiment, c'est l'accusé : Paolo Persichetti. En 1986, à l'âge de 24 ans, il rejoint ce qui restait de la colonne romaine des Brigades rouges, qui pouvait encore compter sur un certain soutien dans les banlieues, et est arrêté en 1987. Persichetti a purgé une longue peine, des années et des années en prison, après avoir été extradé de France. Il a toujours eu une passion pour la recherche historique et le journalisme. Mais ce sont des professions qu'il n'a pu exercer que presque seul en tant qu'outsider dans sa vie actuelle consacrée à l'engagement sur de nombreux fronts. En Italie, un ancien brigadiste ne peut pas accéder à la recherche universitaire.


Malgré cela, Persichetti a fréquenté les archives, étudié dans les bibliothèques, collaborant avec Marco Clementi et Elisa Santalena sur le premier volume d'une histoire des Brigades Rouges. Le second aurait dû être publié avant que la police ne saisisse tout le matériel qu'il avait mis de côté. L'intérêt porté à cette période est plus que justifié. Nous devrions tous nous y intéresser, car c'est l'histoire dont nous sommes issus. À l'étranger, il est difficile d'expliquer ce qui se passe aujourd'hui en Italie, ce veto menaçant qui entrave quiconque veut parler d'une période reculée et rendue taboue. Est-il possible que, des décennies plus tard, il manque toujours une reconstruction historique complète et partagée dans ses caractéristiques essentielles ? Est-il possible que nous ne puissions parler de cette époque qu'en adhérant à une version dans laquelle beaucoup de personnes de ma génération ne se reconnaissent pas ?

La saisie des archives personnelles de Paolo Persichetti est la triste confirmation de tout cela. C'est le sceau imprimé par un appareil d'État qui montre son visage le plus sombre. Dans ce pays, il existe un organisme appelé Police de prévention, dont le rôle pourrait aboutir à encadrer dangereusement l'enquête historique, voire à l'empêcher, en marquant les limites au-delà desquelles il n'est pas permis d'aller. Une gendarmerie de la mémoire qui s'accompagne d'une conception policière de l'histoire racontée en noir et blanc - d'un côté les bons, de l'autre les méchants, d'un côté les vertueux, de l'autre les malfaisants. Ce n'est que dans ce contexte que l'on peut tenter de clarifier ce qui arrive à Paolo Persichetti, cible, ces derniers mois, d'accusations hyperboliques qui se sont accumulées en un crescendo sensationnel qui ne peut manquer de susciter des interrogations.

Cela va de l'association subversive qui, commencée le 8 décembre 2015, aurait dû conduire à on ne sait quelles actions dont il n'y a aucune trace, à la divulgation de matériaux secrets de la commission Moro, qui, en y regardant de plus près, étaient destinés à être publiés le 10 décembre 2015, jusqu'à la complicité juste parce que Persichetti avait interviewé un ancien brigadiste, déjà condamné, pour reconstituer les faits historiques. Où serait le crime ?

En attendant l'audience de demain, au cours de laquelle la demande de mainlevée de saisie présentée par Francesco Romeo, le défenseur de Persichetti, pourrait enfin être acceptée, voici le dernier rebondissement : le juge des enquêtes préliminaires de Rome Valerio Savio admet la demande de copie du matériel saisi présentée par le procureur Eugenio Albamonte - un geste qui ressemble déjà à un jugement. Un langage bureaucratique presque indéchiffrable, mais suffisamment allusif pour insinuer la suspicion, stigmatiser et, en fin de compte, déjà condamner. Il vient alors à l'esprit que les archives personnelles de Persichetti, constituées au prix d'années de travail acharné, ont été saisies non pas en raison d'un crime, mais pour rechercher un crime.

Il n'est pas acceptable dans un pays démocratique que le pouvoir judiciaire suive la piste de la conspiration en intervenant dans la recherche historique. Il n'est pas non plus acceptable qu'un ancien brigadiste, du seul fait de l’avoir été, n'ait pas les droits des autres citoyens et soit considéré comme coupable en toutes circonstances. Seule une démocratie faible et peu sûre cherche à exercer des représailles en partant à la chasse aux fantômes.


 

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