Anatoly Kurmanaev, The New York Times, 10/1/2022
Traduit par by Fausto
Giudice, Tlaxcala
De nouvelles preuves suggèrent que l'homme qui a succédé au président assassiné d'Haïti avait des liens étroits avec un suspect principal de l'assassinat - et que les deux hommes sont restés en contact même après le crime.
Le président Jovenel Moïse, qui a été assassiné en juillet, a dirigé Haïti par décret et avait opté pour des tactiques autoritaires. Photo Adriana Zehbrauskas pour le New York Times
PORT-AU-PRINCE, Haïti - Après l'assassinat du président haïtien et la chute du pays dans la tourmente, Ariel Henry est devenu chef du gouvernement, chargé de traduire les tueurs en justice et d'aider le pays à guérir.
Mais de nouvelles preuves suggèrent que M. Henry a maintenu des communications avec un suspect principal dans l'affaire - et que les deux sont restés en contact étroit même après le meurtre.
Des relevés téléphoniques consultés par le New York Times, ainsi que des entretiens avec des responsables haïtiens et un principal suspect du crime, révèlent des détails potentiellement compromettants sur la relation entre les deux hommes. Parmi eux : M. Badio a parlé à M. Henry avant et après le meurtre, notamment lors de deux appels d'une durée totale de sept minutes le matin suivant l'assassinat.
Ensuite, lorsque M. Badio était recherché par la police, il a rendu visite à M. Henry, selon deux fonctionnaires haïtiens ayant connaissance de l'enquête.
Quatre mois après l'assassinat, les fonctionnaires ont déclaré que M. Badio s'est rendu à la résidence officielle de M. Henry à deux reprises - les deux fois de nuit - et a pu entrer sans être gêné par les gardes de sécurité du Premier ministre, bien qu’il fût en fuite, recherché par la police.
On ignore si M. Henry, qui est aujourd'hui le Premier ministre du pays, a fait quoi que ce soit pour aider les suspects, dont la plupart ont finalement été capturés ou tués par la police. Un porte-parole de M. Henry a déclaré que, malgré les relevés téléphoniques, il n'avait pas parlé à M. Badio après l'assassinat et qu'il n'avait aucune relation avec le suspect. M. Badio était injoignable pour tout commentaire.
Des membres du gang G9 manifestent pacifiquement en juillet à Port-au-Prince, en Haïti, à la suite de l'assassinat du président Jovenel Moïse. Photo Victor Moriyama pour le New York Times.
Mais l'ancien procureur général d'Haïti, qui a été démis de ses fonctions par M. Henry, a demandé au premier ministre de répondre aux questions dans cette affaire. Et maintenant, l'un des principaux suspects dans l'enquête a donné de nombreux détails sur ce qu'il a appelé la relation de confiance que M. Badio avait avec M. Henry.
Peu avant l'assassinat, selon Jaar , Badio lui avait dit que M. Henry serait un allié utile après le renversement du président.
Après l'assassinat, a déclaré Jaar, Badio et lui sont restés en contact tout en évitant les autorités, et ils ont même partagé une maison sécurisée plusieurs jours après le meurtre.
Dans les heures qui ont suivi l'assassinat, lorsque des policiers ont piégé les mercenaires colombiens accusés d'avoir commis l'agression, Jaar a déclaré que Badio avait demandé l'aide de M. Henry pour s'échapper. Selon Jaar, M. Henry a répondu qu' « il allait passer quelques coups de fil », mais ces affirmations n’ont pas pu être vérifiées de manière indépendante.
Trois fonctionnaires haïtiens impliqués dans l'enquête ont confirmé que M. Henry était en contact avec Badio à plusieurs reprises. Les fonctionnaires, qui n'étaient pas autorisés à discuter publiquement de l'affaire, ont fait valoir que M. Henry serait un suspect officiel dans l'enquête s'il ne dirigeait pas le gouvernement.
Jaar a affirmé qu'il pensait que le but du complot était de déposer, et non de tuer, le président, et qu'il avait été pris dans un jeu politique plus large qu'il ne comprend toujours pas complètement. Il a été arrêté vendredi en République dominicaine après six mois de cavale, selon un haut responsable de la sécurité dans le pays.
Selon Jaar, les comploteurs avaient l'intention de faire prêter serment à une ancienne juge de la Cour suprême, Windelle Coq-Thélot, comme nouveau président. Son récit suggère qu'ils s'attendaient à recevoir le soutien d'éléments clés de l'État haïtien, y compris les forces de sécurité, dans leur tentative de coup d'État.
Mais quel que fût leur plan visant à capturer, et non à tuer, le président, celui-ci a échoué lorsque des hommes armés ont fait irruption à son domicile et l'ont assassiné dans sa chambre. Jaar a affirmé qu'il ne savait pas comment et pourquoi le plan avait changé, passant de la contrainte à la démission du président à son assassinat.
Les appels téléphoniques de M. Henry avec Badio ont été révélés pour la première fois en septembre dernier par un procureur haïtien de premier plan à l'époque, Bedford Claude, qui a demandé au Premier ministre de s'expliquer devant la justice.
Mais M. Henry a rapidement réagi contre les fonctionnaires qui ont tenté d'enquêter sur ses liens avec Badio. Et l'étendue des contacts entre les deux hommes - y compris l'affirmation par des fonctionnaires que Badio s'est rendu à la résidence du Premier ministre alors qu'il fuyait les autorités - n'a pas été rendue publique auparavant.
Après que M. Claude a appelé M. Henry pour l'interroger, son supérieur, le ministre de la Justice, Rockfeller Vincent, a déclaré avoir reçu un appel du Premier ministre, qui lui a demandé de renvoyer le procureur. M. Vincent a dit qu'il avait refusé. Quelques jours plus tard, M. Henry les a licenciés tous les deux.
« Je crois qu'il fournit l'un des éléments clés de l'assassinat », a déclaré M. Claude, en faisant référence à M. Henry.
Le porte-parole de M. Henry a déclaré que les fonctionnaires avaient été renvoyés pour avoir violé la loi afin de faire avancer leurs programmes politiques, notamment en enfreignant l'interdiction de convoquer des hauts fonctionnaires au tribunal.
Dans une interview accordée un mois après le meurtre, M. Henry a déclaré que son principal objectif était d'organiser de nouvelles élections, puis de se retirer. Il n'a pas fixé de date pour le vote.
Jaar a également impliqué un autre membre important du gouvernement de M. Henry : le chef de la police, Frantz Elbé. Selon Jaar, lors d'une réunion pour discuter du complot, Badio a appelé Elbé, un conseiller principal de la police à l'époque, et lui a demandé de l'aider à se procurer des armes pour le coup. Elbé a répondu à Badio qu'il n'avait pas les armes, mais n'a pas non plus essayé d'empêcher le coup d'État de se produire, a raconté Jaar, sans fournir de preuves indépendantes.
M. Henry a promu Elbé en octobre à la tête de la Police nationale d'Haïti. M. Elbé n'a pas répondu à nos demandes de commentaires.
Rodolphe Jaar, un descendant d'immigrés palestiniens né en Haïti, a passé trois ans dans une prison usaméricaine pour trafic de cocaïne. À son retour en Haïti au milieu des années 2010, il dit avoir abandonné le trafic de drogue et monté une chaîne de magasins de volailles dans la capitale, Port-au-Prince.
Il a affirmé avoir été recruté dans le complot fin mai par Badio par l'intermédiaire d'un ami commun. Jaar a déclaré qu'il s'était engagé par dégoût pour l'autoritarisme croissant du président et dans l'espoir d'obtenir un traitement commercial préférentiel de la part du nouveau gouvernement.
Jaar a déclaré qu'il ne savait pas quels ordres Badio suivait, ni qui était le cerveau suprême du complot.
Il a déclaré qu'il avait accepté de se joindre à la conspiration parce que Badio et d'autres comploteurs lui avaient dit qu'elle avait le soutien total des USA, qui, selon eux, devenaient nerveux à cause des liens supposés du président avec des terroristes et des trafiquants de drogue.
« Si le gouvernement américain était impliqué, alors on était en sécurité », avait pensé Jaar à l'époque.
Aucune preuve n'a été apportée que l'un des suspects cités avait un lien actif avec le gouvernement usaméricain, ou que les USA étaient impliqués dans le complot ou en avaient connaissance.
Toutefois, au moins six citoyens et résidents USaméricains sont accusés par la police haïtienne d'avoir participé au complot. Un ancien commando colombien accusé d'avoir pris part à l'agression, Mario Palacios, a été inculpé en Floride le 4 janvier pour conspiration en vue de tuer M. Moïse.
Jaar a déclaré qu'il avait contribué à hauteur d'environ 130 000 dollars au plan, aidé à trouver les armes et fourni la maison d'où 21 commandos colombiens à la retraite ont pris la route de la résidence présidentielle peu après minuit.
Les responsables de la sécurité haïtienne ont déclaré que l'assaut sur la résidence présidentielle devait être mené par un groupe criminel appelé Fantôme 509, composé d'anciens et d'actuels officiers de police et ayant des liens politiques forts.
Jaar a déclaré que Badio et lui-même avaient rencontré un homme se présentant comme un dirigeant de Fantôme 509 afin de discuter avec lui du complot, mais que le gang s'était retiré environ une semaine avant le meurtre, pour des raisons qu'il a dit ne pas connaître. Jaar a déclaré que c'est à ce moment-là que d'anciens soldats colombiens, censés assurer la sécurité du successeur du président, ont appris que leur mission avait changé : ils devaient prendre d'assaut la résidence présidentielle.
Jaar a affirmé qu'il ne savait pas comment le plan d'arrestation de M. Moïse avait tourné au drame, le président ayant été abattu de 12 balles dans sa chambre.
Mais quelques minutes après le meurtre, Jaar a dit avoir reçu un appel téléphonique de Germán Rivera, le chef des mercenaires colombiens.
« Le rat est à terre », lui a dit Rivera, en utilisant le nom de code péjoratif que les comploteurs utilisaient pour désigner le dirigeant d'Haïti. « Le président est mort ».
Maria Abi-Habib a contribué à la rédaction de cet article depuis Mexico.
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