26/07/2022

ANTONIO MAZZEO
Pacte d'acier* Italie-Turquie : accords sur les migrants, la sécurité, la défense et Rome prête à intervenir aux côtés du sultan

Antonio Mazzzeo, Africa Express, 22/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« Gardez-moi de mes amis », dit un vieil adage sicilien. Rome et Bruxelles devraient l’avoir en tête.

"Trucs turcs", par Portos - "Erdogan, un de ces dictateurs dont on a besoin" (Mario Draghi, avril 2021)

L'Italie se déclare prête à intervenir en mer Noire aux côtés de la Turquie et de l'OTAN tout en renforçant son partenariat militaro-industriel avec Ankara et en accordant les pleins pouvoirs à Erdogan en Libye, y compris contre les migrants.

S'exprimant le 14 juillet lors d'une audition devant les commissions conjointes des affaires étrangères et de la défense des deux chambres italiennes sur le renouvellement des missions militaires à l'étranger, le chef d'état-major des armées, l'amiral Giuseppe Cavo Dragone, a annoncé l'intention des forces armées de participer à des activités de déminage et de neutralisation de mines et de matières explosives en mer Noire.

Menace sous-marine

« Un bon dialogue avec la Turquie peut être un signe avant-coureur de synergies et de partage de cet effort » a déclaré Cavo Dragone. « La menace sous-marine existe et doit être traitée et l'Italie le fera en coordination avec les autres marines concernées ». L'objectif stratégique de l'axe Rome-Ankara et de l'OTAN est d'accroître la pression totale contre les unités navales et sous-marines de Moscou.

« La présence en Méditerranée de la flotte russe est marquée, plus marquée qu'avant, également parce qu'en vertu du traité de Montreux, la Turquie a fermé les détroits et ne les rend pas accessibles aux États belligérants, c'est-à-dire, en substance, à la Russie », a ajouté le chef d'état-major. « Cela ne permet pas une rotation, qui était souhaitable, des forces de la Fédération de Russie et ce goulot d'étranglement a également provoqué la présence que nous devons maintenant considérer comme probablement durable et endémique ».

Sommet intergouvernemental Italie-Turquie. Au premier plan, Lorenzo Guerini (ancien ministre de la Défense) avec le président turc Erdogan

On se bouscule à Ankara

Moins de dix jours avant la sortie de l'amiral, le pacte d'acier avec le régime d'Erdogan avait été consacré par l'importante équipe gouvernementale en mission officielle en Turquie. Étaient présents à la cour du dernier sultan d'Ankara le Premier ministre Mario Draghi et les ministres Lorenzo Guerini (défense), Luigi Di Maio (affaires étrangères), Luciana Lamorgese (intérieur), Giancarlo Giorgetti (développement économique) et Roberto Cingolani (transition écologique).

« Ce sommet intergouvernemental indique la volonté commune de renforcer la coopération : l'Italie et la Turquie sont des partenaires, des amis alliés », avait souligné le Premier ministre Draghi à l'issue de la rencontre avec le président Recep Tayyip Erdogan. De nombreux accords de coopération ont été signés, allant du développement industriel, culturel et de la recherche scientifique conjointe à - et surtout - la coopération diplomatico-militaire.

« Je ne peux qu'exprimer ma satisfaction à l'égard de la signature de l'accord sur la protection mutuelle des informations classifiées dans le domaine de l'industrie de la défense, une démonstration explicite de la cohésion entre nos deux pays, liés par des sentiments de profonde amitié, et dont les relations dans le domaine de la coopération militaire sont destinées à se consolider davantage », a déclaré le ministre Guerini à l'issue du sommet avec le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar.

Partenaire pertinent

« Notre pays, a ajouté M. Guerini, a toujours considéré la Turquie comme un partenaire pertinent, en termes de coopération opérationnelle et industrielle, avec lequel travailler ensemble pour des objectifs communs dans l'intérêt de la sécurité collective, de la croissance mutuelle et de la stabilité en Méditerranée ».

Le conflit Russie-Ukraine, la sécurité en Méditerranée, la crise libyenne et la coopération bilatérale dans le domaine opérationnel et en particulier dans les missions de l'OTAN en Irak et au Kosovo ont été quelques-uns des sujets abordés en profondeur. « Ces formes de coopération entre les forces armées de nos pays sont un exemple éclatant de la solidité de nos relations et jettent les bases d'opportunités futures de plus en plus importantes », a expliqué Guerini.

« La stabilité de la région méditerranéenne est une condition essentielle pour notre sécurité à tous et l'Italie suit avec attention et préoccupation les récents événements en Libye », a ajouté le ministre. « Nous espérons la plus grande attention de la part de tous les Alliés afin de parvenir à une solution viable qui oriente le pays vers une normalisation institutionnelle, politique, économique et de sécurité intérieure ».

Solution finale pour les Kurdes

« L'unité et la stabilité de la Libye sont une condition préalable pour faire face aux phénomènes qui affectent la Méditerranée ». De toute évidence, la Libye devait être discutée à Ankara : pour arracher le oui d'Erdogan à l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN, Washington et ses partenaires occidentaux ont non seulement donné le feu vert à une solution finale antikurde, mais ont également légitimé la surpuissance diplomatique et militaire de la Turquie dans la Libye tourmentée.

Comme le rapporte une note de l'état-major des armées, les accords conclus lors du sommet interministériel du 5 juillet 2022 « ont représenté la dernière étape d'une confrontation de grande envergure, développée à travers les nombreuses rencontres bilatérales, inaugurées en juillet 2020 avec la visite du ministre Guerini à Ankara, et poursuivies jusqu'à aujourd'hui avec la bilatérale entre les ministres de la défense des deux pays, qui fait suite à la récente trilatérale entre l'Italie, le Royaume-Uni et la Turquie du 8 avril 2022 ».

Appréciation du régime

Lors de sa visite à Istanbul en avril dernier, Lorenzo Guerini n'avait pas manqué de montrer son appréciation du régime. « La Turquie est un partenaire important pour l'Italie et un allié précieux de l'OTAN », avait déclaré le ministre du Parti démocrate. « Notre pays a d'ailleurs toujours considéré la Turquie comme un partenaire avec lequel il est possible de répondre aux besoins mutuels en matière de défense et de partager des opportunités de collaboration entre leurs industries respectives. Cette rencontre va dans le sens d'un renforcement des relations entre nos pays ».

Des relations à renforcer également en ce qui concerne la lutte contre une "menace" qualifiée d'hybride dans la sphère alliée : les migrations "irrégulières" dans la région méditerranéenne.

Les mots prononcés par Mario Draghi à l'issue du dernier face-à-face avec Erdogan n'étaient certainement pas accidentels. « La gestion de l'immigration doit être humaine, juste et efficace ; nous essayons de sauver des vies, mais il faut aussi comprendre qu'un pays qui accueille ne peut plus faire face », a déclaré le premier ministre désormais démissionnaire. « C'est un problème que nous avons posé en Europe, nous l'avons dit ici en Turquie et nous le dirons à la Grèce quand nous la rencontrerons. Nous sommes peut-être le pays le moins discriminant et ouvert, mais nous avons aussi des limites et maintenant nous y sommes ».

L'enfer libyen

Le sultan d'Ankara a saisi la balle au bond, voyant une occasion en or pour faire monter les enchères avec Bruxelles sur la question de la lutte contre les migrants et de lancer une nouvelle attaque contre l'ennemi historique d'Athènes. « La Grèce a commencé à être une menace pour l'Italie également avec ses rejets de migrants dans la mer Égée », a fait remarquer Erdogan. Les ONG et les commentateurs craignent que l'Italie et la Turquie n'aient préparé le terrain pour renforcer les activités de "blocus" des migrants, en se concentrant sur l'enfer libyen.

Comment alors Draghi, Lamorgese, Di Maio et Guerini peuvent-ils considérer Ankara comme un partenaire sérieux et crédible pour repousser les migrants vers la Libye - et de la Libye vers le Sahel ? Mystère.

Précisément au moment de la mission du gouvernement italien en Turquie, le 5 juillet, le journal Libya Observer a rapporté à Tripoli que la force aérienne et maritime européenne chargée de surveiller le respect de l'embargo sur les armes dans ce pays d'Afrique du Nord (opération Irini) s'était vu refuser à huit reprises l'inspection d'un navire battant pavillon turc dans le port de Misurata.

Des amis imprésentables

Trois frégates (l'ITS Grecale italienne, la HS Themistocles grecque et la FS Commandant Blaison française) sont actuellement affectées à l'opération de l'UE, ainsi qu'un certain nombre d'avions de patrouille provenant d'Italie, de France, de Grèce, d'Allemagne, du Luxembourg et de Pologne, la principale base opérationnelle étant la station de Sigonella en Sicile.

Amici e vadditi, dit un vieil adage sicilien [Gardez-moi de mes amis]. C'est-à-dire qu'il vaut mieux se méfier de certains "amis" qui ne sont vraiment pas présentables et qui ne manquent pas une occasion de profiter de la confiance qu'on leur accorde. Qui sait si et quand Rome et Bruxelles comprendront cela.

NdT

*Pacte d'acier : pacte militaire offensif signé entre l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste en mai 1939, et étendu au Japon en septembre 1940. Il sera abrogé en 1943, après la chute de Mussolini.

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