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01/10/2022

GIDEON LEVY
Ahmad essayait de protéger les passants contre des colons violents : il a été tabassé et emprisonné par des flics israéliens

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 1/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des colons juifs commettent des dégâts dans une ville palestinienne, lançant des pierres, brisant des fenêtres. La police et les soldats israéliens regardent, mais ne font rien pour retenir les colons. Les Palestiniens qui tentent de se défendre sont tabassés et arrêtés. C’est l'histoire d'Ahmad Shaaweet

Ahmad Shaaweet, cette semaine. Il est allé chercher le petit déjeuner pour ses collègues et a essayé de défendre les passants palestiniens. Il a été tabassé et arrêté.

Tout a commencé à cause d'un drapeau. Un drapeau palestinien a été accroché à un poteau électrique sur la rue principale d'Hawara, une ville au sud de Naplouse. La route 60 se trouve également être la principale route nord-sud en Cisjordanie, tant pour les Palestiniens que pour les colons. Le drapeau n’a pas plu à un groupe de colons qui voyageaient sur la route, alors ils l'ont déchiré et jeté.

Dans une région occupée, où la plupart des habitants voit le drapeau de Palestine comme leur drapeau national et où il n'y a aucune restriction légale à le faire flotter, mais où les drapeaux de l'État occupant sont omniprésents et presque tous les panneaux routiers portent le nom de colonies juives – dans cette région, chaque bâtard est roi, comme le dit le proverbe, et chaque colon est seigneur de la terre.

Les incidents ont commencé à la mi-mai. Lorsque les jeunes d'Hawara ont découvert que les colons avaient enlevé leur drapeau de la route, ils ont décidé de lancer leur propre protestation. Le lendemain, la rue principale de leur ville a été décorée de drapeaux palestiniens. Alors la guerre du drapeau à Hawara a commencé. Les jeunes hissent leurs drapeaux, les colons les déchirent et font des défâts dans toute la ville afin de punir les habitants rebelles qui n'obéissent pas aux ordres des seigneurs du pays. Pendant ce temps, la police et l'armée restent inactives et ne font que défouler ensuite leur rage contre les Palestiniens, qui tentent simplement de défendre leurs biens. Les soldats israéliens sont également mobilisés pour l'opération de nettoyage et ont commencé à descendre les drapeaux, sans aucun motif légal pour le faire, bien sûr. La police, pour sa part, n'hésite pas à procéder à des arrestations, mais seulement parmi les citadins palestiniens, victimes de la violence. Les policiers et les soldats sont également réputés avoir tabassé occasionnellement des locaux. Après tout, l'ordre public doit être préservé.

Cela dure depuis plus de quatre mois, presque sans arrêt, avec des épisodes fréquents, presque quotidiens, de violence. Ce n'est que cette semaine, pendant les vacances de Rosh Hashanah, quand les colons se tenaient à l'écart de la ville, que le calme est revenu – quoique momentanément. L'histoire d'Ahmad Shaaweet raconte tout.


Cette semaine, nous n'avons pas vu de drapeaux dans la rue principale d'Hawara. Peut-être que les Palestiniens ont cédé ici aussi. Dans la grande mais vide salle du conseil de Hawara, nous avons rencontré Shaaweet, une victime de violence policière. Marié et père de deux filles, Shaaweet, 39 ans, travaille dans un atelier de pièces détachées automobiles dans la rue principale de la ville. Son bras gauche est dans le plâtre. En mai dernier, un habitant de la région a photographié un policier en train d'asperger ses yeux de gaz poivré à bout portant, lors d'un des premiers raids de colons après un hissage de drapeaux. L'image parle d'elle-même : des policiers projettent du gaz dans les yeux d'un résident qui ne semble pas du tout les mettre en danger.

Lundi dernier, le 19 septembre, Shaaweet a quitté la boutique lors d'un autre pogrom, pour aller chercher le petit déjeuner pour ses collègues, comme il le faisait tous les jours. Il a vu des colons jeter divers objets, y compris des chaises et des tables, jeter des pierres sur des voitures palestiniennes sur la route, stopper de force la circulation et briser des vitrines.

Il se souvient d'avoir vu un groupe de colons dans la rue lancer des objets sur des voitures et une dizaine de véhicules de la police et de l'armée stationnés à proximité. Les habitants ont commencé à se rassembler ; les forces de sécurité ont tiré des grenades lacrymogènes pour les disperser. Un certain nombre de colons pulvérisaient du poivre sur les Palestiniens, tandis que d'autres se rendaient au restaurant où Shaaweet se dirigeait, le Fast Meal, et commençaient à jeter par terre des saladiers placés sur le comptoir et à jeter des tables et des chaises sur les passants.

Shaaweet a demandé aux soldats de disperser les émeutiers qui agressaient les locaux. Un Palestinien handicapé à proximité a photographié les événements avec son téléphone portable. Un colon les a attaqués et a poussé Shaaweet et l'homme handicapé. Puis certains soldats se sont joints et ont également commencé à attaquer les gens, se souvient-il. Un colon l'a attaqué. Alors que Shaaweet essayait de le repousser, il a vu des policiers approcher. Il était sûr qu'ils contiendraient les colons et aideraient à mettre fin aux agressions. « Je suis avec vous, mais méfiez-vous des colons », dit-il à un officier en hébreu cassé.

En réponse, cependant, l'agent lui a ordonné de dégager vers une place voisine, où il a commencé à tabasser Shaaweet. D'autres policiers se sont joints à lui, traînant Shaaweet derrière leur véhicule, où ils lui ont ordonné de s'asseoir par terre, apparemment pour qu'ils puissent le menotter. Pendant ce temps, les colons s'approchaient. Shaaweet avait peur de rester là, immobilisé – les colons étaient susceptibles de le frapper. Il a dit aux officiers : « Si vous avez peur de moi, alors menottez-moi, mais je ne vais pas rester  assis par terre. »

Un policier a pulvérisé du poivre dans les yeux d'Ahmad Shaaweet lors d'une des premières attaques de colons à Hawara, en mai. Photo fournie par Ahmad Shaaweet

Enragés, les officiers lui ont saisi le bras droit, le tordant avec force et le liant derrière son dos. La douleur a été intense. Les officiers ont alors commencé à le frapper sur tout le corps avec leurs crosses de fusil. Quand il a baissé la tête pour se protéger, ils l’ont frappé là aussi. La force du coup l'a jeté au sol.

Les policiers, remarquant apparemment que son bras gauche était grièvement blessé à ce moment-là, lui ont menotté les mains par devant. Ils lui ont aussi entravé les jambes. Cette personne qui est allée chercher le petit déjeuner pour ses collègues et qui a essayé de défendre les passants palestiniens, s'est retrouvée en état d'arrestation. Pendant ce temps, les colons ont continué leur déchaînement, brisant la devanture du restaurant KFC en bas de la rue et les fenêtres de quelques voitures. Personne ne les a arrêtés. Shaaweet était assis, enchaîné et souffrant, par terre.

Il a ensuite été emmené au poste de police dans la colonie urbaine d'Ariel, où il a été amené à s'asseoir devant un climatiseur glacial. Sa douleur a augmenté. Il avait de la difficulté à respirer parce que ses côtes étaient cassées. Ce n'est qu'au bout de deux heures qu'un officier de la police israélienne s'est approché de lui. Shaaweet demanda, et reçut, un verre d'eau mais ne put le tenir dans sa main à cause de la douleur. Il se pencha, posa le verre sur son genou et le sirota. (Il nous montre comment il l'a fait mais demande à ne pas être photographié, parce qu'il pense que c'est humiliant.)

Shaaweet a demandé un médecin et on lui a dit qu'il devrait d'abord subir un interrogatoire. Il a été emmené dans une cellule de détention et a eu un déjeuner, qu'il n'est pas parvenu à manger à cause de la douleur. Il y avait deux lits dans la cellule, mais quatre détenus palestiniens. Les autres l'ont aidé à s'allonger sur l'un des lits et l'ont couvert. Ses vêtements étaient déchirés et sales de la violence qu'il avait endurée.

Vers 16 heures, il a été conduit à la salle d'interrogatoire. Au début, Shaaweet a dit qu'il n'accompagnerait pas l'officier qui était venu le prendre s’il ne recevait pas de soins médicaux, mais il a finalement changé d’avis après avoir reçu la promesse qu'une ambulance était en route. Dans la salle d'interrogatoire, les ambulanciers du service médical d'urgence de Magen David Adom l'ont examiné. Il raconte qu'ils lui ont dit que s'ils l'évacuaient à l'hôpital, il devrait payer pour ça.

Les colons à Hawara en mai. Photo : JAAFAR ASHTIYEH / AFP

« Vous m'avez frappé et m'avez amené ici, et vous voulez que je paie ? » a-t-il dit aux policiers. « Je révélerai demain au tribunal tout ce qui m'est arrivé. »

Après quelques tractatives, il a été libéré sous caution de 2 000 shekels (570€ ) et a reçu l'ordre d'appeler ses proches pour qu’ils apportent l'argent. On lui a dit qu'il était soupçonné d'avoir agressé des policiers de service, qui l'ont accusé d'avoir agressé l'un d'eux avec son coude. « Qu’est-ce que vous portez ? », leur a-t-il demandé « Vous portez un gilet et un équipement de protection du corps et [vous avez] un fusil. Si j’avais attaqué un officier avec mon coude, vous verriez des marques sur le coude. » Il a suggéré qu'ils vérifient son coude pour des bleus.

« Qui dit la vérité ? Moi ou les officiers ? », a-t-il demandé, ce à quoi les officiers ont rétorqué qu'il était un menteur.

Nous avons demandé à la police israélienne : pourquoi Shaaweet a-t-il été arrêté, battu et privé de soins médicaux ? Combien de colons ont été arrêtés pendant le pogrom ? L'unité du porte-parole de la police, ignorant certaines des questions, a répondu : « À la suite de troubles dans le village d'Hawara, les FDI et les forces de police sont arrivées sur les lieux. Lors de la dispersion des émeutiers, un suspect a été arrêté. Arrivé au poste de police, il s'est plaint de ne pas se sentir bien et a été emmené par Magen David Adom à l'hôpital pour y être soigné. L'enquête sur l'événement est en cours. Naturellement, nous ne donnons pas de détails sur les enquêtes en cours, mais nous continuerons à enquêter pour obtenir la vérité sur la question. »

Contrairement à la déclaration de la police, le MDA n'a pas emmené Shaaweet à l'hôpital pour un traitement médical.

Ahmad Shaaweet se souvient comment il a été attaqué

À 19 H15, Shaaweet a appelé son beau-frère et lui a demandé d'apporter l'argent de la caution et de le ramener à la maison. Le beau-frère l'a emmené à l'hôpital Rafidia de Naplouse, où sa tête, sa poitrine et son bras gauche ont été radiographiés. On a constaté qu'il souffrait d'une commotion cérébrale, d'ecchymoses autour de ses côtes et d'une fracture du bras. Dans deux semaines, une décision sera prise quant à savoir s'il aura besoin d'une intervention chirurgicale sur le bras gauche qui impliquerait l'implantation d'une tige de platine.

Shaaweet n'est pas encore retourné au travail. Le lendemain de l'incident, les colons se sont à nouveau enfuis au même endroit. Dimanche aussi, la veille de Rosh Hashanah, ils ont attaqué un camionneur à Hawara.

Salma a-Deb'I, chercheuse sur le terrain pour l'organisation de défense des droits humains B’Tselem, a documenté toutes les attaques à Hawara depuis le 17 mai, date à laquelle la guerre du drapeau a apparemment commencé.

À Hawara, ils attendent le 12 octobre, le premier jour de la récolte des olives, avec une certaine inquiétude. Les habitants savent exactement à quoi s'attendre dans leurs oliveraies. Là non plus, il n'y aura personne pour les protéger.

GIANSANDRO MERLI
Non Una Di Meno lance l’opposition féministe au gouvernement à venir en Italie

Giansandro Merli, il manifesto, 29/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des milliers de femmes dans les rues de Rome, Milan et de nombreuses autres villes pour défendre l'interruption volontaire de grossesse. « Nous craignons que de plus en plus d'obstacles soient placés devant les femmes qui souhaitent avorter. Par exemple avec une forte présence de “pro-vie” au sein des hôpitaux », explique Marta Autore, de NUDM [Non Una Di Meno, Pas Une De Moins, mouvement féministe transnational né en Argentine, qui a essaimé dans toute l’Amérique latine et en Europe du Sud, NdT]

« Ils demandent où sont les féministes. Nous voilà. Nous sommes là », crient-elles au micro. La place répond avec un rugissement : ce “Nous sommes furieuses” qui a appelé à la manifestation n'est pas seulement un slogan. Le cri part du centre géographique de la capitale, à quelques pas de la gare Termini, mais c'est le même qui gronde sur les 16 autres places qui ont vu des manifestations organisées par le mouvement Non Una di Meno (NUDM), de Vérone à Palerme.


Rome, manifestation de NUDM pour la défense de l'avortement libre et gratuit- Photo Cecilia Fabiano

La Journée internationale pour l'avortement libre, sûr et gratuit, qui a été pendant des années l'occasion pour les femmes de se mobiliser, a une signification plus importante trois jours après les élections politiques remportées par la droite. On ne connaît pas encore les noms de l'équipe gouvernementale ni les principaux dossiers sur lesquels elle voudra intervenir, mais il n’y a pas besoin d'un météorologue pour savoir de quel côté le vent souffle.

Giorgia Meloni a répété qu'elle ne modifiera pas le texte de la loi 194 mais qu'elle s'engagera à la mettre en œuvre intégralement en « garantissant les droits de celles qui ne veulent pas avorter ».

« En attendant, nous ne lui faisons pas confiance », di Marta Autore, de NUDM Rome, « et nous craignons que de nouveaux obstacles se dressent devant les femmes qui veulent avorter. Par exemple, avec une forte présence de “pro-vie” dans les hôpitaux, comme l'a proposé Fratelli d’Italia en Ligurie il y a quelques heures ».


En Italie, le problème n'est pas de garantir le droit de ne pas avorter, mais le contraire. En raison des limites de la loi 194 et parce qu'elle est largement ignorée par une objection de conscience répandue : la moyenne nationale est de 70 %, mais dans certains établissements, elle dépasse 80 % ou atteint le total des gynécologues, des anesthésistes et du personnel non médical. « Nous ne pouvons pas permettre que l'avortement soit réservé à celles qui ont les moyens économiques de se rendre dans des établissements publics éloignés ou de se réfugier dans des cliniques privées », disent-elles sur le podium.

Pendant ce temps, la place se remplit et déborde. Plusieurs milliers de personnes partent en procession. Il y a des femmes aux cheveux blancs et des filles aux cheveux teints en vert ou en rose. Des hommes avec des hauts et du rouge à lèvres. Des personnes ayant une identité fluide ou en transition. L'opposition au projet de société de la droite est politique, mais aussi anthropologique. Surtout chez les plus jeunes.

« Nous avons un peu peur du prochain gouvernement, mais nous avons foi dans la solidarité entre les personnes. Aujourd'hui, nous voulons envoyer un message pour défendre la liberté de décider de notre corps », déclarent Eva et Erica. Elles fréquentent le lycée classique Albertelli. Elles ont 16 et 17 ans. Ce n'est pas la première fois qu’elles descendent dans la rue avec NUDM.

Les voix de rappeuses et de trappeuses féministes, notamment d'Amérique latine, résonnent fort depuis le camion. « Soy como las otras / hartas de andar con miedo”, chante l'Argentine Sara Hebe. “Je suis comme les autres / fatiguée d'avoir peur» Notes et mots restituent une trame commune, symbolique mais aussi organisationnelle, que les mouvements transféministes ont tissée ces six dernières années d'un bout à l'autre du globe. Des pancartes écrites en anglais et en espagnol sont brandies au plafond : "Bans off my body", "Mind your uterus", "Ni Una Menos". Des phrases d'accroche qui font écho aux combats des femmes usaméricaines et latino-américaines. Sans place pour les nationalismes anciens ou nouveaux.

« Il y a un conflit mondial sur les droits des femmes et des personnes Lgbtqia+. D'une part, un mouvement réactionnaire qui unit la Cour suprême usaméricaine au gouvernement polonais, via les droites européennes. De l'autre, une vague transféministe qui, de l'Argentine au Mexique, en passant par le Chili et l'Italie, se bat pour changer radicalement la société », explique Autore.

Dans le cortège se trouvaient également des femmes de centre-gauche : Laura Boldrini (certaines manifestantes ont protesté contre sa présence), Monica Cirinnà, Marta Bonafoni. Et puis celles du Kurdistan turc et syrien et de l'Iran. Ces derniers jours, elles ont manifesté avec NUDM pour soutenir le soulèvement dans leur pays.

Des milliers de personnes manifestent également à Milan. « Nous voulons bien plus que la 194 : revenu universel d'autodétermination, éducation sexuelle dans les écoles, abolition de l'objection de conscience [anti-avortement] », affirment les militantes. Des manifestations ont également eu lieu à Turin, Bologne, Naples, Reggio Calabria et dans de nombreuses autres villes plus petites. L'opposition féministe est déjà en marche.


Turin

Milan

Rayan Suleiman, 7 ans, enfant martyr palestinien

 Ci-dessous deux articles sur la plus récente histoire d’horreur de la Palestine occupée, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala

 L'histoire de Rayan : « Tué par la peur quand les soldats sont entrés dans la maison »

Michele Giorgio, Pagine Esteri, 30/9/2022

« Lorsque Yasser, le père de Rayan, a ouvert la porte de la maison et que les soldats (israéliens) sont entrés, il y a eu un grand vacarme. L'enfant avait peut-être peur d'être arrêté car les soldats recherchaient les écoliers qui avaient jeté des pierres sur les voitures israéliennes. Rayan a hurlé de peur puis s'est soudainement effondré sur le sol. Nous l'avons emmené à l'hôpital mais son cœur avait cessé de battre ». C’est le récit de Mohammed Suleiman sur la mort de son neveu Rayan Suleiman, 7 ans, « tué par la peur » hier à Taqua, le village situé à quelques kilomètres de Bethléem où l'armée a fait une descente dans plusieurs maisons à la recherche des garçons de l'école primaire Al-Khansa qui avaient auparavant pris pour cible de leurs jets de pierres des colons israéliens traversant la zone. Une mort par crise cardiaque - les médecins de l'hôpital de Beit Jala ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour sauver la vie de Rayan - qui a créé une forte impression en Cisjordanie occupée où la tension, la colère et la frustration ont atteint des niveaux sans précédent ces dernières années en raison des incursions israéliennes quasi quotidiennes, notamment à Jénine et Naplouse.

L'armée israélienne a confirmé qu'un officier avait interrogé le père de Rayan, ainsi que plusieurs autres parents palestiniens, sur la participation présumée de leurs enfants à des jets de pierres. Mais elle affirme qu'il n'y a pas eu d'incidents pendant l'enquête et que les troupes n'ont pas utilisé de mesures anti-émeutes, comme des gaz lacrymogènes, et qu'il n'y aurait « aucun lien entre la mort de l'enfant et les contrôles dans la zone ». Des témoins palestiniens insistent cependant sur le fait que les soldats se sont lancés à la poursuite des écoliers de Taqua, à tel point que des rumeurs ont d'abord circulé selon lesquelles Rayan était mort en tombant d'une hauteur de plusieurs mètres alors qu'il tentait de s'échapper.

Pour les Palestiniens, cet enfant est le 159ème martyr depuis le début de l'année en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. Les décès, dont un grand nombre de combattants armés, se sont largement concentrés au cours des six derniers mois, depuis qu'Israël a lancé l'opération militaire “Briser la vague” en Cisjordanie en réaction aux attaques menées au printemps dernier par des Palestiniens de Jénine, qui ont fait 18 morts à Tel Aviv et dans d'autres villes israéliennes. L'opération s'est intensifiée ces derniers mois et certains y voient un lien avec la campagne pour l’image du Premier ministre Yair Lapid pour les élections législatives du 1er novembre, ainsi qu'avec celle menée à Gaza début août contre le Jihad islamique (49 morts palestiniens, dont 17 enfants).

Le climat général est également aggravé par la situation du prisonnier politique Nasser Abu Hamid, du camp d'Al-Amari (Ramallah), atteint d'un cancer et à qui les médecins donnent quelques jours à vivre mais qui n'a pas encore été libéré. L'avocat des droits humains Salah Hamouri, qui a entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention sans inculpation par Israël, est également en prison. Hamouri a été arrêté le 7 mars à Kufr Aqab et se trouve depuis en détention administrative, c'est-à-dire sans inculpation ni procès, qui peut être renouvelée indéfiniment. L'avocat fait partie des 30 prisonniers politiques palestiniens détenus sans procès qui ont entamé un jeûne de protestation dimanche.

Entre-temps, la vision d'Israël non pas comme un État juif mais comme un "État de tous ses citoyens" a coûté cher au parti arabe Balad/ Tajamu' al [Ligue Démocratique Nationale], qui a été exclu hier de la participation aux élections du 1er novembre par la Commission électorale centrale. La disqualification avait été demandée par le Likoud de l'ancien Premier ministre Netanyahou, mais était également soutenue par le ministre de la Défense Benny Gantz. Le leader de Balad/ Tajamu' al, Sami Abu Shehadeh, a annoncé qu'il ferait appel de cette décision qui pourrait être annulée par la Cour suprême dans les prochains jours. Aucun problème en revanche pour les formations d'extrême droite Sionisme religieux et Otzma Yehudit, que de nombreux Israéliens accusent de racisme.

Les USA soutiennent une enquête “immédiate et approfondie” sur la mort d'un Palestinien de 7 ans

Jack Khoury, Hagar Shezaf, Yaniv Kubovich, Ben Samuels, Haaretz, 29/9/2022

L'oncle du garçon affirme qu'il est mort d'une crise cardiaque lorsque des soldats israéliens se sont rendus à son domicile en Cisjordanie à la suite de jets de pierres présumés de son frère.

Le porte-parole adjoint du département d'État US a déclaré jeudi qu'il exigeait “une enquête immédiate et approfondie” sur le meurtre d'un Palestinien de sept ans, mort lors d'une intervention de l'armée israélienne dans une ville de Cisjordanie, selon des Palestiniens.

“Nous avons le cœur brisé par la mort d'un enfant innocent”, a déclaré le porte-parole adjoint Vedant Patel.

Le garçon, Rayan Suleiman, a été effrayé et a "fait une crise cardiaque" lorsque des soldats sont venus arrêter ses frères dans la maison de sa famille dans la ville palestinienne de Taqua, près de Bethléem, selon l'oncle du garçon décédé.

Un responsable de la Défense a déclaré à Haaretz que les soldats étaient arrivés au domicile pour interroger les parents du garçon au sujet d'un incident de jet de pierres survenu plus tôt. Le ministère palestinien de la Santé avait initialement publié une déclaration contredisant cette version, affirmant que le garçon avait fait une chute mortelle alors qu'il était poursuivi par l'armée israélienne.

Les Palestiniens ont ajouté que Rayan avait été transporté à l'hôpital dans un état critique et que sa mort avait été prononcée peu après. L'armée israélienne enquête sur cette affaire. Dans un communiqué publié plus tard dans la journée de jeudi, l'armée a déclaré que « les allégations concernant la mort du mineur sont connues. Une première enquête n'a trouvé aucun lien entre sa mort et l'activité des soldats dans la zone ».

Mohammed Suleiman, l'oncle du garçon, a déclaré que Rayan était à la maison avec ses parents et ses deux frères lorsque des soldats ont frappé bruyamment à la porte. Il a ajouté que l'armée voulait arrêter les deux frères, âgés de 8 et 10 ans, pour avoir prétendument jeté des pierres aux soldats. « Le père de Rayan a ouvert la porte et les soldats sont entrés. Ensuite, il y a eu une agitation et beaucoup de cris. Effrayé, [Rayan] s'est effondré et a fait une crise cardiaque », a déclaré Suleiman, ajoutant que l'enfant ne souffrait d'aucun problème médical antérieur. « C'était un garçon en parfaite santé et rempli de joie, et en quelques minutes nous l'avons perdu », a-t-il ajouté.

Une source de l'armée israélienne a déclaré que les soldats poursuivaient un groupe d'enfants qui jetaient des pierres, lorsqu'ils les ont perdus de vue. « Près d'une des maisons, les soldats ont vu un père debout avec ses enfants et les ont identifiés comme les enfants qui jetaient des pierres, bien qu'il ne soit pas clair s'il s'agissait des mêmes enfants. L'officier de l'armée a parlé au père en l'absence des enfants, et après avoir quitté la maison, l'homme a commencé à crier, ce qui a fait comprendre à l'officier que l'enfant était en danger. Selon l'officier, il ne savait pas que l'enfant était blessé ».

Mercredi, quatre Palestiniens ont été tués, dont deux militants recherchés par les FDI, lors d'affrontements dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Selon les Palestiniens, 44 personnes ont été blessées au cours des échanges de coups de feu.

L'armée a déclaré que les soldats avaient été envoyés dans le camp de réfugiés de Jénine pour arrêter Abed Fathi Hazem, le frère du combattant palestinien Raad Hazem qui a tué trois personnes à Tel Aviv en avril avant d'être abattu par les forces de sécurité à Jaffa.

Quelques heures plus tard, le Fatah a appelé à une “journée de colère” [Youm Ghadab] dans toute la Cisjordanie. Le porte-parole du président palestinien Mahmoud Abbas, Nabil Abou Roudeineh, a déclaré après le raid meurtrier que « l'occupation israélienne accorde peu de valeur à la vie de notre peuple palestinien, et dégrade la sécurité et la stabilité en poursuivant sa politique d'escalade."

30/09/2022

La déclaration d’amour d’une blonde british : « Giorgia Meloni n'est pas d’extrême-droite : elle ne fait que dire ce que nous pensons tous »
Allison Pearson se lâche

Je n'ai pas pu résister à l’envie de traduire ce morceau de bravoure tonitrué dans le très conservateur
Daily Telegraph de Londres. Son auteure est la très blonde Allison Pearson, 62 ans, célèbre chroniqueuse et chief interviewer” du quotidien. Bien que déclarée en banqueroute par la Haute Cour de Justice en 2015, elle finira bien par être anoblie par son bon roi Charles III.-FG

Allison Pearson , The Daily Telegraph, 28/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Quand j'écoute le nouveau premier ministre italien parler, j'entends les valeurs conservatrices dominantes que des millions de personnes partagent

La fougueuse femme de 45 ans est devenue la première femme Premier ministre d'Italie, un triomphe personnel majeur dans une culture encore notamment machiste [sic]. Photo : Alessia Pierdomenico/Bloomberg

Lors d'un meeting en 2019, Giorgia Meloni, leader du parti des Frères d'Italie, a cité GK Chesterton. L'écrivain anglais, théologien et sage fortement moustachu paraissait un choix improbable pour le paroxysme d'une oration passionnée par une petite blonde italienne fougueuse. Mais ça ne l’est peut-être pas. Chesterton était connu comme « l'apôtre du bon sens ».

« Les feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre. Des épées seront tirées pour prouver que les feuilles sont vertes en été. Cette heure est arrivée. Nous sommes prêts », cria-t-elle avec son épais accent ouvrier romain. 


Le public s'est emballé. Une partie du discours de Meloni est devenue virale. « Ils veulent nous appeler parent 1, parent 2, genre x, citoyen x, avec des numéros de code. Mais nous ne sommes pas des numéros de code… et nous défendrons notre identité. Je suis Giorgia. Je suis une femme. Je suis une mère. Je suis italienne. Je suis chrétienne ! » Certains DJ, mécontents du point de vue de Meloni sur le mariage gay, ont samplé ses paroles et ont mis un rythme disco derrière eux pour la diaboliser.

Ça s'est retourné contre eux. La chanson est devenue un succès dans les clubs italiens et a grimpé dans les hit-parades : loin de discréditer Meloni, elle n'a fait que stimuler sa popularité.

Cette semaine, cette blonde fougueuse de 45 ans est devenue la première femme Premier ministre d'Italie, un triomphe personnel majeur dans une culture encore notamment machiste. Mais les gros titres ont tous mis l'accent sur Giorgia Meloni comme étant « d'extrême droite ». 

« La femme la plus dangereuse d'Europe », a averti le magazine allemand Stern. Meloni avait même bouleversé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Répondant à la question de savoir s'il y avait des inquiétudes concernant les prochaines élections en Italie, un sourire saint von der Leyen a répondu, avec un sourire suffisant et moralisateur : « Si les choses vont dans une direction difficile, j'ai parlé de la Hongrie et de la Pologne, nous avons des outils. » [sic et resic]

Ils appellent Giorgia Meloni fasciste, mais c'est l'impeccablement libérale von der Leyen qui se comporte comme telle.

Nous avons des outils. C'est parler comme une vraie totalitaire. À qui feriez-vous confiance lorsqu'il s'agit de respecter une décision démocratique ? Le premier dirigeant élu de l'Italie depuis quatorze ans, une mère célibataire issue d'un foyer pauvre, ou un ministre de la défense allemand défaillant, le produit d'une élite aisée qui a été intégrée dans le qui a été propulsé à la tête de l'UE sans un seul vote ?  

Bien que les origines fascistes du parti de Meloni suscitent des inquiétudes valables, ce que j'entends quand je l'écoute sont des valeurs conservatrices dominantes. Voici une politicienne qui s'exprime au nom de la famille et de la nation. Elle s'oppose à la mondialisation qui transforme les hommes et les femmes en unités de consommation sans visage. Elle dit oui à la sécurisation des frontières et non à la migration de masse, oui à l'identité sexuelle et non aux spaghettis alphabétiques [reresic] de la politique de genre.

Pourquoi ces vues de millions de gens ordinaires sont-elles maintenant appelées « d'extrême droite » ? C'est parce que la gauche, tout en échouant systématiquement dans les urnes, a pris le contrôle de la nomenclature politique. Ainsi, ils sont les seuls à pouvoir décider qui est vertueux et qui est Boris Johnson. Pendant deux ans et demi, ils ont appelé Boris “d’extrême-droite”, puis ils ont eu droit à Liz Truss.

“Extrême-droite” se traduit maintenant par « quelqu'un avec qui je ne suis pas d'accord et qui n'est donc pas quelqu'un de bien ». Reportant pour Channel 4 News sur les récents affrontements à Leicester entre des groupes d'hindous et de musulmans, Darshna Soni a attribué la violence à « la politique idéologique de droite importée du sous-continent [indien] ».

Ça a changé de blâmer le Brexit, je suppose.

Deux groupes religieux avec de fortes affiliations tribales, qui vivent ici mais se détestent toujours, ce n'est pas une histoire confortable pour ceux qui ont une vision gauchiste. Faites venir le monstre de  « l'extrême-droite » ! 

Et donc, à la suite de cette appropriation orwellienne de la « vérité », nous avons une société dans laquelle Sir Keir Starmer, le dirigeant travailliste, déclare qu'il est prêt pour le gouvernement mais ne peut pas dire ce qu'est une femme parce que croire au sexe biologique n’est pas à la mode.

Une société où une « organisation caritative » appelée Sirènes donne des bandages de poitrine aux jeunes filles confuses, à l'insu de leurs parents, et toutes les meilleures âmes pensent que soutenir cette association, c’est faire preuve d'une tolérance merveilleuse plutôt que de la plus grande cruauté et stupidité. Une société où les mères qui allaitent leurs nouveau-nés sont appelées “ chest-feeders” [litt. “nourrisseurs par la poitrine”] parce que certains membres du NHS [National Health Service, Service public de santé] s'inquiètent que le fait d'appeler une mère une mère offense l'orthodoxie dominante.

Si donner tous ces exemples fait de vous des méchants “d’extrême-droite”, alors tant pis. Sono Giorgia Meloni. Je suis une femme. Je suis une mère.

« Les feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre Il nous restera à défendre les vertus et les sanités incroyables de la vie humaine. » Bien vu, G. K. Chesterton, Monsieur. Il nous reste en effet à défendre le bon sens comme si la vie de nos enfants en dépendait, ce qui est plutôt le cas.

Des millions d'entre nous sont d'accord avec Giorgia Meloni, et nous ne sommes pas d’extrême-droite. Juste de droite.*

NdT

Cette dernière phrase a un double sens en anglais, intraduisible : “just right”, juste de droite, mais aussi “nous avons raison”

 

 

29/09/2022

CHIARA CRUCIATI
« En Iran, c'est la révolution des femmes : avec le voile, c’est le régime qui brûle »
Entretien avec Fariborz Kamkari, réalisateur et écrivain kurdo-iranien

Chiara Cruciati, il manifesto, 22/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Iran - Cinquième jour de manifestations en Iran, au moins 14 morts. Interview du réalisateur kurdo-iranien Fariborz Kamkari : « Ce n'est pas une simple révolte : elle concerne tout le pays, pas seulement le Kurdistan ou le sud-est arabe, et elle implique toutes les classes sociales, pas seulement les pauvres ou la classe moyenne. Et elle n'a pas explosé à cause de la pauvreté : les gens demandent la liberté, disent non à la nature même de la République islamique ».

 

 Avoir des nouvelles sûres du soulèvement qui enflamme l’Iran depuis cinq jours n'est pas simple : l'internet est très faible, coupé par Téhéran. Hier, la dernière application désactivée a été Instagram.

La contestation s'amplifie, presque toutes les provinces sont désormais impliquées. Au moins 14 manifestants ont été tués, des centaines blessés, le nombre d'arrestations est inconnu. A Rojhilat, au Kurdistan iranien, une grève générale a été déclenchée.

Au premier rang se trouvent les femmes : elles brûlent les voiles, coupent les cheveux, se heurtent à la police. Le soulèvement a été déclenché par l’assassinat, par la police des mœurs, de la jeune Kurde Mahsa Amini, âgée de 22 ans, vendredi dernier. À sa famille, un conseiller de l'ayatollah Khamenei a exprimé les condoléances du chef religieux qui aurait promis d'enquêter.

Mais les slogans sont clairs : « Mort au dictateur », « Femme, vie, liberté ». Dans la ville de Sari, un manifestant est monté sur la façade de la mairie et a détruit l’image de Khomeiny, le père de la République islamique.

Hier, Anonymous, le collectif de hackers appelé à la rescousse par les Iraniens sur les réseaux sociaux pour aider à désactiver les sites du gouvernement, semble l’avoir fait, bloquant la télévision d'État et certains services gouvernementaux pendant quelques heures.

Nous avons parlé du soulèvement avec Fariborz Kamkari, réalisateur kurdo-iranien, auteur entre autres des films Les fleurs de Kirkouk et Être kurde et du roman Retour en Iran.

Que se passe-t-il en Iran ?

Ce n'est pas une révolte de celles qui se produisent désormais chaque année : cette fois, elle a les caractéristiques d'une révolution. Pour quatre raisons. Premièrement, pour la première fois en 43 ans, cela concerne l'ensemble du pays et pas seulement une partie de ce pays, que ce soit le Kurdistan ou le sud-est à majorité arabe, comme cela s'est produit il y a deux semaines, des protestations aussitôt calmées. Deuxièmement, toutes les classes sociales participent : dans le passé, nous avons assisté à des protestations de la petite bourgeoisie, d'autres fois de la classe subalterne. Cette fois, ce sont les pauvres, les travailleurs, la classe moyenne qui y participent. Troisièmement, on ne s'est pas mobilisé pour des raisons économiques, les gens demandent la liberté. Quatrièmement, il est complètement hors de contrôle de toute organisation interne au régime qui, pendant des années, a montré un double visage, réformistes contre conservateurs. Aujourd'hui, la révolte est contre le régime lui-même et on le comprend par la réaction compacte de toutes les forces politiques. Brûler le voile, c'est brûler le drapeau : ce régime a utilisé le voile comme représentation de sa propre idéologie. Aujourd'hui, les gens disent non à l'ensemble du système politique du pays, à la nature même de la République islamique.

Fariborz Kamkari

Pourquoi aujourd'hui? La mort d'Amini a-t-elle été l'étincelle d'une dissidence qui cherchait un exutoire ?

Son vrai nom n’tait pas Mahsa mais Jhina. En Iran, nous ne pouvons pas utiliser des noms kurdes, qui restent officieux, autres que ceux officiels des documents d'identité. Jhina signifie « nouvelle vie ». Et elle est vraiment en train de donner une nouvelle vie au pays. C'est arrivé aujourd'hui parce que l’Iran étouffe déjà depuis longtemps. Au cours des huit dernières années, il y a eu des révoltes cycliques, mais le régime a réussi à les déconnecter en utilisant différents outils. Prenons le Kurdistan : il y a des manifestations depuis 1979, alors que Khomeiny était porté en triomphe par les partis kurdes qui avaient déjà inventé le slogan « Autonomie pour le Kurdistan, démocratie pour l’Iran ». Avec les soulèvements kurdes, le régime effraie les Iraniens en disant qu'il s'agit d'indépendantistes. Si les travailleurs protestent, le régime fait peur à la classe moyenne.

Mais cette fois, le soulèvement est l’accumulation de toutes les souffrances du peuple iranien. La situation économique est terrible, mais le slogan qui résonne est le droit de choisir pour soi. Pendant des décennies, quand nous contestions l’obligation du voile, beaucoup ont répondu que ce n'était certainement pas le problème principal. Aujourd'hui, les gens montrent qu'il l'est parce qu'il représente la liberté individuelle, la possibilité de choisir pour soi, le symbole de sa propre volonté. Les Iraniens ne demandent pas seulement du pain ou du travail, mais la liberté. D'autres fois, ils nous ont répondu que le hijab est une caractéristique de notre culture. Ce n'est pas le cas : il a été imposé par la révolution islamique qui a forcé les femmes à le porter. En brûlant le voile, elles brûlent ce mythe.

Quel rôle jouent les femmes ?

Le système a été conçu pour marginaliser les femmes et leur enlever tout rôle politique, culturel, social. La femme doit être femme et mère, son devoir est de procréer et d'élever des enfants. Les femmes iraniennes ne l'ont jamais accepté et ont toujours été un moteur de changement. Allez en Iran, vous verrez qu'elles font toutes sortes de choses. C'est une révolution féminine parce que ce sont elles qui organisent la rue, qui vont contre la police, qui brûlent le voile. Et elles sont soutenus par les hommes, c'est la nouveauté. La ruse du régime a été de créer des divisions qui sont également entrées dans la maison : si vous créez un système en faveur des hommes, les hommes deviennent les représentants du régime même dans les murs de la maison. Mais aujourd'hui, ils sont aux côtés des femmes.

Et les jeunes ?

Aujourd'hui, les jeunes utilisent Internet, connaissent le monde extérieur, sont plus difficiles à apprivoiser. 60 % de la population iranienne a moins de 30 ans, des personnes qui ne se souviennent pas ou n'ont pas participé aux grandes révoltes de 1999 et 2009. Les universités se sont réveillées. Après les manifestations de 2009, le régime avait réussi à désamorcer les étudiants, mais aujourd'hui, ils sont un nouveau moteur de protestation contre la tentative de les exclure du discours politique et social.

Téhéran saura-t-il montrer de l'élasticité, concéder quelque chose pour survivre ?

C'est difficile, le régime est construit sur ces principes. S'ils échouent, c’est tout l’échafaudage de la République islamique qui tombe. C'est pourquoi il ne change pas, bien que la majorité des Iranien·nes ne veuillent plus du hijab ou du contrôle de la liberté personnelle. Dans les grandes villes, les citoyens sont traités avec plus de douceur, mais dans les petites villes ou au Kurdistan, ils sont traités avec violence. Et personne ne paie pour ces violences : le président Raisi est en ce moment à l'Assemblée générale de l'ONU, et pourtant il est le « juge de la mort », en 1988 il a participé à la condamnation à mort de 6 000 prisonniers politiques, pour la plupart des moudjahidines et des communistes. Mais il participe au forum international.

Parmi les revendications de la place, il y a la suppression de la police des mœurs.

La police des mœurs a été l'une des premières inventions de Khomeini pour construire sa société idéale, face à l'opposition de la majorité de la population au hijab ou à d'autres comportements publics non conformes aux principes du régime, de l'habillement à la coiffure en passant par le langage. Au début de la révolution, beaucoup d'entre nous se souviennent des châtiments corporels, comme les aiguilles sur le front. La police des moeurs est un instrument efficace pour terroriser, surtout les jeunes : elle est devant chaque lycée et chaque faculté, elle vérifie comment on s'habille, ce qu'on écrit sur les téléphones. Elle arrête les voitures où il y a des hommes et des femmes pour vérifier leurs relations familiales. En tout cas, la protestation en cours ne veut pas la fin de la police des mœurs, mais la fin de toute la nature du régime.

 

JOHN PILGER
En Ucrania, USA nos está arrastrando hacia una guerra con RusiaUn artículo de 2014 más actual que nunca

John Pilger, The Guardian, 13/5/2014
Traducido por
Miguel Álvarez Sánchez, editado por Fausto Giudice, Tlaxcala

 

¿Por qué toleramos la amenaza de otra guerra mundial en nuestro nombre? ¿Por qué permitimos mentiras que justifican este riesgo? La magnitud de nuestro adoctrinamiento, escribió Harold Pinter, es un «acto de hipnosis de gran éxito, brillante e incluso ingenioso», como si la verdad «no se produjera ni siquiera mientras se produce».

Un activista prorruso con un casquillo y un paquete de comida de fabricación usamericana que cayó de un vehículo blindado del ejército ucraniano durante un ataque a un control de carretera el 3 de mayo de 2014 en Andreievka,  óblast de Zaporiyia, Ucrania.Foto: Scott Olson/Getty

 

Cada año, el historiador usamericano William Blum publica su «resumen actualizado del historial de la política exterior de USA», que muestra que, desde 1945, USA ha intentado derrocar a más de cincuenta gobiernos, muchos de ellos elegidos democráticamente; ha interferido indecentemente en las elecciones de treinta países; ha bombardeado a la población civil de 30 países; ha utilizado armas químicas y biológicas; y ha intentado asesinar a líderes extranjeros.

En muchos casos Gran Bretaña ha sido un colaborador. El grado de sufrimiento humano, por no hablar de la criminalidad, es apenas reconocido en Occidente, a pesar de contar con las comunicaciones más avanzadas del mundo y el periodismo supuestamente más libre. Que las víctimas más numerosas del terrorismo - «nuestro» terrorismo- sean musulmanes, es algo indecible. Se suprime que el yihadismo extremo, que condujo al 11-S, fue alimentado como arma de la política angloamericana (Operación Ciclón en Afganistán). En abril, el Departamento de Estado de USA señaló que, tras la campaña de la OTAN en 2011, «Libia se ha convertido en un refugio terrorista seguro».

El nombre de «nuestro» enemigo ha cambiado a lo largo de los años, desde el comunismo hasta el islamismo, pero en general se trata de cualquier sociedad independiente del poder occidental y que ocupa un territorio estratégicamente útil o rico en recursos, o que simplemente ofrece una alternativa a la dominación usamericana. Los líderes de estas naciones obstruccionistas se suelen apartar violentamente, como los demócratas Muhammad Mossedeq en Irán, Arbenz en Guatemala y Salvador Allende en Chile, o son asesinados como Patrice Lumumba en el Congo. Todos son objeto de una campaña de vilipendio por parte de los medios de comunicación occidentales: pensemos en Fidel Castro, Hugo Chávez y ahora Vladimir Putin.

El papel de Washington en Ucrania sólo es diferente en sus implicaciones para el resto de nosotros. Por primera vez desde los años de Reagan, USA amenaza con llevar al mundo a la guerra. Con el este de Europa y los Balcanes convertidos en puestos militares de la OTAN, el último «Estado tapón» fronterizo con Rusia –Ucrania– está siendo desgarrado por las fuerzas fascistas desatadas por USA y la UE. Nosotros, en Occidente, apoyamos ahora a los neonazis en un país donde los nazis ucranianos apoyaron a Hitler.

Después de haber ideado el golpe de Estado en febrero contra el gobierno democráticamente elegido en Kiev, la toma de la histórica y legítima base naval rusa libre de hielo en Crimea planeada por Washington fracasó. Los rusos se defendieron, como lo han hecho contra todas las amenazas e invasiones de Occidente durante casi un siglo.

Pero el cerco militar de la OTAN se ha acelerado, junto con los ataques orquestados por USA contra los rusos étnicos en Ucrania. Si se puede provocar a Putin para que acuda en su ayuda, su preconcebido papel de «paria» justificará una guerra de guerrillas dirigida por la OTAN que probablemente se extienda a la propia Rusia.

En cambio, Putin ha confundido al partido de la guerra buscando un acuerdo con Washington y la UE, retirando las tropas rusas de la frontera ucraniana e instando a los rusos étnicos del este de Ucrania a abandonar el provocador referéndum del fin de semana. Estos pueblos rusófonos y bilingües -un tercio de la población de Ucrania- llevan mucho tiempo buscando una federación democrática que refleje la diversidad étnica del país y sea a la vez autónoma de Kiev e independiente de Moscú. La mayoría no son ni «separatistas» ni «rebeldes», como los llaman los medios de comunicación occidentales, sino ciudadanos que quieren vivir con seguridad en su patria.

Al igual que las ruinas de Irak y Afganistán, Ucrania se ha convertido en un parque temático de la CIA, dirigido personalmente por el director de la CIA, John Brennan, en Kiev, con docenas de «unidades especiales» de la CIA y el FBI que establecen una «estructura de seguridad» que supervisa los salvajes ataques contra quienes se opusieron al golpe de Estado de febrero. Vea los vídeos y lea los informes de los testigos de la masacre de Odessa de este mes. Los matones fascistas traídos en autobuses quemaron la sede del sindicato, matando a 41 personas atrapadas en su interior. Mire a los policías en espera.

Un médico describió cómo intentaba rescatar a la gente, «pero me detuvieron los radicales nazis pro-ucranianos. Uno de ellos me empujó bruscamente, prometiendo que pronto yo y otros judíos de Odessa correríamos la misma suerte. Lo que ocurrió ayer ni siquiera tuvo lugar durante la ocupación fascista en mi ciudad durante la Segunda Guerra Mundial. Me pregunto por qué el mundo entero guarda silencio».

Los ucranianos de habla rusa luchan por sobrevivir. Cuando Putin anunció la retirada de las tropas rusas de la frontera, el secretario de defensa de la junta de Kiev, Andriy Parubiy -miembro fundador del partido fascista Svoboda- se jactó de que los ataques contra los «insurgentes» continuarían. Al estilo orwelliano, la propaganda en Occidente ha invertido esto en que Moscú «intenta orquestar el conflicto y la provocación», según William Hague, el secretario británico de Asuntos exteriores. Su cinismo se corresponde con la grotesca felicitación de Obama a la junta golpista por su «notable moderación» tras la masacre de Odessa. La junta, dice Obama, está «debidamente elegida». Como dijo una vez Henry Kissinger: «Lo que cuenta no es lo que es verdad, sino lo que se percibe como verdad».

En los medios de comunicación usamericanos la atrocidad de Odessa se minimizó, calificándola de «turbia» y de «tragedia» en la que «nacionalistas» (neonazis) atacaron a «separatistas» (personas que recogían firmas para un referéndum sobre una Ucrania federal). El Wall Street Journal de Rupert Murdoch condenó a las víctimas - «Un incendio mortal ucraniano seguramente provocado por los rebeldes, según el Gobierno». La propaganda en Alemania ha sido pura guerra fría, con el Frankfurter Allgemeine Zeitung advirtiendo a sus lectores de la «guerra no declarada» de Rusia. Para los alemanes es una ironía conmovedora que Putin sea el único líder que condena el ascenso del fascismo en la Europa del siglo XXI.

Un tópico popular es que «el mundo cambió» tras el 11-S. Pero ¿qué ha cambiado? Según el gran lanzador de alertas Daniel Ellsberg, se ha producido un golpe de Estado silencioso en Washington y ahora gobierna el militarismo desenfrenado. El Pentágono dirige actualmente «operaciones especiales» -guerras secretas- en 124 países. En USA, el aumento de la pobreza y la pérdida de libertad son el corolario histórico de un estado de guerra perpetuo. Si añadimos el riesgo de una guerra nuclear, la pregunta es: ¿por qué toleramos esto?