Omar
G. Encarnación, The New York Review of Books, 16/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
NdT
Qualifier de séparatistes les partis et mouvements autonomistes/indépendantistes/régionalistes/nationalistes est un choix que je ne partage pas mais que je respecte. Rappelons tout de même l’origine religieuse du terme : il désignait au XVIIème siècle les dissidents de l’Église anglicane d’État. Et son acception postmoderne macronienne, inscrite dans la loi «confortant les principes républicains », dite loi contre le séparatisme (musulman/islamiste).
Les prochaines élections anticipées en Espagne pourraient être décidées par les partis séparatistes imprévisibles du pays.
Fin mai, le Premier ministre Pedro Sánchez a annoncé que les Espagnol·es se rendraient aux urnes le 23 juillet pour élire un nouveau gouvernement national. Il s’agissait d’une annonce surprise - les élections n’étaient pas prévues avant décembre - précipitée par les lourdes pertes que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Sánchez venait de subir lors des élections locales et régionales du même mois. Si l’on se fie à l’histoire, le prochain scrutin déclenchera de nombreuses turbulences politiques. Lors des dernières élections nationales, ni le PSOE ni son ennemi juré, le Parti populaire (PP) conservateur, n’ont été en mesure de remporter une victoire suffisante pour former un gouvernement à eux seuls, faisant d’autres forces politiques, notamment les principaux partis séparatistes de Catalogne et du Pays basque, des faiseurs de rois potentiels.
Les partis séparatistes espagnols sont suffisamment fluides sur le plan idéologique pour soutenir les gouvernements de l’ensemble du spectre politique. Ils ont également le potentiel de briser un gouvernement national, comme ils l’ont fait il y a cinq ans lors de la crise séparatiste catalane, la période politique la plus précaire de l’Espagne depuis la fin de la dictature franquiste. En octobre 2017, une coalition de partis séparatistes en Catalogne a organisé un référendum sur l’indépendance que la Cour constitutionnelle espagnole avait déjà déclaré inconstitutionnel. Le Premier ministre Mariano Rajoy du PP a réagi de manière excessive en envoyant la Garde civile pour empêcher les gens de voter, en dissolvant le gouvernement régional de la Catalogne et en plaçant la région sous l’autorité directe de Madrid. Après la destitution de Rajoy à la suite d’un scandale de corruption touchant l’ensemble de son parti, Sánchez, nouvellement installé au poste de premier ministre, a ouvert des négociations avec la Catalogne, mais a rejeté les appels en faveur d’un référendum sanctionné par l’État.
En représailles, les séparatistes catalans ont retiré leur soutien à la coalition gouvernementale de Sánchez, ne lui laissant d’autre choix que de dissoudre le parlement et d’appeler à de nouvelles élections. Sánchez a remporté ces élections en 2019 et a pu former un nouveau gouvernement de coalition avec Podemos, un parti populiste de gauche, et sans le soutien des séparatistes. De nombreux observateurs, y compris l’auteur de ces lignes, n’ont pas perdu de vue que, dans leur quête de revanche, les séparatistes catalans étaient prêts à prendre le risque de laisser le gouvernement tomber entre les mains d’un parti qui les aurait traités avec plus d’hostilité que Sánchez n’aurait jamais pu le faire. Avant le référendum, il avait approuvé la réécriture de la Constitution espagnole pour transformer l’Espagne en une “nation de nations” en renforçant l’autonomie régionale dans tout le pays. Mais rien de tout cela ne comptait pour les séparatistes catalans, dont la position de victimes de Madrid attirait l’attention de la communauté internationale sur leur projet.
Malgré leur réputation bien méritée de perturbateurs et de fauteurs de troubles politiques, les partis séparatistes ont également apporté des contributions significatives à la démocratie espagnole. Ils ont introduit les libertés politiques pendant l’entre-deux-guerres, ont mené la résistance au régime autoritaire de Franco et ont assuré le succès de la transition vers la démocratie dans les années 1970. Ce qui est moins apparent, mais tout aussi important, c’est que ces dernières années, ils se sont imposés comme des remparts contre l’extrême droite. La force du séparatisme explique en partie pourquoi l’Espagne a résisté au malaise politique connu sous le nom de recul démocratique, qui se produit généralement dans les jeunes démocraties à la politique polarisée lorsque les dirigeants élus s’attaquent au système électoral, sapent l’autonomie des tribunaux et politisent l’armée. La démocratie espagnole n’a pas encore cinquante ans et ses niveaux de polarisation sont parmi les plus élevés au monde, mais au niveau national, la robustesse des partis séparatistes et leur souci des droits des minorités constituent un contrepoids puissant à l’illibéralisme.
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L’Espagne est un État unitaire très décentralisé. Elle fonctionne selon un système de “communautés autonomes”, chacune ayant ses propres droits et compétences administratives. L’Espagne diffère en cela des États fédéralistes classiques, comme les USA, où chaque sous-unité a la même relation avec l’État central. La Catalogne et le Pays basque ont été les premiers à recevoir l’autonomie en 1979 ; en l’espace de cinq ans, l’ensemble du pays a été divisé en dix-sept communautés et deux villes autonomes en Afrique du Nord (Ceuta et Melilla). La Catalogne, le Pays basque et la Galice sont les régions les plus autonomes, en raison de leur statut de “régions historiques”, qui reconnaît que leurs revendications nationales sont antérieures au régime franquiste. Ces trois régions possèdent un patrimoine linguistique unique, mais la Galice, berceau de Franco, se distingue par l’absence d’un mouvement séparatiste fort. Au contraire, dans l’ère post-franquiste, les privations économiques et l’héritage franquiste bien ancré se sont conjugués pour faire du PP, qui promeut vigoureusement le nationalisme castillan, la force politique dominante de la région. À l’exception de la région méridionale de l’Andalousie, les quatorze communautés restantes ont été créées au terme d’un processus lent, qui a consisté à demander l’autonomie à Madrid et à organiser un référendum.
La décentralisation espagnole peut sembler aléatoire (le processus a été baptisé café para todos, ou café pour tous), mais il s’agit d’une réalisation capitale. Entre le milieu du XIXe siècle et le milieu des années 1970, les tentatives de partition de l’Espagne avaient fait échouer tous les efforts de démocratisation. Une tentative de fédéralisation de l’Espagne a condamné la Première République (1873-1874). La Seconde République, en place entre 1931 et 1939, s’est effondrée pendant la guerre civile espagnole, en grande partie parce que la droite s’est opposée à toute tentative de décentralisation du pays, craignant qu’elle ne soit le prélude à l’éclatement de l’Espagne. L’une des principales missions du régime autoritaire de Franco était d’éradiquer toute trace de distinction culturelle sur le territoire national espagnol afin de rendre le fédéralisme ou tout autre type de décentralisation inutile, voire tout à fait superflu. Les partis séparatistes, qui ont été les principaux moteurs de la tentative d’instaurer le fédéralisme en Espagne, ont été parmi les principales cibles de ce génocide culturel ; le fait qu’ils aient survécu à la dictature franquiste témoigne de leur profond enracinement dans la société.
CiU a ardemment promu l’autonomie de la Catalogne mais s’est farouchement opposé à l’indépendance, une position qui a été déterminante pour vendre l’autonomie régionale aux législateurs madrilènes. Son contrôle hégémonique de la Catalogne a également permis au parti d’isoler efficacement les éléments les plus radicaux du mouvement séparatiste catalan, en particulier Terra Lliure (Terre libre), un petit groupe clandestin responsable de nombreux attentats meurtriers. En l’absence d’un mouvement indépendantiste florissant, la Catalogne a prospéré dans les années post-franquistes, tandis que la lutte pour l’indépendance transformait le Pays basque en zone de guerre. Mais lorsque CiU a commencé à s’effilocher au début des années 2000 - un processus accéléré par les scandales de corruption financière entourant Pujol, une figure de caudillo - des partis indépendantistes tels que Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), Gauche républicaine de Catalogne, sont passés au premier plan de la politique catalane.
Fondée en 1931, ERC a incarné les politiques de la Seconde République libérale. Outre l’abolition de la monarchie espagnole (restaurée en 1978) et l’instauration de l’autonomie régionale (dont la Catalogne a été la première à bénéficier en 1932), la République est aujourd’hui connue pour les réformes sociales qu’elle a introduites : droits du travail, droits des femmes, dépénalisation de l’homosexualité et éducation laïque. ERC a également été l’une des principales forces du Front populaire, une alliance de partis de gauche et de mouvements sociaux, dont des communistes, des socialistes et des anarchistes, qui s’est réunie en 1936 pour défendre la République contre l’assaut de l’armée nationaliste de Franco. La visibilité d’ERC dans la résistance a fait du parti une cible privilégiée des franquistes. Lluís Companys, un dirigeant d’ERC qui a été président de la Catalogne pendant la guerre civile, a été capturé en exil en France par la police secrète nazie et exécuté par un peloton d’exécution au château de Montjuïc en octobre 1940. Après la chute de la République en 1939, les dirigeants d’ERC se sont réfugiés en France, où ils ont organisé un gouvernement catalan en exil. Elle est revenue en Espagne après la mort de Franco en 1975 pour réactiver le parti.
Gabriel Rufian et Teresa Jorda, candidats de la Gauche républicaine de Catalogne au Congrès, tenant un drapeau des fiertés lors du lancement de leur campagne, Barcelone, Espagne, 6 juillet 2023. Photo : Europa Press 2023
En 2017, ERC a rejoint deux autres groupes séparatistes catalans nés de l’ère post-CiU - Junts per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne) et la Candidatura d’Unitat Popular (Candidature d’Unité Populaire), ou CUP - pour organiser le référendum illégal sur l’indépendance. Les organisateurs ont affirmé qu’environ 90 % des Catalans avaient voté pour l’indépendance, mais le taux de participation n’a été que de 43 %, soit un peu plus de 2 millions de personnes sur les 7,5 millions d’habitants que compte la Catalogne. Depuis le référendum, ERC, sous la direction de Pere Aragonès, actuel chef du gouvernement catalan, a tenté de devenir le parti indépendantiste dominant en Catalogne. Son modèle est le Parti national écossais qui, en 2014, a persuadé le gouvernement britannique d’autoriser un référendum officiel sur l’indépendance de l’Écosse.
Dans sa quête de domination électorale, ERC est devenue la voix de la modération parmi les partis séparatistes catalans, prônant une approche négociée avec Madrid. Le parti a contribué à obtenir la grâce de neuf dirigeants catalans impliqués dans l’organisation du référendum, dont le dirigeant d’ERC Oriol Junqueras, après qu’ils eurent été condamnés à de longues peines de prison pour sédition et détournement de fonds publics. De manière plus controversée, Aragonès a affirmé que les séparatistes catalans devaient mieux promouvoir l’indépendance auprès de la population catalane. Il ne fait aucun doute qu’il est attentif à l’opinion publique : un sondage réalisé en octobre 2022 par le gouvernement catalan a révélé que 52 % des Catalans s’opposent à l’indépendance, tandis que 41 % y sont favorables, ce qui représente une baisse significative par rapport au pic de 48 % atteint au moment du référendum. D’autres partis séparatistes continuent de favoriser une approche unilatérale de la sécession. Le désaccord d’ERC avec Junts sur cette question a dégénéré l’année dernière lorsque Junts a abandonné le gouvernement de coalition régionale, affaiblissant sérieusement la mainmise d’ERC au pouvoir et jetant le projet d’indépendance dans le désarroi.
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C’est en Catalogne que l’on trouve le plus grand nombre de partis séparatistes en Espagne, mais c’est au Pays basque qu’a été créé le plus influent sur le plan politique. Le Partido Nacionalista Vasco, Parti nationaliste basque (PNV), a été fondé à Bilbao en 1895 en tant que parti démocrate-chrétien par l’écrivain Sabino Arana, largement reconnu comme le père du nationalisme basque. Depuis, il est devenu l’un des trois piliers de la société basque, aux côtés du patronat et de l’Église catholique. Le parti entretient également des liens avec la diaspora basque et possède des bureaux dans plusieurs pays étrangers, dont l’Argentine, le Mexique et les USA. Entre sa création et le début de la guerre civile, le PNV a joué un rôle essentiel dans l’accession des Basques à l’autonomie. Le statut d’autonomie basque a été approuvé par le parlement espagnol en octobre 1936, sur la base des “fueros”, c’est-à-dire des droits que la couronne de Castille avait accordés aux Basques à l’époque médiévale.
Pendant la majeure partie des années 1970 et 1980, les dirigeants du PNV ont oscillé entre modération et radicalisme. Ils dénonçaient la violence au Pays basque mais étaient plus enclins à critiquer le gouvernement espagnol pour sa gestion de l’ETA qu’à condamner l’organisation terroriste elle-même. Pendant ces “años de plomo” (“années de plomb”), le parti s’est également montré tiède en matière de démocratisation, critiquant la nouvelle constitution qui n’allait pas assez loin sur la question de l’autonomie régionale. Les abstentions et les votes négatifs lors du référendum constitutionnel de 1978 ont été nombreux dans les provinces basques de Guipúzcoa, de Biscaye et d’Ávala, avec respectivement 54 % et 23 %. (En revanche, 87 % des électeurs ont approuvé la constitution dans l’ensemble de l’Espagne, y compris en Catalogne). Mais au début des années 2000, après que l’ETA a provoqué une vague de protestations au Pays basque et en Espagne en kidnappant et en assassinant un jeune conseiller du PP basque nommé Miguel Ángel Blanco, le PNV s’est joint aux organisations de la société civile basque pour faire pression sur l’ETA afin qu’elle abandonne sa lutte armée.
Le processus de paix, qui s’est déroulé principalement sur le territoire basque français et s’est achevé en 2017, a non seulement mis fin à l’ambiguïté du PNV à l’égard de l’ETA, mais a également eu une influence modératrice sur le parti en général. Au cours des deux dernières décennies, le PNV a rejoint ERC en embrassant le social-libéralisme, un tournant frappant compte tenu de ses profondes racines catholiques. Il a notamment soutenu la loi de 2005 qui a fait de l’Espagne le premier pays majoritairement catholique à légaliser le mariage entre personnes de même sexe, une mesure à laquelle le Vatican, la Conférence épiscopale espagnole et le PP se sont farouchement opposés. Deux ans plus tard, le PNV a également joué un rôle essentiel dans l’élaboration de la loi historique sur la mémoire historique, qui remédie à l’absence de procès politiques ou de commission de la vérité pour faire face aux horreurs de la guerre civile et de l’ère franquiste, en particulier ce que l’historien Paul Preston a appelé “l’holocauste espagnol”, le règne de terreur de l’après-guerre au cours duquel le régime franquiste a exécuté 20 000 dissidents politiques et envoyé des centaines de milliers de personnes, y compris des homosexuel·les, dans des camps de concentration.
La loi sur la mémoire historique offrait des réparations aux personnes persécutées par Franco pour leurs convictions politiques et leur orientation sexuelle, accordait la citoyenneté espagnole aux descendants des exilés républicains, appelait au retrait des symboles publics et des monuments honorant le régime franquiste et déclarait illégitime le coup d’État de Franco contre la République. Le PNV a fait avancer la loi en négociant un compromis qui offrait une protection juridique aux symboles franquistes trouvés dans les églises catholiques s’ils étaient considérés comme ayant une valeur artistique ou une signification historique. Une fois la loi adoptée, ERC s’y est opposée parce qu’elle n’allait pas assez loin en n’annulant pas toutes les décisions des tribunaux franquistes. Quinze ans plus tard, les objections d’ERC et celles des militants des droits humains, en particulier de l’Association pour la récupération de la mémoire historique, ont poussé les législateurs à adopter une loi plus complète. La loi sur la mémoire démocratique a annulé toutes les décisions judiciaires de la dictature, créé une banque d’ADN pour aider à localiser et à identifier les restes de ceux qui ont péri pendant la guerre civile et sous la dictature (les restes sont difficiles à trouver parce qu’ils se trouvent dans des fosses communes non marquées dans toute l’Espagne), et interdit la Fondation Franco. La loi redonne également au Valle de los Caídos (Vallée de ceux qui sont tombés), l’ancien lieu de sépulture de Franco, son nom original de Valle de Cuelgamuros.
Aitor Esteban, porte-parole du Parti nationaliste basque (PNV) au Congrès des députés, rendant hommage au poète Estepan Urkiaga, exécuté par un peloton d’exécution franquiste en 1937, Alava, Pays basque, Espagne, 25 juin 2023 ; Photo/ Lino Gonzalez/Europa Press/Getty Images
Mais la question qui a le plus divisé les séparatistes ces dernières années n’est pas la mémoire historique, mais l’indépendance. Alors que les Catalans ont abandonné leurs pratiques traditionnelles d’accommodement avec Madrid en faveur d’une approche unilatérale de l’indépendance, les Basques ont adopté le statu quo et en ont tiré le meilleur parti. Les commentateurs se sont interrogés sur ce renversement radical de stratégies, mais celui-ci a une explication logique. Depuis la transition démocratique, les Basques se sont montrés plus habiles à obtenir des concessions de Madrid, comme la possibilité de conserver une plus grande partie de leurs recettes fiscales, et il semble que l’état d’autonomie plus développé du Pays basque ait atténué l’attrait de l’indépendance. Les séparatistes catalans pourraient peut-être être apaisés si Madrid était disposé à leur accorder ce qu’il accorde déjà aux Basques : une plus grande autonomie financière. Un autre facteur entre en ligne de compte : alors que les Basques semblent se contenter d’être laissés à eux-mêmes, les Catalans veulent à la fois être autonomes et avoir leur mot à dire à Madrid. Comme l’a expliqué le politologue catalan Orion Bartomeus au Financial Times, « Les Basques pensent que “vous êtes responsables de votre maison et que je suis responsable de la mienne". Pour les Catalans, c’est “Je suis responsable de ma maison, mais je veux aussi transformer l’Espagne” ».
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En prévision des élections de ce mois-ci, les partis séparatistes espagnols n’ont qu’une préoccupation : empêcher Vox, le parti d’extrême droite qui monte en puissance en Espagne, d’entrer au gouvernement à Madrid. Actuellement troisième groupe au parlement espagnol (après le PSOE et le PP), avec 52 sièges au Congrès des députés, Vox promeut un programme toxique d’extrême droite : anti-immigration, anti-féministe, anti-mondialiste, anti-LGBTQ et anti-justice sociale. Le parti a lancé sa campagne 2019 à Covadonga, une ville de la région septentrionale des Asturies qui est souvent appelée le berceau de la civilisation espagnole car, selon la tradition conservatrice, c’est là que les chrétiens ont vaincu les “Moros” pour la première fois, entamant ainsi un effort de huit cents ans pour reprendre la péninsule ibérique aux infidèles. Dans le même ordre d’idées, la campagne anti-immigration de Vox met en scène le leader du parti, Santiago Abascal, parcourant la campagne à cheval, tel un croisé-conquérant déterminé à débarrasser l’Espagne des étrangers.
Dans la campagne actuelle, Abascal, originaire du Pays basque, a proposé un référendum national visant à interdire les partis séparatistes, qu’il considère comme “contraires à l’existence et à la souveraineté de l’Espagne”. Une telle interdiction serait probablement inconstitutionnelle. Il s’est également engagé à abroger la loi sur la mémoire historique et la loi sur la mémoire démocratique, au motif qu’elles divisent les Espagnol·es et constituent une tentative des libéraux de réécrire l’histoire. Abascal attribue son opposition farouche au séparatisme et son plaidoyer en faveur de “l’unité de l’Espagne” au fait qu’il a été la cible de la campagne terroriste de l’ETA lorsqu’il était jeune politicien au Pays basque.
La course est serrée. Un sondage réalisé le 16 juin par le Centre d’études sociologiques a montré que le PSOE l’emportait avec 31,2 % des voix, juste devant le PP (30,7 %). Le sondage montre également que le PP pourrait bien finir en tête en formant un gouvernement de coalition avec Vox, qui recueille 10,6 % des voix. Mais les calculs électoraux pourraient facilement favoriser le PSOE, surtout depuis que Podemos, le partenaire junior du PSOE, a conclu un pacte de dernière minute avec Sumar, une scission de Podemos, pour se présenter en tant qu’entité unique. Le pacte Podemos-Sumar vise à tirer parti d’une caractéristique de la loi électorale espagnole qui récompense les grands partis dans l’attribution des sièges parlementaires. Podemos-Sumar, qui recueille 14,3 % des voix, est dirigé par Yolanda Díaz, la ministre du travail de Sánchez. Elle est également la femme politique la plus populaire d’Espagne, en raison de son rôle dans la négociation du plan de congé en cas de pandémie, qui a garanti les salaires de 3,5 millions d’Espagnols.
Les partis séparatistes se démènent pour accroître leur influence. En Catalogne, ERC talonne le Parti socialiste de Catalogne, la branche catalane du PSOE (signe que le séparatisme est en perte de vitesse - ERC a remporté la région en 2019), mais bien devant le PP. ERC a conclu son propre partenariat, avec le parti indépendantiste basque de gauche EH Bildu - une alliance rejetée par le PP comme “un bricolage” de la gauche et des séparatistes pour maintenir Sánchez au pouvoir. Comme lors des dernières élections, le PNV est en tête de tous les partis et alliances politiques au Pays Basque.
ERC et le PNV ont critiqué Vox de manière cinglante. Depuis le Parlement espagnol, les dirigeants d’ERC ont dénoncé le parti pour son adhésion à l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro et à sa campagne de désinformation et de négationnisme électoral. Le porte-parole parlementaire du PNV, Aitor Esteban, a qualifié Vox de fasciste, de franquiste et de raciste ; il est, selon lui, “contre la liberté”. Bien qu’il ait soutenu des gouvernements conservateurs dans le passé, le PNV a exclu toute coalition dirigée par le PP qui inclurait Vox. Le fait que l’extrême droite soit confrontée à une opposition aussi féroce dans deux régions aussi importantes sur le plan électoral explique en partie pourquoi, pendant des années, l’Espagne a été ce rare pays européen dont le parlement national était exempt de toute représentation de l’extrême droite. Les observateurs politiques appelaient cela l’exception espagnole. Ironiquement, c’est la crise catalane qui a mis fin à cette exception en 2019, lorsque Vox est entré au Congrès des députés à la faveur des élections anticipées que Sánchez a été contraint de convoquer. Depuis, Vox a progressé dans tout le pays, y compris dans les régions séparatistes. En 2020, il a élu un représentant au parlement basque et, l’année suivante, il a obtenu onze sièges au parlement catalan en promettant de mettre fin à l’“islamisation de la Catalogne”.
Sánchez a qualifié les élections du 23 juillet de bataille entre la démocratie et l’autocratie, établissant un parallèle avec le choix auquel les USAméricains ont été confrontés en 2020 entre Joe Biden et Donald Trump. Mais il n’est pas certain que ce message contribue à sa réélection. D’une part, son principal adversaire, Alberto Nuñez Feijóo, ancien président de la Galice, est tout sauf trumpien. Un article paru dans The Guardian qualifie Feijóo de “personne sûre” et note qu’il semble faire des heures supplémentaires pour ramener le PP à son profil de centre-droit des années 1990, ce qui le distingue nettement de son “prédécesseur erratique et ouvertement de droite”, Pablo Casado, qui a suivi Vox vers la droite pour conserver ses électeurs. Connu pour son calme et sa discrétion, Feijóo a soutenu l’ancien premier ministre González lors des élections historiques de 1982 qui ont ramené la gauche au pouvoir pour la première fois depuis la guerre civile. Pourtant, son parti a conclu des accords avec Vox après de récentes victoires locales et régionales, notamment pour la création d’un gouvernement de coalition PP-Vox dans la région de Castilla y León, et Feijóo a hésité à critiquer les positions politiques les plus controversées de Vox.
Même s’ils s’opposent fermement à Vox, les séparatistes ne sont pas prêts à soutenir Sánchez. Dans une interview accordée à Catalunya Ràdio, Aragonès a appelé les séparatistes catalans à “mettre un prix” sur leur soutien à Sánchez, bien qu’il n’ait pas précisé si cela signifiait jeter des votes en faveur de Sánchez, à leurs propres frais, ou entrer dans une coalition post-électorale dirigée par le PSOE, ou les deux à la fois. Dans tous les cas, le prix à payer serait un référendum officiel sur l’indépendance. S’adressant à Radio Euskadi, le président du PNV, Andoni Ortuzar, a noté que « bien que nous ne soyons pas dans une coalition PP-Vox, pour que nous soyons dans une coalition avec l’actuel président espagnol, beaucoup de choses devront changer ». Pour tenter d’obtenir le soutien des séparatistes, Sánchez a souligné que son parti était le mieux à même de maintenir l’unité de l’Espagne tout en faisant progresser les aspirations à une plus grande autonomie régionale. Il aime faire l’éloge des Catalans de sa coalition, des hommes politiques comme Manuel Cruz, président du Sénat, et Meritxell Balet, présidente du Congrès des députés, en les qualifiant de “Catalans au service de l’Espagne et d’Espagnols au service de la Catalogne”.
En dénonçant vigoureusement Vox tout en gardant Sánchez à distance, les dirigeants séparatistes gardent leurs options ouvertes pour les négociations qui suivront les élections. Mais quelle que soit la position adoptée par les partis séparatistes au sein du nouveau gouvernement - dans l’opposition, au sein d’une coalition gouvernementale ou dans une position intermédiaire -, il est certain qu’ils resteront une force majeure de la politique espagnole. Malgré tout le drame qui entoure ces partis, ils ont gagné leur capital politique et leurs références démocratiques. En effet, à bien des égards, ils sont les héros méconnus du miracle démocratique post-franquiste. Ils ont survécu à une guerre civile sanglante dans laquelle ils étaient du côté des perdants, ils ont survécu à une dictature de quarante ans qui a fait d’eux une cible, et aujourd’hui, comme ils l’ont fait dans les années 1930, ils s’opposent à l’extrême droite.
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