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Sergio Rodríguez Gelfenstein
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31/12/2021

JOHN CATALINOTTO
La classe ouvrière des USA est-elle à la veille d'une nouvelle vague de syndicalisation ?

John Catalinotto, 31/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Les travailleur·ses de trois entrepôts d’Amazon ont lancé des campagnes pour former un syndicat dans cette entreprise gigantesque qui emploie plus d'un million de travailleur·ses rien qu'aux USA. Les travailleur·ses de deux cafés Starbucks à Buffalo, dans l'État de New York, ont obtenu une représentation syndicale lors d'un vote.

Des manifestations ont été organisées aux USA, en Europe de l'Ouest et au Bangladesh le 26 novembre - ce que l'on appelle le Black Friday - dans les entrepôts d'Amazon pour réclamer les droits des travailleurs et les droits syndicaux. Les actions se sont concentrées sur les travailleur·ses de la logistique aux USA et en Europe, et sur ceux·celles de la production textile au Bangladesh.

D'autres actions sont prévues pour le 12 janvier, jour de l'anniversaire du  patron centimilliardaire d'Amazon, Jeff Bezos, et pour l’anniversaire de Martin Luther King Jr., qui est un jour férié fédéral (https://supportamazonworkers.org/jan12/)

Manifestation à Times Square, le 22 décembre. Photo Workers World 

 Cela peut sembler être un petit début. Pourtant, cela a déjà fait naître l'espoir de millions de travailleur·ses et de milliers de militants syndicaux aux USA que quelque chose de grand est en cours. Cela a fait naître l'espoir chez les organisateurs de travailleur·ses d'inverser le déclin des effectifs syndicaux au cours des 68 dernières années.

Certaines voix, parmi les communistes et les syndicalistes, et parmi les observateurs des médias capitalistes, ont évoqué l'histoire de la montée en puissance du syndicat industriel CIO dans les années 1930 et se demandent si une nouvelle vague ne serait pas en train de se produire.

Le New York Times et le Boston Globe, par exemple, ont fait des gros titres sur la campagne de syndicalisation chez Starbucks et Amazon, évoquant les années 1930. Le Times rapporte normalement les nouvelles du travail dans la section « Business ». La plupart des articles portent sur des grèves perdues ou des divisions entre travailleur·ses de base et dirigeants syndicaux.

Durant l'automne 2021, les travailleur·ses syndiqué·es aux USA ont fait plus de grèves qu'ils·elles n'en avaient fait depuis des décennies. Lors des grandes grèves chez les fabricants de céréales Kellogg's et de tracteurs et bulldozers John Deere, les grévistes ont forcé les dirigeants de leurs syndicats à poursuivre les grèves après que ceux-ci eurent conclu des accords avec les patrons.

Cette augmentation rapide du nombre de travailleur·ses en grève fait suite à des décennies de déclin de l'affiliation syndicale. Il y a eu des grèves héroïques, mais presque toutes ont été perdues par les syndicats.

Baisse de l'affiliation syndicale

Suite à une expansion de la syndicalisation de la fin des années 1930 au milieu des années 1950, près de 35 % des travailleur·ses usaméricain·es appartenaient à des syndicats. Les syndicats étaient particulièrement forts dans l'industrie lourde : acier, charbon, construction automobile, où ils·elles ont arraché de meilleurs contrats à leurs patrons d’envergure mondiale.

Les patrons et le gouvernement ont d'abord frappé les travailleur·ses avec la loi Taft-Hartley de 1947 qui a bloqué la syndicalisation. Les attaques de la guerre froide contre les communistes ont poussé les meilleur·es organisateur·trices politiques à quitter les syndicats.

Ensuite, la désindustrialisation de l'économie usaméricaine a remplacé les travailleur·ses par des machines et déplacé l'industrie vers des régions où les salaires sont plus bas en utilisant de nouvelles méthodes de production. La main-d'œuvre syndiquée a pris sa retraite ou a été licenciée définitivement. Les nouveaux emplois étaient souvent dans les industries de services, la logistique, les soins de santé et l'éducation.

Le gouvernement fédéral a mené une attaque en règle contre les contrôleurs aériens lors de leur grève en 1981. Cela a brisé la grève de PATCO (Organisation professionnelle des contrôleurs aériens), amorçant une forte baisse de la force syndicale. Même si des grèves héroïques de travailleur·ses de base ont eu lieu au cours des années suivantes, peu d'entre elles ont abouti à des victoires.

La désindustrialisation s'est accélérée après l'effondrement de l'Union soviétique et l'ouverture de la main-d'œuvre chinoise à l'emploi capitaliste international. En effet, entre les années 1980 et 2000, la main-d'œuvre exploitable à l’échelle mondiale a doublé, passant d'environ 1,5 milliard à 3 milliards de travailleur·ses.

Il y avait une vaste armée de main-d'œuvre excédentaire. Les salaires moyens ont diminué, tout comme le nombre de syndiqués. Les inégalités se sont rapidement développées.

En 2020, les travailleurs syndiqués ne représentaient plus que 10,8 % de la main-d'œuvre aux USA. Si les États-Unis constituent un exemple extrême, le taux de syndicalisation a diminué de moitié ou pire au Japon, en Europe et dans la plupart des pays impérialistes.

Striketober

L'augmentation des grèves et de l'organisation a lieu alors que la quatrième vague de Covid frappe particulièrement fort dans le Midwest et le Nord-Est des USA. La crise de la Covid a appris aux travailleur·ses de la santé, de l'éducation, du commerce de détail et de la logistique que leur travail était « essentiel », au cas où ils·elles ne le savaient pas déjà.

En août, septembre et octobre, un nombre record de plus de 4 millions de travailleur·ses ont quitté leur emploi chaque mois, à la recherche de salaires plus élevés et de meilleures conditions.

Alors que la Covid a ralenti l'économie globale, certaines entreprises ont proliféré. Amazon, qui détient le monopole des ventes sur Internet, a ajouté 500 000 travailleur·ses à ses effectifs usaméricains en 2021 - plus 250 000 autres chauffeurs et livreur·es employé·es par des sous-traitants. Amazon emploie désormais 1,3 million de travailleur·s.

Amazon traite ses employés d'entrepôt comme des marines en formation de base. Ces abus et cette surcharge de travail entraînent un turn-over très élevé : 3% par semaine, soit 150% par an. Bien que ce taux de rotation nécessite une embauche constante, la direction l'accepte car ses méthodes brutales permettent de maintenir l'exploitation et des profits élevés.

La main-d'œuvre d'Amazon est jeune, beaucoup sont afro-usaméricain·es ou latin@s. Tou·tes sont en colère et plus que jamais conscient·es de leur oppression de classe. Ils·elles sont conscient·es que ces entreprises ne paient pas un salaire décent.

Ils·elles sont conscient·es que les patrons d'Amazon - et de Starbucks, Walmart et autres - enfreindront toutes les règles pour empêcher la syndicalisation de leurs entreprises.

Ils·elles sont conscientes, plus que jamais, que ceux qui dominent les USA ne peuvent pas contrôler un virus, qu’ils n'arrêteront pas la crise climatique mondiale. Ils·elles ont vécu une vague de tornades sans précédent qui a tué des travailleur·ses d'un entrepôt d'Amazon. En décembre, dans l'Illinois, ils·elles ont été forcé·es de rester au travail sous peine de sanctions disciplinaires.

Ils·elles sont conscient·es que leur big boss Bezos a utilisé une partie de l'argent qu'il a pris sur leur travail pour financer une virée dans la stratosphère.

L'espoir des organisateur·trices est que les petites victoires chez Starbucks mèneront à de plus grandes victoires chez Amazon et se répandront dans la classe ouvrière usaméricaine plus rapidement que la pandémie. C'est un grand pas qui n'a pas encore eu lieu, mais on ne peut pas être un·e organisateur·trice de travailleurs, et encore moins un·e révolutionnaire, sans être optimiste.

Cela peut avoir un impact sur la lutte des travailleur·ses dans le monde entier. De quoi amener Jeff Bezos à se dire qu’il aurait dû rester dans la stratosphère.

Note : Une grande partie de l'histoire des luttes de salarié·es et des données économiques est tirée de Low Wage Capitalism - Colossus With Feet of Clay, par Fred Goldstein, World View Forum, 2008.


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