Ci-dessous un exemple plutôt pathétique des cogitations stratégico-tactiques usraéliennes en ces temps de guerre asymétrique multi-fronts. “Errare humanum est, perseverare autem diabolicum, et tertia non datur” [L’erreur est humaine, la persistance [dans l’erreur] est diabolique, et la troisième possibilité n’est pas donnée] : comment dit-on cela en hébreu moderne ? -FG
Chuck Freilich, Haaretz, 20/6/2024
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Israël se trouve dans une situation sans précédent de guerre permanente avec le Hamas à Gaza et un Iran enhardi, alors qu’il est en train de décider comment réagir à l’escalade des combats transfrontaliers avec le Hezbollah au Liban. Sa prochaine action doit être la plus calculée et la mieux calibrée possible - il n’y a pas de place pour l’erreur
Le nord d’Israël est en flammes, le risque d’une guerre à grande échelle, voire sur plusieurs fronts, augmente rapidement et Israël reste empêtré dans le bourbier de Gaza. Le sens commun veut que le Hezbollah ne soit pas intéressé par une confrontation totale et préfère un cessez-le-feu, si et quand il sera obtenu à Gaza.
Toutefois, la capacité du Hamas à survivre à l‘attaque massive d’Israël, ainsi que la détérioration de sa position stratégique, ont renforcé la confiance de l” (Iran, Hezbollah, Hamas, Houthis et diverses milices chiites) et l’ont probablement incité à prendre davantage de risques. L’“Axe” semble croire qu’il peut résister à la supériorité conventionnelle d’Israël et même la vaincre.
Dans ces circonstances sans précédent, Israël doit choisir entre cinq options principales. Chacune doit être évaluée en fonction de ses perspectives de succès militaire et diplomatique et de ses ramifications intérieures. Plus important encore, la question est de savoir si l’option est susceptible de produire une amélioration significative de la position stratégique globale d’Israël, ou si nous paierons un lourd tribut et reviendrons à la case départ.
Poursuite de la voie actuelle : Jusqu’à présent, Israël et le Hezbollah ont veillé à rester en deçà du “seuil d’escalade”, un terme intentionnellement vague qui a été mis à rude épreuve et qui pourrait être insoutenable. Les dégâts subis par les villes, villages et kibboutzim du nord d’Israël sont importants et s’aggravent, et quelque 60 000 personnes évacuées n’ont pas pu rentrer chez elles depuis plus de huit mois. Après le traumatisme du 7 octobre, l’opinion publique israélienne en a assez des interminables rounds de guerre limitée, qui ne font qu’engendrer des périodes de calme limitées jusqu’au prochain round, et souhaite des solutions plus permanentes. À l’inverse, l’équilibre de la terreur avec le Hezbollah, après la guerre de 2006, a tenu pendant 16 ans. Si un retour à ce type de politique est susceptible d’aboutir à un nouveau cessez-le-feu prolongé, il ne faut pas l’écarter complètement.
Un cessez-le-feu unilatéral : Cette mesure serait prise dans l’espoir d’isoler le Hezbollah, de le forcer à cesser ses tirs et de renforcer la légitimité internationale d’une opération militaire israélienne, si elle s’avérait nécessaire. Bien entendu, rien ne garantit que le Hezbollah réagira comme on l’espère, même après un cessez-le-feu israélien prolongé. Une action unilatérale pourrait être considérée comme un signe de faiblesse et, en tout état de cause, serait difficile à mettre en œuvre sur le plan politique, en particulier pendant que les combats se poursuivent à Gaza.
Diplomatie coercitive : Après un cessez-le-feu unilatéral, Israël lancerait un ultimatum clair au Hezbollah : cessez les attaques dans un délai donné, disons 72 heures, ou Israël frappera. Cette option présente l’avantage de renforcer la légitimité internationale, surtout si elle fait suite à un cessez-le-feu unilatéral israélien relativement long. Mais l’administration Biden s’opposera à l’imposition d’un ultimatum, d’autant plus que les élections approchent, que le Hezbollah et l’“Axe” le repousseront probablement, qu’Israël perdra l’élément de surprise et que le risque d’une guerre totale (le rêve du chef du Hamas Yahya Sinwar devenu réalité) augmentera considérablement.
Une initiative diplomatique : Selon toute vraisemblance, une poursuite des efforts usaméricains et français en cours pour promouvoir un accord de travail dans le sud du Liban qui soit acceptable à la fois pour Israël et pour le Hezbollah. Une résolution diplomatique est clairement préférable, mais la probabilité de parvenir à un accord et de le maintenir dans le temps n’est pas élevée. De plus, un tel arrangement exigera qu’Israël fasse des concessions territoriales le long de la frontière, certes insignifiantes, mais néanmoins difficiles à faire accepter par l’opinion publique, surtout en ce moment.
Une opération limitée : Conçue pour rétablir la dissuasion israélienne, forcer le Hezbollah à accepter un cessez-le-feu et l’éloigner de la frontière, afin que les habitants du nord puissent rentrer chez eux. Bien entendu, rien ne garantit que ce qui commence comme une opération limitée le restera, ni qu’Israël sera en mesure d’atteindre ses objectifs militaires. Tous les rounds avec le Hezbollah depuis les années 1990, qu’ils aient été limités ou non, se sont terminés de manière décevante pour Israël [manière élégante de dire défaite, NdT]. En outre, cette option n’obtiendra pas de légitimité internationale (usaméricaine) et l’opinion publique est fatiguée des promesses répétées d’opérations limitées conduisant à des améliorations de la situation.
Une opération d’envergure : Cette démonstration de force massive aurait pour but de changer fondamentalement la situation. Le Hezbollah n’a cessé de gagner en puissance et un conflit majeur se profile probablement à l’horizon, en tout état de cause. Dans l’intervalle, l’Iran est devenu un État du seuil nucléaire et un nouveau report du jour des règlements de comptes avec le Hezbollah pourrait signifier qu’il se produira après que l’Iran aura atteint une capacité opérationnelle. Cela constituerait une situation stratégique radicalement nouvelle pour Israël, qu’il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter. Israël est aujourd’hui en état d’alerte, les réservistes et l’armée régulière ont tous deux acquis une expérience de combat [contre des femmes désarmées et des enfants, NdT] inestimable à Gaza et ont réussi à rétablir la confiance dans les capacités des forces terrestres. En outre, la coalition anti-iranienne dirigée par les USAméricains a démontré ses prouesses militaires en bloquant complètement l’attaque directe de missiles iraniens contre Israël au mois d’avril.
Inversement, cette option est extrêmement risquée, elle pourrait déclencher une guerre sur plusieurs fronts et le front intérieur d’Israël, son économie et ses capacités militaires essentielles seraient très durement touchées. La guerre à Gaza ferait pâle figure en comparaison et nous n’avons même pas encore atteint tous nos objectifs militaires dans cette région. Le maelström croissant du sentiment anti-israélien aux USA et dans le monde entier pourrait devenir une tempête parfaite et même faire basculer le résultat d’une course présidentielle usaméricaine serrée. La réélection du président Joe Biden est clairement dans l’intérêt d’Israël. En outre, nombreux sont ceux qui soupçonneront le comportement d’Israël d’être motivé par la nécessité pour Netanyahou de maintenir les hostilités en cours afin de repousser les élections en Israël et sa chute politique, quelle qu’en soit la cause objective, et la crise politique interne israélienne en cours rendra particulièrement difficile la gestion efficace de la guerre.
Des volutes de fumée s’échappent des incendies allumés par les bombardements israéliens sur les zones forestières du village de Deir Mimas, dans le sud du Liban, la semaine dernière. Photo : Rabih DAHER / AFP
Pendant des décennies, Israël n’a pas réussi à empêcher le développement des capacités du Hezbollah et, plus important encore, du programme nucléaire iranien. Il ne peut tout simplement pas se permettre d’échouer à nouveau. Le désir de frapper avec force maintenant est tout à fait compréhensible, mais la politique israélienne doit être soigneusement calculée et calibrée, et refléter une certaine combinaison de ces six options. L’Iran et le Hezbollah ont placé Israël devant un dilemme aux proportions diaboliques et il n’existe pas de réponse unique et correcte.
Une fois les combats à Gaza terminés, nous saurons si le Hezbollah cesse effectivement le feu, comme il l’a déclaré, et si un accord négocié par les USAméricains peut être conclu. Une guerre reportée peut être une guerre qui ne se matérialise jamais dans la pratique, ce qui est la meilleure solution.
En réalité, nous devrons probablement vivre avec la menace du Hezbollah pendant longtemps. Cette conclusion est douloureuse, surtout pour les habitants du nord, qui devront choisir entre retourner chez eux sous une menace permanente ou s’installer ailleurs.
Entre-temps, Israël devrait profiter de la période précédant les élections usaméricaines de novembre pour tenter de parvenir à des accords avec l’administration Biden et la campagne Trump, en ce qui concerne la menace du Hezbollah. Le soutien US à la politique israélienne est essentiel. Pour maximiser les chances de l’obtenir, Israël devrait adopter le “plan Biden”, qui exige des progrès vers une solution à deux États, une normalisation avec l’Arabie saoudite et l’institutionnalisation de la coalition anti-iranienne dirigée par les USA. Mais il est peu probable que Netanyahou soit d’accord.
Dans ces conditions, une conflagration majeure avec le Hezbollah est de plus en plus probable - et il se peut qu’il n’y ait pas d’autre alternative. En tout état de cause, Israël devrait tenter d’instaurer un cessez-le-feu unilatéral, afin de renforcer la légitimité internationale et d’exercer une pression sur le Hezbollah, puis évaluer s’il convient, dans les circonstances du moment, d’imposer l’ultimatum décrit. Pour ce faire, il faudra bien sûr être prêt à risquer une guerre totale, avec toutes les souffrances qu’elle implique.
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