Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Il y a deux décennies, le ministère de la Défense nationale et le Centre de renseignement et de sécurité nationale (CISEN), aujourd’hui disparu, ont remis aux Archives générales de la nation les fonds documentaires des années de la “guerre sale”. Bien qu’incomplets et fragmentés, ils peuvent être consultés par toute personne qui en fait la demande. Mais pour reconstituer l’ensemble du puzzle de la répression de cette période - en particulier entre 1965 et 1990 - il manque une pièce maîtresse : les archives de l’ancienne police de la capitale, la police secrète ou Division des enquêtes et de la prévention de la délinquance (DIPD).
Après de multiples demandes de renseignements et d’ouverture, ils avaient été considérés comme perdus ou détruits. Jusqu’à présent. Cela pourrait bientôt changer, affirme Carlos Pérez Ricart, l’un des quatre experts du Mécanisme de clarification historique ((Mecanismo para la Verdad y el Esclarecimiento Histórico, MEH).
Suite à la signature d’un accord entre le bureau du procureur général de Mexico et la Commission pour l’accès à la vérité, la clarification historique et la promotion de la justice, l’accès a été ouvert au début de ce mois à trois dépôts d’archives, un de la police et deux du bureau du procureur général lui-même.
Les chercheurs n’ont été admis que lundi dernier. « Si les archives de Tlaxcoaque sont là - ce qui est possible -, cela changera la façon dont nous avons perçu l’ère répressive au Mexique jusqu’à aujourd’hui, en particulier entre les années 1970 et 1980. Elle a toujours été étudiée d’un point de vue national, mais ce sont des organes infranationaux qui ont perpétré les violations les plus graves du droit humanitaire. Et c’est précisément dans ce qui était alors le district fédéral que les acteurs les plus répressifs du XXe siècle ont opéré, pire encore que les agents et les chefs de la direction fédérale de la sécurité ».
Lieu où les serpents regardent
En náhuatl [la langue des Aztèques], Tlaxcoaque signifie lieu où les serpents regardent.
Le livre Historia de las policías en México, de Pérez Ricart et du chercheur du MEH Daniel Herrera Rangel, montre comment, depuis l’époque des Services secrets de la police du District fédéral, fondés dans les années de la présidence de Lázaro Cárdenas [1934-1940], jusqu’à l’année de leur dissolution formelle en 1986, tous les commandants des forces de police étaient des généraux de l’armée.
Les auteurs décrivent les différentes transitions des forces de sécurité qui, de garantes de la sécurité et de la circulation dans la capitale dans la première moitié du siècle dernier, ont assumé des tâches d’infiltration des groupes d’opposition, d’espionnage, de contrôle social, jusqu’à devenir un rouage répressif de l’État, en association avec les organes fédéraux, principalement la Direction Fédérale de la Sécurité (DFS).
Le processus de construction de ce bras violent de l’autoritarisme, comme le documentent les chercheurs dans leur livre encore inédit, a commencé pendant les années d’Adolfo Ruiz Cortines (1952-1958), lorsque la Secreta a joué un rôle important dans le harcèlement des mouvements d’enseignants, de cheminots et de médecins. C’est à cette époque qu’un jeune officier, Miguel Nazar Haro, se fait connaître pour ses talents de tortionnaire.
Ce sont également les années de règne du “régent de fer” Ernesto Uruchurtu, qui a gouverné la ville pendant 14 ans.
En 1968, avec la montée du mouvement étudiant, elle s’appelait déjà Division générale des enquêtes politiques et sociales (DGIPS) et partageait les tâches répressives avec le DFS et la Brigade blanche, aux côtés de la force de choc, le Corps des grenadiers, qui a été formé en 1958 et a duré 70 ans, jusqu’à ce qu’en 2018, la mairesse de la capitale Claudia Sheinbaum ordonne sa dissolution.
Le colonel José Rogelio Flores Curiel, chef des “Faucons”, qui assassinèrent 225 étudiants lors du Jeudi de Corpus Christi, le 10 juin 1971
Avec l’arrivée d’Alfonso Martínez Domínguez comme régent, le commandant est le colonel José Rogelio Flores Curiel.
Avec José López Portillo à la présidence (1970), une autre période de terreur dans la police commence avec son ami Alfonso El Negro Durazo. On dit que le grade de général du commandant Durazo n’était pas réel. Celui de Francisco Sahagún Baca, son chef adjoint, l’était. Le livre décrit ce règne noir où, à force de violence et de répression effrénée, la police en est venue à contrôler toute la contrebande, le trafic de drogue et le commerce du sexe dans la ville de Mexico.
La fin ?
En 1982, le scandale provoqué par la découverte des corps démembrés de sept personnes dans la rivière Tula éclate. Au milieu de ce discrédit, Miguel de la Madrid, dès son entrée en fonction, ordonne la dissolution de la DIPD.
Cependant, de la même manière que la zone du commissariat souterrain demeure, bien que fermée, la chaîne de complicité et les commandants successifs corrompus et autoritaires des forces de police de la ville se sont poursuivis jusqu’au gouvernement de Miguel Mancera, selon la trace historique des enquêtes des professeurs Pérez Ricart et Herrera.
Les témoignages
Pour les victimes et les survivants de Tlaxcoaque, témoigner afin de faire la lumière sur les crimes commis contre eux, leurs familles et leurs descendants a toujours été un processus libérateur, affirme la directrice de la Casa Refugio Citlaltépetl, María Cortina. C’est le siège assigné par la Commission de la Vérité pour recevoir et enregistrer les témoignages.
Lorsqu’ils arrivent, elle attend toujours les déclarants à la porte. Elle parle à chacun d’entre eux en les conduisant dans les bureaux où ils sont pris en charge par les enquêteurs du MEH. La plupart sont des personnes âgées, dont beaucoup ont des séquelles diverses. Certains racontent ces histoires pour la première fois. Même leurs enfants ne les connaissaient pas. Ils ont été trop longtemps oppressés par le silence, explique-t-elle.
Il est demandé à chaque personne si elle souhaite que son témoignage soit enregistré sur support audio ou vidéo. Les dissidents politiques, qu’ils soient étudiants ou qu’ils appartiennent à des organisations sociales ou armées, arrivent plus préparés. Ils veulent laisser une trace de tout. Ils sont déterminés à laisser leur marque dans la mémoire collective de la ville. Mais pour ceux qui n’appartiennent pas à ce groupe, les femmes transgenres, les anciens membres de gangs ou les enfants des rues, c’est plus difficile. Il faut beaucoup de courage pour s’asseoir et se souvenir de tout, pour tout raconter, pour tout revivre. Certains demandent l’anonymat. Parfois, ils s’effondrent. Il faut faire une pause. Parfois, certains témoins m’ont demandé de les accompagner pendant leur déclaration. J’ai vu comment, au fur et à mesure que les personnes parlaient, elles se libéraient. D’une certaine manière, elles retrouvent leur dignité.
Depuis février dernier, date à laquelle le processus d’enregistrement et de dépôt des témoignages des victimes et des familles des années de répression au sein de la CRC a commencé, 26 déclarants se sont manifestés.
Il ne s’agit pas de déclarations ministérielles, mais de témoignages pour accéder à la vérité. Les experts du MEH expliquent souvent que, bien que le mécanisme et les bureaux des procureurs puissent travailler en parallèle, ils sont traités différemment. Même si la reconstitution des témoignages peut devenir la porte d’entrée des poursuites, ce ne sera pas toujours le cas.
Pérez Ricart explique : « Dans le cas spécifique
de Tlaxcoaque, nous travaillons main dans la main avec le bureau du procureur
de la ville de Mexico, qui dispose de plusieurs procureurs affectés à ces
enquêtes préliminaires. Mais dans notre cas, nous avons également reçu des
témoignages d’auteurs de crimes qui ont apporté leur contribution à la vérité
et à la clarification en s’engageant à respecter la confidentialité et la
réserve. Il s’agit d’un engagement important pour maximiser la recherche de la
vérité ».
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