Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Agent du Mossad, il a risqué sa vie au cours de multiples missions secrètes, mais il est associé à une opération qui a été très médiatisée - et très mal menée. À 85 ans, Dan Arbel n’est plus disposé à garder le silence sur l’histoire mensongère que nous avons entendue à propos du fiasco de Lillehammer, il y a exactement 50 ans.
Il s’agissait d’une mission vraiment bizarre, même selon les critères du Mossad. À la fin des années 1960, le Danemark, considéré comme un pionnier dans le domaine de la promiscuité sexuelle, a autorisé la publication et la diffusion de magazines pornographiques, mais en a interdit l’exportation. La demande était énorme, il y avait du fric à se faire. L’agence d’espionnage israélienne y a vu une opportunité.
Il s’agissait d’un plan créatif : faire sortir clandestinement les publications du Danemark et les vendre aux marins des navires marchands arabes, ce qui permettrait aux agents de terrain de l’agence de recruter et de collecter des informations sur les marins, leurs navires et les marchandises qu’ils achetaient et vendaient.
A l’époque, le Mossad disposait à Copenhague d’un agent capable de mettre en œuvre le plan. Il s’appelait Dan Arbel. Il avait été recruté par l’organisation en 1965. Il a été chargé de créer dans la capitale une entreprise d’import-export qui fournirait des services à travers l’Europe et le Moyen-Orient. Baptisée Viking, ce serait une société écran pour le Mossad, permettant à ses agents de pénétrer dans les pays arabes afin d’y recueillir des informations et d’y mener des opérations spéciales.
Arbel demande à un ami de jeunesse de s’associer à l’exportation des magazines. C’était illégal, mais les bénéfices étaient intéressants et l’ami accepte. Cependant, avant que les articles ne soient expédiés du Danemark vers l’Allemagne, puis vers l’Italie, les douaniers ont eu vent de l’opération et l’ami a été arrêté. Néanmoins, Arbel lui-même réussit : des milliers de magazines sont sortis clandestinement du pays et vendus pour quelques sous aux marins et aux officiers des navires commerciaux arabes qui accostent dans les ports italiens. Au cours de l’opération, entièrement financée par le Mossad, de nombreuses informations ont été recueillies, qui ont facilité le recrutement d’agents et se sont révélées précieuses pour Israël.
Ce n’est qu’une des nombreuses opérations audacieuses auxquelles Arbel a participé au cours de ses huit années au sein du Mossad. Il a infiltré la Libye, a été détenu en Syrie, a photographié des sites d’armes chimiques en Égypte, a acheté un navire qui transportait clandestinement de l’uranium destiné au réacteur nucléaire israélien de Dimona, et bien d’autres choses encore. Cependant, aucune de ces missions n’a été rendue publique ; elles ont tout au plus été mentionnées en passant. Le nom d’Arbel n’a été lié explicitement qu’à l’affaire de Lillehammer - la mission ratée dans la ville de villégiature norvégienne qui a eu lieu il y a 50 ans ce mois-ci. L’objectif était d’assassiner Ali Hassan Salameh, une figure de proue de Septembre noir, une organisation palestinienne militante. Mais, à la suite d’une erreur d’identité, les agents du Mossad ont tué un serveur d’origine marocaine, nommé Ahmed Bouchikhi, qui résidait dans la ville. Certains membres de l’équipe israélienne ont été arrêtés et jugés en Norvège.
Arbel, un homme doux et gentil, est un héros tragique. Il a été perçu comme le responsable de l’opération ratée, parce qu’il a parlé lors de son interrogatoire par la police danoise. Aujourd’hui, à 85 ans, il veut réparer ce qu’il considère comme une erreur historique et accepte pour la première fois de donner sa version des faits.
« Pendant des années, j’ai été stigmatisé et sali parce qu’on me rendait responsable de l’échec de l’opération », explique-t-il à Haaretz. Arbel, qui a également été interviewé dans le cadre d’un nouveau documentaire israélien, Mossad and the Curse of Lillehammer [Le Mossad et la malédiction de Lillehammer], créé par Gidi Maron, Emmanuel Nakash et Noam Tepper, et récemment diffusé sur la chaîne israélienne Channel 8, ajoute : « Ma famille et moi n’avons pas réagi aux rumeurs abusives, nous avons gardé le silence ».
Après quelques mois, un pêcheur a fait passer la famille en Suède, où elle est restée jusqu’à la fin de la guerre, après quoi elle est retournée au Danemark, puis a émigré aux USA. En 1948, ses parents sont retournés au Danemark et y ont ouvert une entreprise de textile ; leur fils a continué à vivre avec de la famille à Saint-Louis et a étudié l’administration des affaires à l’université de New York. Après avoir obtenu son diplôme, il est retourné au Danemark, a rejoint l’entreprise de son père et a ensuite travaillé pour une société danoise d’ameublement.
« Nous étions des juifs non religieux qui allaient à la synagogue le jour de Yom Kippour », raconte-t-il. « Papa était sioniste et parlait hébreu ; maman est devenue sioniste ». Arbel a lui aussi attrapé le virus du sionisme. En 1963, il a émigré en Israël, où il est devenu partenaire de Danish Interiors, une entreprise de meubles, avec Jeffrey et Tamara Tollman (qui ont ensuite fondé la chaîne de design éponyme).
En 1965, le Mossad propose au jeune immigrant de rejoindre l’agence. « J’ai suivi une formation de six mois », raconte Arbel. « Les instructeurs m’ont dit : “Regarde cette montagne, prends-la en photo”. J’ai pris la photo, puis des soldats m’ont sauté dessus et m’ont mis en garde à vue. Ils ont dit que c’était une zone militaire et ils m’ont interrogé. Une autre fois, mes instructeurs m’ont demandé de placer un passeport étranger dans un trou dans le mur et d’attendre de recevoir un nouveau passeport. J’ai attendu, puis la police est venue m’arrêter. J’ai été enfermé dans une cellule pendant quelques jours avec des toxicomanes et j’ai subi des interrogatoires musclés. Je n’ai pas compris à l’époque qu’il s’agissait d’exercices ». Au cours de sa formation, Arbel a également appris la photographie, le Morse, les méthodes de surveillance et l’identification des armes utilisées par les pays ennemis.
Après sa formation, Arbel devient un agent de Caesarea, l’unité d’opérations spéciales du Mossad, alors sous le commandement de Yosef Yariv et de son adjoint, Mike Harari. « Chaque fois qu’il y avait une opération difficile, ils disaient : “On va envoyer Dan” », se souvient Arbel, à qui Harari a dit : « Tu as un visage impassible, tu es fait pour les missions délicates".
Dans le cadre d’une de ces missions, Arbel a été chargé
d’acheter des yaourts en France et de les transporter dans un avion loué jusqu’à
Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, qui était alors une colonie française. Il
a signé un accord avec un importateur français stipulant que l’avion se
poserait en route en Israël - où le revêtement de sol d’origine a été remplacé
et équipé de verre transparent et de caméras. La trajectoire de vol a conduit l’avion
au-dessus de l’Égypte, et les caméras du Mossad ont photographié des sites
militaires et des installations soupçonnées de fabriquer des armes chimiques.
Arbel a pris différentes identités au cours de ses
nombreuses opérations. Lorsqu’il est envoyé pour se lier d’amitié avec une
secrétaire allemande du consulat égyptien à Genève, il se fait passer pour un
Anglais du nom de Dennis Bishop. Dans le cadre d’une autre opération, il s’est
envolé pour la Libye en se faisant passer pour un exportateur d’articles de
sport, afin de photographier des installations militaires et gouvernementales.
Il s’est également fait passer pour un touriste et a manipulé des équipements
secrets que les services secrets israéliens avaient installés sur une plage de
ce pays, apparemment avec l’aide de Shayetet 13, l’unité commando de la marine
israélienne.
En 1968, Arbel a acheté pour le compte du Mossad et du Bureau de liaison scientifique - une unité secrète du ministère de la Défense - un navire, le Scheersberg A, qui naviguait sous pavillon de complaisance libérien. Selon des rapports étrangers, le navire a livré 200 tonnes d’uranium naturel à Israël, qui ont été sournoisement acquises par l’industriel Eliyahu Saharov, soi-disant pour un fabricant italien. La cargaison a été déchargée dans le port d’Ashdod et envoyée au réacteur de Dimona. « Après la réussite de l’opération, j’ai vendu le navire à des hommes d’affaires grecs », explique Arbel en souriant.
Dans le cadre d’une autre opération, Arbel a acquis un yacht italien et l’a fait naviguer le long des côtes du Liban et de la Syrie. Au cours de cette croisière - à laquelle participait également la légendaire Sylvia Rafael, agent du Mossad, ainsi qu’un skipper israélien qui était un agent du Mossad et un innocent cuisinier britannique - les espions ont photographié des installations gérées par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Lorsqu’ils atteignent une île où s’entraînent des membres de l’OLP, près du port syrien de Tarsus, le navire éveille les soupçons des autorités de sécurité locales, qui lui ordonnent d’entrer dans le port.
« Nous avons été retenus sur le yacht pendant quelques jours et interrogés, et nos passeports ont été vérifiés », se souvient Arbel. « Heureusement, ils ont fini par nous laisser partir. Sinon, nos vies auraient pu se terminer comme celle d’Eli Cohen » - en référence à l’espion israélien en Syrie qui a été arrêté en 1965 et finalement pendu.
Tout au long de cette période, Arbel est employé par le Mossad en tant qu’indépendant
et envoyé en mission ad hoc, tout en conservant des emplois “normaux”. En
juillet 1973, alors qu’il est directeur de production pour l’entreprise alimentaire
Osem à Bnei Brak, il reçoit un appel téléphonique qui va changer sa vie.
« Ils m’ont appelé pour me dire qu’ils
venaient me chercher », raconte-t-il. « J’avais déjà l’habitude d’être
convoqué pour des missions. J’ai informé les responsables d’Osem que je devais
prendre quelques jours de congé et je suis rentré chez moi pour prendre des
vêtements. Le Mossad m’a donné de l’argent et un billet d’avion pour
Copenhague. De là, je me suis rendu à Stockholm, comme on me l’avait demandé ».
Il était également muni de son vrai passeport danois, au nom de Dan Ert. « À
Stockholm, j’ai appelé d’un téléphone public - j’utilisais toujours les
téléphones publics dans ce genre de travail - et on m’a dit d’appeler les
hôtels pour voir si Ali Hassan Salameh y séjournait ».
Membre de Septembre noir, Salameh avait été l’un des organisateurs de l’enlèvement des athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich en septembre 1972. Après l’assassinat de 11 athlètes, Zvi Zamir, alors chef du Mossad, décide qu’Israël doit passer de la défense à l’offensive et attaquer les infrastructures de l’OLP en Europe et au Moyen-Orient. Le Premier ministre Golda Meir a accepté cette recommandation.
L’opération de 1973 a été dirigée par Mike Harari, désormais commandant de Césarée, et plus particulièrement par une petite unité encore plus clandestine appelée Kidon (Baïonnette). Avec l’officier de renseignement de Caesarea, Romi Ben Porat, Harari établit une liste de cibles à assassiner. En l’espace d’une dizaine de mois, Kidon, sous la direction de Harari, élimine six personnalités de l’OLP à Rome, Paris, Nicosie et Athènes. Mais le nom le plus important de la liste était celui d’Ali Hassan Salameh.
« J’ai appelé les hôtels de Stockholm, mais je n’ai pas trouvé Salameh », raconte Arbel. « On m’a alors dit de prendre l’avion pour Oslo et, une fois sur place, on m’a demandé de trouver un appartement libre et de le louer ».
Arbel a trouvé un logement qui appartenait à une hôtesse de l’air qui travaillait pour SAS. Il se souvient avoir acheté des meubles chez Ikea et loué une voiture chez Hertz, conformément aux instructions. De retour dans sa chambre d’hôtel, il reçoit une nouvelle directive : rechercher dans les hôtels de la ville une personne nommée Kamal Benamana, un messager de Septembre noir. Selon les sources du Mossad, Benamana était susceptible de conduire les agents à Salameh. L’information a probablement été recueillie par le Dr Amina al-Mufti, psychiatre d’origine tcherkesse et taupe du Mossad, placée au siège de la Ligue arabe à Genève.
« J’ai appelé quelques hôtels et j’ai trouvé le nom de Benamana », se souvient Arbel. « Je me suis rendu à l’hôtel, sans savoir qui j’allais rencontrer dans la chambre et s’il était armé. Il pouvait s’agir de Salameh lui-même. La porte était ouverte mais Benamana n’était pas là. Je suis entré et j’ai vu sur la table une feuille de papier avec l’horaire des trains pour Lillehammer ». L’un d’entre eux était souligné.
Arbel rapporte ce qu’il a vu et reçoit l’ordre de se rendre immédiatement à la gare d’Oslo. Il y voit Sylvia Rafael, née en Afrique du Sud, qui travaillait pour Caesarea sous le nom de Patricia Roxburgh, soi-disant photographe canadienne. À ses côtés, Avraham Gemer, parachutiste israélien et ancien membre de Kvutzat Shiller, un kibboutz du centre d’Israël, était l’officier des opérations du Mossad. Il portait le passeport britannique d’un enseignant de Leeds, en Angleterre, nommé Leslie Orbaum, un immigrant en Israël qui avait permis au Mossad d’utiliser son identité. Rafael et Gemer faisaient la queue pour acheter des billets pour le train dans lequel Benamana était monté.
Pour sa part, Arbel s’est rendu à Lillehammer dans sa Volvo de location et a pris une chambre dans l’hôtel où se trouvait Harari. Selon un rapport ultérieur de la police norvégienne, Harari portait un passeport français au nom d’Edouard Stanislas Lesker. Zamir devait lui aussi se rendre en Norvège, mais un changement dans l’horaire du vol l’a laissé bloqué à Stockholm.
Arbel a rencontré Nehemiah Hameiri, un survivant de l’Holocauste qui a servi dans le service de sécurité Shin Bet et a été l’un des fondateurs de Caesarea et Kidon.
« Nous nous sommes rencontrés dans un café », ajoute Arbel. « Avant cela, juste à côté du café, j’ai vu une personne qui s’est avérée être Ahmed Bouchikhi, un serveur local. Nehemiah avait quelques photos, dont certaines de Salameh, et m’a demandé s’il s’agissait de la même personne. Je lui ai répondu qu’il n’y avait aucune ressemblance. Il a répété sa question et m’a demandé de regarder de plus près. J’ai regardé et je n’ai trouvé aucune ressemblance. Néhémiah a insisté et a posé la question une troisième fois. Une fois de plus, j’ai dit qu’il n’y avait aucune ressemblance. J’ai fait le tour de la ville à la recherche du serveur qu’ils pensaient être Salameh. Je ne l’ai pas revu ».
Arbel n’était pas le seul agent à insister sur le fait qu’il ne s’agissait pas de Salameh. Marianne Gladnikoff, une immigrée suédoise qui venait de commencer un cours de base au Mossad, faisait également partie de l’équipe. Elle a été envoyée en mission par Harari en raison de ses origines scandinaves et de son passeport suédois. Se faisant passer pour une touriste suédoise, Gladnikoff s’est rendue à la piscine publique de Lillehammer, où Bouchikhi se baignait. Elle a acheté un maillot de bain et a nagé à côté de lui. Par la suite, elle a déclaré qu’il ne s’agissait pas de la personne figurant sur la photo de Salameh. La même opinion était partagée par Avraham Gemer, selon sa veuve Dina, ainsi que par A.V., l’un des deux tueurs.
Malgré les avertissements de ces trois agents, Harari en a décidé autrement et les assassins ont exécuté sa directive : Bouchikhi est abattu à la descente d’un bus, à côté de sa femme norvégienne, enceinte, le 21 juillet 1973. Les deux tueurs ont quitté la Norvège immédiatement après. Harari réussit lui aussi à s’enfuir, sur un yacht organisé par un collaborateur norvégien du Mossad.
Arbel raconte qu’il a réussi à quitter Lillehammer dans sa voiture alors que la police locale mettait en place un barrage sur l’autoroute menant à Oslo. Peu de temps après, un officier du barrage a remarqué une Peugeot qui passait. « J’ai vu une jolie femme aux cheveux noirs flottants », écrit-il dans son rapport. « Pendant une seconde, nos regards se sont croisés ». La conductrice était Marianne Gladnikoff, la passagère à côté d’elle était Sylvia Rafael. L’agent a pu relever le numéro d’immatriculation de la voiture et l’information a été diffusée dans les commissariats de police du pays.
Le lendemain matin, à l’aéroport d’Oslo, un officier de police qui était sorti fumer a eu la surprise de trouver le véhicule suspect garé en face, et une jeune femme appuyée contre. Il s’est approché d’elle et lui a demandé ce qu’elle faisait. « Je suis suédoise et j’attends un ami danois », répond-elle. « Et la voiture ? », demande l’agent. « C’est une voiture louée que je m’apprête à rendre », lui répond la jeune femme.
L’“ami” danois était Arbel, qui avait
réussi à rendre sa propre voiture de location à l’aéroport. Lui et Gladnikoff
ont été arrêtés.
La décision de rendre les voitures de location s’est avérée être une grave erreur, qui a fini par exposer l’ensemble de l’équipe du Mossad. « On a dit que l’opération avait été menée en amateur parce que les agents avaient rendu les voitures louées », note Arbel aujourd’hui. « Mais j’avais reçu l’ordre clair de les rendre. Pendant toutes mes années au Mossad, j’ai reçu des ordres. Parfois, vous ne voyez pas la situation dans son ensemble, mais vous comprenez que quelqu’un a une vue d’ensemble, alors vous exécutez [les ordres]. C’est pourquoi j’ai fait restituer les voitures ».
Au poste de police, Arbel a déclaré qu’il était un citoyen danois qui vivait à Oslo avec une amie. Les policiers lui ont demandé de les conduire à l’appartement - et c’est là qu’ils ont trouvé Gemer et Rafael. Par la suite, deux autres agents du Mossad impliqués dans la mission, Zvi Steinberg et Michael Dorf, ont été arrêtés ; ils s’étaient réfugiés chez Yigal Eyal, le responsable de la sécurité de l’ambassade d’Israël, qui jouissait de l’immunité diplomatique. Il s’agit là d’une autre erreur opérationnelle. Le gouvernement norvégien a ensuite déclaré Eyal persona non grata et l’a expulsé.
Mme Gladnikoff, qui a refusé d’être interviewée pour cet article, a déclaré par le passé que cet épisode avait ruiné sa vie. Elle et Arbel ont coopéré avec leurs interrogateurs norvégiens, mais les quatre autres ont gardé le silence. Arbel a été incarcéré dans une cellule au sous-sol, mais après que sa claustrophobie a déclenché une grave crise d’angoisse, il a demandé à être transféré dans une cellule en surface. Son interrogateur, comprenant qu’Arbel était un maillon faible, a accédé à sa demande. Jusque-là, les autorités norvégiennes pensaient que le meurtre était lié à la drogue ou à d’autres antécédents criminels. Il ne leur était jamais venu à l’esprit qu’il s’agissait d’une opération du Mossad. « Les agents du Mossad n’agissent pas comme ça », ont d’abord observé les Norvégiens.
« On a dit que j’avais craqué pendant l’interrogatoire parce que je souffrais de claustrophobie », explique Arbel. « Je souffre effectivement de claustrophobie, mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai coopéré avec les interrogateurs. Dans le passé, j’avais été détenu par la police syrienne et je m’en étais tenu à ma couverture jusqu’à ce que je sois libéré ». La raison pour laquelle il a agi cette fois-ci était complètement différente. « J’étais certain à 100 % que l’opération avait été coordonnée avec les Norvégiens », explique-t-il à Haaretz. « Mike lui-même me l’avait dit. J’ai donc raconté aux interrogateurs ce que j’avais fait, car j’étais certain d’être libéré immédiatement ».
La contradiction entre le récit d’Arbel sur ce qu’il a entendu de Harari - décédé en 2014 - au sujet de la mission et ce qui s’est passé en réalité reste un mystère.
Il est difficile de croire que les services de renseignement norvégiens auraient accepté que le Mossad assassine un terroriste palestinien sur leur sol. En fait, après l’assassinat, les chefs de l’agence d’espionnage norvégienne ont refusé de rencontrer leurs homologues israéliens pendant huit ans. Dans le même temps, comme l’a écrit le politologue Moshe Elad dans son livre de 2011 My Stormy Country, dont une partie est consacrée à l’opération de 1973, des soupçons sont apparus en Norvège au fil des ans selon lesquels Trond Johansen, le chef du bureau de liaison des services de renseignement de l’armée norvégienne, aurait aidé le Mossad.
Harari et Zamir proposent de démissionner en raison de leur responsabilité dans la débâcle, mais la Première ministre Meir refuse leur démission. Arbel et les cinq autres ont été jugés, reconnus coupables et condamnés à des peines de prison en Norvège allant de un à six ans - Arbel a reçu la peine la plus lourde - mais deux ans plus tard, tous ont été graciés et autorisés à retourner en Israël. Depuis lors, Arbel dit qu’il souffre d’un stigmate - qui a résonné dans les médias israéliens et internationaux, dans les livres sur l’affaire et même parmi les agents du Mossad - d’avoir craqué sous les questions et d’avoir trahi ses collègues.
Pour sa part, Harari a continué à diriger l’unité Caesarea; en 1979, ses agents ont finalement assassiné Salameh au moyen d’une voiture piégée à Beyrouth. En 1996, le gouvernement israélien a accepté de verser à la veuve de Bouchikhi, Torill, et à sa fille, une indemnité de 283 000 dollars. Peu avant sa mort, Harari a écrit une autobiographie dans laquelle il attribue la responsabilité de l’échec de l’opération à des agents inexpérimentés - mais c’est lui-même qui les a nommés et envoyés à la hâte en Norvège. Zamir, en revanche, s’est montré plus ouvert dans une interview accordée à Haaretz il y a dix ans.
« Il ne fait aucun doute que nos renseignements n’étaient pas bons », a-t-il déclaré. « La source n’était pas crédible. Mais c’est de la sagesse après coup ». Il a également reconnu que la principale raison de l’échec était l’arrogance. « Les opérations d’assassinat menées par le Mossad avant Lillehammer ont été couronnées de succès. Au moins six représentants ou collaborateurs de l’OLP ont été éliminés. Le personnel clé a disparu. Nous avons souffert d’une confiance en nous [excessive] et nous avons eu la gâchette facile ».
Arbel est libéré de prison en 1975 et retourne en Israël. Il travaille pour différentes entreprises et s’essaie au monde des affaires, sans grand succès. En raison de son statut d’indépendant disposant d’un contrat personnel, il n’a pas reçu de pension de la part du Mossad. L’embauche d’agents dans des conditions similaires s’est particulièrement répandue au cours de la dernière décennie.
Arbel ne demande pas la pitié, mais sa situation financière n’est pas brillante. Il vit dans une résidence pour personnes âgées à Herzliya et travaille comme agent de sécurité dans des centres commerciaux, à la fois pour compléter ses revenus et pour rester actif.
« Il y a eu une défaillance organisationnelle et systémique », affirme-t-il à propos de la série de bévues qui ont conduit au fiasco tragique de Lillehammer. « Il y a eu des erreurs d’identification, l’absence d’une chaîne de commandement ordonnée, l’absence de recoupement des informations avec le renseignement militaire, le fait de ne pas tenir compte des agents qui disaient que la cible n’était pas lui et l’ordre erroné de rendre les voitures de location, contrairement aux directives qui existaient jusqu’alors ».
« Nous n’avons pas fait d’erreur d’identification », souligne Arbel. Ce à quoi son fils, Dubi Arbel, directeur d’école à Ra’anana, ajoute : « Ce qui s’est passé, c’est que personne n’a pris ses responsabilités ». Bien que ni lui ni son père ne mentionnent Harari, il est clair de qui ils parlent. « Vous trouvez une victime, quelqu’un qui n’est pas un sabra (né en Israël), qui est modeste, doux, un sioniste qui ne voyait aucun défaut dans le pays qu’il aimait, et vous lui mettez tout sur le dos. Pendant 50 ans, nous et toute la famille avons encaissé et gardé le silence. À ce jour, personne n’a vraiment pris ses responsabilités, aucune leçon n’a vraiment été tirée. Certainement pas dans le contexte humain. Qu’en pensez-vous ? Que cela n’a pas eu d’effet personnel et émotionnel ? Que ce n’était pas blessant ? »
Il y a une quinzaine d’années, Arbel et ses enfants
ont été invités au quartier général du Mossad à Glilot, au nord de Tel Aviv, où
ils ont reçu un certificat de mérite pour ses services. Harari et le commandant
adjoint de Caesarea de l’époque étaient présents. Les deux hommes ont fait l’éloge
de la contribution majeure d’Arbel à des opérations audacieuses derrière les
lignes ennemies. Mais, dans un style israélien typiquement direct - toujours
aussi étranger à l’Arbel réservé et poli - Harari ne s’est pas fait faute de le
blâmer. « Tu as échoué à Lillehammer », lui a-t-il dit.
Arbel pense le contraire.
Le Mossad : « Un compte rendu partial et trompeur »
Au nom du Mossad, le bureau du Premier ministre a donné cette réponse à Haaretz : « L’Institut du renseignement et des opérations spéciales [le Mossad] a travaillé pendant des années pour régler les comptes avec les terroristes responsables de l’assassinat des 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich le 6 septembre 1972.
« Dans un souci de justice historique et au nom de ceux qui ne sont plus parmi les vivants, afin de permettre à leurs voix d’être entendues, il est important de préciser que l’épisode de Lillehammer a été un regrettable contretemps opérationnel, que le Mossad a examiné en profondeur et dont il a tiré de nombreuses leçons qu’il applique encore 50 ans plus tard. Cet article présente les événements de manière partiale, erronée et trompeuse.
« Feu Mike Harari, le commandant de Caesarea, qui dirigeait l’opération d’assassinat du terroriste Ali Hassan Salameh, a immédiatement assumé la responsabilité des événements de Lillehammer et a présenté une lettre de démission au directeur du Mossad de l’époque, Zvi Zamir. Sa demande de démission a été rejetée par le Premier ministre, feu Golda Meir, et il a continué à commander l’unité Caesarea et à la mener à une multitude de succès opérationnels dont l’impact sur la sécurité d’Israël est encore visible aujourd’hui.
« Le Mossad opère avec détermination et courage, et avec un sens suprême de la mission, pour assurer la sécurité de l’Etat d’Israël et de ses citoyens. Le Mossad a une grande estime pour ses agents qui ont travaillé et travaillent hors des frontières du pays au péril de leur liberté et de leur vie, et les considère comme le pilier de son activité ».
Sic transit gloria Mossadi [NdT]
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