Gideon Levy, Haaretz,
22/7/2022. Photos par Ohad Zwigenberg
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
À six reprises, Israël a expulsé la tribu Ka'abneh des terres sur lesquelles elle vivait depuis sa première expulsion en 1948. La semaine dernière, elle a été forcée de se déraciner à nouveau, cette fois après avoir été terrorisée par des colons. Des familles de bergers sans abri, sans troupeaux
Dix-sept familles, 120 âmes, à la recherche d'un foyer. Cette semaine, ils ont été rejoints par d'autres familles, et le nombre de sans-abri parmi eux passera à 140. L'école de leurs enfants, qu'ils ont construite avec beaucoup de peine, est maintenant fermée et ne rouvrira probablement pas. Leurs 3 000 moutons sont également restés sur place – il n'y a aucun endroit où les déplacer depuis leurs pâturages actuels. Leurs propriétaires pourraient alors n'avoir d'autre choix que de les revendre et éliminer ainsi leur seule source de revenus, qui est aussi leur mode de vie. En attendant, les familles vivent dans des tentes de fortune cousues à partir de sacs qui contenaient autrefois du café brésilien. Et comme ils ont dû laisser derrière eux leurs panneaux solaires, ils n'ont pas non plus d'électricité. La seule eau dont ils disposent est stockée dans des réservoirs. Les coqs errent librement sur le sol rocailleux, un âne est attaché, les enfants sont oisifs. Il fait extrêmement chaud ici, à l'extrémité ouest de la vallée du Jourdain, dans leur abri temporaire de Khirbet Abou Falah. Pour l'instant, le propriétaire palestinien du terrain leur a permis de vivre ici pendant un mois.
Mais que feront-ils après cela ? Où iront-ils ? Personne n'en a la moindre idée. Ils vivent maintenant sur une colline aride et rocheuse, non loin des villages d'Al-Mughayyir et de Kafr Malik, en face de la colonie de Kokhav Hashahar, sur la lointaine crête d'en face. La route d'Abou Falah passe par la colonie de Shiloh et toutes ses ramifications - des avant-postes de colons sauvages dont le simple nom suffit à terrifier tout Palestinien de la région et devrait susciter la honte chez tout Israélien digne de ce nom.
Ahmed Ka'abneh avec son fils Omar
Dans la vallée verdoyante de vignobles, sur des terres volées, se trouvent les avant-postes d'Adei Ad, Achia, Yeshuv Hada'at, Esh Kodesh, Kidah et Amichai. Il y a aussi la carrière de Kokhav Hashahar, elle-même une violation flagrante du droit international, qui stipule qu'il est interdit à un occupant d'exploiter les ressources naturelles du territoire qu'il contrôle - mais qui s'en soucie ? Micha's Farm, un avant-poste de colons établi en 2018, est redouté par la famille élargie d'Ahmed Ka'abneh, berger de 60 ans et père de 14 enfants, dont la plupart vivent avec lui sur le même site, perché sur une colline dénudée à Khirbet Abou Falah, après avoir fui leur précédente maison à Ras al-Tin.
C'est la sixième fois que ces Bédouins palestiniens fuient, ou sont expulsés, au cours de leur histoire. En 1948, ils ont été expulsés de la région de Tel Arad et déplacés de force par les troupes israéliennes vers Al-Auja, au nord de Jéricho, alors en territoire jordanien. En 1969, ils ont été expulsés d'Al-Auja et déplacés à Al-Mu'arrajat, entre Ramallah et Jéricho. Ils étaient alors 30 familles.
En 1970, ils ont été déracinés de là vers le côté est du village de Kafr Malik. Trois ans plus tard, une base militaire a été construite à côté d'eux et ils ont été à nouveau évacués. Ils ont déménagé dans la région d'Ein Samiya, non loin de là, où ils sont restés jusqu'en 1988, malgré tous les ordres d'évacuation qu'ils ont reçus entre-temps.
En 1988, ils ont décidé de partir et d'établir une nouvelle communauté à proximité, à Khaboun. Depuis lors, la famille partage son temps entre son site d'hiver, à Ras al-Tin, et son site d'été, à Khaboun. En hiver, il fait trop froid pour rester avec les moutons au sommet des collines, ils descendent donc dans les vallées pour trouver un abri. Dans chacun de ces endroits, ils ont loué des terres privées à des propriétaires palestiniens des villages, et à chaque endroit, ils ont reçu des ordres d'expulsion d'Israël avec diverses justifications. En 2009, par exemple, l'armée leur a ordonné de partir en raison de l'existence d'une zone de tir à proximité. Lorsque les avant-postes de colons ont commencé à surgir dans tous les coins, ni les "zones de tir" ni les "réserves naturelles" n'ont servi de prétexte pour évacuer leurs résidents, pas plus que le fait que les colons avaient pillé des terres palestiniennes privées - mais les Bédouins de la tribu Ka'abneh ont quand même été repoussés vers le nord et l'ouest.
L'établissement de la colonie de Kokhav Hashahar en 1979 a également entraîné une expulsion. Elle aussi a engendré des avant-postes sauvages dont les résidents ont pris le contrôle des pâturages bédouins. En 2017, un colon que la tribu ne connaît que par son prénom, Hanan, a établi un avant-poste à l'est de Ras al-Tin, à Jib'it. Il les a empêchés physiquement de circuler sur la route qui menait à leur communauté - la seule voie d'accès. À une occasion, il a endommagé leur tracteur, et à deux reprises, il leur a jeté des pierres.
Le nouveau modus operandi des colons pour contrôler de vastes zones - en faisant paître leurs moutons sur des terres volées - a déjà entraîné un énorme changement de la carte ici.
Le premier site où Hanan a établi un avant-poste a été évacué sous la pression des propriétaires terriens palestiniens, qui avaient manifesté contre le vol des terres ; il a également été expulsé d'un deuxième site, à la demande de ses habitants. Il établit ensuite un avant-poste à Ein al-Rashash, près de la route d'Alon. De là, il attaquait fréquemment les Bédouins.
Khirbet Abou Falah, cette semaine
Après quelques semaines d'affrontements, Hanan les informa que les pâturages allaient être partagés à 50-50 entre eux et lui. Il leur a interdit de pénétrer sur les 50 % de terres qu'il avait confisquées pour son propre usage ; des matraques et des pierres attendaient quiconque tenterait de garder ses moutons sur les terres qu'il avait déclarées siennes. Même les propriétaires des terres, qui ne connaissaient pas l'"arrangement" déclaré par Hanan et venaient récolter sur leurs parcelles, étaient attaqués par les colons. Des photographies montrent les visages effrayants des assaillants.
Les autorités d'occupation israéliennes sont naturellement venues en aide aux colons. L'armée est toujours de leur côté. Il y a un an, le 14 juillet 2021, l'administration civile, une branche du gouvernement militaire, a émis des ordres d'expulsion contre la communauté bédouine, qui comprend la plupart des familles des fils et filles d'Ahmed Ka'abneh. Les 13 familles ont été contraintes de partir. C'était une semaine avant l'Aïd al-Adha, la fête du sacrifice, et c'était une fête très triste pour eux. Cette année, la situation était encore plus sombre. Ils se sont installés sur leur site d'hiver, en espérant que cet été, ils pourraient retourner à Khaboun.
Cela ne s'est pas produit.
Le 14 juin, il y a cinq semaines, des colons ont agressé l'une des familles dans sa tente. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Hajar Ka'abneh, 45 ans, mère de neuf enfants et grand-mère de deux enfants, a reçu des coups de bâton sur la tête et sur tout le corps, ainsi que son mari, Mustafa, 48 ans. Hajar a passé neuf jours à l'hôpital gouvernemental de Ramallah, son mari un jour. La nuit, lorsqu'il est revenu pour être avec les enfants et s'occuper des moutons, l'armée est arrivée pour l'arrêter ainsi que deux de ses fils, Mohammed, 22 ans, et Ahmed, 23 ans.
Là aussi, il s'agit d'une méthode calculée pour terrifier : les colons attaquent, puis se précipitent pour porter plainte contre les bergers - qui sont ceux qui sont arrêtés. Élémentaire. Mustafa, le père, a passé trois nuits en détention ; ses fils une semaine. Ils ont été libérés contre une caution de 3 000 shekels (852€) chacun.
Après la violente attaque du mois dernier contre Hajar, toute la communauté a décidé de partir. Ils n'en pouvaient plus. Les assauts des colons étaient devenus quotidiens - à une occasion, ils ont allumé un feu autour du campement de tentes - et les Bédouins ne pouvaient plus supporter de vivre sous la terreur des colons. La famille de Mustafa Ka'abneh est partie la première, le 7 juillet, un jour avant l'Aïd al-Adha, et s'est installée à Khirbet Abou Falah ; les autres familles sont arrivées par la suite.
Ils vivent maintenant dans la zone B (sous contrôle civil palestinien et sous contrôle militaire israélien). Ici, au moins, elles ne peuvent pas recevoir d'ordres de démolition ni se voir confisquer leurs équipements et leurs biens. Il y a quelques années, la tribu a acheté 25 dunams (2,5 ha) de terre ici, et l'un des autres frères et sœurs Ka'abneh, Omar , 43 ans, a déjà commencé à construire une maison. Ce sera la première habitation en pierre dans laquelle ils vivront, ce qui n'est pas de bon augure pour leur mode de vie de bergers, et parfois d'errants.
L'administration civile n'a pas répondu à une demande de commentaire.
Khirbet Abou Falah, cette semaine
Les immenses troupeaux de la tribu ont dû être laissés derrière eux ; dans leur nouvel emplacement, à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Ras al-Tin, il n'y a pas de place pour autant de moutons. Il n'y a pas non plus d'école ici, à part celles des villages palestiniens voisins. Les Ka'abneh veulent une école bédouine pour leurs enfants. Il y a 35 jeunes en âge d'être scolarisés, dont 25 filles. Il est fort possible que ces dernières finissent par ne plus aller à l'école du tout, tandis que les garçons fréquentent les écoles du village.
Une réunion a eu lieu cette semaine avec des représentants du ministère palestinien de l'Éducation, mais aucune solution ne se dessine. Par-dessus tout, la tribu veut préserver son héritage pastoral et son mode de vie traditionnel. Ahmed, le père d'Omar et le patriarche du groupe, explique que leurs enfants ne sont pas habitués à travailler dans le bâtiment. Ils sont nés dans un mode de vie pastoral, leur habitat naturel étant les pâturages.
En attendant, il reste un peu d'eau dans les réservoirs qu'ils ont laissés pour leurs moutons à Ras al-Tin, mais il n'y en aura bientôt plus. Que vont devenir les troupeaux ? Personne dans la tente en sacs de café où nous nous sommes assis lundi dernier n'en a la moindre idée, pas plus qu'ils ne savent ce qu'il adviendra de leur communauté de 140 sans-abri issus de 19 familles. Omar dit qu'ils devront tous recommencer leur vie à zéro. Son père, Ahmed, dit qu'ils n'ont pas de plan. Les enfants continuent à courir sur les rochers, tandis que l'âne se tient debout sous le soleil brûlant, sans eau, sur le point de s'effondrer.
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