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12/09/2024

Dossiers Congo : la ‘Bnei Brak-Kinshasa Connection’ ou la Grande Valse des millions organisée par Dan Gertler, l’homme qui murmurait à l’oreille de Joseph Kabila Kabange

Le milliardaire israélien Dan Gertler possède des mines au Congo En 2017, les USA lui ont imposé des sanctions en raison de transactions corrompues avec l'ancien président de la RDC Des documents de l'État africain révèlent des dépôts irréguliers d'argent liquide effectués par les associés de Gertler sur ses comptes Une partie de l'argent a ensuite été envoyée à des avocats et à des conseillers en Israël Gertler : « Ces documents sont volés et fabriqués ».

Gur Megiddo  & Hagar Shezaf, Haaretz, 2/7/2020
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

En janvier 2018, les rues de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, ont été inondées du sang de violents troubles. Les Nations unies font état de six morts dans une série d'affrontements entre les forces de sécurité et les jeunes habitants de la ville. La colère des manifestants a été provoquée par le refus du président de l'époque, Joseph Kabila, d'organiser des élections, alors que son mandat avait expiré depuis près de deux ans.

Un personnage inhabituel a été aperçu dans les rues de Kinshasa au cours de cette période volatile : un homme portant l'habit d'un juif ultra-orthodoxe, chapeau sur la tête, valise à la main. Selon des documents obtenus par The Marker, le 23 janvier 2018, l'homme est entré dans une agence de Kinshasa de la Afriland First Bank. D'après les documents, il a déposé 1 million de dollars sur le compte d'une société locale appelée RDHADG SARLU, qui avait été créée quelques semaines plus tôt, avec lui enregistré en tant que directeur. Selon les documents, il est revenu le lendemain pour déposer prétendument 875 000 dollars supplémentaires. Deux jours plus tard, il est revenu une troisième fois et aurait déposé 926 000 dollars de plus. Selon les documents, tous les dépôts ont été effectués en espèces.

Les caissiers locaux ont eu du mal à épeler le nom de l'étranger qui portait les valises. Ils l'ont d'abord appelé « Shono » ou « M. Shlono ». Par la suite, le nom est devenu « M. Shlomo » ou simplement « Shlomo ». Finalement, ils ont appris à épeler son nom complet : Shlomo Eliahu Abihassira.

En juin 2018, 14 autres dépôts effectués par Shlomo Abihassira ont été enregistrés. Selon les enregistrements, il a apporté à chaque fois entre 900 000 et 3 millions de dollars, prétendument en billets de banque. Au total, 19 millions de dollars de dépôts en espèces qu'il aurait effectués ont été enregistrés à son nom à la banque, dont 17 millions sur le compte de la même société congolaise : RDHADG. Sur cette somme, environ 1 million de dollars ont été déposés par Abihassira sur un compte à son nom, et un autre million a été versé sur le compte d'une société locale appelée Interactive Energy. Abihassira nie avoir effectué le moindre dépôt à la banque.

Le rabbin et le milliardaire

Shlomo Abihassira est le rejeton d'une dynastie israélo-marocaine de kabbalistes. Son arrière-grand-père était le rabbin Yisrael Abuhatzeira, connu sous le nom de Baba Sali. Son père, le rabbin David Abuhatzeira, était auparavant grand rabbin de la ville de Nahariya, dans le nord d'Israël, et gère aujourd'hui les affaires de l'une des dynasties rabbiniques les plus riches d'Israël. Il y a dix ans, Forbes estimait la fortune de David Abuhatzeira à 750 millions de shekels (environ 202 millions de dollars à l'époque). David est également le rabbin et le confident d'un homme qui était à l'époque l'une des figures les plus puissantes du Congo, le milliardaire israélien Dan Gertler, résident de la ville de Bnei Brak, majoritairement haredi [ultra-orthodoxe]. Dans un pays aussi riche en ressources naturelles que la RDC, il n'y a qu'une ressource plus précieuse que les minerais eux-mêmes : un canal direct vers les détenteurs du pouvoir, ce que Gertler possédait indubitablement. Même les plus grandes compagnies minières du monde ont dû passer par Gertler pour avoir accès aux mines du pays.

Les relations entre la famille du rabbin et le milliardaire ne se limitent pas à celles d'un mentor spirituel et d'un acolyte. Parmi les Panama Papers - les documents fuités au Consortium international des journalistes d'investigation depuis le cabinet d'avocats international Mossack Fonseca basé à Panama en 2016, qui ont révélé l'utilisation par de nombreux hommes d'affaires de refuges fiscaux - figure un projet d'accord, qualifié de contrat de conseil, d'une valeur de plusieurs millions de dollars, entre Yitzhak, le frère de Shlomo Abihassira, et le groupe d'entreprises de Gertler. L'existence de l'accord a été rapportée pour la première fois par Uri Blau et Daniel Dolev dans Haaretz.

Shlomo Abihassira a également été suspecté en 2013 dans une affaire de blanchiment d'argent à grande échelle surnommée « l'affaire de l'art », dans laquelle un autre suspect était l'un des avocats de Gertler, Avi Lavi - qui a quitté Israël juste avant le début de l'enquête policière et n'est pas revenu. À ce jour, aucun acte d'accusation n'a été déposé dans cette affaire.

Même les plus grandes sociétés minières du monde ont dû passer par Gertler pour avoir accès aux mines du pays.


Dan Gertler. Photo Bloomberg

En décembre 2017, un mois avant que l'arrière-petit-fils de Baba Sali ne commence censément à se rendre à l'Afriland Bank de Kinshasa avec de grandes quantités d'argent liquide, le département du Trésor usaméricain, dans le cadre de sa guerre contre la corruption internationale, a imposé des sanctions à Gertler, à l'un de ses associés et à 14 entreprises qui lui sont liées. Selon la directive, qui a été étendue à d'autres entreprises à la mi-2018, « Gertler a utilisé son amitié étroite avec le président de la RDC Joseph Kabila » pour devenir « un intermédiaire » dans des « transactions minières et pétrolières corrompues » en RDC. En outre, le gouvernement usaméricain a noté que « Gertler a agi pour ou au nom de Kabila, aidant Kabila à organiser des sociétés de location offshore. » Le département du Trésor a déclaré que « rien qu'entre 2010 et 2012, la RDC aurait perdu plus de 1,36 milliard de dollars de revenus » en raison de la sous-évaluation des actifs miniers à la suite des actions de  Gertler.

En raison des sanctions, le nom  Gertler est aujourd'hui considéré comme un anathème par de nombreuses entités commerciales. Aucun banque souhaitant opérer aux USA n'a le droit de fournir des services à Gertler en monnaie US. Sur le plan juridique, rien n'empêche Gertler de recevoir des services de banques dans d'autres devises. Dans la pratique, cependant, les banques israéliennes et autres refusent les clients et les paiements liés à une entité ou à une personne faisant l'objet de sanctions de la part des USA. Dans le cadre de ces sanctions, il est interdit aux citoyens usaméricains de faire des affaires avec Gertler.

Mais alors que les banques en Israël et ailleurs ont rejeté les transferts financiers lorsqu'elles ont découvert que leur source était Gertler, Afriland Bank à Kinshasa a accueilli Gertler à bras ouverts.

Les documents de l'enquête, qui ont d'abord été mis à la disposition de la Plate-forme pour la protection des lanceurs d'alerte en Afrique (PPLAAF), une organisation de défense des droits humains basée à Paris, et de Global Witness, montrent qu'Abihassira n'aurait pas été le seul associé de Gertler à se présenter à la banque avec des sommes d'argent inhabituelles. Les documents, qui ont été examinés par The Marker, les deux organisations et d'autres professionnels dans le cadre d'une coopération journalistique internationale, montrent également comment une série d'associés, d'ONG, d'avocats et de conseillers médiatiques très haut placés en Israël et ailleurs ont reçu des paiements dont la source se trouverait dans les dépôts en espèces que les associés et les employés auraient apportés à la succursale d'Afriland First. Les documents mis à la disposition de The Marker au cours de l'enquête montrent que les banques israéliennes étaient préoccupées par le fait que certains des transferts provenant de comptes liés à Gertler à l'Afriland Bank correspondaient à la définition d'un « drapeau rouge » qui suscite des soupçons de blanchiment d'argent.

« L'enquête montre à quel point il est facile pour des personnes disposant de pouvoir et de capitaux d'exploiter l'inefficacité de la réglementation bancaire, la confidentialité des entreprises et les astuces juridiques, même si elles ont été accusées de corruption », dit Gabriel Bourdon-Fattal de PPLAAF. « En Israël et ailleurs, les régulateurs doivent prendre des mesures importantes pour corriger les faiblesses du système financier mondial ».

Les requins sentent l'argent

Dan Gertler est issu d'une des familles aristocratiques de l'industrie diamantaire israélienne en perte de vitesse. Il est le petit-fils de Moshe Schnitzer, qui a créé l'Israel Diamond Exchange, basé à Ramat Gan, et le fils d'Hannah Gertler, une mondaine qui a créé l'organisation philanthropique des femmes de diamantaires et une femme d'affaires qui a investi dans de nombreuses entreprises technologiques, médiatiques et immobilières au fil des ans.

La famille est devenue célèbre en Israël en partie à cause d'un drame criminel survenu en 1995, lorsque la sœur de Gertler, Keren, a été kidnappée par le criminel Avi Sapan et sa fille, dans le but d'obtenir une rançon de 2 millions de dollars de la part de la famille fortunée. L'incident s'est terminé lorsque des policiers israéliens ont tiré 11 balles sur Sapan, le tuant. Dan Gertler avait une vingtaine d'années à l'époque, il était ambitieux et (encore) laïc, désireux de prouver qu'il savait lui aussi comment gagner beaucoup d'argent. Son incursion en Afrique a commencé dans ces années-là, lorsque la RDC était connue sous le nom de Zaïre.

La première guerre du Congo a éclaté en 1996 et a entraîné la destitution du dictateur du Zaïre, Mobutu Sese Seko, par les milices de Laurent Kabila, le chef des rebelles. À la fin des hostilités, Kabila s'est autoproclamé président du pays, qu'il a rebaptisé République démocratique du Congo.

La deuxième guerre du Congo, qui a éclaté environ un an plus tard et s'est poursuivie pendant cinq ans, jusqu'en 2003, a été le conflit le plus meurtrier que l'humanité ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de cinq millions de personnes ont perdu la vie et des millions d'autres ont été blessées ou sont devenues des réfugiés. La guerre a eu des causes diverses dérivant de conflits politiques et tribaux, d'intérêts particuliers des pays impliqués - en particulier le Rwanda, voisin du Congo à l'est - et d'intérêts économiques liés aux richesses minérales de l'est et du sud de la RDC. (La RDC est le 11e  plus grand pays du monde en superficie - Israël pourrait y tenir environ 106 fois).

Les canons ont grondé, les machettes ont tailladé, les maisons ont brûlé et les femmes ont été violées. Alors même que l'odeur du sang imprégnait la malheureuse république, certains requins de la région sentaient l'argent. Vers 1998, le jeune Gertler débarque à Kinshasa, poussé par le désir de se rapprocher du nouveau président. Ses connaissances ont des versions différentes de la façon dont il s'y est pris pour s'insinuer dans la famille régnante, mais ce qui est incontestable, c'est qu'il y est parvenu.

Pour commencer, Gertler a discerné la soif d'argent du nouveau gouvernement. Pour seulement 20 millions de dollars, qu'il a levés auprès de connaissances dans l'industrie israélienne du diamant, il a obtenu un permis exclusif pour extraire des diamants de la RDC. Par la suite, il a également participé aux efforts de Kabila, qui n'ont pas été couronnés de succès, pour acquérir un savoir-faire militaire et des armes en provenance d'Israël, comme l'ont révélé les procédures judiciaires qui l'ont opposé au consultant en sécurité Yossi Kamissa au cours de la dernière décennie. Finalement, il a trouvé sa place comme l'un des caïds de l'industrie minière de la RDC, mais pas nécessairement dans le secteur des diamants.

Gertler est devenu une étape essentielle sur le chemin des sociétés internationales qui cherchaient à obtenir des permis d'exploitation sur les terres riches de la république pauvre. C'est notamment le cas du cobalt, un minerai présent en abondance en RDC et considéré comme le nouvel or en raison de son utilisation intensive dans la fabrication de batteries, notamment pour les smartphones.

Les liens étroits de Gertler avec la famille régnante au Congo sont restés solides même après l'assassinat de Laurent Kabila par son garde du corps en 2001. Son fils, Joseph, lui a succédé et a dirigé le pays pendant 17 ans, jusqu'en janvier 2019. Au cours de cette période, il a été élu président à deux reprises, en 2006 et en 2011, mais il a repoussé de près de trois ans l'élection prévue en 2016.

Les presque deux décennies au pouvoir de Joseph Kabila ont été les années d'or de Gertler dans le pays du cobalt et du sang. De millionnaire, il est devenu multimillionnaire, puis milliardaire, et manifestement l'une des personnes les plus étroitement identifiées avec le gouvernement. Selon certaines informations, il est devenu un citoyen congolais, un envoyé diplomatique de Kabila et une cible des services de police et de lutte contre la corruption aux USA, en Grande-Bretagne, en Suisse et en Israël.


Joseph Kabila, ancien président de la République démocratique du Congo. Photo REUTERS

En 2016, le ministère usaméricain de la Justice et le gestionnaire de fonds spéculatif Och Ziff, basé à New York et impliqué dans des activités minières en RDC, ont signé un accord de règlement dans lequel la société a payé une amende de plus de 400 millions de dollars pour avoir corrompu des fonctionnaires dans des pays africains, dont la RDC. L'acte d'accusation convenu, dont Och Ziff a admis les détails, indique qu'entre 2005 et 2015, par l'intermédiaire d'une personne décrite comme « DRC Partner », comme « un homme d'affaires israélien dont l'identité est connue des USA » et comme une personne ayant « des intérêts significatifs dans les industries du diamant et de l'exploitation minière en [RDC] », la société a versé environ 100 millions de dollars de pots-de-vin à des personnalités du gouvernement congolais afin d'obtenir divers permis d'exploitation minière, y compris pour le cobalt et le cuivre. Selon un document judiciaire, il a été demandé à Och Ziff de verser aux investisseurs d'Africo une compensation d'au moins 150 millions de dollars.

Ces derniers détenaient les droits d'exploitation d'une mine de cuivre et de cobalt appelée Kalukundi. Le gouvernement congolais a révoqué la licence minière d'Africo, et Gertler et Och Ziff ont fini par prendre le contrôle des droits miniers à un prix prétendument avantageux, dans le cadre d'un accord de corruption qu'Och Ziff a admis.

En Grande-Bretagne, une enquête est en cours depuis 2013 sur des permis d'exploitation minière accordés en RDC à une société kazakhe, Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC). Cette société, qui a été cotée à la bourse de Londres, est contrôlée par le milliardaire juif-kazakh Alexander Machkevitch. Au centre de l'enquête se trouvent des paiements de dizaines de millions d'euros qui auraient été faits aux sociétés de Gertler, les anciens avocats de l'ENRC soupçonnant que l'argent était un pot-de-vin versé en échange de droits d'exploitation minière. L'ENRC a nié ces allégations en réponse à divers rapports dans le passé. Depuis janvier, une enquête est en cours en Suisse sur des soupçons de corruption concernant les permis d'exploitation minière accordés à la multinationale Glencore et aux sociétés congolaises de Gertler.

Lorsque le président Joseph Kabila a cédé à la pression et a déclaré la tenue d'élections en décembre 2018, il a déclaré qu'il ne briguerait pas un nouveau mandat. Ses chances étaient de toute façon considérées comme faibles. Le candidat qu'il soutenait a perdu. Le nouveau président, Félix Tshisekedi, s'est montré modéré dans ses propos à l'égard de Gertler, mais il n'est pas certain que les affaires de ce dernier continuent à prospérer comme par le passé. « Il ne fait aucun doute que l'influence de Gertler dans le pays a diminué depuis la période Kabila, et l'avenir nous dira dans quelle mesure », déclare un homme d'affaires européen actif à Kinshasa.

Livraisons d'argent à Israël

RDHADG, la société sur le compte de laquelle Abihassira a déposé 17 millions de dollars en espèces, selon les documents, n'est qu'une des nouvelles entreprises liées de différentes manières à Gertler et à ses associés qui ont été créées au Congo dans la période entourant l'imposition des sanctions usaméricaines en 2017. Les documents de l'enquête montrent une série de 10 autres entreprises contrôlées par une société appelée Gerco Sas, dont les propriétaires enregistrés sont l'épouse de Gertler et neuf de leurs 12 enfants, dont certains sont mineurs, à parts égales.

Les USA imposent automatiquement des sanctions à une société si 50 % ou plus de ses actions sont détenues par une personne à l'encontre de laquelle ils ont imposé des sanctions. C'est peut-être la raison pour laquelle Gertler lui-même n'est pas officiellement actionnaire.

Dans la plupart des nouvelles sociétés, un citoyen congolais du nom d'Alain Mukonda est enregistré en tant que directeur. Comme Abihassira, Mukonda a lui aussi été vu à l'Afriland Bank avec des sommes d'argent inhabituelles, transportées dans des valises. Selon les registres, il s'est présenté une vingtaine de fois à la banque, avec des montants allant de quelques dizaines de milliers d'euros à 1,7 million d'euros. Au total, il a déposé près de 12 millions d'euros. Selon les documents, un million de cette somme a été déposé en avril 2018 sur un compte portant le nom d'Abihassira, et le reste a été versé à des sociétés que Gertler ne nie pas contrôler. Mukonda nie que des dépôts en espèces aient été effectués et affirme que les documents attestant des dépôts sont des faux.

La plupart des fonds - plus de 8 millions d'euros - étaient destinés à Ventora Global Services, l'une des sociétés locales créées par Mukonda en mars 2018. Les documents révèlent que la société a servi de rampe de lancement pour les transferts bancaires de fonds vers diverses entités liées à Gertler, dont beaucoup en Israël.

Le montant le plus important envoyé depuis le compte de la société est allé à l'avocat israélien Avigdor (Dori) Klagsbald. Les documents montrent qu'en 2018, 2,4 millions d'euros ont été envoyés sur le compte de Klagsbald en plusieurs versements. Klagsbald pourrait bien être l'avocat israélien le mieux connecté. Il est difficile de penser à quelqu'un d'autre dont le cercle d'amis comprend des juges de la Cour suprême anciens et actuels tels qu'Anat Baron, Uzi Vogelman, son ancien partenaire du cabinet d'avocats Yoram Danziger et l'actuelle présidente de la Cour suprême Esther Hayut, aux côtés du chef du Mossad Yossi Cohen, avec lequel Klagsbald entretient une amitié étroite, comme cela a été récemment révélé dans un litige civil.


Un ouvrier d'une mine de cuivre en République démocratique du Congo. Photo Bloomberg

La liste des clients de Klagsbald commence par l'État d'Israël lui-même, qui l'a nommé médiateur dans la procédure d'arbitrage extrêmement complexe avec l'Iran concernant l'ancien oléoduc Eilat-Ashkelon, et s'étend au magnat usaméricain des casinos Sheldon Adelson, qui possède le journal gratuit Israel Hayom, au magnat du transport maritime et de l'automobile Rami Ungar - et semble se poursuivre indéfiniment. Considérons maintenant le chemin emprunté par l'argent sur la route qui mène du client Gertler à l'éminent avocat.

Boaz Ben Zur, qui a représenté Gertler ces dernières années, est un autre avocat de premier plan qui a reçu des paiements de la part de la société congolaise. Ben Zur représente également, entre autres, l'ancien président de l'Association du barreau israélien, Efi Naveh, et Miki Ganor, le principal suspect dans l'affaire de corruption présumée dans l'achat par Israël de navires de guerre à l'Allemagne. Entre avril et juin 2018, 427 000 € ont été transmis à Ben Zur depuis le compte congolais de Ventora Global Services.

L'avocat Eitan Maoz, l'avocat de la défense dans certaines des affaires judiciaires les plus notables d'Israël - ces dernières années, il a représenté le milliardaire Lev Leviev et le juge condamné Dan Cohen - figure également sur la liste des bénéficiaires de l'un des comptes d'Afriland de la société. En mai 2018, il a reçu 265 000 euros.

Un amendement de 2017 à la loi israélienne sur l'interdiction du blanchiment d'argent exige que les avocats et les praticiens d'autres professions remplissent un formulaire de « connaissance du client » et les oblige à examiner si le comportement du client donne lieu à un soupçon de blanchiment d'argent. Dans l'affirmative, ils doivent s'abstenir de fournir des services à ce client et, s'ils travaillent néanmoins avec lui, ils doivent expliquer leur décision par écrit et conserver la décision détaillée et signée dans leur cabinet. Les trois avocats soutiennent qu'ils ont respecté scrupuleusement ces directives et qu'ils ont signalé aux banques israéliennes que l'argent qu'ils avaient reçu provenait d'une société liée à Gertler.

Un document mis à la disposition de The Marker montre comment, dans un cas, un responsable de la conformité d'une banque israélienne a averti un client - un prestataire de services de Gertler - qu'une déclaration partielle ou mensongère constituait une infraction à la loi sur l'interdiction du blanchiment d'argent. Après avoir réfléchi à la question, le prestataire de services a déclaré que la source de l'argent était une société sous le contrôle effectif de Gertler. La banque israélienne a refusé d'accepter le transfert de fonds, car Gertler figure sur la liste des sanctions usaméricaines, et l'argent a été renvoyé à Kinshasa.

Un autre bénéficiaire du compte de Ventora Global Services est le stratège Ronen Zur, qui était le conseiller médiatique de Gertler jusqu'à récemment, et qui était conseiller de Benny Gantz, aujourd'hui [2020] premier ministre suppléant, lors des trois dernières campagnes électorales d'Israël. En avril-mai 2018, la société a envoyé 210 000 € en trois versements à la société de Zur, Zur Strategic Consulting and Campaign Management, à Ramat Gan.

Dans le monde haredi, Gertler est principalement connu comme un philanthrope, ou « nagid » (en hébreu, « prince » ou, dans ce cas, un mécène) et il est souvent mentionné de cette manière sur les sites de potins haredi. Les documents du Congo attestent d'importants transferts d'argent à des organisations à but non lucratif en Israël. Ainsi, 700 000 euros provenant du compte de Ventora Global Services ont été envoyés à une ONG appelée Morasha Veda'at. Des rapports antérieurs dans la presse haredi montrent qu'il s'agit d'un kollel - une yeshiva [école religieuse] pour les hommes mariés - à Bnei Brak, pour lequel Gertler a fourni des bourses d'études dans le passé. D'après les documents déposés par l'organisation auprès du registre israélien des ONG, quatre des cinq bénéficiaires des salaires les plus élevés sont les frères de Shlomo, quatre autres fils du rabbin David Abuhatzeira : Meir, Yehuda, Shimon et Yosef. Chacun d'entre eux est enregistré comme « chef de kollel », avec un salaire d'environ 200 000 shekels (49 000€) par an.

Le montant de 1,1 million d'euros a été envoyé du compte de Ventora Global Services à un autre organisme à but non lucratif, Savanu Metuvach, qui n'a été créé qu'au début de 2017 et qui, au cours de sa première année complète de fonctionnement, en 2018, a déclaré des revenus impressionnants de 12 millions de shekels (environ 2,9 millions d’€).


Dan Gertler. Photo Bloomberg

Selon les documents, 40 000 dollars ont été déposés par Mukonda, l'homme de confiance de Gertler, directement à la femme et aux trois filles de Pieter Deboutte, un citoyen belgo-congolais qui est l'un des associés d'affaires de Gertler et la seule autre personne nommée avec lui dans l'ordonnance de sanctions usaméricaine. Au cours de l'année 2018, 160 000 dollars supplémentaires en espèces ont été déposés, selon les documents, sur des comptes portant les noms de membres de la famille Deboutte, par les propriétaires du compte. Le même jour, 32 000 € ont été déposés sur le compte de Deboutte lui-même. Un associé de Deboutte a nié que de l'argent ait été déposé par Mukonda sur des comptes de la famille Deboutte.

L'avocat d’Avigdor Lieberman, le cabinet Weinstein

Depuis le compte de Ventora Global Services, 70 000 euros auraient été envoyés sur le compte de l'avocat Yoav Mani, jusqu'à il y a peu l'avocat du parti Yisrael Beiteinu et un confident de son leader, Avigdor Lieberman. Mani a été interrogé dans l'affaire des sociétés écrans lors de l'enquête tentaculaire menée contre Lieberman. Le rôle de Gertler dans cette affaire concerne un demi-million de dollars qui a atterri sur le compte d'une société étrangère appelée Mayflower, que la police soupçonnait d'appartenir à Lieberman, dont le chauffeur détenait officiellement les intérêts majoritaires dans cette société.

Dans son livre en hébreu intitulé « L’Affaire Avigdor Lieberman», l'avocate Avia Alef, qui dirigeait le département des crimes économiques au sein du ministère public et qui devait être la procureure dans cette affaire si elle avait été portée devant les tribunaux, affirme qu'un nombre considérable de documents relatifs à l'affaire Mayflower ont été saisis dans le bureau de M. Mani. Elle note que cela a entravé l'enquête sur les transactions commerciales de la société, car Mani a invoqué le secret professionnel pour ses deux clients, Gertler et Lieberman.

Il s'avère que Mani a continué à recevoir des paiements de Gertler et est resté le conseiller juridique de Yisrael Beiteinu jusqu'en mai 2018, date à laquelle l'argent lui a été envoyé. Lors d'une conversation avec The Marker, Mani a refusé de répondre à la question de savoir s'il avait signalé à sa banque que les sociétés de Gertler étaient la source de l'argent.

C'est le procureur général de l'époque, Yehuda Weinstein, qui a décidé en 2012 de clore l'enquête sur les sociétés écrans, invoquant le manque de preuves. M. Weinstein est aujourd'hui avocat privé au sein du cabinet Dror, Menchel et Weinstein, où sa fille Karin est associée. Il a rejoint le cabinet après avoir terminé ses fonctions de procureur général. L'ancien procureur général figure dans la correspondance du cabinet en tant que conseiller. Deux des associés du cabinet, Ophir Menchel et Ron Dror, sont également liés aux comptes d'Afriland First. Menchel a ouvert un compte dans la banque en 2018, en utilisant le numéro de téléphone de Dror sur les formulaires d'inscription.

Une enquête menée par The Marker révèle que le compte de Menchel était destiné à recevoir une commission d'un montant inconnu pour des services de conseil à Gertler. La tentative de transfert de fonds vers Israël a échoué, car une banque correspondante étrangère a refusé le transfert en raison des sanctions contre Gertler.

La décision de Weinstein de clore l'affaire des sociétés écrans en 2012 a probablement été la plus controversée de son mandat de procureur général. Il y a environ un an, Yair Netanyahu, le fils aîné du Premier ministre, a affirmé dans un tweet que Weinstein avait été nommé procureur général par le gouvernement de Benjamin Netanyahu en 2009, à la suite d'une demande formulée dans le cadre des négociations de la coalition par Lieberman, le principal suspect dans cette affaire à l'époque. L'allégation a ensuite été démentie par Lieberman, Weinstein et le père de Yair, Bibi himself.

L'image qui en ressort n'est pas agréable. Il apparaît que le cabinet dans lequel Weinstein et sa fille représentent 40 % des avocats (selon la liste du personnel du cabinet), représente la personne dont l'affaire a été classée par Weinstein.

 Photo Bloomberg

Les registres du compte Ventora Global Services montrent également des transferts d'argent à des prestataires de services en dehors d'Israël qui ont travaillé pour Gertler. Par exemple, des dizaines de milliers d'euros ont été transférés à la société de relations publiques Powerscourt, basée à Londres. Le cabinet d'avocats Mishcon de Reya, également basé à Londres, a reçu 130 000 euros.

Pris avec de l'argent liquide dans un avion

Fin 2017, avant que Mukonda ne fonde Ventora Global Services, il était enregistré en tant qu'administrateur de la société Ventora Development, qui portait le même nom et était précédemment constituée dans les îles Vierges britanniques sous le nom de Fleurette Mumi Holdings. La société a été placée sur la liste des sanctions du Trésor usaméricain, mais quelques jours avant la publication de la liste, elle a changé son nom en Ventora Development et s'est redomiciliée en RDC. Le compte de la société chez Afriland First n'a pas rencontré d'obstacles, malgré les sanctions, bien qu'il soit libellé en euros plutôt qu'en dollars.

Début 2018, Mukonda lui-même a déposé, selon les registres, 2,4 millions d'euros en espèces sur le compte de Ventora Development. Mukonda nie ces dépôts et affirme que les documents qui les attestent sont des faux. Dans les mois qui ont suivi, 20 millions d'euros supplémentaires ont été versés sur le compte de la société, provenant de diverses sources. Sur cette somme, environ 18 millions d'euros ont été reçus en rapport avec la mine de cuivre de Mutanda, dans le sud-est du Congo. Les paiements provenaient de Glencore, la vaste société internationale de matières premières qui exploite la mine de Mutanda. Glencore s'était engagée dans un contrat à verser aux sociétés de Gertler des redevances sur son activité minière. Lorsque les sanctions ont été imposées, Glencore a interrompu les paiements à Gertler pendant un trimestre, et Gertler a entamé une procédure judiciaire. Les parties ont finalement convenu que les redevances de 2,43 % provenant des ventes de la mine seraient versées en euros, et non en dollars, à Ventora Development, et c'est ce qui s'est produit, selon les documents.

Quelques semaines plus tard, le ministère usaméricain de la justice a annoncé qu'il ouvrait une enquête sur le comportement de Glencore dans l'industrie minière de plusieurs pays, dont la RDC.

Deux autres sociétés liées à Israël ont reçu des montants substantiels à la fois de Ventora Global Services et de Ventora Development. En 2018, les sociétés congolaises ont transféré 1,1 million d'euros à la société israélienne de tourisme Med Cruises, dont l'activité principale sont les croisières de plaisance, ainsi qu'une activité annexe de location d'avions privés. Selon des rapports publiés dans un certain nombre de colonnes de potins, Gertler a des liens sociaux avec la propriétaire de la société, Anat Samovsky, et a assisté au mariage de sa fille en 2015.

Une autre société qui a reçu des fonds des deux sociétés Ventora gérées par Mukonda est WayLawn, qui loue un avion privé et qui est constituée dans les îles Vierges britanniques. WayLawn a reçu des transferts de 227 000 € au cours du premier semestre 2018.

Le nom de la société est apparu dans la fuite des Panama Papers rapportée par le Consortium international des journalistes d'investigation. Les documents ont révélé que la société était auparavant sous le contrôle du milliardaire israélien Idan Ofer, qui est l'actionnaire majoritaire de l'Israel Corporation, anciennement la plus grande société holding d'Israël ; WayLawn entretenait son jet d'affaires. Cependant, la société et son avion ont été vendus en 2009 à deux sociétés étrangères qui sont également enregistrées dans des paradis fiscaux.

The Marker a pu confirmer que l'acheteur dans cette transaction était l'homme d'affaires Eytan Stibbe, un pilote de combat à la retraite qui avait autrefois à son actif le plus grand nombre d'avions ennemis abattus dans les forces armées israéliennes. Stibbe est l'un des fondateurs du groupe LR, qui a entretenu des liens étroits avec les autorités angolaises pendant et depuis la guerre civile des années 1990. (Stibbe a depuis quitté cette société).

 


Photo Bloomberg

Les deux transferts sont liés, comme TheMarker l'a découvert, à la location d'un avion privé pendant la période des sanctions usaméricaines. Selon une source dans l'entourage de Gertler, l'une des conséquences des sanctions a été l'immobilisation temporaire de son avion privé Bombardier, avec lequel il effectuait la liaison Israël-Congo. La source a indiqué que l'équipage de l'avion usaméricain avait démissionné peu après l'imposition des sanctions et qu'il avait fallu du temps pour trouver un nouvel équipage.

En juin 2018, Ventora Global Services a transféré une somme de 370 000 € sur le compte de l'Afriland Bank d'une société appelée BH Consulting. Le compte de BH Consulting était enregistré dans la banque avec un numéro de téléphone israélien attaché qui appartient à un certain Aharon Cohen. Cohen, un employé de Gertler, a été arrêté avec lui en novembre 2013 par des agents des douanes à l'aéroport Ben-Gourion après qu'ils eurent atterri dans l'avion privé de Gertler. Les deux hommes ont été pris en flagrant délit de tentative d'introduction d'argent liquide en Israël sans avoir déclaré les fonds aux autorités douanières. Ils transportaient 120 000 dollars dans six enveloppes en papier brun, chacune contenant 20 000 dollars. L'épisode s'est terminé par le paiement d'une amende par Gertler.

Les documents d'Afriland font état de dépôts en espèces sur les comptes de deux autres personnes proches de Gertler. Selon l'enregistrement, la sœur de Gertler, Keren, s'est rendue à deux reprises à l'agence Afriland First, fin 2018 et début 2019, déposant 885 000 € en deux fois sur un compte portant son nom. Une tentative de transfert de 800 000 € de ce montant sur le compte d'une société appelée Ivega DRC a échoué, et l'argent a été renvoyé sur son compte, selon les documents.

Le deuxième associé est l'entrepreneur en bâtiment Zahi Abou, basé à Ashdod, qui a récemment fait la une des journaux en achetant au magnat Yitzhak Tshuva les terminaux de distribution d'essence de Delek Israel à Glilot, Jérusalem, Ashdod et Be'er Sheva. Les terminaux, qui couvrent une superficie totale de plusieurs centaines de dounams, ont été vendus pour 720 millions de shekels (environ 174 millions d’€). En mars 2018, 4,2 millions d'euros ont été déposés sur un compte portant le nom d'Abou. L'argent a ensuite été transféré en Israël, dont une partie à Otzar Group Investments, dans lequel il détient une participation majoritaire. Abou est ensuite devenu un partenaire commercial de la mère de Gertler, Hannah Gertler. L'une de leurs sociétés communes est Nofech Urban Renewal, qui promeut un grand projet de construction à Ashdod.

L'argent va et vient

On peut raisonnablement supposer qu'au moment où le Trésor usaméricain se penchera sur l'activité inhabituelle des liquidités découlant des documents de l'Afriland Bank, les actions des associés du roi du cobalt de Bnei Brak se seront déplacées vers une autre banque.

Un phénomène intéressant qui ressort des documents est le mouvement de l'argent - dans un sens et dans l'autre - vers la même personne : L'un des associés de Gertler se rend à la banque d'Afriland, effectue un prétendu dépôt en espèces sur un certain compte, puis récupère une partie de l'argent de différentes manières.

Nous avons commencé par le cas de Shlomo Abihassira, le fils du kabbaliste de Nahariya, qui a déposé, selon les registres, 19 millions de dollars en espèces, dont 17 millions ont été versés sur le compte d'une nouvelle société congolaise appelée RDHAGD. Ainsi, avec deux autres millions de dollars qui ont été enregistrés comme déposés en espèces sur le compte de la société par une personne dont l'identité n'est pas révélée par les documents, RDHAGD disposait de 19 millions de dollars sur son compte à partir de mars 2018.

Selon les documents, le montant total de 19 millions de dollars a été transféré un matin d'août 2018 à une personne nommée Kalondo Kabamba. Selon les documents, le même jour, le 14 août, Abihassira a transféré 2 millions de dollars de son compte privé Afriland vers un compte portant le nom de Kabamba. Au total, Kabamba aurait donc reçu 21 millions de dollars. Le même jour, il a été enregistré que Kabamba avait déposé exactement le même montant de 21 millions de dollars en espèces sur le compte d'une société appelée Dorta Invest. De cette manière, l'argent, qui provenait d'Abihassira, a été transféré dans une nouvelle poche. Entre le 4 et le 6 septembre, les documents montrent qu'Abihassira a reçu environ 8 millions de dollars du compte Dorta en trois versements.

Le mouvement d'argent d'une poche à l'autre a également été enregistré dans le cas d'Alain Mukonda ; 2,1 millions d'euros de l'argent qu'il aurait déposé sur le compte de Ventora Global Services lui ont été restitués en juillet de la même année.

Dan Gertler, alias Kash Dan, et Joseph Kabila, alias JKK, alias Shina Rambo (surnom d'un célèbre chef de bande sanguinaire nigérian), vus par le caricaturiste congolais Themb Kash

Kabamba, l'homme qui est enregistré comme déposant de l'argent sur le compte de Dorta, semble, d'après les documents, être un autre convoyeur de fonds, lié à différents transferts aux associés de Gertler. Selon les documents, en août 2018, il a commencé à effectuer des dépôts sur le compte Dorta pour des montants commençant à 900 000 dollars. Au début de l'année 2019, il aurait déposé environ 32 millions de dollars sur le compte de la société, auxquels se sont ajoutés 27 millions de dollars au cours de la même période provenant de diverses sources. Une partie de l'argent, soit 9,3 millions de dollars, a été envoyée, selon les documents, à une société appelée K-Services, qui est constituée à Hong Kong. De là, toute trace a été perdue.

L'une des raisons possibles de ces mouvements d'argent est que tant que l'argent est en mouvement, il est difficile de le saisir ou d'en retrouver la trace. Et si telle est la logique, on peut raisonnablement supposer qu'au moment où le département du Trésor usaméricain se penchera sur l'activité inhabituelle de l'argent liquide qui découle des documents de l'Afriland Bank, les actions des associés du roi du cobalt de Bnei Brak se seront déplacées vers une autre banque.

Gertler : « Les documents sont volés et fabriqués »

La réponse de Dan Gertler est la suivante : « Il s'agit d'un rapport sans fondement. Nos enquêtes montrent que votre journal est en possession de documents volés, dont une grande partie a été fabriquée. La fabrication concerne les dépôts en espèces, qui sont au cœur de la plainte contre M. Gertler et constituent en fait la prémisse de l'article. Il existe des preuves concluantes montrant que les personnes auxquelles les dépôts en espèces ont été attribués (c'est-à-dire Mukonda et Shlomi Abihassira) ne se trouvaient pas au Congo aux dates présumées des dépôts. Ces preuves s'ajoutent à d'autres, notamment des pages de comptes authentiques, des examens médico-légaux de signatures, etc. Tous ces éléments indiquent que les allégations concernant des dépôts en espèces effectués pour échapper aux sanctions sont sans fondement ».

La réponse précise également que « tous les paiements aux prestataires de services ont été effectués en euros, conformément à la loi ». « La publication de l'article donnera lieu à des poursuites judiciaires - en Angleterre et en Israël - qui refléteront l'immense préjudice causé à M. Gertler, à son nom et à ses entreprises. Le préjudice est estimé à des dizaines de millions de livres ».

Shlomo Abihassira a répondu : « Bien que M. Gertler soit un ami de ma famille, que je connais depuis ma jeunesse, nous n'avons pas de relations d'affaires et nous n'en avons jamais eu. Je n'ai jamais effectué de dépôts en espèces auprès d'une société ou d'un compte de l'Afriland Bank. Je n'ai jamais entendu parler d'une société appelée Interactive Energy. Je n'ai rien à voir avec vos affirmations concernant Kalondo Kabamba, que je ne connais pas. L'information concernant le transfert d'argent liquide à la société Dorta Invest est incorrecte. Des paiements ont été effectués par RDHAGD à Dorta conformément au contrat conclu entre les deux, mais pas en espèces. De plus, j'ai reçu un prêt de Dorta dans le but de développer les activités de RDHAGD, mais ce prêt a été remboursé par la suite. Contrairement à ce que vous affirmez, ces transferts n'ont pas été effectués en espèces. Tous les paiements reçus ont été déclarés comme l'exige la loi en Israël et au Congo. Les questions qui me sont adressées indiquent un vol d'informations bancaires confidentielles et une atteinte à la vie privée. Par ailleurs, certaines questions indiquent que les documents que vous possédez comportent des distorsions et des données falsifiées ».

Alain Mukonda a répondu : « Contrairement à ce que vous affirmez, je n'ai pas déposé d'argent liquide sur les comptes de l'Afriland Bank. A certaines des dates que vous mentionnez, je n'étais même pas au Congo.

« Je n'ai pas déposé d'argent sur les comptes de Ventora Global ou Ventora Development, de Pieter Deboutte ou de Shlomo Abihassira, et je n'étais pas au courant que ce dernier avait déposé des fonds sur les comptes liés à Gertler.


Une mine de cuivre en RDC. Photo Bloomberg

« La restructuration de l'entreprise a été planifiée et a commencé à être exécutée, y compris la délocalisation des activités, avant l'imposition des sanctions, dont je n'ai pas été averti, pas plus que d'autres membres de l'entreprise.

« La restructuration n'avait rien à voir avec les sanctions. Elle visait à relocaliser les différentes entreprises en RDC, où elles étaient basées, ce qui signifiait également que les impôts qu'elles payaient seraient versés à la RDC.

« Greco SAS n'appartient pas à Gertler et à sa famille. Le paiement lié à la mine de Mutanda était légitime, il a été effectué en euros et conformément aux obligations contractuelles après le règlement des procédures judiciaires. Les paiements ont été effectués dans le respect des sanctions applicables. Tous les paiements aux entreprises ont été effectués sur la base de factures et dûment comptabilisés dans les comptes des entreprises concernées, pour des services qui ont effectivement été fournis.

Une réponse a été donnée au nom de Zahi Abou : « Le document sur lequel se fonde votre demande est faux. L'activité commerciale de M. Abou au Congo était et reste légale, elle a été déclarée à toutes les autorités compétentes conformément à la loi et n'a aucun lien avec M. Gertler. M. Abou est un homme d'affaires de premier plan innocent et il est victime d'un effort de pression de la part de TheMarker, dont le but est d'extorquer des informations sur d'autres personnalités ».

Aharon Cohen a répondu : « La société BH était ma propriété exclusive. La société a reçu un prêt légal de VENTORA. Le prêt a été remboursé intégralement après quelques mois, avant la fin de l'année 2018. La société a été fermée avant la fin de l'année 2018. Les fonds ont été reçus en euros. En ce qui concerne l'incident d'avion que vous avez mentionné, j'ai été questionné et non interrogé. À la fin du processus, il est apparu clairement que je n'avais pas enfreint la loi et que je n'avais pas payé d'amende. »

Le cabinet Dror, Menchel & Weinstein a répondu : « Nous n'abordons pas les questions liées aux clients, mais nous notons que l'ancien procureur général Yehuda Weinstein et l'avocate Karin Weinstein ont rejoint notre cabinet longtemps après qu'il a commencé à représenter M. Gertler ».

La société Waylawn a répondu : « Les entreprises qui utilisent des avions privés demandent parfois à utiliser des avions privés contre remboursement des frais. Il est raisonnable de supposer que dans ce cas également, une demande d'utilisation d'un avion pour un vol vers l'Afrique a été faite en échange d'un paiement. Si la compagnie avait su que la source faisait l'objet d'un boycott, l'avion n'aurait pas été loué ».

Med Cruises a répondu : « Nous n'avons aucune information sur les affaires de Gertler ou sur le dépôt de fonds comme le prétend l'article. Med Cruises fournit des services de vol et d'accueil à certaines des sociétés de Gertler. La société opère en conformité avec la loi. Toutes les dépenses et tous les services fournis par la société sont enregistrés dans les livres de la société et sont entièrement soutenus de manière légale par des factures (si des chiffres officiels nous demandaient de le prouver, nous le ferions) ».

Le bureau d'Eitan Maoz a répondu : « Comme tout paiement que nous recevons, les frais mentionnés dans votre demande ont été déclarés à la banque précisément comme un paiement effectué pour la représentation juridique de M. Dan Gertler. Le paiement en question a été soumis à toutes les procédures de conformité et a été approuvé par la banque et ses conseillers juridiques conformément à la loi. »

Le bureau de Klagsbald & Co. a répondu : « Depuis 2010, nous représentons Dan Gertler dans diverses procédures judiciaires. Au cours de quelques mois en 2018, la société congolaise Ventora Global Services a payé à notre bureau une partie des honoraires de M. Gertler. Lors de la réception du premier paiement de la société susmentionnée, nous avons informé la banque que les fonds correspondaient aux honoraires de M. Gertler. Nous avons donné à la banque tous les détails nécessaires concernant les honoraires et les paiements. Nous avons également fourni à la banque tous les détails qu'elle nous a demandés concernant les honoraires et les paiements. En outre, nous avons répondu aux questions posées par la banque, notamment sur les liens entre M. Gertler et l'entreprise. Ces faits sont étayés par des documents qui sont en notre possession ».

L'avocat Boaz Ben Zur a répondu : « Notre cabinet représente M. Gertler depuis des années. Tout paiement, sans exception, reçu par le cabinet est payé pour un service juridique qui a été fourni. Les détails, y compris le bénéficiaire final, s'il y en a un, sont communiqués à la banque dans leur intégralité. »

Zur Communications a répondu : « Nous ne pouvons pas nous prononcer sur le montant des frais. Les autorités ont reçu tous les détails et toutes les informations requises par la loi en ce qui concerne le recouvrement de la dette. »

Les ONG Savanu Metuvach et Morasha Veda'at, l'avocat Yoav Mani et la famille Deboutte n'ont pas fait de commentaires.


NdT

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RFI,  18/06/2024
Selon le quotidien britannique Financial Times, un accord serait en négociation entre Washington et l’homme d’affaires israélien. Celui-ci lui permettrait, alors que Dan Gertler est actuellement sous sanctions américaines, de vendre ses actifs congolais à Kinshasa pour environ 300 millions de dollars et d’avoir à nouveau accès au marché financier américain.
Des milliards perdus: Enquête financière sur les transactions de Dan Gertler dans le secteur extractif, RAID, 12/5/2021

146 organisations condamnent le procès intenté par Dan Gertler contre la coalition anti-corruption Le Congo n’est pas à vendre, RAID, 17/4/2023
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11/09/2024

Congo-Palestine : d’un génocide l’autre
De Mobutu à Tshisekedi, de Golda Meir à Netanyahou

 

Les diamants du Congo, taillés à Tel Aviv, Anvers et New York, financent le génocide de la Palestine, le coltan du Congo, récolté par des enfants, entre dans la composition des puces Intel fabriquées en Palestine occupée, à Kiryat Gat, sur le site d’un village nettoyé ethniquement et rasé par la Brigade Alexandroni en 1948, Iraq Al Manshiyya, malgré l’engagement, signé par les sionistes et validé par l’ONU, de ne pas toucher à la population autochtone, après quoi les soldats égyptiens commandés par un certain commandant Gamal Abdel Nasser acceptèrent de se retirer de la localité. 

C’est ainsi qu’on pourrait résumer cette histoire de sang, de sueur et de larmes qui remonte aux années 1940. Ci-dessous 2 articles éclairants sur les liaisons dangereuses entre les maîtres du Congo/Zaïre/RDC et les chefs de file sionistes depuis trois quarts de siècle. Qu’y faire ? L’entretien avec Carney et Belhadi, malgré quelques approximations et omissions, offre quelques pistes, à creuser. L’article d’Eitay Mack nous relate l’historique des relations israélo-congolaises durant l’ascension et le règne de Joseph-Désiré Mobutu Sese Seko.-FG


Le District du diamant dans le quartier d'affaires de Ramat Gan, près de Tel Aviv, constitué de 4 tours interconnectées par des passerelles.

Comprendre les liens entre les génocides du Congo et de la Palestine

Le directeur exécutif des Amis du Congo (Friends of the Congo), Maurice Carney, et la professeure Eman Abdelhadi discutent des intersections entre les génocides du Congo et de la Palestine.

Nylah Iqbal Muhammad, Mondoweiss, 3/8/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 


Nylah Iqbal Muhammad est une journaliste indépendante usaméricaine écrivant sur toutes sortes de thèmes, de l’ethnogastronomie et des styles de vie à la Palestine.
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Tout comme la Palestine, le Congo a une longue histoire de colonisation et de génocide. À la fin du XIXème et au début du XXème siècles, jusqu’à 10 millions de Congolais ont été tués par les Belges, qui ont commencé l’histoire moderne du Congo, exploité pour des ressources comme le caoutchouc, l’uranium et maintenant le coltan, qui alimente presque toutes les technologies. En fait, six millions de personnes ont été tuées dans le génocide du Congo depuis 1996, un génocide commis entre autres par le Rwanda, avec le soutien de puissances étrangères comme les USA et la Chine.

L’examen des génocides au Congo et en Palestine montre clairement que notre libération et nos oppressions sont toutes liées. Des milliardaires israéliens qui volent les ressources du Congo et utilisent l’argent pour construire des colonies israéliennes illégales, aux technologies de surveillance utilisant des matières premières du Congo pour opprimer les Palestiniens.

Pour discuter de ces intersections et de ce que les activistes peuvent faire pour lutter pour le Congo, la Palestine et notre libération globale, Mondoweiss et la journaliste Nylah Iqbal Muhammad ont organisé une discussion entre Maurice Carney, directeur exécutif et cofondateur des Amis du Congo, et la professeure de sociologie de l’Université de Chicago, Eman Abdelhadi.

Nylah : Maurice, Eman, vous revenez tous deux de voyages au Congo, en Jordanie et dans les Émirats arabes unis. Pouvez-vous nous parler un peu de ces expériences et de ce qu’elles vous ont révélé ?

Maurice : Le conflit, là où se trouvent les camps de déplacés, était choquant. Nous avons eu l’occasion de nous rendre dans le sud du pays, sur le site de l’assassinat de Lumumba, ce qui donne à réfléchir, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous avons eu l’occasion de nous rendre dans les régions minières, la capitale minière du monde, Kolwezi, où l’on trouve de grandes sociétés minières et des orpailleurs artisanaux. Nous avons eu l’occasion de descendre dans les mines avec les orpailleurs.

Nous nous sommes également rendus dans la capitale, Kinshasa, pour voir certains des programmes mis en œuvre par nos partenaires. Nous avons eu l’occasion de traverser le fleuve Congo vers Brazzaville (la République du Congo). Le contraste entre le Congo-Brazzaville et le Congo-Kinshasa (la République démocratique du Congo) était saisissant. Nous n’avons pas eu l’occasion d’aller dans la forêt tropicale, car il y avait trop de violence à Kisangani et dans ses environs.

Nous avons vu des choses que nous aimerions pouvoir exprimer par des mots, des images ou des vidéos, mais il faut aller sur place pour les voir. Les êtres humains ne devraient pas vivre dans les conditions dans lesquelles ils vivent dans ces camps. Ils vivent dans de petites tentes sur des roches volcaniques [tranchantes], car à l’est de Goma, il y a un volcan actif. De temps en temps, les milices lancent des bombes sur les camps de déplacés et tuent des gens. C’est horrible.

Nous essayons de trouver un moyen de faire comprendre l’urgence, la nécessité d’une intervention humanitaire immédiate, tout en nous concentrant ou en essayant de mobiliser les gens pour faire pression sur les USA, le Royaume-Uni et d’autres gouvernements afin qu’ils cessent de soutenir le gouvernement rwandais.

Le Rwanda a 4 000 soldats dans l’est du Congo, et c’est la principale source de la catastrophe humanitaire. Nous essayons donc de trouver un moyen d’attirer l’attention du monde entier sur la crise humanitaire. C’est difficile. [le génocide à l’origine de la guerre civile dans l’Est du Congo est celui, commis par le régime hutu du Rwanda du 7 avril au 17 juillet 1994 : une partie des génocidaires, noyés dans la masse des civils hutus, se replièrent ensuite au Congo avec l’aide de l’armée française et y installèrent des premiers camps, à partir desquels ils se sont livrés pendant des années à des incursions armées au Rwanda, NdT]

Eman : Je pense que la situation dans le monde arabe est extrêmement tendue. Je pense qu’il y a une énorme tension entre la rage des gens qui assistent au génocide des habitants de Gaza. Les gens sont très attentifs à ce qui se passe à Gaza. Ils sont en deuil, ils pleurent, ils sont en colère.

En même temps, ils sont confrontés à une répression énorme de la part de leurs gouvernements, qui sont des États autocratiques clients des USA. Ils font le boulot des USA et d’Israël en supprimant la dissidence et l’opposition. J’ai pu le constater en Jordanie et dans les Émirats arabes unis. C’est également le cas en Égypte.

Nylah : Il y a des génocides partout dans le monde en ce moment. Ce n’est pas nécessairement quelque chose de nouveau, mais je dirais que ce qui est nouveau, c’est l’éveil de masse que les gens commencent à avoir et le rôle des médias sociaux dans la mise en lumière de ces causes.

Eman : Comparons cela avec, par exemple, la guerre en Irak. La plupart de nos informations se limitaient aux grands médias [comme] CNN, MSNBC, et aux médias dont nous savons qu’ils sont investis dans l’empire usaméricain et qu’ils ne sont pas des pourvoyeurs objectifs d’informations. Ce sont des entreprises liées aux intérêts de la classe dirigeante.

Au milieu des années 2000, on a commencé à voir apparaître des médias plus indépendants, en partie en réponse à ce récit hégémonique usaméricain, mais aussi grâce aux médias sociaux. Aujourd’hui, tout le monde peut ouvrir un compte Instagram, Twitter ou TikTok. Nous voyons beaucoup plus d’informations se propager de cette manière.

C’est aussi une période où les gens sortent de décennies de paupérisation, de baisse du niveau de vie, de sentiment d’impuissance politique au sein des systèmes officiels, et de plus grande force des protestations de rue.

Ce point culminant se produit en Palestine et au Congo, où il y a une rencontre entre les deux et une analyse politique croissante qui voit le monde comme étant contrôlé par cette classe dirigeante, et qui voit ces institutions qui gouvernent notre monde comme étant corrompues, mais qui a aussi plus d’outils pour communiquer et partager cette analyse.

Nylah : Je voudrais commencer à parler de la technologie, parce que les mêmes entreprises impliquées dans le génocide au Congo sont impliquées dans le génocide en Palestine, et vice versa. Cela semble être un point de collaboration tout à fait naturel.

Eman : La technologie est un emblème de cette structure plus large de pouvoir et de contrôle. Nous avons tous été abreuvés des sornettes selon lesquelles l’histoire selon lesquelles nous étions à la fin de l’ère coloniale, mais en réalité, l’ère coloniale était en train de prendre une autre forme. Cette transition a été facilitée par ces sociétés multinationales. Les États et les entreprises travaillent main dans la main pour mettre en œuvre une nouvelle forme de colonialisme, ou une version légèrement révisée du colonialisme.

Apple est une multinationale qui a ses propres intérêts, presque comme un État, et qui peut utiliser des États comme Israël ou l’instabilité d’un pays comme le Congo pour coloniser le monde et s’approprier les ressources. Il peut décider que certaines populations sont jetables ou exploitables pour le travail. Il est important d’avoir une analyse large de la façon dont notre monde fonctionne, parce que si ce n’est pas le Congo ou la Palestine, ce sera d’autres endroits.

Maurice : L’une des idées avancées [pour organiser les gens] était le terme « génocide technologique », parce que les entreprises technologiques profitent des minerais du Congo et provoquent un génocide humain.

Pour moi, c’était un peu exagéré. Le Congo a longtemps servi, depuis la fin du XIXème siècle, d’avant-poste colonial pour l’extraction des ressources qui alimentent les industries modernes. Le caoutchouc a servi à l’industrie automobile de pointe. Le cuivre a servi à fabriquer les balles et les armes de la Première Guerre mondiale. L’uranium du Congo a été [secrètement] utilisé [à l’insu du Parlement belge, NdT] pour les armes atomiques larguées sur le Japon, et ainsi de suite, jusqu’à aujourd’hui, jusqu’au coltan du Congo.

L’histoire moderne du Congo, on peut l’affirmer à plusieurs égards, a été synchronisée avec les progrès de la technologie. Cela s’est fait au détriment de la population congolaise, parce qu’elle a vécu sur ces ressources qui sont nécessaires pour alimenter un large éventail de technologies.

Mais je ne parlerais pas de « génocide technologique ». Sans technologie, notre organisation ne serait pas aussi efficace. Nous ne serions pas en mesure de communiquer avec différentes personnes au Congo, en particulier dans l’est du pays, parce qu’il manque d’infrastructures. Il n’y a pas d’infrastructures routières, pas d’infrastructures ferroviaires, pas d’infrastructures énergétiques, 20 % de la population ayant accès à l’électricité. Il manque d’infrastructures technologiques, 23 % de la population ayant accès à l’internet.

Bien sûr, les entreprises technologiques exploitent les ressources du Congo. Nous avons collaboré avec des défenseurs des droits internationaux qui ont intenté une action en justice contre cinq entreprises technologiques - Apple, Alphabet, Dell Technologies, Microsoft et Tesla - pour s’être approvisionnées en minerais contaminés par le travail des enfants.

Nylah : Je crois que je comprends bien ce que vous dites. Bob Marley parlait du Congo, Malcolm X parlait du Congo, Marcus Garvey parlait du Congo, et tout cela bien avant que l’idée d’un iPhone existe, ne serait-ce qu’en rêvet. L’exploitation de l’Afrique et des Africains de la diaspora prend des formes très diverses. Ainsi, nous pourrions appeler l’esclavage génocide cotonnier ou génocide du sucre. Aux USA, il n’y a plus de plantations de coton exploitant des esclaves africains, mais l’esclavage existe toujours. C’est au-delà de la technologie ou de la ressource qu’ils veulent à ce moment-là.

Maurice : Oui, c’est le capitalisme. C’est le colonialisme.

Nylah : Et comme nous l’avons vu avec les diamants de sang, cela donne aux gens un élément tangible qui les incite à cesser d’acheter ou à acheter de manière plus éthique. Ensuite, ils se disent : « OK, j’ai fini, je l’ai fait. Je l’ai fait. »

Maurice : C’est un point intéressant, parce que ce sont surtout les gens du Nord qui sont concernés par le Congo. Si tout le monde arrêtait d’acheter un iPhone et boycottait Apple et Samsung, cela ne mettrait pas fin à la crise au Congo. Il est intéressant de noter que cela pourrait même l’aggraver. C’est un élément qui n’est pas souvent exploré autour du Congo. Et c’est compréhensible.

En 2010, les USA ont adopté la loi Dodd-Frank, un énorme projet de réforme financière issu de la crise bancaire. Les activistes à Washington - nous étions d’accord avec eux - ont réussi à joindre deux amendements à la loi Dodd-Frank. L’article 1502 est ce que l’on appelle la disposition sur les minéraux de conflit de la loi Dodd-Frank. Elle stipule que les entreprises cotées en bourse qui s’approvisionnent en étain, en tantale, en tungstène et en or doivent déclarer dans leurs rapports à la SEC (Securities and Exchange Commission) la source de leurs minerais. Le gouvernement congolais a réagi en partant du principe que si l’on interrompait le financement des groupes rebelles qui se livraient au trafic de ces minerais, cela mettrait fin au conflit ou, du moins, l’atténuerait dans une certaine mesure. Le gouvernement congolais a donc fermé tout le secteur de l’exploitation minière artisanale, comme s’il s’agissait d’une interdiction.

Parce que le pays est encore prisonnier des affres du colonialisme, il est propice à l’extractivisme. Cela crée un environnement d’extrême pauvreté où les options des gens sont limitées. Cependant, l’une de ces options, aussi perfide et dangereuse soit-elle, est l’exploitation minière artisanale, qui a deux traditions. La première est une tradition de nécessité. L’autre est celle de milliers d’années et de nombreuses générations de personnes qui pratiquent l’exploitation minière artisanale au Congo. Mais aujourd’hui, il y a environ un demi-million de mineurs artisanaux dans l’ensemble du pays, et ils ont un impact socio-économique direct.

Lorsque vous fermez ces mines, vous étouffez les personnes qui ont un minimum de soutien pour payer leurs frais de scolarité, pour mettre de la nourriture sur la table, pour payer les frais de scolarité des enfants ou pour obtenir des soins de santé s’ils en ont besoin - tout cela est supprimé. Cela punit la population locale, l’enfonce dans la pauvreté et peut même la pousser à se tourner vers les milices.

C’est pourquoi, lorsque je vois des gens faire des vidéos sur TikTok en disant « Je vais arrêter de vaper, je vais utiliser des téléphones remis à neuf », c’est plus pour satisfaire le désir ou le besoin de ceux d’entre nous qui sont à l’extérieur de sentir qu’ils font quelque chose pour changer les choses.

Vous devriez faire quelque chose pour changer les choses, mais comprenez quel est le défi - c’est le capitalisme. Ne réduisez pas votre consommation pour la lier au Congo. Réduisez votre consommation parce que vous voyez qu’elle fait partie de la nature excessive du capitalisme et qu’elle fait partie intégrante d’un système oppressif qui a un impact dévastateur sur les populations du Sud.

C’est pourquoi j’ai apprécié le discours du président colombien Gustavo Petro aux Nations unies. Il a expliqué comment le consumérisme et les habitudes du Nord punissent le peuple colombien, où la plante de coca est vitale pour la santé et d’autres raisons pour leur société, mais à cause des excès du Nord, ils ont diabolisé la plante et mis la responsabilité sur les gens qui sont en Colombie, et non sur les pratiques du Nord.

Eman : Lutter contre le capitalisme, c’est aussi lutter contre la structure et l’emprise de ces entreprises et de la classe dirigeante sur nos vies et nos gouvernements. Cela nous ramène à la question de l’action matérielle - descendre dans la rue, développer l’organisation sur le lieu de travail, construire des syndicats. Nous devons travailler sur tous les fronts. Je suis une radicale, mais je pense que cela inclut le travail sur la réforme électorale, le divorce et la réduction du contrôle que ces entreprises exercent sur le gouvernement le plus puissant du monde. En particulier, en tant qu’USAméricains, c’est le travail, c’est le travail - renforcer le travail comme une sorte de contrepoids à ces forces capitalistes.

Pour beaucoup de gens qui ont commencé à prendre au sérieux le boycott des entreprises investies dans le génocide à Gaza et dans l’oppression palestinienne en général, je pense qu’il y avait ce sentiment de « Oh mon Dieu, tout est lié, n’est-ce pas ? Tout, Google, Amazon, Apple - chaque dimension de notre vie. » Il y a eu cette sobre réalité de la différence frappante entre nos vies dans le Nord global et les vies des gens à Gaza, au Congo et au Soudan. Qu’est-ce que cela signifie d’investir autant dans nos maisons tout en voyant nos frères et sœurs réduire leur vie à une dizaine de centimètres ? Et même cela n’est pas sûr ? Je pense donc que beaucoup de gens reconsidèrent leurs choix.

Je pense que Maurice a raison de dire que ces choix de consommation ne suffisent pas à eux seuls à résoudre l’un ou l’autre de ces conflits. En fait, nous avons constaté, en particulier dans le cas du changement climatique, un effort concerté pour faire porter la responsabilité aux consommateurs en leur disant : « Si vous recyclez vos bouteilles d’eau, si vous cherchez un vol plus neutre en carbone... » Si nous faisions tous ces choses, le changement climatique serait toujours d’actualité. Nous ne sommes pas le problème.

C’est eux le problème. La classe dirigeante est le problème. Ils ont constamment essayé de nous convaincre d’absorber leur culpabilité et de nous concentrer sur l’autodiscipline et de nous discipliner les uns les autres de toutes ces petites manières, tout en détournant notre attention du véritable ennemi.

Eman : Je pense qu’avec le boycott, comme pour tout le reste, nous devons penser collectivement plutôt qu’individuellement. Nous devrions changer nos habitudes de consommation en partie grâce à la construction d’un moi éthique. Qu’est-ce que cela signifie pour notre âme d’acheter, d’acheter, d’acheter, d’acheter, de jeter, de jeter, de jeter ? Mais en général, nos politiques, y compris les boycotts, doivent être déplacées vers le collectif.

Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) en est la preuve. Certaines de nos victoires les plus importantes dans le cadre du BDS ont été obtenues grâce à une pression collective, en incitant vos entreprises ou vos universités à se désinvestir. Nous nous dirigeons vers un modèle plus collectif de construction du pouvoir avec les mêmes objectifs et, d’une certaine manière, les mêmes tactiques, mais avec moins de prise de décision atomisée et plus de construction du pouvoir entre nous, pour ensuite exercer un effet de levier sur ces institutions qui ne peuvent exister que grâce à notre travail ou à notre argent ?

Maurice : L’une des mesures du succès du mouvement BDS est la réponse de l’État à travers les USA, qui instaure des lois visant à réduire l’efficacité du mouvement BDS. Nous avons vu la réaction des élites qui criminalisent ceux qui participent au mouvement en empêchant les entreprises de soutenir le BDS ou en les obligeant à déclarer d’emblée qu’elles n’en font pas partie pour obtenir des contrats avec les gouvernements des États. Le Texas est probablement l’un des États les plus prompts à punir les personnes liées d’une manière ou d’une autre au mouvement BDS.

Nylah : Le dégoût que j’éprouve pour le gouvernement texan ne peut être quantifié. Mais oui, et nous avons également vu cela se produire au Congo. Ce n’est pas le même niveau de criminalisation, mais par exemple, lorsqu’ils se sont battus pour imposer des sanctions à Dan Gertler, Dan Gertler a obtenu que le président de la RDC [Joseph Kabila] intervienne en son nom et dise : « Tout va bien ici ».

 Le milliardaire israélien Dan Gertler visite les mines de la Kamoto Copper Company (KCC) à Kolwezi au Katanga, en République démocratique du Congo, le 1er août 2012. Il a été le grand corrupteur du régime de Joseph Kabila et de ses proches, ce qui a conduit à des sanctions à son encontre de la part du Trésor US en 2017, une affaire en voie de règlement moyennant une vente [fictive] de ses entreprises à l’État congolais [lire ici]. Photo : Bloomberg

Lire Congo Files: Cash Was Deposited Into Dan Gertler's Accounts, Then Millions Were Transferred to Top Israeli Figures [Dossiers Congo : la ‘Bnei Brak-Kinshasa Connection’ ou la Grande Valse des millions organisée par Dan Gertler, l’homme qui murmurait à l’oreille de Joseph Kabila Kabange] (Haaretz, 2/7/2020)

Maurice : Cela fait partie des intérêts stratégiques des USA d’avoir accès aux minerais essentiels... pour cette transition vers l’énergie verte. Et l’Union européenne et le G8 combinent l’initiative chinoise Belt and Road, en particulier au Congo en termes d’acquisition de mines.

Nous devons parler de la classe des compadres, des élites locales et du rôle qu’elles jouent, et du fait qu’elles sont plus alignées sur le capital financier international, plus alignées sur les Dan Gertler, plus alignées sur les marchés occidentaux, que sur les intérêts de leur peuple. L’une des forces qui s’opposent au peuple congolais est donc constituée par ses propres élites locales.

Mais Dan Gertler met clairement en évidence la bataille géostratégique entre la Chine et les USA. C’est un élément important de la prise de décision de l’administration Biden et du Congrès usaméricain.

Nylah : Et il est évident qu’Israël bénéficie de ces exportations, même s’il ne possède techniquement aucune mine.

Maurice : Il ne fait aucun doute que les milliards que Gertler a gagnés au Congo sont rapatriés en Israël. Beaucoup de ces fonds ont été utilisés pour construire des colonies illégales et ont été donnés au gouvernement israélien pour financer la poursuite du projet de colonisation. Et Gertler lui-même est le petit-fils du fondateur de la bourse israélienne du diamant, Moshe Shnitzer.

Nylah : Pour en revenir à cette conversation sur les gens qui travaillent contre les leurs, cela me rappelle l’Autorité palestinienne. Il y a ce thème de l’empire qui recrute les gens de ces identités marginalisées, leur promet des profits et des avantages minimes, puis ces gens acceptent ce marché et suppriment la résistance de leur propre peuple.

Eman : Après la seconde Intifada, les Israéliens ont très vite réalisé qu’il était trop coûteux et trop difficile de gouverner directement les Palestiniens en Cisjordanie. L’Autorité palestinienne est venue jouer ce rôle pour eux. L’Autorité palestinienne est comparable à d’autres États clients arabes de la région. Ils gèrent leur propre population comme une sorte de couche, en fin de compte pour les intérêts de l’élite de la classe dirigeante au sein de ce gouvernement et de leurs alliés usaméricains et israéliens. L’Autorité palestinienne est donc absolument répressive. Elle est absolument corrompue. Elle fait le sale boulot d’Israël en première ligne depuis des années.

Nylah : J’ai lu cet article dans Mondoweiss aujourd’hui sur les obstacles à un soulèvement généralisé en Cisjordanie. L’Autorité palestinienne en fait partie.

Eman : Malgré l’Autorité palestinienne, il y a eu beaucoup de résistance en Cisjordanie, et nous voyons même des missiles lancés depuis la Cisjordanie maintenant. Des centaines et des centaines de personnes ont été tuées, des milliers ont été arrêtées. Cela témoigne de l’ampleur de la colère.

La Cisjordanie est la prochaine cible. Nous le savons tous. L’objectif est de procéder à un nettoyage ethnique du fleuve à la mer. La charte du Likoud est très claire sur le fait qu’il pense avoir l’autorité et la souveraineté sur l’ensemble de la Palestine historique. Et ils essaient systématiquement de déplacer et d’exterminer, d’établir cette autorité.

Nylah : Oui, nous devons constamment nous souvenir de la Cisjordanie dans notre action. Maurice, j’entends des bruits similaires à propos du Congo. C’est de l’ignorance, mais j’ai entendu des gens dire : « Vous réalisez que cette violence se produit dans des régions isolées du pays, n’est-ce pas ? » C’est ridicule.

Maurice : Il faut reconnaître la diversité du Congo et ce qui se passe dans les différents endroits du pays. Mais même au sein de cette diversité, c’est tout le Congo qui a un héritage colonial, pas seulement une partie du Congo. Tout le Congo a été victime de l’intervention impériale et de l’héritage colonial. Le roi Léopold II, les Belges. La plus grande action secrète des USA dans le monde a été montée contre le peuple congolais pour destituer un premier ministre démocratiquement élu, de la même manière que Mossadegh est tombé, victime de l’intervention impériale en Iran ou d’Allende au Chili.

L’héritage colonial de l’intervention impériale, qui se poursuit encore aujourd’hui, a donc réellement piégé le peuple congolais dans ce système, ce système capitaliste.

Et cette conception initiale, en tant qu’avant-poste pour l’extraction des ressources naturelles, perdure jusqu’à aujourd’hui et façonne les chances de vie, les possibilités, les opportunités pour le peuple congolais dans son ensemble. C’est donc dans ce contexte que s’inscrit l’intervention des voisins du Congo, des dirigeants néocoloniaux, des agents du néocolonialisme, qui ne pourraient pas faire ce qu’ils font sans le soutien de pays comme les USA et le Royaume-Uni. Ainsi, la nature aiguë de la crise à l’Est, ou même aujourd’hui à Kisangani et dans certaines parties de l’Ouest, ne peut être considérée indépendamment de l’héritage colonial, de l’intervention impériale, de l’imposition des élites au peuple congolais.

Face aux preuves, aux preuves historiques, aux réalités contemporaines, il est difficile de découper le Congo de cette manière et de dire que seul l’Est connaît une violence aiguë. Je veux dire que la pauvreté est une violence.

BDS movement on X: "An investigation by @972mag reveals that the Israeli  army is using @amazon's cloud service to store surveillance information on  Gaza's population, while procuring further tools from Google and

Nylah : Je voudrais parler du projet Nimbus et de la récente enquête de WIRED. Extrait de l’article : « Google a conclu un contrat de 1,2 milliard de dollars avec le gouvernement israélien dans le cadre du projet Nimbus. Les travailleurs de Google et d’Amazon, parce qu’Amazon est également impliqué dans ce projet, ont protesté.

Google affirme qu’il ne s’agit pas d’un travail militaire et qu’il n’est pas « pertinent pour les armes ou les services de renseignement », tandis qu’Amazon n’a pas discuté publiquement du contrat. Mais Wired a examiné les documents publics et les déclarations des fonctionnaires israéliens, des employés de Google et d’Amazon, et a constaté que les FDI ou FOI ont été au cœur du projet Nimbus depuis sa création. Et que les hauts fonctionnaires israéliens semblent penser que le contrat de Google et d’Amazon fournit une infrastructure importante pour l’armée israélienne ».

 The Palestine Laboratory

Eman : Pour tous ceux qui étudient le capitalisme, la technologie est un moteur important de la croissance et de la concurrence. Nous constatons que l’accent est mis sur les technologies de l’information et de la surveillance. La technologie représente environ 20 % de l’économie israélienne, ce qui est énorme. Il existe un excellent livre que les gens devraient consulter, intitulé The Palestine Laboratory, d’Antony Loewenstein, qui explique comment les entreprises israéliennes utilisent l’apartheid, l’occupation et la gestion réussie de la population palestinienne comme preuve de l’efficacité de leurs armes et de leur technologie de surveillance. Une grande partie de la normalisation avec le monde arabe s’est faite pour faciliter ces contrats, pour faciliter la vente de technologies de surveillance à des pays autocratiques comme les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, etc. Apparemment, il s’agit d’une démocratie du Moyen-Orient dont l’économie repose sur la vente et la facilitation de l’autocratie dans le reste de la région. Bien entendu, elle n’est pas du tout démocratique sur le plan interne, ce que nous savons tous.

Mais cela fait partie des entreprises qui considèrent que le monde est ouvert à l’exploitation et que toute population qui s’y oppose est jetable et exterminable.

Maurice : Quand vous parlez du projet Nimbus, je le vois comme une partie du complexe existant de ce qu’Israël exporte, pas seulement des entreprises technologiques, mais aussi des groupes d’investissement et des fonds de pension qui investissent dans des entreprises de « sécurité » et de renseignement en Israël. Cela me rappelle le logiciel Pegasus développé par le groupe NSO, utilisé par la plupart des gouvernements autoritaires dans le monde. Le Rwanda est au centre de cette équation, car il utilise le logiciel Pegasus de NSO Group pour espionner les dissidents congolais et s’introduire dans leurs téléphones.

Je pense qu’à l’époque, le gouvernement rwandais avait kidnappé Paul Rusesabagina. C’est la figure héroïque d’Hôtel Rwanda, et il l’a ramené. Il s’agit d’une restitution illégale, de la même manière que les USA capturaient des gens et les emmenaient à Guantanamo.

Le gouvernement rwandais a capturé Paul Rusesabagina et l’a ramené, l’a mis en prison au Rwanda et l’a accusé de toutes sortes de crimes. Et ils ont utilisé le logiciel Pegasus pour mettre sur écoute le téléphone de sa fille, qui s’est battue très activement pour sa libération, qui s’est exprimée, qui a critiqué et qui a obtenu des tribunes dans le monde entier pour parler de son père et de la nature autoritaire du gouvernement rwandais. Je l’ai donc placé dans ce contexte comme l’une des exportations d’Israël, au même titre que la vente d’armes, au même titre que l’exportation des forces offensives israéliennes.

Et juste avant le mois d’octobre, des forces offensives israéliennes se trouvaient au Congo pour former des soldats. Et une fois que le génocide a commencé en Palestine, elles ont dû y retourner. Cela n’implique pas seulement les entreprises technologiques, comme je l’ai dit, mais aussi les banques d’investissement, Wall Street. Les fonds de pension sont, vous savez, le citoyen usaméricain ou le citoyen britannique lambda, leurs fonds de pension sont investis dans ces entreprises qui travaillent à faire des ravages sur les communautés et les organisateurs, les militants de base, les dissidents dans différentes parties du monde.

Quant à la surveillance israélienne, la plupart de ces caméras et de ces équipements sont utilisés aux points de contrôle, et encore une fois, les Palestiniens sont les seuls à devoir utiliser ces points de contrôle. Vous avez donc un gouvernement qui collecte des quantités massives de données sur un groupe ethnique. Et le monde reste là à dire que c’est très bien.

Eman : Vous savez, c’est tellement moche. Le monde se dit littéralement : « Oh, comment vous faites ça ? Laissez-moi en profiter. »

Maurice : Et nous le voyons de manière très frappante dans l’État sécuritaire des USA, où les forces de police sont formées par des Israéliens. Alors s’il y a une raison, comme nous l’avons vu à Ferguson, pour que les Noirs des villes usaméricaines soient solidaires des Palestiniens, c’est certainement pour s’insurger contre l’État sécuritaire US qui a collaboré avec l’État sécuritaire israélien.

Nylah : Et ce concept de laboratoires existe depuis le début de la colonisation. Ils ont testé la stérilisation sur des femmes noires en Afrique, sur des femmes noires et d’autres femmes indigènes à Porto Rico. Nous les avons vus tester, vous savez, des médicaments ici.

Eman : Et Israël a testé la stérilisation sur des femmes palestiniennes.

Nylah : Exactement. Et je dis toujours qu’en ce moment, nous sommes séparés de Gaza par notre complicité et, pour certains d’entre nous, par un privilège temporaire. Penser qu’ils testent toutes ces armes et qu’ils ne vont jamais les utiliser sur qui que ce soit d’autre que les Palestiniens, c’est perdre le sens et l’âme. Les chiens policiers dont ils disposent ont déjà été utilisés à la frontière entre les USA et le Mexique. Les gens regardent donc toute cette dévastation et éprouvent de la pitié. Mais ce sont des gens avec lesquels il faut être solidaire, surtout si l’on est marginalisé, car, comme nous l’avons dit, il s’agit d’un laboratoire. Ils ne se rendent pas compte que ces armes, ces tactiques, tout ce qu’ils font ici, ils pensent à vous le faire, ils prévoient de vous le faire ou ils le feront. Tout cela devrait vous terrifier. Personne n’est à l’abri.

 


Le cœur israélien des ténèbres au Congo

Eitay Mack, ISCI,26/11/2023 (Traduit de l’hébreu par Tal Haran)

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Eitay Mack est un avocat israélien défendant les droits des Palestiniens, engagé dans un combat pour dénoncer et stopper la collaboration du complexe-militaro-industriel israélien avec des dictatures et des régimes autoritaires à travers le monde, du Maroc et de la Guinée Équatoriale au Myanmar.

Pendant 32 ans, le général Mobutu Sese Seko a dirigé le Congo (aujourd’hui officiellement appelé République démocratique du Congo) comme l’une des dictatures les plus corrompues et les plus oppressives au monde. Ses opposants ont été torturés et anéantis, et il est devenu l’un des symboles de la guerre froide. Tout comme après la fin du régime colonial belge, les USA et la CIA ont aidé Mobutu à accéder au pouvoir et à éliminer les dirigeants les plus radicaux du mouvement de libération nationale. Des documents contenus dans les dossiers et les archives du ministère israélien des Affaires étrangères, qui ont été rendus publics ces dernières années, attestent que l’État d’Israël a joué un rôle important dans la survie militaire, économique et politique de Mobutu pendant les trois premières décennies de son règne, dans la version néocolonialiste du « Cœur des ténèbres » de Joseph Conrad .

Au fil des ans, la presse israélienne, en particulier les journaux Haaretz et Ma’ariv, a rendu compte des relations d’Israël avec le général Mobutu, mais elle était soumise à la censure militaire israélienne. Des documents du ministère des Affaires étrangères récemment révélés confirment certains détails rapportés par la presse et démentis par les porte-parole des différents gouvernements israéliens, de l’armée et du ministère de la Défense, et ajoutent d’autres détails qui n’avaient pas été rapportés par la presse censurée.

Avant même que le Congo ne devienne un État souverain indépendant, l’État d’Israël a établi des liens avec des dirigeants congolais - dont certains se sont rendus en Israël - et avait des représentants officieux dans la capitale, Léopoldville (rebaptisée plus tard Kinshasa). Une ambassade israélienne a ensuite été ouverte à Léopoldville immédiatement après l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960. Le premier Premier ministre du Congo, Patrice Lumumba, était considéré comme un gauchiste radical. Lors d’une réunion de la commission des affaires étrangères et de la sécurité de la Knesset israélienne, le 23 août 1960, l’ambassadeur israélien au Congo, Ehud Avriel, a refusé de prédire si le gouvernement de Lumumba se maintiendrait, et a déclaré que les USA espéraient que Lumumba disparaîtrait, et qu’« il n’était pas inévitable que de tels espoirs se réalisent d’une manière mystérieuse ». [l’ancien chef d’antenne de la CIA à Léopoldville, Larry Devlin, qui avait recruté Mobutu en janvier-février 1960 à Bruxelles, a raconté dans un documentaire belge qu’il avait dans un tiroir de son bureau un tube de dentifrice empoisonné destiné à Lumumba, NdT]


En effet, deux semaines plus tard, l’éviction de Lumumba par le président Joseph Kasa-Vubu et un coup d’État militaire mené par Mobutu et soutenu par la CIA ont donné raison à Avriel. Après le coup d’État, Mobutu a tenu les rênes du pays pendant environ 5 mois, au cours desquels il a fait arrêter Lumumba et l’a fait exécuter le 17 janvier 1961, à l’âge de 35 ans. Le 15 septembre 1960, le lendemain du coup d’État de Mobutu, la ministre des affaires étrangères Golda Meir a critiqué Lumumba lors d’une réunion du cabinet du gouvernement israélien, le qualifiant de « fou », et après l’assassinat de Lumumba, Israël a décidé de ne pas se joindre aux appels mondiaux visant à traduire Mobutu en justice. Lors d’une réunion du gouvernement israélien le 5 mars 1961, la ministre des Affaires étrangères Meir s’est contentée d’indiquer que l’État d’Israël s’opposait à tout assassinat politique et que « les Congolais n’ont pas de brevet en la matière ». En contrepartie de son implication dans la disparition politique et physique de Lumumba, le président Kasa-Vubu a nommé Mobutu chef d’état-major militaire, bien qu’avant l’indépendance du Congo vis-à-vis de la Belgique, Mobutu n’ait atteint que le grade de sergent de la Force  Publique [structure militaire coloniale faisant office de police, où il était secrétaire-comptable, NdT] et ait servi en tant que correspondant militaire [du quotidien libéral L’Avenir, NdT]. [Il est rapidement promu colonel, puis général, avant de s’autoproclamer Maréchal en 1982]


Mobutu en formation de parachutiste à Tel Nof en Israël en 1963 

Selon l’évaluation du ministère israélien des Affaires étrangères de décembre 1963, le 29 avril de la même année, le gouvernement congolais a demandé à Israël de l’aider à réorganiser l’armée congolaise. Israël a été invité à former une unité de parachutistes et, en juillet-août de la même année, plus de 200 soldats congolais ont été formés par Israël dans le cadre d’un cours de parachutisme, sous la direction du général Mobutu, chef d’état-major, qui a sauté deux fois. Lors de la réunion du gouvernement du 30 août 1964, lorsque le ministre de l’intérieur Shapira a fait remarquer que le Congo pendait des gens au moment même où Israël travaillait avec l’armée, le Premier ministre Eshkol a répondu que « Damas aussi a vu des gens pendus hier, et je n’ai remarqué personne de choqué. Même l’URSS n’est pas choquée. C’est normal là-bas ».

Le 24 novembre 1965, Mobutu a mené un second coup d’État militaire contre Joseph Kasa-Vubu et s’est autoproclamé président. Un profil préparé par le ministère israélien des Affaires étrangères indique que « Mobutu a anéanti ou évincé tous ses opposants, parfois cruellement, et prend soin d’évincer de temps à autre des personnes occupant des postes clés afin qu’elles n’accumulent pas un pouvoir qui pourrait le mettre en péril ».

Après la guerre de 1967 et l’occupation des territoires palestiniens, syriens et égyptiens, les relations de l’État d’Israël avec de nombreux États africains sont devenues précaires, mais l’admiration pour Israël au Congo n’a fait que croître. Selon une note préparée par le ministère des Affaires étrangères le 28 janvier 1968, le Congo avait une ambassade à Jérusalem et Israël y gardait une délégation de 11 officiers de l’armée qui formaient des parachutistes. En 1971, Mobutu change le nom du Congo en Zaïre

Les parachutistes formés par les officiers de l’armée israélienne constituaient l’épine dorsale du régime de Mobutu et l’aidaient à réprimer les rébellions et les soulèvements séparatistes dans l’est et le sud, et à prévenir les tentatives de coup d’État par d’autres forces de sécurité. Ainsi, le 12 avril 1972, lors d’une réunion du « Forum Africa » au bureau du chef de la section Afrique du Mossad israélien, Nahum Admoni, a déclaré qu’« au Zaïre, nous sommes présents dans la force (parachutiste) qui est un point focal et un centre de pouvoir sur lequel s’appuie le régime local ». Une enquête de l’époque indique que l’aide au Congo est de nature militaire : une délégation d’officiers israéliens comprenait des instructeurs parachutistes de l’école israélienne des parachutistes, des forces parachutistes et de l’infanterie, et en 1969, 117 Congolais poursuivaient leur formation militaire en Israël. « Le régime s’appuie surtout sur l’armée et en premier lieu sur ses parachutistes. Ces derniers constituent « la colonne vertébrale du régime », ce qui explique l’admiration et l’appréciation d’Israël par Mobutu. L’enquête de janvier 1973 indique également que les parachutistes sont « la colonne vertébrale du régime ».

Bien que le régime du général Mobutu se soit appuyé sur la force parachutiste créée et entraînée par des officiers israéliens, en raison de la pression constante exercée par les pays arabes et pour renforcer sa position parmi les dirigeants des nations africaines, le général Mobutu a profité du déclenchement de la guerre du Kippour (1973) pour rompre ses liens diplomatiques avec Israël. Mobutu l’a annoncé à l’ONU et a entamé la deuxième vague de déconnexion avec Israël (la première vague s’était produite après la guerre de 1967).

L’aide que le Zaïre a reçue des pays arabes pour mettre fin à ses liens diplomatiques avec Israël était négligeable et n’a pas empêché l’État de ne pas pouvoir rembourser ses énormes dettes et d’éviter la faillite. Outre la chute des cours mondiaux des matières premières dont l’exportation constituait l’essentiel de l’économie congolaise, la raison de la grave crise économique qui a caractérisé le régime de Mobutu au cours de ces années était son extrême corruption. Celle-ci a conduit le Congrès usaméricain à limiter l’aide US, a créé des obstacles pour les prêts de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, et a tenu les investisseurs étrangers à distance.

Outre les intérêts militaires et politiques, les relations entre Israël et le Zaïre reposaient sur les idées profondément judéophobes du général Mobutu et leur entretien constant par les représentants de l’État d’Israël. Des documents du ministère des Affaires étrangères révèlent que le général Mobutu pensait qu’Israël contrôlait les capitaux usaméricains et mondiaux, ainsi que les investisseurs, les hommes politiques et les journalistes juifs du monde entier, qui, selon lui, pouvaient sauver le Zaïre de ses crises politiques et économiques après avoir reçu les instructions appropriées de Jérusalem. Des personnalités israéliennes de haut rang ont répété au général Mobutu des promesses creuses visant à motiver les Juifs des USA et du monde entier à le soutenir. Confronté à la réalité, Mobutu n’a pas conclu que l’État d’Israël et le peuple juif ne contrôlaient pas le monde, mais a plutôt grommelé, croyant que les Juifs ne l’aideraient pas en raison du ressentiment et de la vengeance du gouvernement israélien.

Le gouvernement israélien a décidé d’utiliser les opinions judéophobes du général Mobutu pour le convaincre de renouer leurs relations mutuelles. Un document préparé par le ministère des Affaires étrangères avant la visite de son directeur au Zaïre, prévue pour mars 1980, indique que « l’aide usaméricaine au Zaïre est fixée cette année à 40 millions de dollars. Le Congrès usaméricain a sévèrement critiqué le Zaïre pour la corruption dans l’attribution des fonds qui atterrissent dans des coffres privés, pour le gaspillage de la nourriture et de ses ventes, pour l’utilisation privée des avions qui ont été donnés par les USA au Zaïre en tant qu’aide économique, etc. On peut doucement suggérer que grâce à nos relations spéciales avec le Congrès et le gouvernement, nous pourrions contribuer à améliorer les relations entre le Zaïre et les USA ».

Dans le cadre des négociations visant à renouer les relations entre les deux États, Israël a accepté de prendre en charge l’administration et le développement agricole du ranch privé (environ 100 000 dunams, 10 000 hectares) que le général Mobutu s’était créé près de son village natal avec des fonds qu’il avait volés dans les coffres de l’État. Selon un rapport préparé par le nouveau directeur du ministère des Affaires étrangères, David Kimche, le 29 mars 1981, lors de sa visite au Zaïre, il a été conduit dans l’avion privé de Mobutu jusqu’au ranch et a rencontré cinq Israéliens qui le géraient. Le directeur Kimche a écrit qu’il avait insisté auprès du général Mobutu sur le rôle d’Israël en tant qu’allié loyal - fort et courageux - et qu’avec l’élection de Ronald Reagan à la présidence des USA, Israël serait en mesure d’influencer ses amis usaméricains plus que par le passé.

Le directeur Kimche a informé Mobutu que le nouveau secrétaire d’État Alexander Haig était sur le point de se rendre en Israël. Mobutu a demandé à Kimche de transmettre ses salutations à Haig et a demandé à Israël de commencer à réaliser ses intentions de rapprocher le Zaïre et les USA rapidement. Mobutu a également demandé l’aide d’Israël pour faciliter sa propre visite aux USA en septembre. Kimche a écrit dans son rapport au ministre qu’il pensait que « le Zaïre pourrait devenir un centre de renouveau de l’activité israélienne dans cette partie de l’Afrique, et que notre retour au Zaïre pourrait affecter notre activité dans d’autres parties du continent noir ». Kimche a supposé que les accords conclus avec Mobutu permettraient à Israël de « considérer les USAméricains comme ayant un poids réel sur le sujet africain ».

Le directeur Kimche et le général Mobutu décidèrent, dans un premier temps, d’établir un bureau discret pour les intérêts israéliens à Kinshasa, parrainé par une ambassade étrangère (après le refus du Danemark et de la Hollande, le gouvernement canadien accepta d’apporter son aide).

En ce qui concerne l’aide militaire, le général Mobutu a déclaré au directeur Kimche qu’il faisait confiance à Israël plus qu’à tout autre pays et qu’il avait donc besoin de l’aide israélienne sur « les sujets les plus délicats » - aide à l’organisation d’une unité spéciale pour sa sécurité personnelle et aide au suivi des activités des ambassades communistes à Kinshasa et en Libye. Le 13 avril 1981, le directeur de la section Afrique du ministère, Avi Primor, s’adresse à Aharon Sharf du Mossad, lui demandant de veiller à ce que le Mossad prenne en compte les demandes de Mobutu. Un rapport envoyé par le représentant du Mossad en Afrique au siège du Mossad en Israël indique que deux réunions avec le général Mobutu ont eu lieu, ainsi qu’une série de réunions avec les chefs des services de sécurité du Zaïre, et qu’« ils attendent de nous des conseils et une consultation professionnelle afin de renouveler complètement les relations entre les services, considérant cela comme un levier pour faire progresser nos liens politiques ».

Le 1er décembre 1981, le général Mobutu s’est rendu aux USA. L’ambassade d’Israël à Washington DC a rapporté que le chef de la sous-commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants sur l’Afrique, le membre du Congrès Howard Wolpe, a fait pression sur Mobutu pour qu’il renouvelle ses relations avec Israël et a demandé un calendrier opérationnel. Mobutu a demandé une aide financière usaméricaine et a déclaré à Wolpe qu’il était prêt à renouer immédiatement de telles relations et qu’il en faisait activement la promotion auprès d’autres pays africains. La déclaration de Mobutu ne convainc pas la commission d’attribution des fonds du Congrès US, qui décide de rejeter la recommandation d’attribuer 20 millions de dollars au Zaïre au titre de l’aide militaire, en raison de la corruption et de la possibilité que les fonds aboutissent dans des poches privées. Au lieu de cela, seuls 4 millions de dollars ont été approuvés. Mobutu, vexé, annonce qu’il renonce à l’aide usaméricaine.

Le 30 décembre 1981, un représentant du Mossad a rencontré le général Mobutu et ils ont convenu d’une visite en Israël des chefs des services de sécurité du Zaïre en janvier 1982. Mobutu a déclaré qu’il était en train de persuader le président de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny  de renouer les relations de son pays avec Israël et qu’il avait demandé au représentant du Zaïre au Conseil de sécurité des Nations unies de s’abstenir de voter sur l’annexion par Israël du plateau du Golan.

En 1982, le Zaïre a été nommé membre temporaire du Conseil de sécurité des Nations unies (l’ambassadeur du Zaïre a ensuite été choisi pour présider le Conseil), et les discussions du Conseil sur l’application de sanctions à l’encontre d’Israël à la suite de sa législation sur l’annexion du Golan ont constitué le premier test pour les relations qui se développaient entre les deux États.

Le 12 janvier 1982, le chef de la section Afrique du ministère israélien des Affaires étrangères a envoyé un télégramme à la délégation israélienne à Kinshasa, arguant que le général Mobutu devrait être encouragé à faire en sorte que son ambassadeur à l’ONU échange des vues avec Yehuda Blum, l’ambassadeur israélien en poste à Kinshasa. Les USA ont également fait pression sur Mobutu. L’ambassadeur du Zaïre a d’abord procédé à diverses manipulations afin de retarder le vote et d’adoucir les motions relatives aux sanctions contre Israël, à la fois pour apaiser Israël et pour éviter que les USA n’aient à exercer leur droit de veto. Finalement, l’ambassadeur du Zaïre a voté en faveur d’une motion pro-syrienne. Alors qu’Israël et les USA ont d’abord supposé qu’il avait reçu des pots-de-vin et qu’il avait agi contrairement aux instructions du général Mobutu, on a compris par la suite que Mobutu lui-même avait cédé pour que le Zaïre ne soit pas le seul État africain à s’opposer à la motion. Israël a été irrité et a transmis au général Mobutu des messages précisant que la seule façon de l’apaiser, ainsi que les USA, était de déclarer immédiatement la reprise des relations diplomatiques. Mobutu répondit qu’il ne pouvait se permettre de reconnaître Israël seul, mais fit savoir qu’il essaierait d’organiser une conférence réunissant plusieurs chefs d’État afin de les convaincre de se joindre à lui pour cette reprise.

Le 2 mai 1982, le ministère israélien des Affaires étrangères informe la délégation israélienne à Kinshasa que le ministère de la Défense a décidé de prêter au Zaïre 8 millions de dollars pour l’achat d’équipements militaires. Le 14 mai, jour de l’indépendance d’Israël, lors de la convention du parti au pouvoir au Zaïre, le général Mobutu annonce qu’il a décidé de renouer des relations complètes avec Israël après que ce dernier a achevé son retrait du sol africain (péninsule du Sinaï). Mobutu a expliqué qu’il avait pris cette décision seul, en s’inspirant de Sadate qui avait décidé de se rendre à Jérusalem sans consulter les dirigeants des autres États arabes. Ainsi, tout comme le Zaïre a été le premier État africain à rompre ses liens avec Israël après la guerre de 1973, il a été le premier État de tout le continent africain à les renouer.

À la suite de la déclaration publique de Mobutu sur le renouvellement des relations, l’État d’Israël a lancé une « campagne de félicitations » mondiale qui a alimenté les perceptions judéophobes de Mobutu et a gonflé ses fausses attentes à l’égard des Juifs. Dans un télégramme daté du 21 mai, l’envoyé israélien à Washington, Ya’akov Nehushtan, a informé le ministère des Affaires étrangères à Jérusalem que l’ambassade israélienne avait contacté de nombreux membres du Congrès et leur avait demandé de s’exprimer publiquement en faveur de la décision du Zaïre, et qu’en conséquence, de nombreux membres du Congrès, y compris le député Chuck Schumer, avaient envoyé leurs salutations à Mobutu et l’avaient félicité pour cette démarche. Les ambassades et missions israéliennes dans le monde entier ont demandé aux communautés juives, aux organisations nationales (par exemple AIPAC, Anti-Defamation League et Bnai Brith) et aux organisations locales des USA (Boston, Atlanta, Philadelphie, Miami, Chicago, Washington et Los Angeles), du Canada, de l’Italie, de la Belgique, de la France, de l’Australie et de la Grande-Bretagne d’envoyer des messages de félicitations et d’encouragements à Mobutu.

Le 14 juin, le chef de l’Agence de renseignements du Zaïre se rend en Israël et remet au Premier ministre Begin un mémorandum de 26 pages contenant des demandes d’aide du général Mobutu ainsi que des affirmations antisémites, déclarant notamment que « nous savons que le peuple juif et l’État d’Israël sont capables de servir de médiateurs avec certains gouvernements et institutions financières internationales, tant publiques que privées, qui jouissent souvent d’une participation juive assez importante ». Ainsi, Mobutu demandait de l’aide pour faire pression sur le Fonds monétaire international afin qu’il lui prête un milliard de dollars pour 3 ans et pour convaincre ses créanciers des banques européennes d’étaler le remboursement des prêts du Zaïre sur 25 ans.

En outre, Mobutu a demandé que le peuple juif, les organisations et les institutions juives investissent au Zaïre afin que cette aide juive massive convainque d’autres Etats africains de renouer leurs relations avec l’Etat d’Israël. En ce qui concerne l’aide militaire, Mobutu a déclaré : « Notre grand espoir est que l’État d’Israël nous offre une aide pour la formation d’unités supplémentaires et l’achat d’équipements pour nos forces terrestres, aériennes et navales. En ce qui concerne la sécurité intérieure, il est urgent de disposer de renseignements précis et rapides afin de prévenir les nombreuses incursions dans notre pays à partir des pays voisins. Le Zaïre a besoin d’aide en matière d’orientation et d’équipement. L’expérience d’Israël dans ce domaine est connue dans le monde entier ».

Le même jour, le directeur adjoint Ben Horin écrit au directeur Kimche pour lui dire que « le ton de ce mémorandum, tant dans la description des problèmes du Zaïre que dans ses attentes à notre égard, est plutôt sévère », et qu’« il y a déjà une présence militaire israélienne au Zaïre, à la fois comme instructeur militaire et comme champ d’action du Mossad ».

Le 20 juin 1982, Kimche dit au délégué israélien à Washington que le Premier ministre Begin a l’intention de rencontrer Wolpe au Congrès, car « même si le Premier ministre ne persuade pas Wolpe, il est crucial que cette rencontre ait lieu car nous devons montrer à Mobutu que nous avons fait tout ce que nous pouvions ». Le 24 juin, le Premier ministre Begin a envoyé une lettre à Mobutu détaillant ses entretiens à Washington DC, au Congrès et avec l’administration US. Puis, lors de la prestation de serment de l’ambassadeur d’Israël au Zaïre, Michael Michael, le 28 juin, selon l’ambassadeur Michael, le général Mobutu a demandé à « son ami Arik Sharon un cadeau très sérieux et urgent - de l’artillerie de plus de 120 mm, y compris des munitions provenant du butin d’Israël au Liban - crucial pour ses besoins ».

La seule personne au ministère des Affaires étrangères qui ait explicitement mis en garde contre le danger de nourrir les idées judéophobes du général Mobutu était l’ambassadeur d’Israël à Kinshasa, Michael Michael. Dans un télégramme adressé au ministère à Jérusalem le 15 juillet 1982, l’ambassadeur Michael écrivait qu’il était « convaincu que la véritable et principale raison qu’avait Mobutu de renouer ses relations avec nous était sa volonté de voir les USA investir dans l’aide, les prêts et surtout dans la légitimation de son propre pouvoir. Les Protocoles des Sages de Sion dans leur version positive lui ont fait croire qu’il pouvait le faire en utilisant Israël. Apparemment, toutes les autres considérations (et elles sont, bien sûr, nombreuses) sont secondaires ou même de simples excuses présentées aux autres et peut-être à lui-même ».

L’ambassadeur Michael a averti que « puisque les attentes [de Mobutu] ne sont pas viables, sauf dans leur version la plus censurée, il est probable que dans quelques mois, il sera convaincu qu’il a échoué. Il est clair qu’il sera profondément furieux contre nous. L’ampleur de ses attentes, de ses déceptions, de sa personnalité et de ses traits de caractère pourrait l’amener à prendre des décisions hâtives et lourdes de conséquences ». Plus précisément, l’ambassadeur a averti qu’ « Israël devrait s’abstenir autant que possible de toute visite de délégations pour examiner les possibilités. Nous savons qu’aucune banque ne lui offrira de crédit, il le sait aussi bien que nous, et il considère donc ces délégations comme des illusions. Cela rend également sa situation interne plus difficile parce que chaque délégation de ce type est présentée, malheureusement, comme un faux messie ». Par conséquent, l’ambassadeur Michael a suggéré qu’« il semble favorable de le convaincre que ses raisons diffèrent de celles mentionnées ci-dessus et de lui faire croire cela, ou alternativement qu’il ne serait pas en mesure de battre en retraite ». Les documents du ministère des Affaires étrangères montrent que Mobutu n’a pas changé ses idées judéophobes et que l’État d’Israël a continué à les utiliser pour promouvoir ses propres intérêts, mais comme l’avait prédit l’ambassadeur Michael, Mobutu ne pouvait pas renoncer au renouvellement des relations car, outre la crainte de la réaction usaméricaine, Israël était responsable de la formation et de l’équipement de la brigade présidentielle au Zaïre et, en fait, de la sécurité physique de Mobutu et de son cercle rapproché.

Le Premier ministre Begin avait prévu de se rendre au Zaïre à l’été 1982. Cette visite a été reportée à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’elle soit finalement annulée en raison de la première guerre du Liban et de l’embourbement d’Israël à Beyrouth. Le 1er  décembre 1982, le ministre des Affaires étrangères Yitzhak Shamir a rencontré Mobutu et a signé un accord d’assistance technique.

Les efforts déployés par l’ambassade israélienne de Washington en faveur du Zaïre sont une grave erreur.

Le 3 janvier 1983, le conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères, Elyakim Rubinstein, rapporte au directeur du ministère, Kimche, que le président du Congressional Black Caucus du Congrès américain lui a dit que « selon lui, les efforts déployés par l’ambassade israélienne de Washington en faveur du Zaïre étaient une grave erreur ». Le régime zaïrois est considéré comme le plus corrompu, le plus rapace et le plus oppressif. Une délégation du Congrès à Kinshasa a même vu les hommes de Mobutu battre des opposants après que ces derniers eurent rencontré les invités usaméricains. Le soutien et la pression de notre part en faveur du Zaïre servent d’arme à nos ennemis et aux éléments hostiles aux USA ». Rubinstein a répondu au président que le soutien d’Israël au Zaïre était dû au courage de Mobutu de « briser la glace » et ne devait en aucun cas être considéré comme une identification d’Israël à sa politique intérieure.

Mobutu et Haïm Herzog, 1984

En janvier 1984, le président israélien Haïm Herzog s’est rendu au Zaïre. Le résumé, préparé par le directeur de la section Afrique Avi Primor sur la visite du président au Zaïre, indique que Herzog a entendu Mobutu exprimer « des choses dures sur un ton amer ». Mobutu s’est plaint qu’Israël exigeait qu’il « mette un dollar sur la table avant de recevoir une seule balle... », offensé que « nous le tenions par la gorge », et déçu qu’aucune activité israélienne et usaméricano-juive n’ait été notée au Zaïre malgré les nombreux messages encourageants des USAméricains juifs. En ce qui concerne l’aide économique, Primor écrit qu’Israël n’a pas encore réussi à convaincre les USAméricains juifs et les entreprises israéliennes d’investir au Zaïre en raison des dangers qu’il présente et parce que le gouvernement israélien n’est pas disposé à garantir et à assurer le commerce extérieur avec ce pays.

Le 13 avril 1984, l’ambassadeur israélien à Kinshasa, Michael, qui avait été ambassadeur en Ouganda en 1960-1965 et avait assisté à la montée au pouvoir d’Idi Amin Dada, a envoyé un télégramme au ministère israélien des Affaires étrangères à Jérusalem mettant en garde contre la répétition au Zaïre du processus du « syndrome de l’Ouganda » dont les principaux ingrédients avaient été « notre volonté de nous concentrer et d’investir davantage dans les unités de formation destinées à préserver le régime, et moins dans celles destinées à maintenir la sécurité de l’État. Voulant sincèrement faire un travail parfait, nous avons renforcé les unités d’élite, ce qui était plus facile à faire là-bas. Cela a impliqué de contenir de plus en plus d’unités dans la Garde présidentielle, qui a gagné en moyens et en effectifs ».

L’ambassadeur Michael a recommandé de ne pas élargir le cadre de la brigade présidentielle, de créer plutôt une force d’artillerie et de s’impliquer de plus en plus dans la formation de la division Kamanyola. Il a supposé que de cette façon, « des points de pouvoir séparés, parallèles et indépendants apparaîtraient dans l’armée zaïroise, et que nous transférerions de plus en plus nos efforts au service de l’État du Zaïre et non exclusivement à la sécurité de son régime ». Il prévient que le renforcement de la Garde présidentielle pourrait créer « un “golem” qui finirait par se dresser contre le souverain », c’est-à-dire un coup d’État militaire. Il conclut son télégramme en écrivant que « nous contribuons en fait à faire exploser la Brigade présidentielle - une armée dans l’armée, un État dans l’État ».

Dans un rapport du 30 août 1984 sur sa réunion d’adieu avec le général Mobutu, l’ambassadeur Michael parle de la plainte de Mobutu : « Lorsqu’il doit envoyer des soldats suivre un cours en Israël, on lui dit qu’il doit d’abord déposer l’argent. Le matériel militaire reste inutilisé parce que les Israéliens ne veulent pas envoyer de pièces détachées avant d’avoir été payés quelques centaines de dollars. Cela a également un impact sur la formation des unités. Aucun autre État n’agit de la sorte, seul Israël le fait ».

Le 2 novembre 1984, le nouvel ambassadeur israélien au Zaïre, Yitzhak Sarfatti, a prêté serment.

Selon un télégramme, le 24 septembre 1984, Mobutu a rencontré le chef de la Conférence des présidents des principales organisations juives usaméricaines aux USA et Abe Foxman de l’Anti-Defamation League. Lors de cette réunion, Mobutu leur a posé une question “protocolaire” : « Vous avez de l’influence sur la Colline [le Capitole] et dans le gouvernement, dans les médias et dans les banques. Peut-être allez-vous essayer de persuader Wolpe de changer son approche du Zaïre ? ».

Le 6 février 1985, Mobutu a nommé l’ambassadeur du Zaïre en Israël, Negbanda Zambo Ku Atumba (nommé ambassadeur en Israël en novembre 1983), chef de ses services de sécurité. Il devait se rendre en Israël pour une visite d’adieu en avril. Dans un télégramme adressé à l’ambassadeur d’Israël à Kinshasa, MSarfatti, le 19 avril 1985, le chef de la section Afrique du ministère des Affaires étrangères a écrit que Negbanda était arrivé en Israël un jour plus tôt et que le Mossad lui avait offert un « programme d’études denses ». Negbanda a également rencontré le Premier ministre Shimon Peres.

“En signe d’amitié et de coopération, Israël a donné au Zaïre divers équipements militaires d’une valeur totale de 15 millions de dollars.”

Dans un document daté du 14 avril 1985 et portant sur les activités de la délégation militaire israélienne au Zaïre, Yitzchak Aviran, alors chef de la section Afrique au ministère des Affaires étrangères, écrit qu’« en gage d’amitié et de coopération, Israël a donné au Zaïre divers équipements militaires d’une valeur totale de 15 millions de dollars » et que l’unité « Cobra » a été entraînée en Israël.

En raison des conditions de ses prêts auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, le Zaïre était limité dans l’obtention de prêts supplémentaires et avait donc des difficultés à financer l’aide militaire israélienne avec des crédits israéliens. Dans un télégramme envoyé par Tzvi Reuter, chef de l’unité d’exportation militaire du ministère de la Défense (SIBAT) au directeur adjoint Avi Primor le 22 avril 1985, il avertit qu’une brigade supplémentaire à Kamanyola ne serait pas opérationnelle sans l’achat d’équipements militaires supplémentaires en Israël et que la délégation militaire israélienne au Zaïre pourrait devoir être réduite, la plupart des officiers israéliens devant peut-être être renvoyés au pays. Reuter demande qu’une résolution soit prise en tenant compte des implications politiques.

Le 25 mars 1985, le général Mobutu décide d’accepter l’invitation du président Herzog à se rendre à nouveau en Israël. Le 5 mai, Mobutu a rencontré l’ambassadeur israélien Sarfatti à Kinshasa et s’est souvenu de ses rencontres avec les anciens chefs d’état-major Mota Gur, Yitzhak Rabin et Shimon Peres lors de sa précédente visite en 1963. Mobutu a déclaré qu’il était heureux d’entendre parler de la possibilité de planter une forêt en Israël en son nom, et qu’il serait ravi de visiter la base aérienne de Tel Nof. L’ambassadeur Sarfatti a suggéré au ministère israélien des Affaires étrangères de faire rencontrer à Mobutu des officiers israéliens qu’il avait rencontrés en 1963 et d’organiser « un petit événement de souvenir (avec des diapositives) » pour le toucher au cœur. En réponse, l’armée israélienne a suggéré que sa visite à Tel Nof comprenne une rencontre avec des instructeurs de parachutistes, une visite des installations d’entraînement et un spectacle de parachutisme. Le discours préparé le 10 mai pour le président Herzog et destiné à être prononcé lors de la cérémonie de réception de Mobutu contenait les mots suivants : "Le peuple israélien est fier, Monsieur le Maréchal, de l’insigne de parachutiste que vous avez reçu après avoir suivi l’entraînement et passé les examens comme n’importe quel parachutiste israélien. C’est un honneur pour nous ».

Un document intitulé « Sujets de conversation avec le président du Zaïre », préparé pour la prochaine visite de Mobutu en Israël, indique que « peu de mois après avoir renoué les relations en mai 1982, Mobutu a commencé à manifester des sentiments de frustration. Il a déclaré que nous ne répondions pas aux attentes ni aux promesses. Cette frustration s’est exprimée dans des discussions qui sont devenues de plus en plus difficiles avec les représentants israéliens qui ont rencontré Mobutu en 1983-1984. Même notre président, accueilli au Zaïre beaucoup plus chaleureusement que d’habitude, a entendu des mots très durs de la part de Mobutu lors d’une conversation entre quatre-z-yeux ». En ce qui concerne la situation économique, le rapport indique que « le Zaïre a du mal à se débarrasser de ses dettes qui s’élèvent à 5 milliards de dollars, malgré les arrangements avec le Fonds Monétaire International et les groupes de banques de Paris et de Londres pour le report des dettes ». En ce qui concerne la coopération économique, le rapport indique qu’« il n’y a pratiquement pas d’activité économique israélienne au Zaïre à l’heure actuelle ». Nous savons maintenant qu’aucune activité économique de ce genre ne pourrait se développer sans que le gouvernement israélien ne change d’attitude et ne donne à nos entreprises l’assurance d’agir au Zaïre » En ce qui concerne la coopération militaire, il est dit que « Mobutu a du mal à financer les unités dont l’entraînement a été laissé à notre personnel et surtout à leur acheter du matériel. Il est également assez amer des sommes considérables que lui coûtent nos officiers (environ 10.000 dollars chacun). Mobutu nous demande donc de lui permettre d’avoir des crédits pour acheter du matériel en Israël, de se faire offrir des cadeaux par l’armée israélienne et de nous faire couvrir en partie les frais d’entretien de nos officiers au Zaïre ».

Au sujet du lobby de Washington, le document indique que « Mobutu prétend que malgré nos promesses, nous n’avons pas réussi à améliorer sa situation au Capitole, alors que ses adversaires y sont tous des juifs amis d’Israël. Il a raison sur ce point. Il se rend également compte que l’establishment juif usaméricain n’a pas l’impression qu’il s’agit de notre priorité absolue, car les pressions exercées sur cet establishment ne sont que des pressions de bas étage et ne sont donc pas efficaces ». Quant à la sensibilité aux liens de l’État d’Israël avec le régime d’apartheid, si le sujet est abordé lors de rencontres avec Mobutu, il faut lui dire que « les Juifs ont joué un rôle important dans la lutte contre l’apartheid sud-africain » et que « les efforts déployés par Israël pour faire venir des Juifs éthiopiens en Israël contredisent la légende selon laquelle le sionisme est du racisme ».

Selon un résumé préparé par le chef de la délégation de l’armée israélienne au Zaïre, le colonel Joseph Shevo, pour une discussion avec les directeurs des ministères des Affaires étrangères et de la Défense le 3 mai 1985, au sujet de la prochaine visite de Mobutu en Israël, la reprise des activités militaires au Zaïre a commencé en 1982 avant même le renouvellement des relations diplomatiques entre les deux États, puisqu’une délégation de conseillers a été envoyée pour former la Brigade présidentielle et que du matériel militaire d’une valeur de 8 millions de dollars a été acheté en Israël. Des conseillers ont été envoyés pour fonder et former un régiment, former le régiment de cérémonie, et pour l’entretien, l’armement et le renseignement, ainsi qu’un conseiller personnel pour le commandant de la brigade.

Selon le résumé de Shevo, le 20 janvier 1983, le ministre de la Défense Ariel Sharon a signé un contrat d’aide militaire avec le ministre de la Défense du Zaïre. Le contrat prévoyait l’envoi de 21 conseillers (en fait, 13 ont été envoyés en raison du problème de paiement du Zaïre), la création et l’entraînement de la brigade présidentielle, l’organisation et le rétablissement de la division Kamanyola, l’aide à la réorganisation de la marine zaïroise et l’aide à l’équipement de communication. Il a été décidé qu’Israël équiperait l’unité d’artillerie à titre de don. Il a été convenu que l’ensemble des achats militaires pour 1984 s’élèverait à 15 millions de dollars, pour lesquels l’Etat d’Israël s’est engagé à assurer un crédit roulant d’un montant de 8 millions de dollars. Sur la liste des achats et des conseillers prévus, le Zaïre a acheté du matériel pour un montant de 3 millions de dollars pour la division Kamanyola et a payé 300.000 dollars pour les conseillers. Un régiment de parachutistes a été créé et équipé au sein de la Brigade présidentielle, le régiment de cérémonie a reçu une formation de base et la compagnie d’élite « Cobra » a été formée, notamment à l’utilisation des armes à feu et à la garde du corps. En outre, il y a eu la formation d’un cadre de cours d’officiers, d’un cours de commandants d’escouade et de deux compagnies de recrues. Le personnel « Cobra » a également été formé en Israël. Le colonel Shevo a écrit que sans l’achat de l’équipement nécessaire à la formation, il est inutile de maintenir certains conseillers militaires israéliens sur place, et que dans le format actuel, ils termineraient leur travail jusqu’à la fin de l’année 1985.

Le général Mobutu s’est rendu en Israël entre Le 12 et le 17 mai. Il a visité Yad Vashem (site et musée commémoratifs de l’Holocauste), et le chef d’état-major israélien Moshe Levi l’a accompagné dans sa visite « nostalgique » à Tel Nof. Les résumés du ministère des Affaires étrangères indiquent que lors d’un déjeuner avec le Premier ministre Shimon Peres, Mobutu s’est plaint que, malgré le renouement des relations avec Israël, le Congrès usaméricain, et en particulier les membres juifs du Congrès, continuaient à lui manifester leur hostilité, de même que les organisations internationales. Mobutu a mentionné que lors de la visite du Président Herzog au Zaïre, l’avion du Président a livré du matériel au Zaïre, soulignant que cela s’inscrivait dans le cadre de l’accord sur la Brigade Présidentielle. Le Premier ministre Peres a dit à Mobutu qu’il confirmait le crédit pour l’achat d’équipement militaire supplémentaire et qu’il nommerait un comité pour vérifier les détails et les conclure. Le lendemain, lors du petit-déjeuner avec Yitzhak Shamir, ministre des Affaires étrangères, Mobutu s’est plaint que la presse israélienne écrivait des choses totalement fausses sur lui et sur le Zaïre.

Un rapport de la visite préparé par le chef de la section Afrique du ministère des Affaires étrangères, Yitzhak Aviran, le 19 mai, mentionne que le ministre de la Défense Rabin a remercié Mobutu d’avoir entièrement payé les salaires des conseillers israéliens stationnés au Zaïre, et a annoncé qu’à l’avenir Israël couvrirait 50 % de leur paiement, accorderait au Zaïre un crédit de 8 millions de dollars pendant six ans pour l’achat de son équipement militaire, et financerait toute la formation en Israël des soldats et des officiers de la Brigade présidentielle et de la Division Kamanyola.

Le 20 août 1985, lors d’une réunion avec l’ambassadeur israélien Sarfatti à Kinshasa, Mobutu s’est plaint qu’Israël intervenait dans la décision concernant la force armée qui recevrait l’équipement acheté avec le prêt, et qu’il souhaitait le diriger vers de nouvelles unités qu’il était sur le point de créer. Un rapport préparé par le directeur adjoint du ministère des Affaires étrangères, Primor, en octobre 1985, indique que le premier ministre Peres a rencontré Mobutu à New York, mais aucun document ne fait état de leur entretien. Uri Savir, présent à la réunion, a déclaré qu’il avait noté « à peine quatre lignes », Mobutu ayant simplement répété les mêmes « plaintes et ressentiments » qu’il avait à l’égard d’Israël.

Un rapport de la réunion tenue à Kinshasa par le représentant du ministère israélien de la Défense avec le ministre zaïrois de la Défense, le 29 octobre 1987, indique que le statut de Mobutu et sa domination absolue sur tous les centres de pouvoir du pays se poursuivent, et que Mobutu s’est à nouveau tourné vers Israël en lui demandant d’exercer son influence sur le Congrès usaméricain par l’intermédiaire du lobby juif afin de changer le traitement qui lui était réservé. Elle indique également que les documents de crédit d’un montant de 8 millions de dollars ont été signés par les ministres israéliens de la défense et du trésor et qu’ils attendent la signature du procureur général. A l’issue de cette procédure, Israël pourrait remettre cette somme au Zaïre. Une délégation de l’armée israélienne composée de neuf officiers a formé la division Kamanyola et la brigade présidentielle. L’ambassade suppose que « l’aggravation de la crise économique amènera le président Mobutu à mettre à l’épreuve les promesses qu’il a reçues des dirigeants israéliens d’agir en son nom aux USA, et nos efforts à cet égard n’ont pas abouti en raison de l’image négative que le Zaïre a au Congrès et dans les médias usaméricains, alors que les graves problèmes dus à la nature de ce pays exigent un régime centralisateur et autoritaire ».

Les documents du ministère israélien des Affaires étrangères datant de la dernière décennie du règne de Mobutu jusqu’à son éviction par les sécessionnistes et les armées rwandaise et ougandaise le 14 mai 1997 n’ont pas encore été rendus publics. Les armées rwandaise et ougandaise étaient elles aussi équipées d’armes israéliennes. Le Zaïre a changé de nom pour devenir la République démocratique du Congo, et l’État d’Israël a continué à soutenir les dictateurs de la famille Kabila qui ont gouverné le pays et volé ses trésors jusqu’en 2019.