المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

29/06/2025

KENNETH WALTZ
Pourquoi l’Iran devrait obtenir la bombe
L’équilibre nucléaire serait synonyme de stabilité


Kenneth N. Waltz, Foreign Affairsjuillet/août 2012

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Cet article, paru en juillet 2012 alors que le troisième round de négociations venait de sachever à Moscou entre l’Iran et le groupe dit P5+1 (USA, Russie, Chine, Allemagne, France, Royaume-Uni) avait, lors de sa publication par la prestigieuse revue Foreign Affairs, suscité bien des controverses. Or, à le lire aujourd’hui, on ne peut que constater qu’il relève d'un certain bon sens dystopique mais somme toute réaliste. Son auteur, mort en 2013 à 89 ans, était un théoricien des relations internationales, fondateur du courant dit néoréaliste dans les sciences politiques aux USA. Un article qui n’a rien perdu de son actualité.-FG

 

Carlos Latuff, 2012

Ces derniers mois ont été marqués par un débat houleux sur la meilleure façon pour les USA et Israël de répondre aux activités nucléaires de l’Iran. Alors que le débat faisait rage, les USA ont renforcé leur régime de sanctions, déjà musclé, à l’encontre de la République islamique, et l’Union européenne a annoncé en janvier qu’elle commencerait à imposer un embargo sur le pétrole iranien à partir du 1er juillet. Bien que les USA, l’Union européenne et l’Iran soient récemment revenus à la table des négociations, un sentiment palpable de crise plane toujours.


Bibi après les bombardements sur l’Iran : “ ça pourrait signifier la fin du régime
Ben-Gvir : “Il parle bien de l’Iran, hein ?
Smotrich :“Oui, oui
Dessin de David Rowe, The Australian Financial Review, 17/6/2025

Cela ne devrait pas être le cas. La plupart des commentateurs et des décideurs usaméricains, européens et israéliens avertissent qu’un Iran doté de l’arme nucléaire serait la pire issue possible de l’impasse actuelle. En fait, il s’agirait probablement de la meilleure issue possible : celle qui est la plus susceptible de restaurer la stabilité au Moyen-Orient.

LA PUISSANCE NE DEMANDE QU’À ÊTRE ÉQUILIBRÉE

La crise liée au programme nucléaire iranien pourrait prendre fin de trois manières différentes. Tout d’abord, la diplomatie associée à des sanctions sévères pourrait convaincre l’Iran d’abandonner sa quête de l’arme nucléaire. Mais ce résultat est peu probable : l’histoire montre qu’il est rarement possible de dissuader un pays de se doter d’armes nucléaires. Punir un État par des sanctions économiques ne fait pas inexorablement dérailler son programme nucléaire. Prenons l’exemple de la Corée du Nord, qui a réussi à fabriquer ses armes en dépit d’innombrables séries de sanctions et de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Si Téhéran décide que sa sécurité dépend de la possession d’armes nucléaires, il est peu probable que les sanctions le fassent changer d’avis. En fait, l’ajout de sanctions supplémentaires aujourd’hui pourrait faire en sorte que l’Iran se sente encore plus vulnérable, ce qui lui donnerait encore plus de raisons de rechercher la protection de la force de dissuasion ultime.

La deuxième possibilité est que l’Iran ne teste pas d’arme nucléaire mais développe une capacité de rupture [breakout capability, capacité de sortir de l’état de désarmement nucléaire], c’est-à-dire la capacité de construire et de tester une arme nucléaire assez rapidement. L’Iran ne serait pas le premier pays à se doter d’un programme nucléaire sophistiqué sans construire de véritable bombe. Le Japon, par exemple, dispose d’une vaste infrastructure nucléaire civile. Les experts estiment qu’il pourrait produire une arme nucléaire à brève échéance.

Une telle capacité pourrait satisfaire les besoins politiques internes des dirigeants iraniens en assurant aux partisans de la ligne dure qu’ils peuvent bénéficier de tous les avantages de la bombe (comme une plus grande sécurité) sans les inconvénients (comme l’isolement et la condamnation de la communauté internationale). Le problème est qu’une capacité de rupture pourrait ne pas fonctionner comme prévu.

Les USA et leurs alliés européens sont principalement préoccupés par la militarisation, et pourraient donc accepter un scénario dans lequel l’Iran ne parviendrait pas à se doter d’une arme nucléaire. Israël, en revanche, a clairement indiqué qu’il considérait une capacité d’enrichissement iranienne significative comme une menace inacceptable. Il est donc possible qu’un engagement vérifiable de l’Iran à ne pas se doter d’une arme puisse apaiser les grandes puissances occidentales mais laisser les Israéliens insatisfaits. Israël serait moins intimidé par une arme nucléaire virtuelle que par une arme réelle et poursuivrait donc probablement ses efforts risqués de subversion du programme nucléaire iranien par le sabotage et l’assassinat, ce qui pourrait amener l’Iran à conclure qu’une capacité de rupture est finalement un moyen de dissuasion insuffisant et que seul l’armement peut lui apporter la sécurité qu’il recherche.

La troisième issue possible de l’impasse est que l’Iran continue sur sa lancée et devienne publiquement nucléaire en testant une arme. Les responsables usaméricains et israéliens ont déclaré que cette issue était inacceptable, arguant du fait qu’un Iran nucléaire constituait une perspective particulièrement terrifiante, voire une menace existentielle. Ce langage est typique des grandes puissances, qui se sont historiquement énervées chaque fois qu’un autre pays a commencé à développer sa propre arme nucléaire. Pourtant, jusqu’à présent, chaque fois qu’un autre pays a réussi à se frayer un chemin dans le club nucléaire, les autres membres ont toujours changé d’avis et décidé de s’en accommoder. En fait, en réduisant les déséquilibres en matière de puissance militaire, les nouveaux États nucléaires renforcent généralement la stabilité régionale et internationale, au lieu de la réduire.


Équilibre fragile, par Thiago Lucas, Brésil

Le monopole nucléaire régional d’Israël, qui s’est avéré remarquablement durable au cours des quatre dernières décennies, a longtemps alimenté l’instabilité au Moyen-Orient. Il n’existe dans aucune autre région du monde un État nucléaire isolé et incontrôlé. C’est l’arsenal nucléaire d’Israël, et non le désir de l’Iran d’en avoir un, qui a le plus contribué à la crise actuelle. Après tout, la puissance ne demande qu’à être équilibrée. Ce qui est surprenant dans le cas israélien, c’est qu’il ait fallu tant de temps pour qu’un équilibreur potentiel émerge.

Bien entendu, il est facile de comprendre pourquoi Israël veut rester la seule puissance nucléaire de la région et pourquoi il est prêt à recourir à la force pour garantir ce statut. En 1981, Israël a bombardé l’Irak pour éviter que son monopole nucléaire ne soit remis en cause. Il a fait de même avec la Syrie en 2007 et envisage maintenant une action similaire contre l’Iran. Mais les actes qui ont permis à Israël de conserver son avantage nucléaire à court terme ont prolongé un déséquilibre insoutenable à long terme. La capacité avérée d’Israël à frapper impunément ses rivaux nucléaires potentiels a inévitablement incité ses ennemis à développer les moyens d’empêcher Israël de recommencer. Ainsi, les tensions actuelles ne doivent pas être considérées comme les premières étapes d’une crise nucléaire iranienne relativement récente, mais plutôt comme les dernières étapes d’une crise nucléaire qui dure depuis des décennies au Moyen-Orient et qui ne prendra fin que lorsque l’équilibre des forces militaires sera rétabli.

DES CRAINTES INFONDÉES

L’une des raisons pour lesquelles le danger d’un Iran nucléaire a été largement exagéré est que le débat qui l’entoure a été faussé par des inquiétudes mal placées et des malentendus fondamentaux sur la manière dont les États se comportent généralement dans le système international. La première préoccupation majeure, qui sous-tend de nombreuses autres, est que le régime iranien est intrinsèquement irrationnel. Malgré l’idée largement répandue du contraire, la politique iranienne n’est pas le fait de “mollahs fous”, mais d’ayatollahs parfaitement sains d’esprit qui veulent survivre, comme n’importe quel autre dirigeant. Bien que les dirigeants iraniens se laissent aller à une rhétorique incendiaire et haineuse, ils ne montrent aucune propension à l’autodestruction. Les décideurs politiques des USA et d’Israël commettraient une grave erreur s’ils pensaient le contraire.

Pourtant, c’est précisément ce que de nombreux responsables et analystes usaméricains et israéliens ont fait. Présenter l’Iran comme un pays irrationnel leur a permis d’affirmer que la logique de la dissuasion nucléaire ne s’appliquait pas à la République islamique. Si l’Iran se dote d’une arme nucléaire, préviennent-ils, il n’hésitera pas à l’utiliser dans une première frappe contre Israël, même si, ce faisant, il s’expose à des représailles massives et risque de détruire tout ce qui est cher au régime iranien.

Bien qu’il soit impossible d’être certain des intentions iraniennes, il est beaucoup plus probable que si l’Iran souhaite se doter d’armes nucléaires, c’est pour assurer sa propre sécurité et non pour améliorer ses capacités offensives (ou s’autodétruire). L’Iran peut se montrer intransigeant à la table des négociations et défiant face aux sanctions, mais il agit toujours pour assurer sa propre préservation. Les dirigeants iraniens n’ont par exemple pas tenté de fermer le détroit d’Ormuz, bien qu’ils aient lancé des avertissements fanfarons à ce sujet après l’annonce par l’UE de son projet d’embargo pétrolier en janvier. Le régime iranien a clairement conclu qu’il ne voulait pas provoquer ce qui aurait certainement été une réponse usaméricaine rapide et dévastatrice à une telle action.

Néanmoins, même certains observateurs et décideurs politiques qui admettent que le régime iranien est rationnel craignent qu’une arme nucléaire ne l’enhardisse, en fournissant à Téhéran un bouclier qui lui permettrait d’agir de manière plus agressive et d’accroître son soutien au terrorisme. Certains analystes craignent même que l’Iran ne fournisse directement des armes nucléaires aux terroristes. Le problème de ces inquiétudes est qu’elles contredisent les antécédents de tous les autres États dotés d’armes nucléaires depuis 1945. L’histoire montre que lorsque des pays acquièrent la bombe, ils se sentent de plus en plus vulnérables et prennent conscience que leurs armes nucléaires font d’eux une cible potentielle aux yeux des grandes puissances. Cette prise de conscience décourage les États nucléaires d’agir de manière audacieuse et agressive. La Chine maoïste, par exemple, est devenue beaucoup moins belliqueuse après avoir acquis des armes nucléaires en 1964, et l’Inde et le Pakistan sont tous deux devenus plus prudents depuis qu’ils se sont dotés de l’arme nucléaire. Il y a peu de raisons de croire que l’Iran sortira de ce moule.

En ce qui concerne le risque de transfert à des terroristes, aucun pays ne pourrait transférer des armes nucléaires sans courir un risque élevé d’être découvert. Les capacités de surveillance des USA constitueraient un obstacle sérieux, tout comme leur capacité impressionnante et croissante à identifier la source des matières fissiles. En outre, les pays ne peuvent jamais contrôler entièrement ni même prévoir le comportement des groupes terroristes qu’ils soutiennent. Une fois qu’un pays comme l’Iran aura acquis une capacité nucléaire, il aura toutes les raisons de maintenir un contrôle total sur son arsenal. Après tout, la fabrication d’une bombe est coûteuse et dangereuse. Il serait insensé de transférer le produit de cet investissement à des parties qui ne sont pas dignes de confiance ou qui ne peuvent pas être gérées.

Une autre crainte souvent évoquée est que si l’Iran obtient la bombe, d’autres États de la région lui emboîteront le pas, ce qui entraînera une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient. Mais l’ère nucléaire a maintenant près de 70 ans et, jusqu’à présent, les craintes de prolifération se sont révélées infondées. Au sens propre, le terme “prolifération” signifie une propagation rapide et incontrôlée. Rien de tel ne s’est produit ; en fait, depuis 1970, l’émergence d’États nucléaires s’est nettement ralentie. Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que cette tendance change maintenant. Si l’Iran devenait la deuxième puissance nucléaire du Moyen-Orient depuis 1945, ce ne serait pas le début d’un glissement de terrain. Lorsqu’Israël a acquis la bombe dans les années 1960, il était en guerre avec nombre de ses voisins. Ses armes nucléaires représentaient une menace bien plus grande pour le monde arabe que le programme iranien ne l’est aujourd’hui. Si un Israël atomique n’a pas déclenché de course aux armements à l’époque, il n’y a aucune raison pour qu’un Iran nucléaire le fasse aujourd’hui.

LE REPOS ASSURÉ

En 1991, l’Inde et le Pakistan, rivaux historiques, ont signé un traité par lequel ils s’engageaient à ne pas prendre pour cible leurs installations nucléaires respectives. Ils ont compris que l’instabilité engendrée par les défis lancés à la dissuasion nucléaire de leur adversaire était bien plus inquiétante que cette dernière. Depuis lors, même face à de fortes tensions et à des provocations risquées, les deux pays ont maintenu la paix. Israël et l’Iran feraient bien de tenir compte de ce précédent. Si l’Iran se dote de l’arme nucléaire, Israël et l’Iran se dissuaderont mutuellement, comme l’ont toujours fait les puissances nucléaires. Il n’y a jamais eu de guerre totale entre deux États dotés de l’arme nucléaire. Une fois que l’Iran aura franchi le seuil nucléaire, la dissuasion s’appliquera, même si l’arsenal iranien est relativement petit. Aucun autre pays de la région ne sera incité à acquérir sa propre capacité nucléaire, et la crise actuelle se dissipera enfin, conduisant à un Moyen-Orient plus stable qu’il ne l’est aujourd’hui.

C’est pourquoi les USA et leurs alliés ne doivent pas se donner tant de mal pour empêcher les Iraniens de développer une arme nucléaire. La diplomatie entre l’Iran et les grandes puissances doit se poursuivre, car des lignes de communication ouvertes permettront aux pays occidentaux de mieux s’accommoder d’un Iran nucléaire. Mais les sanctions actuelles contre l’Iran peuvent être abandonnées : elles nuisent principalement aux Iraniens ordinaires et ne servent pas à grand-chose.

Plus important encore, les décideurs politiques et les citoyens du monde arabe, de l’Europe, d’Israël et des USA devraient être rassurés par le fait que l’histoire a montré que l’émergence de capacités nucléaires s’accompagne d’une stabilité accrue. En matière d’armes nucléaires, aujourd’hui comme hier, le plus peut être le mieux.

Pour un autre son de cloche, lire sur le même thème


“Zero Nukes”, la pièce centrale de l'exposition Amnesia Atómica NYC, de l'artiste Pedro Reyes, New York 2022, Mexico 2024

HANNO HAUENSTEIN
Pourquoi le “changement de paradigme” de l’Allemagne sur Israël est une grosse blague

Hanno Hauenstein, The Third Draft, 21/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Malgré certaines remarques critiques, l’Allemagne n’a pas changé sa position sur Israël et la Palestine. De Gaza à Téhéran, son soutien au génocide et à la guerre persiste, tandis que la Staatsräson [raison d’État] est en train d’être relookée.

 

Staatsräson
, par Peter Wall, 2013

Que signifie la Staatsräson lorsque l’Allemagne soutient le génocide perpétré par Israël à Gaza ?
Les deux dernières années apportent une réponse douloureusement simple : ce concept s’est largement détaché de tout fondement éthique. Il n’affirme plus la responsabilité historique de l’Allemagne – à supposer qu’il l’ait jamais vraiment fait. Au contraire, il la sape.

Et pourtant, ces dernières semaines, des fissures ont commencé à apparaître dans ce qui semblait depuis longtemps être un consensus allemand inébranlable sur Israël.

Le porte-parole de la CDU pour la politique étrangère, Johann Wadephul, un atlantiste pur et dur, a déclaré à la Süddeutsche Zeitung qu’il était discutable que les actions d’Israël à Gaza restent « compatibles avec le droit international humanitaire ». Il a ajouté que les exportations d’armes seraient réexaminées – et éventuellement suspendues. Et le chancelier Friedrich Merz a déclaré à un journaliste que les objectifs stratégiques d’Israël à Gaza n’étaient plus clairs pour lui.

Ces deux déclarations contrastent fortement avec d’autres remarques faites par les mêmes personnes. Lors d’une visite en Israël début mai, Wadephul avait exprimé sa « compréhension » pour l’un des crimes de guerre les plus flagrants commis jusqu’à présent par Israël à Gaza : le blocus de l’aide humanitaire, c’est-à-dire l’utilisation de la famine comme arme. Il l’a justifié en invoquant des allégations selon lesquelles le Hamas en faisait un usage abusif, un récit avancé par Israël, mais non confirmé par des sources indépendantes.


-Vous avez qualifié la guerre d'Israël contre l'Iran de "sale boulot". Pouvez-vous nous éclairer sur cette déclaration ?
-Oui, Netanyahou, c'est notre homme à tout faire !
Dessin de RABE

Les remarques plutôt critiques de Wadephul et Merz ont été faites avant qu’Israël ne lance sa guerre illégale contre l’Iran, une opération qui semble au moins en partie destinée à redorer l’image d’Israël en Occident, non pas comme une force brutale et génocidaire, mais comme un rempart de la civilisation contre les dirigeants islamistes iraniens. Dans le même esprit d’arrogance coloniale, Merz a récemment déclaré à la ZDF, lors du sommet du G7, qu’Israël faisait « le sale boulot » pour « nous tous ». Il a également exprimé son « plus grand respect » pour le « courage » de l’armée israélienne et de ses dirigeants. Il n’a pas mentionné le fait que les frappes israéliennes violaient le droit international et avaient déjà tué des centaines de civils en Iran, ni que des dizaines d’Israéliens avaient été tués dans des attaques de représailles.

Tout bien considéré, la position de l’Allemagne reste inchangée : le gouvernement allemand continue de soutenir Israël en lui fournissant des armes et une couverture diplomatique.

Lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE fin mai, une majorité d’États membres ont appelé à une révision – et à une éventuelle suspension – de l’accord d’association de l’UE avec Israël en réponse à sa campagne génocidaire à Gaza.

Une telle suspension pourrait avoir de graves conséquences économiques pour Israël. C’est l’un des rares instruments significatifs dont dispose l’UE pour contrer la trajectoire de Netanyahou, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, où les déplacements forcés se sont accélérés tandis que les députés israéliens avancent ouvertement vers une annexion officielle.

 La discussion sur une éventuelle révision de l’accord d’association a déclenché d’importants débats publics en Israël. Dix-sept des 27 États membres de l’UE, dont la France et la Suède, ont voté en faveur. L’Allemagne a été l’un des rares pays à voter explicitement contre. Et cela n’aura été qu’une première étape, un signal mineur indiquant que la famine et les massacres ne seraient pas accueillis par le silence.

Le Royaume-Uni a emprunté une voie différente. Début juin, le gouvernement britannique a imposé des sanctions aux deux membres d’extrême droite les plus en vue du cabinet de Netanyahou : le ministre de la Sécurité Itamar Ben-Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich. La justification officielle était que tous deux avaient incité à la violence contre les communautés palestiniennes. Un euphémisme généreux : tous deux ont ouvertement – directement ou implicitement – appelé au déplacement ou à l’anéantissement de toute la population de Gaza.

Les sanctions britanniques s’inscrivent dans le cadre d’une initiative plus large à laquelle se sont joints l’Australie, le Canada, la Norvège et la Nouvelle-Zélande. En Allemagne, de telles mesures ne sont même pas discutées, ni dans la sphère politique ni dans les médias.

Dans ce contexte, le fait que certains politiciens aient récemment pris leurs distances par rapport aux actions d’Israël ne suggère pas un véritable changement de politique étrangère, mais plutôt un changement de discours. Les anciens discours ne peuvent tout simplement pas résister à l’abîme qui s’est ouvert à Gaza. Cela s’explique en partie par les images : des enfants en bas âge émaciés, des familles exécutées par les forces israéliennes alors qu’elles attendaient aux points de distribution « d’aide » de la GHF, des secouristes retirés morts de fosses communes improvisées.

Les sondages montrent qu’une majorité de la population allemande rejette désormais le comportement d’Israël. Cette opinion s’est renforcée malgré la couverture médiatique, dans laquelle les grands médias continuent de minimiser, d’ignorer ou de déformer activement ce qui se passe à Gaza.

Mais les faits ne peuvent rester éternellement balayés sous le tapis. Selon le ministère de la Santé de Gaza, l’armée israélienne a tué près de 56 000 Palestiniens depuis le 7 octobre, dont près de 16 000 enfants, plus de 8 000 femmes et près de 4 000 personnes âgées. Plus de 116 000 autres personnes ont été blessées, beaucoup d’entre elles souffrant de blessures qui ont changé leur vie ou ayant subi des amputations. Des estimations indépendantes suggèrent que le bilan réel est bien plus élevé. Le projet « Costs of War » estime que les chiffres sont largement sous-estimés, un avis partagé par de nombreux experts. The Lancet a estimé le nombre total de morts à plus de 186 000. C’était en juillet 2024.

Le fait que l’Allemagne, un pays qui invoque si souvent l’ordre international d’après-guerre, ait non seulement échoué à empêcher ces crimes, mais les ait activement facilités, constitue un échec historique. Cela symbolise l’érosion des normes et des principes mêmes sur lesquels l’ordre mondial a été construit après l’Holocauste. Cet ordre était fragile avant Gaza. Après Gaza, il pourrait bien être irréparable.

Lors de la visite du ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Sa’ar à Berlin début juin, Wadephul a réaffirmé le soutien de l’Allemagne à Israël en des termes très clairs. Israël, a-t-il déclaré, « a le droit de se défendre contre le Hamas et d’autres ennemis ». L’Allemagne continuera à fournir des armes à Israël – « cela n’a jamais fait aucun doute ».

Il a également rejeté la reconnaissance d’un État palestinien, la qualifiant de « mauvais signal ». L’accord d’association de l’UE avec Israël, a insisté Wadephul, doit rester inchangé. Tous ceux qui espéraient que ses précédentes déclarations annonçaient un léger changement de cap, voire des conséquences, sont restés bouche bée. Ses déclarations aux côtés de Sa’ar sont revenues sur pratiquement tout ce qu’il avait laissé entendre auparavant.

La position actuelle de l’Allemagne pourrait être décrite comme un nouveau pragmatisme – un pragmatisme qui ne peut plus soutenir le silence total ou le soutien inconditionnel au génocide israélien, car le climat international ne le permet tout simplement pas, mais qui refuse toujours de traduire même ses critiques les plus timides et tardives en conséquences réelles. L’Allemagne s’est mise elle-même dans une impasse.

Quiconque prétend prendre au sérieux la responsabilité historique de l’Allemagne ne peut pas considérer le déplacement systématique et le massacre de dizaines, voire de centaines de milliers de Palestiniens à Gaza, l’annexion de la Cisjordanie ou la mort de civils à Téhéran comme des nécessités malheureuses. Compte tenu de la réalité actuelle, parler d’un « changement de paradigme » dans la politique allemande à l’égard d’Israël et de la Palestine est tout simplement absurde. Ce qui est encore plus absurde, c’est qu’un tel changement n’ait toujours pas été réclamé plus ouvertement.

 Ô Allemagne, mère blafarde, statue de Fritz Cremer inspirée du poème de Bertolt Brecht de 1933, Berlin

La bombe opaque de Shimshon : arme ultime, tabou suprême
Comment Israël est devenu “la seule démocratie”… nucléaire du Moyen-Orient


Bibi Netanyahou vocifère urbi et orbi depuis 33 ans (1992) que l’Iran est sur le point d’avoir une bombe atomique, « d’ici quelques mois », « d’ici quelques semaines », « d’ici quelques jours ». Pour le moment, personne n’a vu la fameuse bombe iranienne. En revanche, il y a, enterrées dans le désert du Néguev /Naqab, entre 90 et 400 ogives nucléaires israéliennes. C’est le secret de Polichinelle le mieux gardé au monde. Dès 1952, chargé de mission par Ben-Gourion puis Golda Meïr, Shimon Peres, 32 ans avant de recevoir le Prix Nobel de la Paix, a mis en place la fabrication de la bombe, avec l’appui inconditionnel de la France radical-socialiste de la IVème République et l’affaire a suivi un long cours tranquille, en dépit de de Gaulle, Kennedy, Johnson et avec un coup de pouce décisif du bon Docteur K., entendez Heinrich Kissinger, l’âme damnée de Tricky Dicky, alias Richard Nixon Il nous a semblé salutaire de reconstituer les 73 ans de politique d’“Amimut” (ambigüité, opacité en hébreu) au moment où les bombes made in USA pleuvent sur l’Iran et où les détenteurs avérés de bombes nucléaire menacent l’humanité d’un Armageddon. Nous avons donc assemblé une trentaine de documents qui retracent ce sinistre feuilleton. Lisez et indignez-vous !

La bombe opaque de Shimshon
Arme ultime, tabou suprême Comment Israël est devenu “la seule démocratie”… nucléaire du Moyen-Orient
Une anthologie d’enquêtes et d’analyses 1986-2025
Textes choisis, traduits et édités par Fausto Giudice
Éditions The Glocal Workshop/L’Atelier Glocal, juin 2025
Collection Tezcatlipoca 308 pages
Classification Dewey : 623.455 – 956.94 – 320.9 – 944 – 621.48 -341.67- 327.174 – 355.825 

Table des matières
1. Révélation : les secrets de l’arsenal nucléaire israélien
SUNDAY TIMES - 5 octobre 1986……………………………………………………….5 
2. L’Opération Shimshon : entretien avec le général ER Yitzhak ‘Ya’tza’ Ya’akov
Avner Cohen, 1999………………………………………………………………………..10 
3. Comment la France livra l’arme atomique à Israël
Michael Karpin, 2003……………………………………………………………………..81
4. Stratégie du secret : Le “flou nucléaire” israélien
Joseph Algazy, 2005………………………………………………………………………86 
5. L’armement nucléaire israélien, un tabou
Abdelwahab Biad, 2005………………………………………………………………….90 
6. Israël et la dissuasion nucléaire
Pierre Razoux, 2015……………………………………………………………………..113 
7. La vérité derrière le plan désespéré d’Israël de faire exploser un engin nucléaire pour se sauver en 1967
Avner Cohen, 2017………………………………………………………………………124
 8. Des notes manuscrites secrètes révèlent la genèse du programme nucléaire israélien
Adam Raz, 2019………………………………………………………………………….132 
9. Les secrets nucléaires d’Israël que Peres a partagés avec Kissinger en 1965
Avner Cohen, 2020………………………………………………………………………147
 10. Comment Israël a mis en place un programme nucléaire sous le nez de l’Oncle Sam
Avner Cohen et William Burr, 2021…………………………………………………154 
11. Armes nucléaires israéliennes, 2021
 Hans M. Kristensen & Matt Korda, Bloc-notes nucléaire, 2022…………….179
 12. Israël et la Bombe - L’histoire du nucléaire israélien
Bernard Norlain, 2021…………………………………………………………………..221
 13. Qui a divulgué les secrets atomiques d’Israël, 20 ans avant Vanunu ? Ce que révèlent des documents déclassifiés
Avner Cohen et William Blurr, 2025…………………………………………………231 
14. Bibliographie pour aller plus loin ……………………………………………….…254
 15. Annexe : 3 documents de l’ONU, 1981-1987…………………..………..255