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17/07/2023

GIDEON LEVY
En Israël, les meilleurs deviennent pilotes et volent déjà pour une dictature

Gideon Levy, Haaretz, 16/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est impossible de ne pas s’étonner de la mobilisation des pilotes militaires israéliens contre le projet de loi de réforme judiciaire du gouvernement. Une organisation de pilotes et de navigateurs à la retraite appelée Forum 555 a publié une lettre ouverte d’une page entière dans la section des nouvelles de Haaretz en hébreu de vendredi, signée par environ 1 700 membres d’équipage d’avion à la retraite et en service actif de réserve, pour soutenir le refus du service volontaire.


Une sculpture créée pour le mouvement de protestation des pilotes. Photo : Moti Milrod

Plus que tout autre secteur, les pilotes ont le pouvoir d’influer sur la législation, voire de l’arrêter. La vive réprimande du Premier ministre Benjamin Netanyahu n’a fait que le prouver. Cela en dit long sur une société dont les pilotes de chasse sont les plus grands héros, mais cela ne doit en aucun cas être perçu comme une insulte. Les meilleurs deviennent des pilotes, comme le dit l’adage.

Les pilotes déclarent qu’ils refuseront de servir sous une dictature. C’est précisément aussi impressionnant et démocratique que ça en a l’air. Dans leur pétition, ils disent qu’ils insistent sur leur droit de vivre et d’élever leurs enfants dans un État juif et démocratique. Si l’on met de côté le mensonge de “juif et démocratique”, dans un État qui n’est en pratique ni juif ni démocratique, et qui aurait dû choisir entre les deux depuis longtemps, les pilotes ont le droit de croire à cette illusion. Ce qui est beaucoup plus difficile à accepter, c’est leur hypocrisie.

Les pilotes qui affirment ne pas vouloir servir sous une dictature le font allègrement depuis des décennies. Ils sont prêts à servir sous la dictature militaire israélienne, qui soumet par la force une autre nation, mais refusent de servir sous une future dictature civile susceptible de leur causer des dommages personnels. Il s’agit d’un deux poids deux mesures honteux.

L’attaque de la plupart des signataires de la pétition contre la poignée de leurs collègues pilotes et navigateurs qui se sont engagés à ne pas servir la dictature militaire crie aujourd’hui à l’hypocrisie. Ceux qui appellent aujourd’hui à ne pas voler ont cloué au pilori la poignée de pilotes qui appelaient au refus de voler au nom d’une cause non moins noble que celle pour laquelle les pilotes d’aujourd’hui se battent.

En septembre 2003, 27 pilotes ont envoyé une lettre au commandant de l’armée de l’air israélienne de l’époque, Dan Halutz, déclarant qu’ils refuseraient de mener des frappes aériennes illégales et immorales sur les zones palestiniennes de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Halutz avait alors répondu avec les mêmes mots que ceux de Netanyahou aujourd’hui : « Le refus politique de servir est le danger suprême pour cette nation », a tonné le chef de l’IAF.

La roue a tourné depuis. Le général de brigade Iftach Spector, le colonel Yigal Shochat, le capitaine Yonatan (le célèbre Yonatan Shapira) et leurs collègues officiers ont été suspendus de leurs fonctions par Halutz, le leader du mouvement de protestation actuel. Leurs collègues pilotes ont continué à bombarder et à tuer des civils innocents dans des proportions horribles, dans le cadre des opérations “Plomb durci” et “Bordure protectrice”. La protestation et le refus se sont calmés, les pilotes ont bombardé et tué.

Aujourd’hui, les bombardeurs de Gaza refusent de servir une dictature. Seul Yonatan Shapira a refusé de signer la pétition de vendredi, dont son père est signataire. Shapira, qui travaille comme pilote commercial aux USA et vit en Norvège, m’a dit samedi qu’il aurait invité les 1700 signataires à une visite de l’association à but non lucratif Zochrot ou à une visite du camp de réfugiés de Jénine, pour commencer le processus d’apprentissage. « S’il y avait eu un appel à refuser tout ordre illégal du commandement, y compris à se joindre aux massacres de routine et aux actes génocidaires de l’armée, j’aurais signé la pétition ».

Le refus de commettre des crimes de guerre est aussi moral - peut-être même plus moral - que l’opposition au coup d’État du gouvernement. En Israël, cela aurait dû être la protestation la plus importante. Mais cela exige beaucoup plus de courage de la part des pilotes que de s’opposer à Netanyahou et à l’abrogation de la norme de raisonnabilité.

Il est dommage que les deux protestations ne se fassent pas ensemble. L’objection de conscience des pilotes contre la législation a également un aspect personnel : ceux qui savent qu’ils ont commis des crimes de guerre craignent d’être arrêtés lors de leurs voyages à l’étranger, après que le mensonge du système judiciaire israélien enquêtant sur les crimes de guerre se sera effondré à la suite de la législation.

Il y a neuf ans, j’écrivais ici : « Comment dors-tu la nuit, pilote ? ... As-tu vu les corps écrasés, les blessés en sang, les enfants effrayés, les femmes horrifiées et la terrible destruction que tu as semée depuis ton avion sophistiqué ? Tout cela est de ta faute, excellent jeune homme ». Aujourd’hui, ils protestent contre le coup d’État, peut-être pour se racheter, ne serait-ce qu’un peu.

YOSSI MELMAN
Dan Arbel, l’agent du Mossad qui a essuyé les plâtres du fiasco de Lillehammer, brise le silence
Retour sur l’assassinat d’Ahmed Bouchikhi le 21 juillet 1973

Yossi Melman, Haaretz, 15/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Agent du Mossad, il a risqué sa vie au cours de multiples missions secrètes, mais il est associé à une opération qui a été très médiatisée - et très mal menée. À 85 ans, Dan Arbel n’est plus disposé à garder le silence sur l’histoire mensongère que nous avons entendue à propos du fiasco de Lillehammer, il y a exactement 50 ans.

 

Dan Arbel : « On a dit que l’opération était digne d’amateurs parce que “les agents ont rendu les voitures de location”. Mais j’avais reçu l’ordre clair de les rendre. Parfois, on ne voit pas les choses dans leur ensemble, mais on comprend que quelqu’un les voit, alors on exécute [les ordres] ». Photo : Tomer Appelbaum

Il s’agissait d’une mission vraiment bizarre, même selon les critères du Mossad. À la fin des années 1960, le Danemark, considéré comme un pionnier dans le domaine de la promiscuité sexuelle, a autorisé la publication et la diffusion de magazines pornographiques, mais en a interdit l’exportation. La demande était énorme, il y avait du fric à se faire. L’agence d’espionnage israélienne y a vu une opportunité.

Il s’agissait d’un plan créatif : faire sortir clandestinement les publications du Danemark et les vendre aux marins des navires marchands arabes, ce qui permettrait aux agents de terrain de l’agence de recruter et de collecter des informations sur les marins, leurs navires et les marchandises qu’ils achetaient et vendaient.

A l’époque, le Mossad disposait à Copenhague d’un agent capable de mettre en œuvre le plan. Il s’appelait Dan Arbel. Il avait été recruté par l’organisation en 1965. Il a été chargé de créer dans la capitale une entreprise d’import-export qui fournirait des services à travers l’Europe et le Moyen-Orient. Baptisée Viking, ce serait une société écran pour le Mossad, permettant à ses agents de pénétrer dans les pays arabes afin d’y recueillir des informations et d’y mener des opérations spéciales.

Arbel demande à un ami de jeunesse de s’associer à l’exportation des magazines. C’était illégal, mais les bénéfices étaient intéressants et l’ami  accepte. Cependant, avant que les articles ne soient expédiés du Danemark vers l’Allemagne, puis vers l’Italie, les douaniers ont eu vent de l’opération et l’ami a été arrêté. Néanmoins, Arbel lui-même réussit : des milliers de magazines sont sortis clandestinement du pays et vendus pour quelques sous aux marins et aux officiers des navires commerciaux arabes qui accostent dans les ports italiens. Au cours de l’opération, entièrement financée par le Mossad, de nombreuses informations ont été recueillies, qui ont facilité le recrutement d’agents et se sont révélées précieuses pour Israël.

Ce n’est qu’une des nombreuses opérations audacieuses auxquelles Arbel a participé au cours de ses huit années au sein du Mossad. Il a infiltré la Libye, a été détenu en Syrie, a photographié des sites d’armes chimiques en Égypte, a acheté un navire qui transportait clandestinement de l’uranium destiné au réacteur nucléaire israélien de Dimona, et bien d’autres choses encore. Cependant, aucune de ces missions n’a été rendue publique ; elles ont tout au plus été mentionnées en passant. Le nom d’Arbel n’a été lié explicitement qu’à l’affaire de Lillehammer - la mission ratée dans la ville de villégiature norvégienne qui a eu lieu il y a 50 ans ce mois-ci. L’objectif était d’assassiner Ali Hassan Salameh, une figure de proue de Septembre noir, une organisation palestinienne militante. Mais, à la suite d’une erreur d’identité, les agents du Mossad ont tué un serveur d’origine marocaine, nommé Ahmed Bouchikhi, qui résidait dans la ville. Certains membres de l’équipe israélienne ont été arrêtés et jugés en Norvège.

Arbel, un homme doux et gentil, est un héros tragique. Il a été perçu comme le responsable de l’opération ratée, parce qu’il a parlé lors de son interrogatoire par la police danoise. Aujourd’hui, à 85 ans, il veut réparer ce qu’il considère comme une erreur historique et accepte pour la première fois de donner sa version des faits.

« Pendant des années, j’ai été stigmatisé et sali parce qu’on me rendait responsable de l’échec de l’opération », explique-t-il à Haaretz. Arbel, qui a également été interviewé dans le cadre d’un nouveau documentaire israélien, Mossad and the Curse of Lillehammer [Le Mossad et la malédiction de Lillehammer], créé par Gidi Maron, Emmanuel Nakash et Noam Tepper, et récemment diffusé sur la chaîne israélienne Channel 8, ajoute : « Ma famille et moi n’avons pas réagi aux rumeurs abusives, nous avons gardé le silence ».

Suite à une erreur d’identité, les agents du Mossad ont tué Ahmed Bouchikhi, un serveur d’origine marocaine. Photo : NTB SCANPIX MAG via AFP

BLANCHE PETRICH
Mexique : selon des experts, les archives de Tlaxcoaque vont changer notre regard sur la guerre sale
On en trouvera probablement dans trois dépôts récemment ouverts

Blanche Petrich, La Jornada, 15/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il y a deux décennies, le ministère de la Défense nationale et le Centre de renseignement et de sécurité nationale (CISEN), aujourd’hui disparu, ont remis aux Archives générales de la nation les fonds documentaires des années de la “guerre sale”. Bien qu’incomplets et fragmentés, ils peuvent être consultés par toute personne qui en fait la demande. Mais pour reconstituer l’ensemble du puzzle de la répression de cette période - en particulier entre 1965 et 1990 - il manque une pièce maîtresse : les archives de l’ancienne police de la capitale, la police secrète ou Division des enquêtes et de la prévention de la délinquance (DIPD).

La zone du centre de détention souterrain de Tlaxcoaque a perduré même après sa fermeture, suite à la dissolution de la DIPD ordonnée par Miguel de la Madrid lors de son entrée en fonction en 1982. Photo Alfredo Domínguez

Après de multiples demandes de renseignements et d’ouverture, ils avaient été considérés comme perdus ou détruits. Jusqu’à présent. Cela pourrait bientôt changer, affirme Carlos Pérez Ricart, l’un des quatre experts du Mécanisme de clarification historique ((Mecanismo para la Verdad y el Esclarecimiento Histórico, MEH).

Suite à la signature d’un accord entre le bureau du procureur général de Mexico et la Commission pour l’accès à la vérité, la clarification historique et la promotion de la justice, l’accès a été ouvert au début de ce mois à trois dépôts d’archives, un de la police et deux du bureau du procureur général lui-même.

Les chercheurs n’ont été admis que lundi dernier. « Si les archives de Tlaxcoaque sont là - ce qui est possible -, cela changera la façon dont nous avons perçu l’ère répressive au Mexique jusqu’à aujourd’hui, en particulier entre les années 1970 et 1980. Elle a toujours été étudiée d’un point de vue national, mais ce sont des organes infranationaux qui ont perpétré les violations les plus graves du droit humanitaire. Et c’est précisément dans ce qui était alors le district fédéral que les acteurs les plus répressifs du XXe siècle ont opéré, pire encore que les agents et les chefs de la direction fédérale de la sécurité ».

Lieu où les serpents regardent

En náhuatl [la langue des Aztèques], Tlaxcoaque signifie lieu où les serpents regardent.

Le livre Historia de las policías en México, de Pérez Ricart et du chercheur du MEH Daniel Herrera Rangel, montre comment, depuis l’époque des Services secrets de la police du District fédéral, fondés dans les années de la présidence de Lázaro Cárdenas [1934-1940], jusqu’à l’année de leur dissolution formelle en 1986, tous les commandants des forces de police étaient des généraux de l’armée.