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17/02/2022

RABHA ATTAF
Hommage à Wael Aly, héros anonyme de la Révolution égyptienne du 25 janvier 2011, disparu le 3 février 2022

Rabha Attaf, 17/2/2022

J'avais rencontré Wael sur la place Tahrir, alors qu'il était perpétuellement entouré de jeunes démunis avec qui il avait constitué un Comité populaire. Sa bonté et sa bienveillance envers eux avaient attiré mon attention : il figure dans le premier chapitre de mon livre Place Tahrir, une révolution inachevée.

À l'époque, il avait interféré dans les discussions entre le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) et certaines personnalités triées sur le volet en rendant publiques les exigences des laissés pour compte de la société égyptienne.

Alors, quand des officiers libres ont rejoint la Place Tahrir avec leur bataillon, le 8 avril 2011, le CSFA a émis un mandat d'arrêt contre lui, sous le fallacieux prétexte d’ « incitation à la rébellion contre l'armée », le rendant aussi responsable des 19 morts causées par l'évacuation violente de la place dans la nuit qui a suivi. Il risquait la peine de mort, pour l'exemple. Mais nous avons réussi à le faire libérer, au bout de 18 mois d'incarcération, lavé de toute accusation.

Cette expérience avait brisé ses rêves. Il s'en était retourné à Hurgada où il avait été directeur d'une agence de tourisme avant de rejoindre la place Tahrir dès les premiers jours du soulèvement populaire.

Wael était pour moi plus qu'un ami. Nos esprits communiquaient sans que nous ayons à parler. Notre relation -forgée aussi au contact du danger- était hors du commun, donnant un sens plein au mot Fraternité.

Wael était profondément croyant -son prénom signifie d'ailleurs « celui qui cherche refuge dans la spiritualité ». Il était juste, foncièrement bon et œuvrait dans la voie de Dieu.

Bien sûr, je suis peinée par son départ subit. Mais je sais que son âme est désormais sereine, soulagée des tourments de ce monde injuste.

La France au Sahel, fausse note dans la petite musique élyséenne au sommet UE-Afrique
Tribune collective

Tribune collective sur le sommet Union européenne-Union africaine et les annonces qui devraient y être faites, notamment concernant l'intervention militaire française au Mali.

« Un moment décisif de la présidence française de l'Union européenne » : c’est ainsi que Franck Riester, ministre délégué au Commerce extérieur auprès du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, a qualifié début janvier le sommet Union européenne (UE)-Union africaine (UA) qui se déroulera à Bruxelles ces 17 et 18 février [1]. De fait, cet évènement sera sans doute le dernier acte de la comédie du président-pas-encore-candidat à laquelle assistent les ressortissants de l’UE, dont Emmanuel Macron assume une opportune présidence depuis le 1er janvier. Un rendez-vous qui devait venir conclure en beauté une partition initiée en novembre 2017, sur le jeune président refondateur des relations franco-africaines, et dont la petite musique s’est déroulée jusqu’au sommet Afrique-France de Montpellier : c’était compter sans les fausses notes liées aux rebondissements récents au Mali puis au Burkina Faso.

Un sommet de communication macronienne

Ce sommet devait en effet être la vitrine européenne des efforts de communication français. « L'UE souhaite demeurer à tous égards, le premier partenaire de l'Afrique sur le plan économique, commercial, mais aussi en matière de sécurité, d'aide publique au développement et humanitaire », déclarait le même Franck Riester, faisant peu de mystère de l’intérêt pour Paris d’une telle stratégie « européenne ». L’obsession récurrente du verrouillage des migrations et l’avenir des « accords de partenariat économique » (APE) devraient constituer des volets importants des discussions, dans un contexte de libéralisation continue de l’économie africaine, incarné notamment par la Zone de libre-échange africaine (ZLECAf, dont la structuration se poursuit [2]). Mais l’Elysée pouvait aussi espérer utiliser ce sommet pour mettre en scène le « renouveau » qu’Emmanuel Macron tente d’incarner, en matière de politique africaine comme ailleurs. Le « jeune » président, qui aime à rappeler qu’il n’a pas connu l’époque de la colonisation, entend ainsi à nouveau s’afficher au côté du Rwandais Paul Kagame, ennemi d’hier pour Paris et désormais figure africaine de la réussite d’un modèle ultralibéral sur le plan économique – et verrouillé sur le plan politique. Le changement de nom de l’Agence française de développement (AFD), dont le principe a été acté lors du sommet de Montpellier, pourrait aussi être concrétisé à cette occasion, au nom de la priorité européenne donnée au « développement », quelques jours avant l’entrée en campagne officielle d’Emmanuel Macron.

Surtout, cet évènement devait être l’opportunité rêvée pour afficher l’européanisation de l’intervention militaire française au Sahel, par la montée en puissance de la Task Force Takuba, une mobilisation des forces spéciales de différents Etats membres en appui à l’armée malienne, permettant de justifier le retrait d’une partie du contingent de l’opération Barkhane.

La France enlisée, Takuba enterrée

Cette évolution du dispositif militaire tricolore au Sahel, en discussion depuis le début de l’année 2021, s’était subitement accélérée début juin 2021, Emmanuel Macron prenant même de court sa propre diplomatie et son état-major en brandissant la menace d’un retrait des troupes françaises du Mali. L’Élysée entendait ainsi répondre à la contestation croissante de Barkhane sur place, nourrie par les humiliations quotidiennes et la multiplication de bavures meurtrières [3], mais aussi et surtout dans la classe politique et l’opinion publique françaises, au vu de l’enlisement de cette opération. Pour désamorcer la colère de la rue malienne, dont les militaires au pouvoir à Bamako depuis mai 2021 essaient de tirer leur légitimité, le calcul à Paris depuis l’été dernier était de faire oublier le drapeau français, pour mettre en avant un nouvel étendard : présentée commune une force « européenne », la Task Force Takuba restait pourtant un artefact de l’interventionnisme français, puisque le protocole établi en mars 2020 avec les autorités maliennes d’alors prévoit que les pays contributeurs doivent obtenir le feu vert de la France pour participer à l’opération [4] et que la force Takuba reste subordonnée au commandement de Barkhane. Comment s’étonner, dès lors, que le ressentiment légitime contre la politique africaine de la France (qui s’est régulièrement ingérée dans les affaires maliennes depuis 2013, jusque dans le choix des Premiers ministres ou encore en bloquant toute négociation politique avec certains groupes armés) se reporte sur ses partenaires européens, comme le Danemark dont les forces spéciales ont récemment dû quitter le pays à la demande de Bamako ?

REINALDO SPITALETTA
Cinq prostituées et un anarchiste
Il y a un siècle, dans la Patagonie rebelle

 

Avec le massacre des travailleurs en Patagonie à la fin de l'année 1921, où 1 500 travailleurs agricoles ont été fusillés par l'armée, il s'est produit ce qui s'est produit plus tard avec le massacre des travailleurs de la banane à Ciénaga, dans le Magdalena colombien, en 1928, qui, selon les positions idéologiques plutôt que selon les documents et autres témoignages, ne fit que neuf victimes et non  mille ou plus, comme la légation usaméricaine à Bogota l'a reconnu à l'époque.

Lorsqu'il s'agit de travailleurs, il semble que cela ne fasse aucune différence que ce soient quelques-uns ou des centaines d'entre eux qui aient été massacrés. Ils étaient sûrement des communistes, dira-t-on. Ou des anarchistes. Et ils l'ont même mérité, diront les bourreaux. C'est ainsi que l'histoire, les contextes et les manifestations contre l'injustice sont niés. Et ceux qui sont au pouvoir font tout leur possible pour effacer de la mémoire des événements aussi horribles, des crimes contre l'humanité, comme on les a appelés plus récemment.

Dans le sud de l'Argentine, à Santa Cruz, les ouvriers ruraux de Patagonie, à la fin de l'année 1920, se sont mis en grève pour exiger des éleveurs un jour de repos par semaine, un endroit propre pour dormir et un paquet de bougies. Ce n'était pas grand-chose, mais les éleveurs se sont opposés et, de plus, ont renié les accords. Quelques années plus tard, les travailleurs se sont soulevés, puis l'armée est apparue, commandée par le colonel Héctor Benigno Varela. Et c'est ainsi qu'a commencé une histoire d'horreur, mais aussi de démonstration de dignité de la part de cinq prostituées de Puerto San Julián.


Varela a lancé les pelotons d'exécution en masse, sans procès. L'objectif était de punir les travailleurs (presque tous des tondeurs et des cardeurs de laine), de les passer par les armes, de les qualifier de hors-la-loi, d'insurgés et de bandits. Et ainsi, en divers endroits, les exécutions étaient un pain quotidien dur et amer. Au début de l'année 1922, après avoir perpétré le massacre, que le gouvernement appelle "pacification", Varela veut récompenser ses soldats par un prix en nature, comme une libération de leur libido refoulée.

Les soldats font la queue devant un bordel. On ne leur ouvre pas la porte. Soudain, la propriétaire, Paulina Rovira, sort et annonce que les demoiselles refusent de les servir. "C'est de la trahison", lui dit le sous-officier, et la foule tente de forcer l'entrée, quand, à ce moment-là, les cinq "élèves" surgissent, armées de balais et de bâtons, et les réprimandent : "assassins", "ordures", "on ne couche pas avec les assassins !".

Cette réaction inattendue a coupé le souffle aux soldats (et leur a ôté toute envie de s'envoyer en l'air), paralysés par les hijueputazos ["fils de putes"], les crachats, les balais et les "insultes obscènes typiques des bonnes femmes", selon un rapport de police. Cette démonstration de courage et de dignité des prostituées sera racontée, entre autres, par le romancier David Viñas et l'historien et écrivain Osvaldo Bayer, ce dernier dans son impressionnant livre La Patagonie rebelle.

Il y a un siècle, le 17 février 1922, cinq femmes courageuses, prostituées de profession, du bordel La Catalana, ont posé un acte audacieux de rejet du massacre des travailleurs. Face au silence et à la peur générale de la population, elles ont affronté les auteurs de l'un des massacres les plus atroces d'Argentine et de l'histoire du mouvement ouvrier. Les autres viendront des années plus tard, avec la dictature militaire de Videla et compagnie.

Consuelo García, Ángela Fortunato, Amalia Rodríguez, María Juliache et Maud Foster sont les cinq héroïnes de San Julián, sauvées de l'oubli par les recherches et les enquêtes d'Osvaldo Bayer. L'autre héros de cette histoire singulière est Kurt Wilckens, un anarchiste allemand de tendance tolstoïenne qui, le 27 janvier 1923, prend sa revanche en tuant le lieutenant-colonel Varela avec une bombe à percussion et un revolver Colt dans une rue du quartier Palermo à Buenos Aires.

Varela, comme le raconte Bayer dans son livre, "obligeait les travailleurs à creuser leurs tombes, puis les forçait à se déshabiller et les abattait. Il a fait battre les chefs des travailleurs et les a mis au tapis avant de donner l'ordre de les abattre de quatre balles". En Patagonie, consacrée par les latifundistes aux moutons (l'un d'entre eux, Mauricio Braun, est parvenu à posséder la superficie astronomique de 1 376 160 hectares de terres, avec des moutons), les ouvriers étaient soumis à des journées d'exploitation sans pitié.


 Wilckens, un anar pacifiste, abstinent et végétarien, décide de se faire justice lui-même face à la "violence d'en haut". Il n'avait aucun parent parmi les personnes abattues. Il ne connaissait pas la Patagonie (le Grand Sud argentin) et croyait seulement qu'il allait accomplir "un acte de justice individuel". Lorsqu'il atteint son but, dans une attaque cinématographique au cours de laquelle il est gravement blessé, il déclare : "J'ai vengé mes frères".


Cinq prostituées (quatre argentines et une espagnole) et un anarchiste allemand sont entrés dans l'histoire (enfin, disons que des gens comme Bayer et d'autres les ont sauvé·es de l'oubli officiel) des luttes contre l'injustice et l'exploitation.