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10/07/2023

FAUSTO GIUDICE
Entrée des Vikings dans la Sainte Alliance
Les Ottomans et les Magyars ont donné leur feu vert

 Fausto Giudice, Tlaxcala, 10/7/2023

Maintenant que le calife d’Istanbul, Erdoğan, a donné son feu vert à l’adhésion de la Suède à l’OTAN et que le Chef des Magyars Orbán a dit qu’il ne s’y opposerait pas, les 31 membres de l’OTAN réunis ce mardi à Vilnius devraient ouvrir la porte sans renâcler à Stockholm, d’autant plus qu’Uncle Joe l’a dit et répété, il « fully, fully, fully supports Sweden’s membership in NATO ». Ce pas franchi, la Suède pourra ranger au magasin d’accessoires sa fameuse « neutralité » biséculaire et se préparer à sa seizième guerre contre la Russie.

 La Suède a en effet mené 15 guerres contre la Russie de 1321 à 1809. Elle a failli mener la seizième en 1939-1940, après l’occupation de la Finlande par l’Armée rouge en application du pacte Ribbentrop-Molotov. Contre l’avis d’une grande partie de la population suédoise, la Suède refusa cependant de s’engager dans la guerre d’hiver aux côtés des frères finlandais et les sociaux-démocrates constituèrent un gouvernement de cohabitation avec les centristes du Parti paysan, les libéraux du Parti populaire et les conservateurs de la Droite. Ce gouvernement pratiqua une “neutralité” très particulière jusqu’à la fin de la 2ème guerre mondiale, notamment par :

-l’internement de communistes, de sociaux-démocrates de gauche, d’anarcho-syndicalistes et autres « amis de l’Angleterre » ou « de l’URSS » dans des camps de concentration ;

-la censure de la presse, du courrier, les écoutes téléphoniques pour traquer toute expression d’antinazisme, avec saisies répétées de journaux

-la livraison de réfugiés antinazis à la Gestapo par le ministre social-démocrate Gustav Möller

-la livraison de minerai de fer (stratégique) à l’Allemagne nazie jusqu’en 1943

-l’autorisation donnée à des troupes allemandes [officiellement des soldats en permission] de traverser le territoire suédois entre la Norvège, le Danemark et la Finlande, tous occupés par les nazis. Ainsi, plus de 2 millions de soldats allemands traversèrent le territoire du pays « neutre » entre 1940 et 1944, dont les 15 000 hommes de la Division Engelbrecht.

Mais la Suède a-t-elle jamais été vraiment neutre ? Disons qu’elle a plutôt été « alliansfri », libre d’alliances militaires, ce qui entraînait une neutralité en cas de guerre dans ses environs. Mais elle ne s’est pas privée d’envoyer ses soldats aux quatre coins de la planète, en général sous casques bleus ou sous couvert de missions internationales, du Kossovo à l’Afghanistan, et du Congo à Chypre, en passant par la RCA, le Mali et la Somalie. En 2022, 327 militaires suédois étaient déployés à travers le monde. Et pour ce qui est de son rapport à lOTAN, il ne date pas non plus d'hier. Voici les données officielles :

En 1994, la Suède a rejoint le Partenariat pour la paix de l'OTAN.

- La Suède a également participé à divers exercices de l'OTAN au cours desquels elle s'est entraînée à se défendre avec des armes.

- En 2014, la Suède et la Finlande ont été autorisées à participer aux discussions de l'OTAN sur la manière de défendre les pays situés autour de la mer Baltique s'ils étaient menacés. Cela a également permis à la Suède et à la Finlande d'avoir accès à des informations qui ne leur avaient pas été communiquées auparavant.

- En 2016, la Suède a signé un accord pour accueillir l'OTAN, ce qui permet à l'OTAN d'organiser plus facilement des exercices sur le sol suédois, mais aussi à la Suède d'obtenir plus facilement le soutien de l'OTAN si un pays menace la Suède ou si une guerre éclate en Suède.

Riourik,  Grand-Duc de Novgorod, 862-879. Source : Царский Титулярник (Livre titulaire du tsar), 1672

En entrant dans l’OTAN, les Suédois font peut-être, en fin de compte, un retour aux sources. N’est-ce pas un Suédois qui a fondé le premier État russe ? À en croire la Chronique de Nestor (1111), c’est Riourik, un chef Varègue (Viking) qui le fonda à Novgorod en l’an 862, puis son parent Oleg qui établit le Rus’ de Kiev quelques années plus tard. Ru’s, le premier nom de la future Russie, vient du vieux-norrois et signifie « les hommes qui rament ». On le retrouve dans le nom de la région suédoise de Roslagen et dans le nom finnois de la Suède, Ruotsi.

Pour connaître la suite, il faudra attendre quelques années, le temps que Netflix produise sa 17ème saison de Vikings. Dans l’immédiat, on attend la troisième pour connaître la suite des aventures de Leif Eiriksson, Harald Sigurdsson et Freydis Eiríksdóttir. Mais patience, Allahou maâ saberine [Dieu est avec les patients].

Une robuste Viking "neutre" en action au Mali (MINUSMA)
Hanteras med försiktighet [À traiter avec précaution]



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Communiqué du Sommet OTAN de Vilnius/NATO Vilnius Summit Communiqué 

Une enquête de haute technologie suggère que les garde-côtes grecs sont responsables du naufrage du chalutier Adriana (646 disparus)

Katy Fallon, Giorgos Christides, Julian Busch et Lydia Emmanouilidou, The Guardian, 10/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les recherches menées sur le naufrage d’un chalutier ayant fait des centaines de morts contredisent fortement les comptes rendus officiels, tout en constatant l’absence de mobilisation des secours et la falsification des déclarations des survivants.

Un survivant utilise la modélisation 3D pour décrire ce qu’il a vécu la nuit où le chalutier a coulé. Photo : Forensis

Les tentatives des garde-côtes grecs de remorquer un chalutier transportant des centaines de migrants pourraient avoir provoqué le naufrage du navire, selon une nouvelle enquête menée par The Guardian et des médias partenaires, qui soulève de nouvelles questions sur l’incident, qui a fait environ 500 disparus.

Le chalutier transportant des migrants de la Libye vers l’Italie a coulé au large des côtes grecques le 14 juin. Il y a eu 104 survivants.

Les journalistes et les chercheurs ont mené plus de 20 entretiens avec des survivants et se sont appuyés sur des documents judiciaires et des sources des garde-côtes pour dresser un tableau des occasions de sauvetage manquées et des offres d’assistance qui ont été ignorées. De nombreux survivants ont déclaré que les tentatives des garde-côtes grecs de remorquer le navire avaient finalement causé le naufrage. Les garde-côtes ont vigoureusement nié avoir tenté de remorquer le chalutier.

La nuit où le chalutier a chaviré, à 47 milles nautiques au large de Pylos, dans le sud-ouest de la Grèce, a été reconstituée à l’aide d’un modèle 3D interactif du bateau créé par Forensis, une agence de recherche basée à Berlin et fondée par Forensic Architecture, qui enquête sur les violations des droits humains.


Des sacs mortuaires transportant des corps récupérés dans la mer arrivent à Kalamata. Photo : Stelios Misinas/Reuters

L’enquête menée conjointement par The Guardian, la chaîne publique allemande ARD/NDR [voir ici] et le média d’investigation grec Solomon [voir ici], en collaboration avec Forensis, a fourni l’un des comptes rendus les plus complets à ce jour de la trajectoire du chalutier jusqu’à son naufrage. Ils ont mis au jour de nouveaux éléments, tels qu’un navire de garde-côtes amarré dans un port plus proche mais jamais dépêché sur les lieux de l’incident, ainsi que le fait que les autorités grecques n’ont pas répondu, non pas deux fois, comme cela avait été signalé précédemment, mais trois fois, aux offres d’assistance de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Forensis a cartographié les dernières heures avant le naufrage, en utilisant les données du journal de bord des garde-côtes et le témoignage du capitaine du chalutier, ainsi que les trajectoires de vol, les données sur le trafic maritime, l’imagerie satellite et les informations provenant de vidéos prises par des navires commerciaux à proximité et d’autres sources. Les derniers mouvements du navire contredisent ceux des garde-côtes et révèlent des incohérences dans le récit officiel des événements, notamment en ce qui concerne la direction et la vitesse du chalutier.

L’enquête a montré que le chalutier surchargé a commencé à se diriger vers l’ouest lorsqu’il a rencontré l’unique navire des garde-côtes grecs envoyé sur les lieux. Selon plusieurs témoignages de survivants recueillis par The Guardian et les procureurs grecs, les garde-côtes avaient dit aux migrants qu’ils les conduiraient en Italie, ce qui contredit la version officielle selon laquelle le chalutier a commencé à se diriger vers l’ouest de son propre chef. L’enquête a également montré que le chalutier avait viré vers le sud et était resté presque immobile pendant au moins une heure jusqu’à ce que, selon les survivants, une deuxième tentative de remorquage, qui a été fatale, ait lieu.


Des survivants utilisent le modèle 3D du bateau pour décrire ce qui s’est passé dans la nuit du 14 juin. Photo : Forensis

Deux survivants ont utilisé le modèle 3D pour décrire le remorquage lui-même, tandis que trois autres, qui étaient assis à l’intérieur ou sur le pont inférieur du navire, ont décrit avoir été propulsés vers l’avant “comme une fusée”, alors que le moteur ne tournait pas. Cela suggère une tentative de remorquage.

Un autre survivant a déclaré séparément avoir entendu des gens crier qu’une corde était attachée par “l’armée grecque” et a décrit avoir été remorqué pendant 10 minutes peu avant que le chalutier ne coule. « J’ai l’impression qu’ils ont essayé de nous pousser hors des eaux grecques pour mettre fin à leur responsabilité », a déclaré un survivant après avoir examiné la carte des événements et réfléchi à ses souvenirs de la nuit.

Maria Papamina, avocate du Conseil grec pour les réfugiés, l’une des deux organisations juridiques représentant entre 40 et 50 survivants, a déclaré que deux tentatives de remorquage avaient été rapportées à son équipe. Les documents judiciaires montrent également que sept des huit survivants ont déclaré au procureur civil la présence d’une corde, d’un remorquage et d’une forte traction, lors de dépositions effectuées les 17 et 18 juin.


Modèles 3D du chalutier et du navire des garde-côtes. Photo : Forensis

Les circonstances exactes du naufrage ne peuvent être prouvées de manière concluante en l’absence de preuves visuelles. Plusieurs survivants ont déclaré s’être fait confisquer leur téléphone par les autorités et certains ont indiqué avoir filmé des vidéos quelques instants avant le naufrage. Des questions subsistent quant à la raison pour laquelle le navire des garde-côtes grecs sur les lieux, récemment acquis, n’a pas enregistré l’opération sur ses caméras thermiques. Ce navire, appelé le 920, a été financé à 90 % par l’UE pour renforcer les capacités de Frontex en Grèce et fait partie des opérations conjointes de l’agence européenne des frontières dans le pays. Frontex recommande que « dans la mesure du possible, toutes les actions entreprises par […] les moyens cofinancés par Frontex soient systématiquement documentées par vidéo ».


Le  920. Photo : Garde-côtes grecs

Dans des déclarations officielles, les garde-côtes grecs ont affirmé que l’opération n’avait pas été enregistrée parce que l’équipage se concentrait sur l’opération de sauvetage. Mais une source au sein des garde-côtes a déclaré que les caméras n’ont pas besoin d’être utilisées manuellement en permanence et qu’elles sont là précisément pour filmer de tels incidents.

La présence d’hommes masqués, décrits par deux survivants comme attachant une corde au chalutier, est également documentée dans le journal de bord du navire, qui comprend une entrée concernant une équipe d’opérations spéciales connue sous le nom de KEA qui s’est jointe au 920 cette nuit-là.

Selon des sources des garde-côtes, il ne serait pas inhabituel de déployer des KEA - généralement utilisés dans des situations à risque telles que des suspicions de contrebande d’armes ou de drogue en mer - étant donné le statut inconnu du navire, mais une source a déclaré que leur présence suggérait que le navire aurait dû être intercepté pour des raisons de sécurité et de sûreté maritime uniquement.


Une source a qualifié d’“incompréhensible” l’absence de mobilisation d’une aide plus proche de l’incident. Le 920 a été déployé depuis La Canée, en Crète, à environ 150 milles nautiques du lieu du naufrage. La source a déclaré que les garde-côtes disposaient de navires un peu plus petits mais toujours capables, basés à Patras, Kalamata, Neapoli Voion et même à Pylos. Le 920 a reçu l’ordre du QG des garde-côtes de “localiser” le chalutier vers 15 heures, heure locale, le 13 juin. Le contact a finalement été établi vers minuit. Un témoin oculaire a confirmé qu’un autre navire était stationné à Kalamata le 14 juin et qu’il aurait pu atteindre le chalutier en quelques heures. « Il aurait dû s’agir d’une situation où il aurait fallu envoyer tout ce que l’on avait. Le chalutier avait clairement besoin d’aide », a déclaré la source.

Les garde-côtes grecs et Frontex ont été alertés de la présence du chalutier dans la matinée du 13 juin. Les deux agences l’ont photographié depuis les airs, mais aucune opération de recherche et de sauvetage n’a été menée - selon la partie grecque, parce que le bateau avait refusé toute assistance. Les autorités ont reçu un SOS urgent qui leur aurait été relayé à 17h53, heure locale, par la ligne d’urgence pour les petites embarcations Alarmphone, qui était en contact avec des personnes à bord.


Le chalutier en mer avant le naufrage. Photo : Anadolu Agency/Getty Images

Deux des sources des garde-côtes ont déclaré au Guardian qu’elles pensaient que le remorquage était une raison probable du chavirement du bateau. Cette situation n’est pas sans précédent. En 2014, une tentative de remorquage d’un bateau de réfugiés au large de Farmakonisi a coûté la vie à 11 personnes. Les tribunaux grecs ont innocenté les garde-côtes, mais la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un jugement accablant en 2022.

Des allégations ont également été formulées selon lesquelles les déclarations des survivants auraient été falsifiées. Deux séries de témoignages ont été présentées - d’abord aux garde-côtes, puis à un procureur civil - toutes deux vues par le Guardian. Les témoignages de deux survivants de nationalités différentes auprès des garde-côtes sont identiques, mot pour mot, lorsqu’ils décrivent le naufrage : « Nous étions trop nombreux sur le bateau, qui était vieux et rouillé... c’est pourquoi il a chaviré et coulé à la fin ».

Sous serment devant le procureur civil, quelques jours plus tard, les mêmes survivants décrivent des incidents de remorquage et accusent les garde-côtes grecs d’être responsables du naufrage. Le même survivant syrien qui avait déclaré dans son témoignage devant les garde-côtes que le chalutier avait chaviré en raison de son âge et de sa surpopulation témoignera plus tard : « Lorsqu’ils sont venus sur nous, et je suis désolé de le mentionner, notre bateau a coulé. Je pense que la raison en est le remorquage par le bateau grec ».


Survivants du naufrage au port de Kalamata. Photo : Angelos Tzortzinis/AFP/Getty Images

Bruxelles a demandé une enquête “transparente” sur le naufrage, tandis que Frontex, qui a proposé à plusieurs reprises des moyens aux autorités grecques - un avion à deux reprises et plus tard un drone - n’a pas reçu de réponse. Bien que Frontex soit de plus en plus sollicitée pour se retirer de Grèce, le Guardian croit savoir qu’elle envisage des mesures moins radicales, comme l’arrêt du cofinancement des navires des garde-côtes grecs.

Neuf Égyptiens qui se trouvaient à bord du chalutier ont été arrêtés et accusés d’homicide involontaire, d’avoir provoqué un naufrage et d’avoir fait passer des migrants clandestinement ; ils nient avoir commis des actes répréhensibles. Selon les informations du Guardian, les accusés ont déclaré qu’il y avait eu deux tentatives de remorquage, la seconde ayant entraîné le naufrage du bateau. Un frère de l’un des accusés a déclaré que son frère avait payé environ 3 000 livres sterling pour être sur le bateau, ce qui prouve, selon lui, qu’il n’était pas un passeur.

En Grèce et ailleurs, les survivants et les familles des victimes tentent de comprendre ce qui s’est passé. Trois survivants pakistanais ont déclaré avoir pris un vol du Pakistan vers la Libye en passant par Dubaï ou l’Égypte. Deux d’entre eux pensaient qu’ils allaient voler de la Libye vers l’Italie et ont été choqués en voyant le chalutier. « Je n’arrive pas à dormir correctement. Quand je dors, j’ai l’impression que je m’enfonce dans l’eau et que je vais mourir », raconte l’un d’eux.


Un survivant pakistanais du naufrage montre la photo d’un compatriote disparu. Photographie : Forensis

Près de la moitié des quelque 750 personnes à bord auraient été des citoyens pakistanais empruntant une nouvelle route de migration clandestine vers l’Italie. Les autorités pakistanaises estiment que 115 d’entre eux venaient de Gujranwala, dans l’est du pays, une région connue pour ses plantations de riz et ses champs de coton, mais profondément enlisée dans la crise économique pakistanaise.

Ahmed Farouq, qui vit à la périphérie de la ville de Gujranwala, a perdu son fils dans le naufrage de Pylos. Parlant du remorquage présumé, il a déclaré : « Ils voulaient que le bateau coule. Pourquoi n’ont-ils pas d’abord sauvé les gens ? S’ils ne veulent pas d’immigrés clandestins, qu’ils nous expulsent, mais qu’ils ne nous laissent pas nous noyer ».

 

The Pylos Shipwreck - Situated Testimony (long version) from Forensis on Vimeo.

“Des étrangers sur notre propre terre” : des affrontements ethniques menacent de faire basculer l’État indien de Manipur dans la guerre civile


Aakash Hassan à Manipur et Hannah Ellis-Petersen à Delhi, The Guardian, 10/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Plus de 100 personnes ont été tuées et des dizaines de milliers ont été déplacées dans le cadre des violences actuelles qui risquent de diviser l’État en deux.

Des dizaines de maisons vandalisées et brûlées après des affrontements ethniques et des émeutes dans l’État indien de Manipur. Photo : Altaf Qadri/AP

En voyant la fumée s’élever des maisons incendiées à proximité, Nancy Chingthianniang et sa famille ont su qu’il était urgent de s’enfuir. C’était au début du mois de mai et tout autour d’eux, le Manipur - un État du nord-est de l’Inde - avait commencé à brûler, les membres de l’ethnie dominante Meitei s’opposant violemment aux Kukis minoritaires dans le cadre de l’un des pires conflits ethniques que la région ait connus de mémoire d’humain.

Chingthianniang, 29 ans, membre de la minorité kuki vivant à Imphal, la capitale de l’État, où la tribu Meitei domine en nombre et en pouvoir politique, craignait pour sa vie ; elle avait déjà appris que des membres de sa famille et des voisins étaient pris pour cible par des bandes meitei. Tard dans la nuit, cinq membres de la famille se sont entassés dans une voiture et se sont dirigés vers une zone de l’État contrôlée par les Kukis.

Ce voyage est douloureusement gravé dans la mémoire de Chingthianniang. Alors qu’ils s’approchaient d’un camp où les Kukis avaient trouvé refuge, une foule d’une centaine de personnes, toutes issues de la communauté meitei, a encerclé leur voiture et a commencé à la défoncer à l’aide de bâtons et de barres de fer.

Chingthianniang a été tirée du véhicule par les cheveux. Frissonnante, elle se souvient qu’ils ont été exhibés par des femmes de la foule qui ont crié aux hommes de leur groupe : « Allez les violer, on vous laisse ces tribales, violez-les ! »

La foule a commencé à battre brutalement le mari de Chingthianniang, Sasang. « Nous avons essayé de le protéger, de faire écran alors que nous recevions des coups de bâton », raconte-t-elle. « Mais il a été séparé de nous et lynché. Je ne peux pas oublier comment son corps sans vie a été frappé par des barres de fer, même une fois qu’il était mort ».


Nancy Chingthianigng a été attaquée et blessée par une foule à Manipur : Aakash Hassan/The Guardian

La mère de Sasang, qui avait tenté de sauver son fils de la foule, a également été tuée. Poursuivie par les agresseurs meitei, Chingthianniang a couru jusqu’à un camp militaire voisin et, en secouant les grilles, a supplié les soldats de l’aider. Au lieu de cela, ils l’ont repoussée et, tandis que la foule enragée s’abattait sur elle, elle a été battue jusqu’à ce qu’elle perde connaissance.

Elle s’est réveillée quelques jours plus tard dans une unité de soins intensifs, après avoir subi plusieurs interventions chirurgicales à la tête. Ce n’est que quelques jours plus tard que l’on a appris que son mari et sa belle-mère n’avaient pas survécu. Leurs corps sont toujours à la morgue d’Imphal, les proches n’osant pas aller les chercher.

Chingthianniang s’est depuis réfugiée chez sa belle-sœur à New Delhi, où des milliers d’habitants du Manipur ont trouvé refuge pour échapper au conflit qui continue de faire rage. Incapable d’apaiser les traumatismes de cette nuit, elle les revit constamment dans son esprit. « Je me demande comment je vais pouvoir survivre à tout ça », dit-elle, pâle et ébranlée.

Depuis l’attaque de Chingthianniang et de sa famille en mai, le conflit entre les Meiteis et les Kukis au Manipur n’a fait que s’aggraver. Environ 130 personnes, principalement des Kukis, ont trouvé la mort, plus de 60 000 ont été déplacées et des centaines de camps de secours ont été mis en place dans une situation qui a poussé l’État au bord de la guerre civile.


Une histoire de violence

Le Manipur est aujourd’hui divisé en deux zones ethniques farouchement protégées, les basses terres et les vallées étant contrôlées par les Meiteis et les collines par les Kukis. S’aventurer sur le territoire de la tribu adverse est décrit comme une “condamnation à mort”.

Alors que le gouvernement de l’État et le gouvernement central - tous deux contrôlés par le parti Bharatiya Janata (BJP) du premier ministre Narendra Modi - ont insisté sur le fait que la situation “s’améliore lentement”, les personnes sur le terrain racontent une autre histoire. Les couvre-feux et les restrictions persistent dans de grandes parties de l’État et l’internet a été coupé à plusieurs reprises. Des milliers de soldats et de supplétifs paramilitaires ont été déployés, tandis que les deux camps ont formé leurs propres groupes d’autodéfense armés. Cette semaine, les affrontements ont fait huit morts supplémentaires.

Les analystes estiment que les efforts du gouvernement pour ramener la paix dans la région ont largement échoué jusqu’à présent et que les tensions pourraient s’aggraver, risquant de déstabiliser d’autres États de la région instable du nord-est de l’Inde, tels que le Mizoram, le Nagaland et l’Assam. Le gouvernement BJP de l’État de Manipur est dominé par les Meiteis, majoritaires ce qui suscite la méfiance des leaders kukis, tandis que Modi est resté publiquement silencieux sur le conflit. Le seul ministre BJP de haut niveau à avoir visité l’État est le ministre de l’intérieur, Amit Shah. Sa visite n’a guère contribué à apaiser les tensions ethniques.

Les troubles ont été déclenchés par une décision de la Cour d’État du 27 mars, qui a accordé à la communauté dominante des Meitei un “statut tribal”, leur permettant de bénéficier des mêmes avantages économiques et des mêmes quotas que la communauté minoritaire des Kukis pour les emplois publics et l’éducation, et autorisant les Meiteis à acheter des terres dans les collines, où les Kukis vivent en majorité. La décision a ensuite été suspendue par la Cour suprême, qui l’a qualifiée de “factuellement erronée”.

Cette affaire a ravivé une situation déjà tendue dans un État qui n’est pas étranger aux conflits ethniques et aux insurrections depuis son indépendance. Le coup d’État militaire de 2021 dans le pays voisin, le Myanmar, a ravivé les tensions après que des milliers de réfugiés, plus proches des Kukis sur le plan ethnique, ont franchi la frontière pour se réfugier dans l’État de Mizoram, puis dans celui de Manipur, ce qui a fait craindre aux Meiteis que leur communauté ne soit déplacée.

Le 3 mai, une manifestation d’étudiants kukis contre la décision du tribunal a été accueillie avec violence et, quelques heures plus tard, les groupes ethniques ont commencé à s’affronter. Des maisons, des magasins, des églises, des temples et des entreprises ont été détruits et une soixantaine de personnes ont été tuées au cours des deux premiers jours de violence.

Depuis lors, les affrontements et les incendies de villages se poursuivent à un rythme soutenu. Plus de 4 000 armes ont été pillées dans les armureries de la police et les officiers se disent souvent incapables de contrôler l’anarchie qui règne dans les rues, décrite par le vice-ministre indien des Affaires étrangères - dont la maison a été récemment attaquée à l’aide de bombes à essence - comme « un effondrement complet de l’ordre public ».

“Des étrangers sur notre propre terre”

Les deux parties se sont repliées sur elles-mêmes pour tenter de protéger leur territoire. À Leimaran, un village entouré de rizières et contrôlé par les Meiteis, un groupe de “volontaires pour la défense du village” - composé d’environ 150 agriculteurs, enseignants et hommes d’affaires locaux - a pris les armes dans le conflit.

Leur village, qui ne compte que 400 foyers, est situé à quelques kilomètres seulement d’un bastion kuki, ce qui en fait une véritable frontière dans cette lutte ethnique. Les villageois ont installé sept bunkers à l’ouest du village et des hommes armés montent la garde jour et nuit.


Des membres armés de la communauté meitei, derrière un bunker, surveillent les bunkers rivaux des Kukis. Photo : Altaf Qadri/AP

La route entre les deux villages a été barricadée et constitue désormais une zone tampon sinistrement silencieuse, bordée de maisons brûlées et désertes et de voitures et camions calcinés. Des militaires sont postés tous les quelques mètres.

« C’est ainsi que chaque village Meitei se prépare », explique Aheibam Dinamani Singh, 42 ans, professeur dans une école d’ingénieurs du gouvernement local, qui dirige le groupe de défense. « Je suis enseignant, mais pour l’instant, ma priorité est de me procurer une arme et de défendre ma communauté. La situation a atteint un point tel que seules les armes peuvent décider de l’avenir ».

De l’autre côté du poste de contrôle militaire, à quelques kilomètres de là, se trouve le village kuki de Maitain, où une frontière a été construite avec des bunkers et des sacs de sable, et où un groupe similaire d’habitants kukis surveille les ennemis qui étaient autrefois leurs voisins. Comme de nombreux Kukis, les sentinelles soutiennent les appels en faveur d’un État kuki indépendant, arguant qu’ils ne peuvent plus vivre aux côtés des Meiteis. « Nous sommes postés ici jour et nuit et nous continuerons à protéger notre région jusqu’à ce que nous atteignions notre objectif », déclare Hemkholien, 52 ans.

« Ils nous traitent d’étrangers sur notre propre terre. Nous sommes confrontés à une menace existentielle », dit Mawi, 48 ans, qui milite au sein du Conseil Zomi, une association regroupant les Kukis et d’autres groupes tribaux. « Nous avons subi des injustices systémiques au fil des ans de la part de la communauté majoritaire. Comment pouvons-nous vivre avec eux ? »

Mais la tribu meitei affirme que la scission de l’État remettrait en question toute son identité et prévient qu’elle est prête à la combattre à n’importe quel prix.

 

Des manifestants organisent une veillée aux flambeaux pour le retour de la paix, à Imphal, la capitale du Manipur : Aakash Hassan/The Guardian

« La frontière actuelle du Manipur est celle pour laquelle nos ancêtres se sont battus en versant leur sang. Nous ne pouvons pas la laisser être divisée », déclare Samaradra Meitei, 29 ans, un militant meitei qui tient son arme à l’intérieur d’un bunker. « La séparation du Manipur n’est pas acceptable pour nous. Nous nous battrons contre ça et il y aura beaucoup d’effusions de sang ».

Alors que certains ont cherché à donner une dimension communautaire au conflit - les Meiteis étant des hindous, la religion dominante en Inde, et les Kukis des chrétiens, très minoritaires et persécutés par le gouvernement nationaliste hindou du BJP - les personnes présentes sur le terrain insistent sur le fait que les troubles n’ont rien à voir avec la religion.

Le rôle du Myanmar voisin menace également d’attiser la violence, la junte militaire du pays soutenant les Meiteis et les combattants rebelles du Myanmar soutenant les Kukis. Les militants des deux camps reconnaissent que les combats sont alimentés par un afflux au Manipur d’armes - fusils automatiques, grenades et lance-roquettes - en provenance du Myanmar.

La police, les responsables de l’armée et les dirigeants des deux communautés ont confirmé que les militants qui se battent au Myanmar ont également franchi la frontière et lancent des attaques contre les communautés adverses. The Guardian a également constaté la présence de ces militants, armés de fusils automatiques, parmi les volontaires de la défense des villages des deux communautés.

Cette semaine, le ministre en chef du Manipur, N Biren Singh, a déclaré que l’armée commencerait à nettoyer les bunkers et les structures de défense construits par les deux parties dans les collines et les vallées, mais les dirigeants kukis affirment qu’ils s’opposeront à toute mesure de ce type.

« Les gens construisent des bunkers des deux côtés, ils positionnent leurs armes », déclare Jang Kaopao Haokip, 55 ans, un agriculteur kuki dont la maison et tout le village ont été brûlés lors des violences. « New Delhi devrait comprendre qu’il s’agit d’une préparation à la guerre ».