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15/09/2022

GIDEON LEVY
La Stasi d'Israël prêche la morale

Gideon Levy, Haaretz, 14/9/2022
Traduit  par
Fausto Giudice, Tlaxcala

S'il y a une personne qui n'a pas l'autorité, et surtout pas le droit, de faire des prêches à Israël sur les lois de sa démocratie, c'est bien lui. S'il y a une organisation qui sape et détruit la démocratie israélienne plus que toute autre organisation ou politicien, c'est bien elle. Et s'il y a un fonctionnaire qui ne peut pas dire un seul mot sur le gouvernement, c'est le chef du service de sécurité Shin Bet.

Mais dans le chaos total qui règne aujourd'hui, où chaque bâtard est un roi, comme le dit le dicton, chaque chef d'une obscure agence est un professeur de morale.

Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, lors de la conférence annuelle de l'Institut de politique antiterroriste (ICT) à l'Université Reichman de Herzliya, le 11 septembre 2022. Photo : Moti Milrod

Ronen Bar (né Ronen Berezovsky) est mécontent de la politique israélienne. Selon lui, elle encourage l'“axe du mal”, un terme infantile et propagandiste qui ignore, bien sûr, le mal de l'agence qu'il dirige lui-même - un mal qui a probablement peu de rivaux dans le monde - et ne concerne que le mal des autres.

S'exprimant lors d'une conférence à l'université Reichman de Herzliya, cette tour d'ivoire qui ressemble parfois plus à un camp d'état-major des FDI qu'à une université, et où chaque responsable d'une organisation de défense est considéré comme un oracle intellectuel, Bar a prévenu que les divisions au sein de la société israélienne encouragent la terreur et les méchants de l'axe. Il est difficile de dire qui était la cible de l'acte d'accusation du chef des argousins, encore plus difficile de comprendre ce qu'il veut (propose-t-il que nous nous unissions, comme la Corée du Nord ou l'Iran ?), mais le fait qu'il ose donner des conseils sur la démocratie est péniblement ridicule.

Le Shin Bet est une organisation vitale, tout comme l'est le service d'assainissement d'une ville. Ces agences font un travail sale, mais important, sans lequel la vie n'est pas sûre.

Mais contrairement aux activités des égoutiers, tout le travail que les hommes des ténèbres accomplissent dans le cadre de leurs fonctions n'est pas aussi vital qu'on nous le dit, et il ne faut certainement pas le vénérer, comme on nous l'apprend ; en tout cas, il cause aussi de sérieux dommages au tissu de la vie ici.

Il est difficile d'évaluer le véritable bilan - combien d'attaques terroristes le Shin Bet déjoue et combien d'attaques il motive par ses activités non contrôlées. Mais lorsque Bar se vante de 2 000 arrestations récentes, il est clair qu'il y a plus que quelques innocents parmi eux, et des personnes qui seront radicalisées par leur seule détention.

Dans une réalité où, chaque nuit, des soldats accompagnés de chiens terrorisent les gens qui dorment chez eux et arrachent des citoyens de leur lit sur ordre du Shin Bet, sans aucune supervision légale bien sûr, et dans une réalité où des centaines de personnes sont détenues sans procès pendant des mois et des années, également sur ordre du Shin Bet, il est clair que les dégâts sont énormes. La conséquence la plus grave est de transformer la démocratie israélienne en l'une des tyrannies militaires les plus brutales du monde, ne serait-ce que dans sa propre arrière-cour.

Le Shin Bet opère à peine dans l'Israël souverain. Mais ce qu'il fait dans les territoires occupés depuis 1967, qui sont une partie inséparable d'Israël, apparemment pour toujours, rend impossible de définir Israël comme une démocratie, certainement pas quand il est clair que ce n'est pas une situation temporaire. Il n'y a aucun mal avec lequel la Stasi israélienne - dans les territoires, le Shin Bet est la Stasi dans tous les sens du terme, avec une technologie plus avancée que celle dont disposait la tristement célèbre organisation est-allemande - n'est pas familière.

Cette semaine encore, j'ai rencontré, au camp de réfugiés d'Al-Arroub, un garçon de 11 ans qui a perdu un œil à cause d'une balle des FDI. Aujourd'hui, il a également été défini comme un risque pour la sécurité, et il lui est interdit d'entrer en Israël pour se faire soigner au centre médical Hadassah de Jérusalem, sur ordre du Shin Bet. La semaine dernière, deux patients atteints de cancer dans la bande de Gaza sont décédés ; ils n'ont pas pu recevoir de traitement en Israël à temps car le Shin Bet leur a refusé l'entrée pendant deux mois.

Peut-être que tout ce mal est nécessaire pour combattre la terreur - c'est très douteux - mais la personne qui commande les agents du mal ne peut pas prêcher la morale. Il serait préférable que ces personnes aient honte de certaines des actions honteuses dont elles sont responsables.

C'est une fois de plus la saison de l'arrogance des faucons de la sécurité. Le chef du Mossad a menacé l'Iran, le chef du renseignement militaire a menacé le Hezbollah et le chef du Shin Bet a menacé Israël. Cette dernière menace est la plus sérieuse et la plus dangereuse de toutes.

 

LUIS E. SABINI FERNANDEZ
Time is money, une maxime capitaliste : et la vie, qu’est-ce que c’est ?
Dark Waters, DuPont et le téflon

 Luis E. Sabini Fernández, 9/9/2022

Traduit par Rafael Tobar, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Dark Waters

Réalisé en 2019 par Todd Haynes, Dark Waters est un film usaméricain primé et aclamé, qui a été produit et interprété par Mark Ruffalo. Le scénario de Mario Correa et Matthew M. Carnahan est basé sur l’article The Lawyer Who Became DuPont's Worst Nightmare de Nathaniel Rich dans le New York Times. Il raconte l’histoire réelle de l’avocat Robert Bilott, exposant clairement l'idéologie dominante aux USA, au-delà du contenu explicite du film, et pour lequel il a été très bien accueilli.

Bilott, avocat dans un cabinet dédié à la défense des patrons d’entreprises, lui-même originaire de Virginie-Occidentale, apprend qu'un des voisins de sa grand-mère est confronté à la mort inexplicable de vaches de son élevage.

Il a 190 vaches mortes, qu'il a au départ enterrées « comme si c’était des membres de la famille », dit-il à Bilott, mais au fur et à mesure que les ravages mystérieux s'étendent, l’éleveur se rend compte que les eaux du ruisseau local ont été contaminées, et il se voit contraint de brûler les carcasses ensemble.

Ses terres jouxtent le terrain d’un laboratoire de l’entreprise DuPont, et, vu qu’on est dans la seconde moitié du 20e siècle, l’éleveur se demande inévitablement quel poison provient de ce terrain.

Le rôle du protagoniste du film est au départ ambigu : il veut sincèrement aider le voisin de sa grand-mère (qui vit dans une maison qu'il a bien connue dans son enfance), un éleveur moyen qui s’appelle Wilbur Tennant, mais ses collègues du cabinet le préviennent qu’il serait insensé de se bagarrer contre l’entreprise DuPont.

Bilott essaie donc de porter plainte dans la limite d’un délai de prescription, afin de corriger certaines irrégularités qu'il ne comprend pas lui-même. 

L'avocat qui représente l’entreprise DuPont, vieux copain du monde des petits arrangements entre amis, n'accepte aucune conciliation, pas même celle que Bilott avait timidement prévu de proposer.

 L’avocat de la défense et l’entreprise

Et l'incursion de Bilott dans le dédale des dispositions commerciales et juridiques lui fait découvrir l'univers des produits toxiques et des poisons utilisés en toute impunité.

Il apprend peu à peu que les études et les analyses qui se font, tant celles de l'entreprise que celles commandées à des tiers, révèlent des dommages que DuPont passe sous silence.

L’entreprise est protégée par des avis « scientifiques» (en fait, signés par des scientifiques) attestant de l'innocuité ou de la faible nocivité des substances chimiques étudiées.

Ce n'est pas nouveau. Le téflon ne fait que répéter, en matière de santé, la tendance de nombreux autres polymères à haut rendement commercial, économique et financier.

Cette merveille technologique fut découverte « par hasard » en 1938 par Roy J. Plunkett (comme l’immense majorité des plastiques dérivés du pétrole découverts dans la première moitié du 20e siècle).

Et en 1945, il a été breveté et commercialisé :

« Depuis  qu’elle a été enregistrée, la marque Teflon™ est devenue immensément populaire et reconnue dans le monde entier pour ses propriétés antiadhésives[1].

Elle est utilisée dans les : « revêtements pour ustensiles de cuisine ; les tissus et les imperméabilisants antitaches et antisalissures; les revêtements pour des environnements de production et industriels difficiles ».

Peut-être aurait-il été utilisé dans des revêtements industriels sans le potentiel pathogène qu'il a révélé lorsqu'on l’appliqua sur des casseroles et des poêles, en contact direct avec nos aliments.

«Plunkett reçut la reconnaissance de la communauté scientifique, universitaire et civile du monde entier pour sa contribution. Il a été intronisé au Plastics Hall of Fame en 1973 et au National Inventors Hall of Fame en 1985.

D'après la transcription ci-dessus, nous pouvons voir que le téflon faisait partie du techno-optimisme des hommes d'affaires qui n'étaient pas prêts à perdre le business à cause de quelques personnes affectées.



Rob Bilott sur les terres des Tennant, près de Parkersburg, Viginie occidentale. Photo Bryan Schutmaat pour le New York Times

La ténacité de Bilott et, surtout, celle de Tennant, qui, même malade (car ce ne sont pas seulement ses vaches qui ont été contaminée et tuées), lui permettra de poursuivre ses efforts pour localiser la source des dégâts.

Aussi, lorsque DuPont tente de calmer le jeu en accordant une mini-indemnité de 16 millions de dollars à un certain nombre de victimes, et en s'appuyant sur une décision de l'EPA (Agence usaméricaine de protection de l'environnement), à une époque où l'entreprise continuait d’empocher un milliard de dollars de ventes annuelles sur ses «produits fantastiques» et où Bilott lui-même est tenté, Tennant ne cède pas et insiste pour  combattre  DuPont.

Il est lui-même déjà atteint d'un cancer, tout comme sa compagne.

Tennant n'a pas seulement dû affronter l'entreprise contaminante, contrefaisante et meurtrière ; il n'a pas non plus reçu de soutien local, car ses voisins ont fui tout contact, le critiquant pour avoir mordu la main de ceux qui modernisaient l'endroit avec un établissement modèle...

On peut comparer Wilbur Tennant et son incroyable persévérance à la lutte d'un agriculteur victime du glyphosate contre une autre entreprise géante, Monsanto.

Percy Schmeiser, un Canadien,  a également fini par gagner un procès après des années et des décennies de contamination, de harcèlement, d'abus et de chicaneries.

Les produits toxiques finiront par rendre malades d'autres voisins de Tennant et des travailleurs de l'usine de Parkersburg, en Virginie occidentale.



L'usine chimique située près de Parkersburg, en Virginie occidentale, à l'origine de la contamination au centre du recours collectif contre DuPont. Photo Bryan Schutmaat pour le New York Times